Lettres à Falconet/26

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Lettres à Falconet
Lettres à Falconet, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXVIII (p. 317-318).


XXV


Mais, mon ami, vous n’êtes pas sage. Votre maison était louée avant que vous ne pussiez me l’offrir. Je lui ai fait passer vos propres mots : qu’il ait à disposer de la somme dont il vous parle comme bon lui semblera. Je n’ai pas oublié de lui recommander de vous faire parvenir promptement un modèle du pouvoir dont il a besoin ; cependant de surseoir avec monsieur votre fils jusqu’à ce que vous ayez répondu aux duplicata qu’il vient de vous envoyer. Je recevrai ceux de vos lettres égarées avec le plus grand plaisir. Quant aux miennes, il faut que vous en fassiez votre deuil. Je n’ai aucun double des lettres que j’écris. Je prends une plume, de l’encre et du papier, et puis, va comme je te pousse. Notre Salon est un peu mesquin cette année, grâce à M. de Laborde, qui nous a privés d’une douzaine de Vernet, et à Sa Majesté Impériale, à qui nous avons député un Machy, un Vien, un Casanove et un Van Loo. N’admirez-vous pas le Laborde, qui croit qu’on paye avec de l’argent tout ce qu’on doit à un artiste, et qui lui vole l’éloge du public, la partie la plus précieuse de son honoraire ? Quelle foutue, vile et basse race que celle de ces gens à argent ! Votre bon ami de La Live est fou à lier ; il voit le diable et les enfers. Greuze vient de recevoir un terrible soufflet pour un homme vain. Il a présenté un tableau d’histoire à l’Académie. L’Académie lui a dit : « Votre tableau d’histoire est mauvais. Nous ne pouvons vous recevoir là-dessus, comme peintre d’histoire ; mais vos preuves sont faites dans la peinture de genre, et nous vous recevons comme peintre de genre. » Le fâcheux de tout cela, c’est qu’en effet le tableau ne vaut rien.

Je viens d’apprendre, par M. le prince de Galitzin, que votre monument est sublime, et vous savez combien je m’en réjouis.

On vient de remettre au théâtre le Père de famille, en été, avec un succès dont il n’y a pas eu d’égal. Nous sommes à la douzième représentation, et la salle ne désemplit pas. Je vous apprends cela, afin que vous vous en réjouissez. J’ai reçu la lettre de change de Mlle Collot. Nous avions encore de l’argent à elle. Nous attendrons ses commissions et nous tâcherons de nous en acquitter à son gré. Nous vous embrassons tous les deux, et nous vous souhaitons de la santé, la seule chose qui ne soit au pouvoir de personne de vous offrir. Aimez-nous toujours bien. Le prince de Galitzin m’a promis un buste en bronze de l’impératrice. S’il n’a pas été indiscret dans sa promesse, faites l’en ressouvenir, sinon laissez-la lui oublier. Bonjour, bonjour. Travaillez bien, et continuez de faire de belles choses.

Le 7 septembre 1769. À la veille d’une séparation qui nous coûta beaucoup à tous les trois ; ah ! mademoiselle Collot, combien vous pleurâtes sur le rempart ! et que j’eus de peine à arrêter vos larmes ! Mais vous êtes aimée, estimée, honorée ; les raisons que je vous disais alors, et auxquelles vous aviez tant de peine à vous prêter, étaient donc bonnes.