Lettres à Sophie Volland/120

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Lettres à Sophie Volland
Lettres à Sophie Volland, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierXIX (p. 300-303).


CXIX


À Paris, le 15 novembre 1768.


Je vous supplie, mon amie, de ne pas vous plaindre de ma négligence : je réponds sur-le-champ. Votre dernière me parvint le 13 novembre, et votre avant-dernière était datée des derniers jours d’octobre.

Je n’ai pas eu le moindre doute que maman, bonne, humaine, bienfaisante, heureuse comme le sont presque toujours les personnes prudentes, n’aquiesçât à la proposition que je lui faisais. J’en ai prévenu Gatti, qui attend son retour avec la même impatience que moi, et qui ne demande pas mieux que de l’initier dans cette pratique de l’inoculation. Il faut qu’au même moment où je la sollicite, le hasard lui envoie une pauvre créature aveuglée par la petite vérole naturelle pour appuyer ma demande.

Ne craignez-vous pas que cette méchante femme n’apprenne ou ne soupçonne que vous êtes au fond de cette petite correction, et qu’elle ne fasse quelque coup de tête violent ? Mes amies, prenez-y garde.

Le portrait de Mme Bouchard a été gâté chez elle, et gâté presque sans ressource ; l’artiste y a fait ce qu’il a pu, et il est à peu près comme au sortir de ses mains.

J’oubliais de vous dire qu’il est sorti du petit hôpital de Gatti soixante et un enfants inoculés sans qu’il y en ait eu un seul alité.

J’embrasse de tout mon cœur le garçon chirurgien qui s’occupe à bien faire depuis le matin jusqu’au soir, et qui sait si grand gré à ceux qui le suivent de loin.

Je crois que vous m’aimez toujours ; je m’en rapporte plus volontiers à votre goût pour la justice qu’aux apparences.

Pour maman, je suis très-sûr que je lui suis cher : cela tout simplement parce qu’elle vous permet de me le dire.

Quel diable d’amphigouri me faites-vous sur les grains ? Il y a à la halle deux sortes de farines : il y a de la farine dite malicet, du nom de celui qui la fournit, qui est plus belle, plus chère, et peut-être dans des sacs cachetés.

J’aime la conduite de vos magistrats ; il est rare que des officiers municipaux aient cette fermeté-là.

Si je ne me mêle pas de traîner le cher parent dans la boue, je l’abandonnerai à un certain Target qui s’en acquittera bien pour moi.

J’avoue que je ne connais pas quelle affaire nous pouvons avoir à démêler avec lui. Il a fait ses demandes ; elles ont été accordées. Il était fondé de procuration ; il a transigé pour lui et ses ayants cause. C’est donc un libelle qu’il veut publier ; il faut l’attendre, et avoir confiance dans nos ongles et ceux des lois.

C’est un conte que le bel ange : il y a eu ici quelque rumeur ; mais il était question de tout autre chose.

Écoutez la bonne, la grande, l’heureuse nouvelle : Mme Therbouche est partie ; elle s’avance de dimanche au soir, entre neuf et dix, vers Bruxelles, dans une chaise de poste ; car elle n’a jamais voulu honorer la diligence de sa personne. Il y a cent autres traits de puérile vanité de cette force-là.

Je suis chargé de l’achat de tous les tableaux Gaignat, et je vais y procéder.

Je vous ai dit que Grimm m’avait fait bien du mal.

Hier, ce fut la répétition de la même scène avec le Baron.

Ces gens-là ne veulent pas que je sois moi ; je les planterai tous là, et je vivrai dans un trou : il y a longtemps que ce projet me roule par la tête.

Damilaville est moribond. Plus de force, pas même pour faire un pas. Plus d’appétit ; nausées, défaillances, et abandon de médecin.

Je ne saurais vous répondre sur l’histoire des portraits : je ne sais plus ce que c’est. Aussi y a-t-il toujours une bonne quinzaine entre mes lettres et os réponses ! Voulez-vous parler de la mystification ? Les embarras d’un départ prochain ont tout suspendu, et le départ tout réduit à rien. Il ne nous reste de cela qu’une scène excellente, l’attente trompée de trois ou quatre autres, mais point de portraits.

Je n’ai point vu M. Trouard. J’attends toujours sa visite promise par l’abbé. S’il ne vient pas, j’irai.

Ce dîner, je crois vous l’avoir dit, était un guet-apens où j’aurais bien donné sans un de ces hasards de ce pays-ci. Je devais me trouver en tête-à-tête avec Mme de Coaslin. Cela s’est éventé par la Guimard qui le savait, et qui le confia à un libertin de sa société qui m’en avertit. Ô la belle contrée où un libertin tient un philosophe par la main, et où la duchesse n’est séparée de la fille que par un intermédiaire commun qui dit souvent à la fille ce qu’il laisse ignorer à la duchesse !

J’espère quelquefois que M. Trouard veut me présenter la nomination de l’abbé ; c’est un tour tout à fait à la façon de l’autre : il faut voir, et ne pas le leurrer de fausses espérances.

Perdez, madame, perdez au trictrac tant qu’il vous plaira, mais n’allez pas gagner au whist ; cela ne serait pas honnête.

Ah ! voilà M. l’abbé Marin arrivé ! J’entendrai parler de vous quand il plaira à Dieu. Mais je commence à me résigner à tout.

Je savais tout ce que vous me dites de M. et de Mme Duclos ; celui-ci est bien heureux de ne pouvoir vieillir ; je lui envie ce secret, et le plaisir d’être auprès de vous. Voilà une ligne que vous ne passerez pas, parce qu’écrite elle ne signifie pas grand’chose, et que passée, on y mettrait de l’importance.

Agréez tout mon respect.