Lettre du 5 mars 1649 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 362-363).
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11. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Les gens du maréchal de la Mothe Houdancourt ayant pris mes chevaux à mon cocher comme il me les amenoit, j’écrivis cette lettre à la marquise de Sévigné.

À Saint-Denis, ce 5e mars 1649[1].

C’est à ce coup que je vous traite en ennemie, en vous écrivant par mon trompette. La vérité est que je l’envoie au maréchal de la Mothe[2] pour le prier de me renvoyer les chevaux de carrosse du grand prieur de France, notre oncle, que ses domestiques ont pris comme on me les amenoit. Je ne vous prie pas de vous y employer, car c’est votre affaire comme la mienne ; mais nous jugerons par le succès de votre entremise quelle considération on a pour vous dans votre parti : c’est proprement à dire que nous aurons bonne opinion de vos généraux, s’ils font le cas qu’ils doivent de vos recommandations.

J’arrive présentement de notre expédition de Brie-Comte-Robert[3], las comme un chien : il y a huit jours que je ne me suis dépouillé. Nous sommes vos maîtres, mais il faut avouer que ce n’est pas sans peine. La guerre de Paris commence fort à m’ennuyer. Si vous ne mourez promptement de faim, nous mourrons bientôt de fatigue. Rendez-vous ou nous nous allons rendre. Pour moi, avec tous mes autres maux, j’ai encore une extrême impatience de vous voir. Si le cardinal Mazarin avoit à Paris, une cousine faite comme vous, je me trompe fort, ou la paix se feroit à quelque prix que ce fût. Tant y a que je la ferois, moi, car sur ma foi je vous aime fort. Adieu.


  1. Lettre 11. — i. Cette lettre et la suivante sont des 5 et 6 mars, non des 25 et 26, comme le disait, d’après Bussy, l’édition de 1818. Voyez Walckenaer, tome I, p. 190-192, et tome II, p. 411.
  2. Philippe de la Mothe Houdancourt, maréchal de France depuis 1642, s’était jeté dans le parti de la Fronde. Il était très-dévoué au duc de Longueville, « à qui il avoit été attaché vingt ans durant, dit le cardinal de Retz, par une pension qu’il avoit voulu même retenir par reconnoissance, encore après qu’il eut été fait maréchal de France. »
  3. « Cette expédition dura huit jours, pendant lesquels nous eûmes beaucoup de fatigue et peu de péril ; et ayant fait tout ce que nous voulûmes sans aucun obstacle, nous revînmes à Saint-Denis. » (Mémoires de Bussy, tome I, p. 182.)