Lettre du 6 juin 1669-2 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 548-550).
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1669

97. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

Six jours après que j’eus écrit cette lettre, je reçus celle-ci de la marquise.

À Paris, ce 9e juin 1669[1].

Ah ! Comte, est-ce vous qui m’avez écrit la lettre que je viens de recevoir ? J’étois si fort étonnée en la lisant que j’en paroissois éperdue ; je ne pouvois croire ce que je voyois. Est-il possible que la plus folle lettre du monde puisse être prise de cette manière par un homme qui entend aussi bien raillerie que vous, et qui sauroit même donner de bonnes explications à une lettre si elle en avoit besoin ? mais je soutiens que la mienne parle toute seule. Vous m’écriviez des folies, et je vous en répondois. Je badinois assez bien, ce me semble, sur les extrémités dont vous êtes capable sur mon sujet ; je les exagérois pour mieux badiner ; je trouvois que votre cœur étoit si loin de l’indifférence et si fort accoutumé à n’avoir que de la passion, ou de haine, ou de tendresse pour moi, que c’étoit justement à dire qu’il étoit né pour avoir de l’amour. Dit-on ces choses-là sérieusement ? Et pour l’expression de sentir le fagot, que vous avez prise dans toute sa force, je vous le pardonne. Vous avez été autrefois dans une cabale où il n’en falloit rien diminuer[2] ; mais je pensois que vous sussiez qu’on l’avoit rendue un peu 1669 moins terrible, et qu’on s’en servoit moins communément, pour expliquer des choses extraordinaires. Cela sent bien le fagot, c’étoit à dire, cela sent bien son homme qui auroit été amoureux de moi si je l’avois laissé faire, et qui le seroit encore pour peu que je l’en priasse. Et tout cela, bon Dieu, peut-il être autre chose qu’un jeu ? Cependant vous me rassurez en me disant qu’il est aisé de me tirer de peine là-dessus. Vous trouvez que je vous dis des injures ; vous trouvez qu’un cousin qui aimeroit sa cousine ne mériteroit pas d’être brûlé ; vous trouvez que je suis entêtée de Grignan ; vous tenez votre gravité. Comte, est-ce vous, encore une fois ? Gardez ma lettre, je vous prie ; relisez-la, démontez votre sérieux, représentez-vous combien nous aurions ri de tout cela ; mais ce n’est plus vous. J’étois vive et gaie en écrivant ma lettre, et je ne doutois point qu’elle ne vous divertît dans votre solitude, puisqu’elle me réjouissoit ici ; j’y attendois une réponse encore plus enjouée, s’il se pouvoit, et je vous jure que j’ai cru, en lisant votre lettre, que je ne lisois ou que je n’entendois pas bien. Nous avions trouvé quelque chose de plaisant à renverser tout l’ordre gothique des familles, et à vous faire écrire un compliment le premier. Je vous jure qu’il y avoit ici une lettre tout écrite que nous n’avons pas voulu envoyer. Nous n’avons point fait tant de façon pour tous nos parents de Bretagne : ils ont reçu des lettres de noces. On vouloit badiner avec vous, et vous en êtes à cent lieues loin. Est-ce vous, Comte, qui n’avez point aimé ma dernière lettre ? est-ce vous qui m’y avez répondu ce que voilà ? N’espérez pas que je vous parle d’autre chose que de ma lettre : je garderai la vôtre, et j’espère que quelque jour vous reviendrez dans ce bon sens qui étoit si agréable et si droit. Non-seulement je n’ai pas reconnu mon sang dans votre style, mais je n’y ai pas reconnu le vôtre. Si cela duroit, nous pourrions nous faire saigner tant qu’il nous plairoit, sans crainte de nous affoiblir l’un l’autre[3].


  1. Lettre 97. — i. Il y a, comme l’on voit, une erreur soit dans la date de la lettre, soit dans l’introduction : dans l’introduction sans doute ; il n’y a de cette lettre à la suivante, comme à la précédente, que trois jours d’intervalle.
  2. C’est une allusion aux gens décriés pour leur libertinage que Bussy fréquentait autrefois, et particulièrement à l’aventure de Roissy, qu’il raconte lui-même dans ses Mémoires (tome II, p. 89-93).
  3. Voyez plus haut les lettres 77, 79 et 80. Dans la copie de Bussy, Mme de Coligny a ajouté à la fin de la lettre : « N’avez-vous point écrit au Roi au commencement de cette guerre ? Ne me supprimez pas le plaisir de voir ce que vous lui mandez. »