Aller au contenu

Lettres à l’étrangère - Nouvelle série/01

La bibliothèque libre.
Lettres à l’étrangère - Nouvelle série
Revue des Deux Mondes6e période, tome 54 (p. 814-845).
LETTRES Á L’ÉTRANGÈRE
NOUVELLE SÉRIE [1]


I


A Madame Hanska à Dresde.


(Passy 1-6 janvier 1845,)

! (Mercredi,) 1er janvier 1845.

Il est trois heures du matin ; je commence l’année par travailler et par t’écrire. J’ai reçu hier la bonne longue lettre, écrite entre deux et cinq heures, et c’est ce dont je me plains ; je voudrais maintenant une page tous les jours, et la lettre envoyée deux fois par semaine. Je suis bien heureux que les dernières lettres adressées par moi à Wierzchownia, vous aient été renvoyées par Halpérine.

Ma chère Ninette, tu as dû recevoir, quand cette lettre te viendra, celle où je te conseille de venir à Francfort ou à Aix-la-Chapelle.

Si tu m’aimes, nous commencerons par Francfort ; mais ce sera pour les premiers jours de février. De là seulement, je puis avoir des communications assez rapides avec Paris pour pouvoir suivre mes travaux. Ote de ta chère tête que je puisse avoir du loisir. Il m’est interdit cette année. Et voilà pourquoi je voudrais une campagne et non une ville. Tu as dû avoir lu la première partie des Paysans. Eh bien, il y en a quatre comme cela. J’aurai fini la deuxième pour le mois de février. Je serai alors à la moitié. Il faut faire les deux autres parties en février et en mars. Puis, en avril et mai, les Petits Bourgeois. Aussi préférerais-je une habitation en Suisse, dans le Val Travers, aux environs de Genève ou de Berne, à toutes nos idées d’Allemagne, car il faut non seulement que je travaille nuit et jour, mais que j’aille cinq à six jours à Paris tous les trois mois. Si tu tiens à l’Allemagne, j’aimerais mieux les environs de Bade. A Hombourg, je te le répète, il y a Mme Kisseleff qui y a fait bâtir énormément.

Mon ange aimé, songe que j’ai encore cent trente mille francs de dettes à payer. Elles se payent par trente mille des Paysans vingt mille francs des Petits Bourgeois, trente mille francs des Jardies, vingt mille francs d’autre littérature à faire, et trente mille francs d’ouvrages à illustrer. C’est une année fatale, où il faut exploiter la Comédie humaine, et mes œuvres, et mon cerveau, pour en finir avec la misère !

Il y a quelque chose qui m’étonne toujours, c’est ta défiance de mes facultés. Je te vois insurgée, à l’idée de ce qui peut réparer le présent et assurer l’avenir, l’affaire de Monceaux. Primo, on ne sait plus où se loger à Paris ; secundo, les appartements sont hors de prix ; tertio, on n’est pas chez soi quand on se loge dans ce qu’on appelle des maisons de produit, où il y a trente locataires ; quarto, il me faut le midi, le silence, l’air et l’espace. Ces quatre conditions s’appellent un hôtel entre cour et jardin, et cela se loue quatorze à quinze mille francs par an. Quinto, le meilleur placement est celui qu’on fait soi-même. Sexto, il n’y a pas de maison toute faite, même une bonne occasion, où l’on ne dépense de vingt-cinq à trente mille francs pour s’y établir.

Septimo, je connais ma Linette ; elle ne resterait pas un mois dans un appartement, en communauté avec cinquante personnes habitant sa maison. On ne brise pas les habitudes de toute sa vie ainsi.

Ces sept observations étant péremptoires, je ne comprends pas que tu ne sautes pas de joie à l’idée d’avoir un magnifique arpent de jardin bâti, planté par l’amoureux de Mme de Montesson [2], pour soixante mille francs, et une maison où il n’y aura qu’à s’emménager pour quarante mille francs. Total : cent mille francs, ou quatre mille francs de rente !... C’est-à-dire que celui qui, pouvant obtenir ce résultat, s’y refuserait, devrait être mis aux Petites-Maisons. En une année, je répare tous les chagrins de fortune que j’ai eus et j’aurai un immeuble qui vaudra un jour cinq cent mille francs !

Tu auras toujours dans l’esprit une sorte de défiance contre moi, parce que j’ai mal commencé la vie. Tous mes malheurs sont venus de ma mère ; elle m’a ruiné, par le calcul et à plaisir. Voilà seize ans que je me débats contre l’horrible situation qu’elle m’a faite. Plus je t’explique cela, moins tu me sais gré d’avoir vécu, d’avoir payé, d’avoir fait une fortune. Ma fortune, c’est mon œuvre. Mon œuvre vaut un million, et elle le donnera. Malheureusement, il y a encore six ans de travaux pour la terminer.

Quand on vit perpétuellement chez soi, la première cause de bonheur est d’avoir un chez soi charmant et aimable. Or, c’est ce à quoi je pense. Tu es un peu follette, ma Minette, car si je ne bâtis pas en 1845, où logerons-nous en 1846 ?... Il faut dix-huit mois pour habiter une maison, dix-huit mois pendant lesquels elle sèche ; il faut qu’un hiver et un été y passent ! Or, le gros œuvre sera fait pour octobre ou novembre 1844. On passera l’hiver à la finir ; à peine pourra-t-on y demeurer en octobre 1846. D’ici octobre 1846, j’aurai bien largement payé tout ce que je dois, dettes et maison. Quant à la maison et au terrain, il faut payer immédiatement. Voilà pourquoi j’ai tant à travailler. Mais aussi nous avons (en vue), Claret et moi, une meilleure affaire que ce que je t’ai dit : nous allons acheter à Plon cinq arpents à quatre-vingt mille francs, avec la certitude de les revendre, aux clients de Claret, entre cent vingt et cent quarante mille francs. En sorte que, d’ici au mois de mars, nous aurons chacun notre arpent et notre maison, dans le sens le plus défavorable de la spéculation, et peut-être, dans le sens le plus favorable, chacun de l’argent et notre maison.

Nous ne courons aucun risque, car Plon est engagé à nous livrer les terrains, et nous ne serons engagés à les payer qu’au bout de trois mois, si nous les avons vendus, et nous pouvons résoudre le marché, si nous ne les vendons pas. Si nous ne les vendons pas, je reste avec un arpent à soixante mille francs. Si nous les vendons, c’est que nous avons eu des bénéfices.

Hier, Claret m’a dit avoir, dans ses clients, quatre arpents de placés, environ ; il ne s’agit plus que de tracer les rues et (de faire) les conditions. Or, moi, mon choix est fait comme emplacement.

J’ai, du moins jusqu’à présent, dans mon jardin, une magnifique ruine de temple grec, au bas duquel est un petit lac, avec rochers, etc., d’une magnificence royale. Ça et de beaux arbres, ce sera notre jardin.

Ça n’a pas coûté moins de cent mille francs. C’est ce qu’il y a de plus beau dans la Folie Monceaux et ce serait vraiment un monstre que de la démolir. Claret me bâtira la charmante maison dont tu verras le plan. Entre la maison et la ruine circulaire, il y aura une pelouse. Il n’y aura certes pas deux habitations comme la nôtre à Paris. Et tout cela pour cent mille francs, ou peut-être pour rien. Je me prépare comme si cela devait coûter les cent mille francs. Mais, d’ici à un mois, peut-être, saurons-nous à quoi nous en tenir. Ah ! quel jour pour moi que celui où je ne devrai plus rien, et où je posséderai une belle habitation ! Il n’y aura pas de plus beau (jour), (hormis) celui de notre mariage ! Hugo a acheté un demi-arpent ; les Jésuites ont acheté trois arpents, trois cent mille francs, et ils bâtissent une église ; elle sera à deux pas de notre maison. Tu vois que je connais les convenances. Plon doit donner un million au Roi, d’ici au 15 mars.

Avec de tels intérêts et de tels travaux, je ne voudrais pas être éloigné de plus de cent vingt ou cent cinquante lieues de Paris. Voilà pourquoi je demande Aix(-la-Chapelle), Francfort ou la Suisse. De tout cela ce que je préférerais ce serait la Suisse.

Plon a pour cinq cent mille francs de placé ; si Claret lui place pour cinq cent mille francs, il peut payer le Roi et il a huit ou dix arpents de bénéfice. Voilà pourquoi son métier n’est pas de chercher les bénéfices que peut faire Claret, de même que l’affaire de Claret n’est pas de vendre au prix réel, car il faudrait attendre trop longtemps ; il faut donner beaucoup à gagner à ses acquéreurs.

L’arpent, là, vaut deux cent cinquante mille francs environ. Ces arpents se composent de mille toises et la toise vaut deux cents francs dans le haut du faubourg Saint-Honoré. Aussi le Roi ne veut-il pas fixer de prix à Pion pour les vingt-cinq arpents qui restent à vendre ; il en veut déjà deux millions cinq cent mille francs, car il dit : « Quand vous aurez bâti dans ce que je vous ai vendu, vous aurez doublé la valeur de ce qui me reste. » Il compte avoir huit millions de Monceaux ainsi, et la spéculation du Roi est la garantie de la bonté de la nôtre. Les Jésuites ont flairé cela. Ils n’ont pas marchandé, ils ont acheté sur-le-champ, trois cent mille francs leurs trois arpents. Ils vendent huit cent mille francs (leur établissement de) la rue des Postes. Ils vont dépenser les cinq cent mille francs restants dans leur bâtisse, et ils font l’avance de l’église. Ils se la feront rembourser par des quêtes et des dons volontaires.

Voyez à quelles explications vous me contraignez par votre défiance !... Et qu’ai-je fait pour la mériter ? J’ai payé ou j’aurai payé toutes mes dettes moi-même, avant que tu aies pu rien te constituer hors de cette infâme Pologne, dont les biens ne sont pas des biens, mais des maux ! Tu es la richarde et je suis le pauvre !... On accuse toujours le pauvre.

Ah ! te diras-tu, chérie : « Il commence bien l’année comme un mari, car il me gronde et il me grogne ! » Non, ma petite fille chérie, tout cela, c’est l’explication du bonheur. Nous serons heureux, dans un joli nid ; tu seras ravie, si la ruine (grecque) me reste, de ce que j’aurai su créer au milieu, ou, pour parler plus exactement, au bord de Paris. Le Bois de Boulogne ne sera pas loin, ni le faubourg Saint-Honoré non plus. Oh ! que tout cela se réalise, et je serai enfin ce que je dois être !

Nous attendons toujours la réponse du duc de Devonshire pour les meubles.

Je ne t’apporte plus de boites, mais à chacune de vous le même flacon. Cela se tient à la main, c’est personnel. La douane n’a rien à dire, et, je connais Anna, elle sera très heureuse. Ne m’empêche pas de gâter ta fille.

Je ne t’enverrai cette lettre qu’après-demain, car j’y joindrai les trois premières feuilles de l’histoire qui se publie dans ce moment au Messager.

Ne me dis plus rien des Chl (endowski) ; ils sont connus. Je ne les vois presque plus. Mme de Boc (armé), qui me les a fournis, y renonce aussi. Dans vingt jours, ils n’auront plus rien à me demander ; ils seront fournis, et mon traité sera fini, exécuté. Mais tes rhumes me font frémir. Il n’y a qu’à se faire suer au lit, et à prendre garde de passer, en transpiration, d’un endroit chaud à un endroit froid. Je t’en supplie de nouveau, soigne-toi. Quitte Dresde le 11, et viens à Francfort pour le 20 janvier, j’y serai, moi, le 1er février. Là nous comploterons où aller.

Rien ne m’est plus facile (que) d’aller à Francfort, car la malle-poste de France et de Prusse est organisée pour atteindre ce point avec une vitesse excessive, tandis qu’il faut savoir l’allemand pour aller à Dresde. On parle français jusqu’à Francfort. Je t’en resupplie, quitte Dresde et viens là.

Tu sais tout ce que je puis penser de toi, te dire, ma Lidda, pour un premier jour de l’an ! Mais mon premier jour de l’an, c’est le mois de février ! Hélas ! chère adorée, je n’ai pas le mérite de t’obéir, car tu le vois, les choses sont plus fortes que ma volonté. J’ai, le 1er janvier, toute la deuxième partie des Paysans à écrire, et, si tu as lu la première, tu dois voir quelles sont mes obligations. On a crié au Molière et au Montesquieu ! On m’a salué Roi ! Il faut continuer à mettre des diamants à ta couronne !


(Jeudi,) 2 janvier.

C’est tout au plus, ma chère Line aimée, si je pourrai supporter la fatigue de la deuxième partie des Paysans. Je suis entré dans une période d’horribles souffrances nerveuses à l’estomac, causées par l’abus du café ; voici près de six mois que j’en prends, et il est à peu près fini, comme influence.

Il me faut absolument le repos. Ces douleurs affreuses, sans exemple, m’ont pris depuis trois jours. J’ai cru, la première fois, à quelque accident. Mais c’est fini ; je les reconnais. Ainsi, je partirai dans les derniers jours de janvier. Quitte Dresde et rapproche-toi du Rhin.

Je ne demande qu’une chose : c’est de bien finir la deuxième partie des Paysans. J’aimerais mieux la Suisse que Francfort. On peut avoir de si jolies habitations et si près (les unes des autres), et il y a si peu de cancans, grâce à la grande quantité de touristes ! Le Val Travers serait bien notre affaire. Oh ! je suis bien énormément fatigué. Je calculais ce matin que j’ai fait, depuis deux ans, quatre volumes de la Com (édie) Hum (aine). Dans vingt et quelques jours d’ici, je ne serai plus bon qu’à mettre en malle-poste.

Je joins à cette lettre la première qu’ait écrite le duc Pasquier.

David a terminé mon buste ; c’est, à ce qu’il parait, une merveilleuse chose, et qui sera l’un des grands morceaux de notre Exposition. Mais il (y) met une grande prétention avec moi ; il ne veut me le faire voir qu’après le dernier coup de lime.

Soigne-toi ! soigne-toi ! c’est mon cri.

Je m’interromps de mes travaux en me demandant en sursaut : « Tousse-t-elle encore ? » Attends, pour Modeste Mignon, le quatrième volume de la Com (édie) hum. (aine), qui va, sous cinq ou six jours, être terminé.

Mon Dieu ! te savoir à quatre pas, et rester ici ! C’est à se damner ! Tu as beau me défendre de venir, c’est cent fois pis !

Allons, adieu pour aujourd’hui. J’ai encore quinze feuillets à écrire pour terminer Béatrix.


(Vendredi,) 3 janvier.

Pas de lettres ! J’espérais que, pour notre premier jour de l’an, j’aurais le grand bonheur d’une petite lettre, et voici trois jours (de passés). Es-tu malade, mon ange adoré ? Je le crains.

En voilà du malheur que de trouver tant de monde de connaissance à Dresde ! Tu as vu dans les journaux la folie de Villemain. Sa discussion de (la) loi sur l’enseignement, à la Chambre des pairs, l’année dernière, accusait déjà quelque affaiblissement dans les facultés. Ce n’est pas une perte ; il avait l’intelligence d’une étroitesse incroyable. Voir M. Guizot obligé de défendre sa loi a été un coup porté à sa vanité. Thiers pourra finir ainsi, et Lamartine, hélas ! en est bien près. Il pense à devenir pontife d’une religion nouvelle !

Je disais l’autre jour à Delphine (de Girardin,) à qui j’ai demandé de me raconter ses douleurs, quand elle a été trahie par Emile dans les trois premières années de son mariage (pour pouvoir finir Béatrix), que tous ces gens-là périssaient bien moins par l’enfantement des idées que par l’agrandissement du sentiment.

C’est la vanité qui tue Villemain, qui a tué Lassailly, Gérard de Nerval [3], et qui ronge Lamartine et Thiers. Hugo a le crâne d’un fou, et son frère, le grand poète inconnu, est mort fou. Cela fait trembler.

Ce qu’il y a de plus dangereux, c’est de se laisser adorer. Bénissons les critiques, ma Li nette ; nous n’avons rien à craindre (de ce genre) dans notre ménage ; on ne nous épargne pas les pierres ! J’ai reçu, à propos des Paysans, la plus enragée des lettres. J’en ai ri comme un fou. Je te la garde ; c’est un curieux monument de haine.

Allons, mille caresses et toutes mes tendresses. ! Mille. gracieusetés à ma petite Anna.


II


A Madame Hanska, Hôtel de Saxe, à Dresde.


(Passy,) 7 janvier (1845),

Mon ange, je ne t’ai écrit que deux lettres par Bassange. J’aime à croire que toutes celles adressées à l’hôtel de Saxe te sont parvenues, puisque tu as reçu le feuilleton (les Paysans). Il a dû venir en deux fois.

Voilà qui est bien convenu (car je te réponds à ta lettre du 31 décembre dernier, que j’ai reçue hier). Si tu l’as mise à la poste le 1er janvier, elle a mis cinq jours à venir ; mais elle perd un jour à Paris. Nous crions, à la Chambre, comme des diables, pour cette perte (de temps) que fait le transit des lettres à la grande poste.

Nous nous verrons à Francfort. Ta résolution me fait la plus vive joie, car je ne sais pas l’allemand, et je puis aller, en français, jusqu’à Francfort, et j’aurai mille services d’un excellent Rothschild qui est là, le meilleur de tous. De là, je pourrai travailler à peu près comme à Paris. Seulement, mon cher louloup, aie soin de me dire sur-le-champ où tu te logeras. Si tu voulais faire faire un contrat (de location) d’une maison particulière sans être trompée, je t’enverrais un mot pour ce Rothschild.

N’aie aucune inquiétude ni pour toi, ni pour Anna ; nous avons un temps doux et charmant depuis quinze jours, et, à mesure que tu iras vers le Rhin, tu trouveras (de plus en plus) une excellente température.

Le voyage n’est rien de Leipsick à Francfort. Les routes sont belles, et l’on va bien, sans aucun danger.

Je ne puis pas partir avant les premiers jours de février, car j’ai tous les Paysans à faire. J’ai vu hier Bertin pour remettre à huit mois les Petits Bourgeois. Ainsi je serai (près de toi) sans soucis, avec seulement les deux dernières parties des Paysans à faire.

Je ne t’écris plus à Dresde et ne t’adresse plus rien là. Tu auras la Com (édie) hum (aine) par la poste, sans frais. Ainsi, tu auras tout ce que tu veux lire. Seulement, dis-moi ce qui te manque.

Soigne-toi bien ; sois bénie entre tous les louloups pour ta gracieuse diligence et accours.

La fin de Béatrix a un succès prodigieux et sur lequel je ne comptais guère. Il me faut faire encore une œuvre de cette dimension pour ajuster mes affaires.

Adieu. J’attends une lettre de Francfort pour t’écrire. J’ai pensé à toi sur toute cette route ; à tous les paysages, à toutes les stations, tu peux reprendre des larmes et t’en faire des perles joyeuses, puisque tu les changes en plaisirs. Partout ton souvenir est écrit : à Eisenach, où tu relayeras sur une petite place ; à Erfurth, je causais avec ma Lididda, et je lui disais, tout comme Louis XI à sa bonne Vierge :

« Sois bénie, comme tu es aimée, et trouve ici toutes les fleurs d’un amour toujours jeune et toujours entier. »

A bientôt. Je t’engage à aller toujours, à avoir des provisions dans ta voiture et à ne t’arrêter qu’à Francfort, car cela ne te fera que deux jours et deux nuits de route, et ta voiture. tes provisions seront meilleures que les auberges. Francfort, pour les communications, vaut à peu près Genève.

Mille tendresses et adieu.


III


A Madame Hanska, Hôtel de Saxe, à Dresde.


(Passy,) 14 (janvier 1845.)

Ma minette chérie, j’ai reçu ta lettre du 4 janvier, par laquelle tu me dis avoir cédé à ta petite Anna et rester jusqu’à la fin de janvier à Dresde. Je ne vois là-dedans que l’intérêt de ta santé ; tu fais donc bien.

Voilà qui est convenu ; tu partiras alors dans les premiers jours de février. Il te faudra cinq jours pour être à Francfort ; j’y serai le 6, si je n’y suis pas le 5. Seulement, je t’en prie, ne fais pas de folies ; il te faudrait une nouvelle Brugnolle pour conduire ta maison. Ne te laisse pas prendre aux farces d’aubergiste, et ce retard peut me permettre de te faire chercher par Adolphe (de) Rothschild, un appartement aux meilleures conditions, et un pour moi auprès. Réponds-moi ce qu’il te faut, courrier par courrier, et si tu me permets de prendre ce soin de ta bourse ; à moins que tu n’aimes mieux que nous fassions cette première affaire ensemble. J’attendrais alors.

Tu es si petite fille en fait d’affaires, que je ne savais pas être prophète en t’appelant ma petite fille. Je me lasse de te répéter les mêmes choses. C’est fort ennuyeux à dire ; mais à écrire, ça l’est encore bien davantage. J’ai cru que tu avais soixante mille roubles (chez ton frère), à Odessa. Par la marche que je t’ai indiquée, tu n’avais rien à perdre. Ne me conseille plus rien, et ne parle pas sur des spéculations qui n’en sont pas et que tu ne connais pas. Aie confiance en moi ; je suis un chat échaudé. Puisque tu viens à Francfort, tu verras là, toute bâtie par Claret, la maison qu’il me bâtira. Tu auras le plan des changements que j’y ai faits, et tu seras à temps pour dire ce qui t’y plait et ce qui t’y déplaît.

Les Jardies sont vendus vingt-huit mille francs nets. Je me mets en mesure de payer les soixante mille francs de mon terrain à Monceaux, comme si je ne faisais pas la grande affaire avec Claret ; mais, cette semaine, je saurai si nous la faisons. Aux vingt-huit mille francs des Jardies je joins les vingt-deux (mille) que j’ai des Paysans, et dix mille francs de la Com (édie) Humaine. Voilà mes soixante mille francs. Tout cela est veine. Je n’ai pas à y songer.

La maison coûtera quarante mille francs, que je n’aurai à payer qu’en 1846. Or, j’ai devant moi de quoi payer trente mille francs de dettes cette année, et, dans l’année 1846, j’aurai de quoi payer le reste de mes dettes et la maison par mes seuls travaux.

Quant à tes vingt mille francs, nous les placerons, pour commencer ta fortune ici.

Oh ! ma Linette, vous avez tout votre temps à vous ; vous pouvez fermer votre porte et m’écrire tous les jours. Oh ! Polonaise, Polonaise !... Vous ne m’écrivez qu’au dernier moment, et moi, j’écris trois lettres contre mon louloup une ; et mes lignes valent vingt sous, et je prends sur mon sommeil pour écrire, et mes nerfs des yeux battent à me faire craindre des tics nerveux !...

Une femme enrhumée comme deux loups doit rester chez elle, écrire à son Noré, et je n’ai rien qu’une lettre écrite si à la hâte, que tu me le dis !... Ah ! Ce n’est pas bien. Je t’aime trop pour ne pas maugréer.

Si tu savais, depuis mon retour de Pétersbourg où j’étais si fatigué sans te le dire, combien j’ai travaillé, car il te faut de la fortune ! Tu ne connais pas Paris ; lu ne sais pas qu’il te sera impossible d’y conduire une maison. Tu ne l’as jamais fait ! Tu es, comme tu le dis, une créole, et tu ignores les débats effrayants dont je suis témoin à Passy, pour arriver à vivre avec six mille francs. Et la louloup me blâme de penser à son avenir à elle, de tâcher de lui arranger une jolie existence ! Pauvre petite fille, qui appelle fureur de spéculation acheter à bon marché ce qui est cher, et ce dont on a besoin !

Je te pardonne, ma louloup, car tu ne sais ce que tu dis. Je l’ai pourtant tracé le plan d’une existence excessivement simple, à Paris, et lu y as vu le chiffre : quarante mille francs par an. Hugo (qui) est (installé) a la Place Royale, est un rat, vit comme un rat, et dépense vingt mille francs par an. Tu n’accepterais pas cela pendant un mois ; tu aurais des tristesses, etc., et tu me ferais mourir de chagrin. Dans mon désir de fortune, il y a toi, rien que toi ; car moi, ma vie est arrangée.

Six mille francs par an en rendent raison. Douze mille avec ma maison, voilà le plus haut (total), et, quand je te dis en chiffres, en efforts, en travaux surhumains que je t’aime, tu me dis que tu ne sympathises pas avec moi !... Assez grondé comme cela.

J’ai fini le livre de Chl(endowski). Mme de Girardin dit que c’est mon chef-d’œuvre, parce que c’est des émotions. D’aujourd’hui je me mets aux Paysans ; pour avoir fini le 1er février, il va falloir ne plus dormir que deux ou trois heures. J’ai encore cinq feuilles neuf pages de la Com(édie) Hum(aine) pour avoir terminé avec Chl(endowski).

C’est plus que de la canaille, la femme surtout, quoiqu’elle soit Tarbout.

Tu as dû recevoir, ma chère idole, le reste des Paysans, car on t’a fait deux envois. Je t’enveloppe cette lettre dans un article où j’ai déjà bien ôté des épigrammes contre Saint-Pétersbourg, et celles qui y sont viennent d’être adoucies.

J’ai pensé au G (énéral) G (ouverneur), et me suis rappelé l’ordre de ma chérie d’être circonspect, en fait de Russie. Ceci est un article du Diable (à Paris). Il y en aura dix ou douze comme celui-là. Tu pourras le lire avant les Parisiens eux-mêmes, car c’est l’épreuve (que je t’envoie.)

Allons, adieu, mon trésor aimé ; le pauvre beng(ali) dit mille tendresses à son m(inou,) qui ne lui dit pas grand’chose. Mme de Brugnol(le) admire comment je peux travailler avec la tête et le cœur pleins de toi, avec l’idée d’un voyage qui me fait dire cent fois par semaine : « J’ai envie de tout laisser là, et d’y courir ! » Oh ! je sens que je t’aime plus que tu ne m’aimes, malgré les avantages que tu te donnes (là-dessus) sur moi ; mais tu le sens, tu le sens bien, dis. Vrai ? Pour sûr ?

Soigne-toi bien, mon cher loup ; qui sait, peut-être trouverai-je le moyen, sans vous compromettre, Anna et toi, de vous faire voir Paris et l’Exposition. Mais, pour cela, motus et économisons. J’aurai un passeport (sous le nom) de M. de Balzac, avec « sa sœur et sa nièce. »

Mille tendresses, mon cher minet, et, vraiment, écris-moi donc que tu m’aimes ; ça me donne de la force. Tu sais bien tout ce qu’il y a dans mon cœur, dans tout mon être pour mon Eve ! Je voudrais que tu sentisses sur tout toi le baiser que je te donne en pensée.


IV


A Madame Hanska, Hôtel de Saxe, à Dresde [4].


P(ass)y, 15 février (1845).

Ma chère petite-fille, pouvais-je écrire sans imprudence avant d’avoir reçu contre-ordre ? Ta dernière lettre me prescrivait de ne plus écrire à D(resde). Depuis cette lettre, j’ai reçu un petit mot de quelques lignes, écrit à la hâte, qui ne pouvait pas m’engager à répondre et où le statu quo était maintenu. J’éprouve même une certaine inquiétude en voyant que mon louloup ne me parle pas de mes dernières lettres, dont la dernière contient un article (du Diable à Paris) intitulé : les Boulevards (de Paris). Je ne sais même pas si tu as reçu tout ce qui a paru des Paysans, qui a été envoyé en deux fois.

Enfin, je mets la main à la plume, sur l’invitation contenue dans ta lettre écrite le 8 et qui m’est arrivée hier, où tu mu dis que tu ne partiras pas (de Dresde) avant le 1er mars environ. Ces préambules sont nécessaires pour expliquer la position. Si tu m’avais écrit deux fois par semaine, nous n’aurions pas eu de ces lacunes. Mais je te vois si malheureuse que je n’ose pas ni gronder, ni récriminer, ni rien dire. Il y a seulement une observation que je veux faire, rien que par éclaircissement. Je suis sûr que tu envoies tes lettres à la poste par quelqu’un d’infidèle, car les deux dernières n’étaient pas franches de port, et tu as sans doute donné ce qu’il fallait pour (les) affranchir. Donc, ou affranchis toi-même, ou n’affranchis pas du tout. Nous recommençons, comme à Pétersbourg, à payer chacun de notre côté. Ceci est pour l’ordre. En voyage, on a besoin de son argent, et c’est bien assez d’être volé par les aubergistes, sans s’y prêter ainsi. Donc n’affranchis plus par l’intermédiaire d’un valet, ou affranchis toi-même. Depuis douze ans, c’est moi-même qui mets tes lettres à la poste.

Pauvre louloup, combien de choses à te dire !... Et, avant tout, parlons raison. Sans ta défense, il y a un mois que je serais à Stadt-Rom [5] en face de l’hôtel de Saxe, et, si tu la lèves, réponds courrier par courrier, et j’arrive.

Quant au voyage à P(aris) il ne peut avoir lieu que de la manière suivante. Tu viens à F(rancfort) ; tu t’y établis. Je ne viens qu’à Mayence. Tu te proposes de faire un voyage sur les bords du Rhin. Tu commences par Mayence. J’ai un p(asse) p(ort) pour ma sœur et ma nièce ; tu prends la malle-poste, et tu passes du 15 mars au 15 mai à P(aris) ; sans rien dire à qui que ce soit au monde. Tu reviens à Mayence ; tu regagnes ton chez toi à Francfort), et j’y arrive quelques jours après. Comme tu n’auras vu personne dans les premiers jours de ton arrivée à F(rancfort), on n’aura fait aucune attention à toi, et l’on ne s’occupera de vous deux qu’à ta deuxième arrivée. Seulement, obtiens de ton diplomate, F(rancfort) et les bord du Rhin, tu (en) seras quitte pour revenir par Coblentz, Cologne, etc., en faisant viser le passeport russe par les endroits.

Moi, ici, j’aurai trouvé pour vous deux un petit appartement meublé à Chaillot, à deux pas de Passy. Vous verrez la grande ville incognito. Il y a douze théâtres pour Anna, ce qui fait vingt-quatre ou trente fois à y aller. Nous ne dépenserons presque rien, si vous voulez faire le voyage en garçons et garder un silence absolu sur cette escapade. Tu verras l’Exposition (des beaux-arts), Paris, tous les théâtres. Je me précautionnerai pour les concerts du Conservatoire. Enfin, je m’arrangerai pour qu’en deux mois vous en ayez pour votre argent. L’appartement, pour deux mois, coûtera quelque chose comme trois cents francs. Vous aurez mille francs de voitures, mille francs de voyage, aller et retour, mille francs de faux frais. C’est trois mille cinq cents francs pour le tout, sauf les fantaisies d’Anna et du louloup. Je me charge des théâtres et peut-être de la nourriture.

Voilà le plan. Mais, dans ces sortes de choses, il faut de la hardiesse et du secret, peu de paquets ; le strict nécessaire. On trouve ici tout à meilleur marché que partout ailleurs, au prix où je vous ai vu acheter vos robes et vos chiffons. Mon cadeau à Anna, ce sera une baignoire tous les soirs à un théâtre ; et elle en verra des pièces et des acteurs !... J’ai dit et je me résume : arriver à F(rancfort) ; s’y établir comme à son quartier général d’excursion sur le Rhin, et, au bout de trois jours, venir à Mayence, par le chemin de fer ; se livrer à une excursion du 15 mars au 15 mai, et revenir enchantées du Rhin. La malle-poste contient juste trois personnes. Elle vous emmène, elle vous ramène. A Chaillot, vous trouverez un bon petit appartement, meublé par mes soins, des domestiques, une cuisinière, une femme de chambre et un petit groom, le tout pour deux mois. Mme de Brugn(olle) surveillera tout. Le matin on va dans P(aris) à pied, ou en fiacre pour diminuer les distances.. Le soir, ces dames ont leur voiture. Pas une rencontre possible, en n’allant pas dans le monde.

Dans cette hypothèse, je serais à May(ence) du 15 au 16 mars.


Chère Linette, les incertitudes de ton arrivée à F(rancfort) ont bien durement pesé sur moi, car, que pouvais-je faire en attendant à toute heure une lettre qui me faisait partir ? Je n’ai pas une ligne de faite sur les Paysans !

Ici, Mme de B(rugnolle) n’a pas non plus ni fait de provisions pour l’hiver, ni pu rien résoudre. Ça a tout désorganisé. Au point de vue des intérêts, ça a été fatal. C’est deux mots que tu ne peux pas comprendre, car tu ne sais rien de l’économie parisienne ni des moyens pénibles qui constituent la vie d’un homme qui veut vivre avec quatre mille francs par an. Ainsi, je dois absolument quitter P(assy) où je suis trop à l’étroit ; eh bien ! je n’ai rien osé faire, car si je suis absent huit mois, Mme de B(rugnollej peut rester là, à garder les meubles. Mais le plus grand malheur est mon inoccupation. Comment puis-je me jeter dans un travail absorbant, avec une idée comme celle de partir sous peu, d’aller revoir mon louloup ? C’est impossible. Il faudrait n’avoir ni tête ni cœur. J’ai été tenaillé, torturé, comme jamais je ne l’ai été. C’est un triple martyre, celui du cœur, celui de la tête, celui des affaires ! El, avec mon imagination, il a été si violent, que je déclare que j’en suis hébété, si hébété, que pour échapper à la folie, je me suis mis à jouer au lansquenet, et à aller en soirée chez Mme Merlin (et chez d’autres). Il fallait bien appliquer un moxa sur un pareil mal. Je n’ai, fort heureusement, ni perdu, ni gagné. Je suis allé au spectacle, dîner en ville ; enfin, j’ai fait une vie folle depuis quinze jours. Maintenant, je vais essayer de travailler nuit et jour, d’aujourd’hui 15 février au 15 mars, de finir les Paysans et un petit bout de livre pour Chlend(owski).

Je vais t’envoyer par les messageries le tome XI de la Com(édie) Hum(aine), où est Splendeurs et Misères des Courtisanes, le tome IV, où est Modeste Mignon et la fin de Béatrix, puis le Diable à Paris. Ces trois livres t’amuseront peut-être ? Si la réduction de mon buste de David est faite, je te l’enverrai également. Non seulement l’achèvement des Paysans est une nécessité absolue, devant laquelle tout doit céder, relativement à la littérature et à la réputation de loyauté que j’ai pour les engagements de plume, mais c’est d’une absolue nécessité pour mes intérêts. Cette année est une année climatérique pour mes affaires.

Sous quarante-cinq jours l’impression de la Com(édie) Hum(aine) va se terminer.

Les libraires ont mis là-dessus les deux plus fortes imprimeries de Paris, et il faut que je voie deux fois plus d’épreuves qu’auparavant. Il en résulte une somme importante pour moi. Les Paysans, s’il y a succès, peuvent donner trente mille francs en librairie, et donnent dix mille francs au journal. C’est quarante mille francs. Quinze mille de la Comédie Humaine (et quarante font) cinquante-cinq mille. Trente mille des Jardies ajoutés à cela dans le mois de mars, font quatre-vingt-cinq mille francs ; dix mille francs de mes travaux, font quatre-vingt-quinze mille francs. Vingt mille francs du louloup joints à tout cela, font cent quinze mille francs. Otez-en soixante-cinq mille francs pour le demi-hectare dans Monceau, reste cinquante mille francs. Or, ces cinquante mille francs payent toute ma portion de dettes ennuyeuses. Une fois ces payements faits, je ne dois plus qu’à trois personnes : M. Gavault, Mme Del(annoy) et M. Dablin. Et encore les Petits Bourgeois et le Théâtre comme il est les solderont.

Je ne construirai à Monceaux qu’après avoir payé ces trois derniers créanciers, et après avoir gagné les cinquante mille francs nécessaires à la construction. Or, comme il faut deux ans pour bâtir, sécher et meubler une maison, si l’on fait le gros œuvre en 1846, elle ne sera habitable qu’en 1847-1848. J’ai donc à me loger, dans un appartement convenable, pendant trois ans, et je ne puis cependant quitter P (assy) que mes dettes criardes payées. Donc, il faut finir les Paysans, puis la Com (édie) Hum (aine) et les Petits Bourgeois et le Théâtre comme il est. Or, chère minette, vous m’avez fait perdre tout le mois de janvier et les quinze premiers jours de février à me dire : « Je pars demain, dans huit jours ! » à attendre des lettres et à me tordre dans des rages que moi seul connais. Ceci a fait un dégât effroyable dans mes affaires, car au lieu d’avoir ma liberté le 15 février, aujourd’hui j’ai pour un mois de travaux herculéens, et à inscrire dans ma cervelle ceci, qui sera démenti par mon cœur : « Ne pense ni à Louloup, ni à Dresde, ni à voyager ! Travaille, misérable ! » Or, Louloup, ce que j’appelle travailler, c’est quelque chose qu’il faut voir et qu’aucune prose ne peut dépeindre, car depuis un mois, ce que j’ai fait aurait mis sur les dents un homme bien organisé.

J’ai corrigé les treizième et quatorzième volumes de la Com (édie) Hum (aine), qui contiennent la Peau de chagrin, la Recherche de l’Absolu, Melmoth réconcilié, le Chef-d’œuvre inconnu, Jésus-Christ en Flandre, les Chouans, le Médecin de campagne et le Curé de village. J’ai fini Béatrix ; j’ai corrigé et fait des articles pour le Diable (à Paris), et j’ai noué des affaires.

Ceci n’est rien : ce n’est pas travailler. Travailler, mon louloup, c’est me lever tous les soirs à minuit, écrire jusqu’à cinq heures, déjeuner en un quart d’heure, travailler jusqu’à cinq heures, diner, me coucher et recommencer le lendemain. Et, de ce travail, il sort cinq volumes en quarante jours. C’est ce que je commence après avoir achevé cette lettre. Il faut bien faire six volumes des Paysans, et six feuilles de (la) Com (édie) Hum (aine), pour Chl(endowski) et pour la Com (édie) Hum (aine) elle-même, car c’est la seule chose qui manque pour terminer cette édition, qui aura dix-sept volumes. J’en espère une deuxième pour 1846, et cette deuxième aura vingt-quatre volumes et peut me donner deux cent mille francs.

Ainsi, voilà un rapport sur les affaires, et sur le projet de voyage de Vos Excellences.

J’arrive à ce qui vaut mieux que tout, à Sa Seigneurie Madame Louloup, la Linette, l’aimée, la (chérie, l’Eve, la minette, l’adorée, la fleur, l’ange, le mi (nou), etc., car je remplirais la page de vos titres, qui sont plus nombreux que ceux des anciens rois d’Espagne, des Sultans et des Mogols !... Comment ! parce qu’une folle n’a pas pu être heureuse, elle vient cracher sur la vendange, comme dit Charlet, et te brouiller le cœur, et tu l’écoutés ! Ceci est un crime de lèse-louloupterie. Et tu m’écris des-tristesses à faire mourir le diable ! Dans ton avant-dernière lettre, tu me proposes gracieusement, avec ces formes russes de ton style, dans ces occurrences, un petit congrès où les deux grands loups auront à décider s’ils s’aiment ou ne s’aiment pas.

Ceci, ma chère dame, est un plus grand crime que ceux que vous vous complaisez à me reprocher, car, moi, je n’ai jamais eu besoin de consulter là-dessus, et depuis 1833, je vous aime comme un fou, et j’ai eu le cœur sans cesse plein de vous ; à preuve que la pauvre Mme de B(erny) vous haïssait à la mort et m’a supplié de ne jamais vous voir. Les petits crimes que tu me reproches, chère, sont des nécessités humaines, très bien jugées par Votre Excellence, mais je n’ai jamais mis en doute que je serais heureux avec toi. Décidément, mon loup chéri, je te conseille de quitter Dresde ; il y a là des princesses qui t’empestent le cœur, et, n’était les Paysans, je serais parti sur l’heure, pour montrer à cette vénérable invalide de Genthod comment aiment les hommes de mon espèce, qui n’ont pas reçu, comme son prince (Galitzin), une citrouille russe au lieu d’un cœur, des mains de la nature hyperboréenne. En France, nous sommes gais et spirituels, et nous aimons ; nous sommes gais et spirituels, et nous mourons ; nous sommes gais et spirituels, et nous créons ; nous sommes gais et spirituels, et constitutionnels ; nous sommes gais et spirituels, et nous faisons des choses sublimes et profondes ! Nous haïssons l’ennui, mais nous n’en avons pas moins du cœur, nous allons à toute chose, gais et spirituels, frisés, pommadés, souriants !... Voilà pourquoi l’on dit, sur un air sublime :


La Victoire, en chantant, nous ouvre la carrière.


Ce qui nous fait prendre pour un peuple léger, nous qui, dans ce moment même, applaudissons les tartines de Sand, d’E. Sue et du baron d’Eckstein, Gustave de Beaumont, de Tocqueville et Guizot ! Nous, légers, sous le règne du sac de mille francs et de L(ouis) Philippe ! La France sait aimer I Dis à ta bête de princesse que je te connais depuis 1833 et, qu’en 1845, je suis prêt à aller de Paris, à Dresde pour te voir deux jours, et il n’est pas impossible que ; je fasse ce voyage pour aller te dire combien je t’aime. Si je gagnais mardi prochain cinquante louis chez la comtesse Merlin, je serais dimanche 23 à l’hôtel de Rome, pour en repartir le 25.

Je vois dans ta lettre, mon amour chéri, que tu commets la faute de me défendre et de prendre feu à mon endroit. Songe, mon louloup adoré, que c’est un piège que te tendent d’infâmes galériens de la galerie du monde, pour jouir de ton secret. Quand, devant toi, on parle de moi, tu n’as qu’une chose à faire, te moquer de ceux qui me calomnient en enchérissant sur ce qu’ils disent. S’ils disent que j’ai volé, tu leur racontes que j’assassine, et tu conclus en leur disant : « S’il échappe à la vindicte publique, c’est qu’il est si charmant qu’il endort le glaive de la loi ! » C’est le mot de Dumas, à qui quelqu’un vient dire que son père ou sa mère était noir, et qui répond : « Mon grand-père était singe ! »

De tout ce que tu me dis de toi, je conclus, mon chéri m (inou), qu’il faut marier Anna, liquider ta petite fortune, et venir vivre dans le cœur de ton pauvre Noré, ici, le plus tôt possible. Distrais-toi, va ! je te referai jeune et jolie, et tes menaces de laideur ne m’effrayent pas du tout.

Non, quand je pense que je pouvais partir le 1er janvier, être à Dresde le 7, et, qu’en repartant le 7 février, je t’aurais vue un mois, sans avoir fait aucun dégât à mes affaires, que je serais à mon bureau, comme j’y suis, rafraîchi, heureux, plein d’ardeur, sans avoir subi les plus atroces supplices de l’attente, il me prend des rages qui tourbillonnent comme la vapeur, quand elle siffle hors de son tube !

Je crois que tu ne sais pas combien tu es aimée. Aujourd’hui cette délicieuse escapade m’est impossible. Dans les premiers jours de mars, il faut régulariser la vente des Jardies ; il faut faire faire les formalités promptement pour mettre ces précieux vingt-huit mille francs de côté ; il faut faire finir la Com(édie) Hum(aine) et réaliser les quinze mille francs qui me seront dus ; il faut enfin compléter soixante-trois mille francs pour mon arpent, et payer vingt-cinq mille francs de dettes qui m’empêcheraient d’être ostensiblement propriétaire.

Néanmoins, mon ange adoré, quelque plaisir immense que l’aie à te montrer P(aris), à te l’expliquer, à t’initier à cette vie, etc.. pèse bien les inconvénients, les dangers ; vois si j’ai tout prévu. Si les risques sont trop forts, n’obéis pas à ce mirage ; il ne faut pas se donner des regrets éternels pour deux mois d’un plaisir qui n’est que retardé.

Chère enfant, en fait de finances, si tu as à venir à Francfort, ton placement en Métalliques était inutile. Ceci n’était convenu que pour l’Ukraine, pour y capitaliser une forte somme. Mais celle dont tu me par les peut s’envoyer en duplicata de D(resde) à Paris, par une lettre de change des Bassange. Comme la valeur (des Métalliques) ne peut que hausser, qu’elle est excellente, ce n’est pas un malheur, c’est de l’embarras, voilà tout, car ça porte intérêt. Si elle perd à Paris, on la négocie à Francfort, et si elle gagne à Paris, les Rothschild sont là. Si elle peut faire vingt-deux mille francs, ça et mes vingt-huit mille francs, cela ferait cinquante mille francs. Je n’aurais que treize, mille francs à trouver pour compléter le prix de Monceaux, et je m’occupe de cette réalisation. Avec le temps, ce terrain me rendra tout l’argent que me coûtent les Jardies, celui que j’y mets et les intérêts composés. Il y a plus : je voudrais en avoir un arpent et demi pour pouvoir en revendre un jour ce demi-arpent, qui couvrirait la dépense du terrain et de la maison que j’aurais. Mais ceci doublerait presque l’acquisition ; il faudrait cent mille francs au lieu de soixante-trois mille francs (les trois mille francs représentent les frais de notaire, d’enregistrement, etc.)...

En ce moment on me dit que Gavault est revenu d’Italie, et je n’ai pas un mot de lui ; voici cinq jours qu’on m’a dit cela ! Je ne m’explique plus Gav(ault), si cela est vrai.

Villemain est à Chaillot ; il n’est pas plus fou que nous. Il a eu quelques hallucinations, qui ont porté sur les idées, comme j’en ai eu sur les mots en 1832, à Sache ; je vous les ai racontées ; je prononçais des mots involontairement ; mais il est si guéri qu’il parle de ce qu’il a en avec la sagesse et le sang-froid d’un médecin. Il avait beaucoup baissé comme talent, il était impropre aux négociations avec le clergé, et on a profité de sa démission pour se débarrasser de lui.

Nous avons causé de cela pendant deux heures ensemble. Il est à jamais perdu pour la politique.

Adieu, chère ; en voici bien assez pour aujourd’hui ; je t’écrirai dès que j’aurai un petit moment, et je vais avoir une lettre commencée où je mettrai quelque chose tous les jours, comme par le passé, et que j’enverrai deux fois par semaine, puisque tu me dis être si malheureuse de ne pas avoir de mes griffonnages. M. Gauthier de Charnacé était tout bonnement un conseiller à la Cour Royale, s’il a été toutefois dans la magistrature ; c’est fort peu de chose, et il ne brillait pas dans sa compagnie, si c’est le même, ce que l’âge indiquerait ; il demeurait au Marais. Ce que tu me dis des pudeurs saxonnes est excessivement plaisant. Les Anglaises disent jambes pour cuisses, et les Saxonnes ne veulent pas des jambes. Entre une Anglaise et une Saxonne, la conversation serait impossible. Le m (inou) ne m’a pas dit un seul petit mot dans ta lettre ; mais je ne suis pas pointilleux.

Je dis mille tendresses à ce chéri, mais des tendresses qu’il serait trop long d’écrire, vu les efforts prodigieux de style à employer. Quant à Line, sait-elle, saura-t-elle jamais ce qu’elle a fait de ces quinze derniers jours ! Un supplice plein d’elle, une attente de tous les soirs ! Je me suis dit cent fois par jour que j’allais chercher un p(asse) p(ort) pour le lendemain. Enfin ces anxiétés ont réagi sur les plus petites choses du ménage. Madame (de) B(rugnolle), qui ne veut pas dépenser un liard en mon absence, est sans domestique depuis vingt jours. Elle fait tout elle-même à cause de cette idée que je puis partir. J’ai usé les provisions de fruit, et le fruit, cette année, est hors de prix. Les poires valent soixante-quinze centimes, les pommes trente centimes. J’avais quinze cents poires, et j’ai fait comme les avares qui donnent à diner et qui se donnent une indigestion. Non, si tu savais les dérangements que tu as exercé sur mon petit Etat, tu saurais que, présente, tu n’aurais pas été plus agissante, ni plus vive, ni plus questionnée, ni plus écoutée. Il était question de toi à toute heure, à toute minute. Juge ce qu’il en était dans le cœur du Noré. C’est indicible. On ne faisait rien parce que je partais ; on ne faisait pas parce que je partais, et Madame de B(rugnolle) en était arrivée à désirer une lettre (une lettre qui n’est pas encore arrivée) autant que je la souhaitais moi-même.

Cette situation ne se recommencera pas. Je vais m’ordonner à moi-même de travailler pendant un mois, sans regarder ni en avant, ni en arrière. Si quelque chose peut calmer les angoisses que j’ai eues, c’est qu’il s’est agi de ta santé, mon cher trésor. Ce mot-là est un talisman. Il me ferait rester un doigt pris dans une porte sans rien dire. Aussi, ne pense plus à moi dès que ta chère santé se trouve en jeu. Soigne-toi bien ; c’est ma gloire que ton cher, jeune, radieux visage, c’est mon bonheur, et je ne sais pas ce que je ne ferais pas pour voir le sourire sur tes lèvres, le soleil et la joie et du contentement dans tes yeux, et tes petites pattes de taupe, agiles et tracassant un bijou ! Je t’aime, vois-tu, à faire les plus grands et les plus réels sacrifices, à laisser là Paysans et journaux et à m’enfoncer de deux ans dans ma dette pour te voir une heure ; mais, hélas ! je ne suis que trop lié par les chaînes de l’argent !

Je rêve de Dresde ! Je connais le devant et le côté de l’hôtel de Saxe, à te dire comment sont les rideaux des fenêtres ; je m’en suis tout rappelé. Et le marché donc ! Oh ! combien je voudrais y être, aller t’y dire un mot, qui durerait deux jours à prononcer, et repartir !

Allons, adieu. Je te dis adieu dans mes lettres, comme je te disais bonsoir à Pétersbourg, dans l’hôtel K(outaïsoff) ; nous nous promenions dix minutes.

Si je pouvais faire en huit jours la deuxième partie des Paysans, je partirais, et je sais qu’en six jours je te verrais !

Mille tendresses pour toi, ma chérie, et dis-toi bien qu’il ne se passe pas une heure sans que tu ne sois dans ma pensée, car, dans mon cœur, tu t’y fais toujours sentir. L’hiver a repris ici avec une grande sévérité ; tu as bien fait de rester à Dresde. Evite ces passages subits du chaud au froid et du froid au chaud dont tu m’as parlé. C’est bien de penser à Anna ; mais ce serait mal et ne pas aimer que de t’oublier.

De tous les personnages dont tu m’as entretenu, il n’y a que la comtesse de L... qui m’ait souri ; cette vieille, qui aime (en toi) l’enfant du comte R (zewuski), me va au cœur. Tu lui diras que je l’aime par intuition ; elle est de mon monde. Quant au Lara [6], tu n’aurais pas dû le voir. Passe pour le porte-glaive [7].

Tu sais qu’on a nommé le bœuf gras de cette année « le Père Goriot, » et qu’à ce propos il y a eu force calembours et puffs à mon endroit. Ceci est un petit restant de nouvelles.

Je suis assez fâché de ne pas aller à Dresde. Je n’ai pas eu le temps quand j’y suis allé uniquement pour voir la galerie, de voir le pays et d’aller à Kulm, afin de pouvoir écrire la Bataille de Dresde ; c’est une des pages les plus importantes dans mes Scènes de la vie militaire, et je suis très porté à rendre justice à l’attachement du roi de Saxe à Napoléon. La Saxe a payé cela si cher, que je trouve la France obligée de payer cette dette.

Allons, à bientôt ; soigne-toi, mon cher trésor, et dis à ta petite bien des choses aimables de la part d’un des plus sincères et (des) plus ardents amis qu’elle aura jamais, sans excepter son mari. Car je l’aimerai comme l’aimerait un père.

Allons, mille baisers, minou chéri.

Mille caresses d’âme et le reste, comme dit notre cher Lafontaine. Aime-moi bien, car tu ne fais que me rendre tout ce que je donne avec délices. Tu me trouveras bavard, mais voici tant de jours que je ne t’ai écrit !


V


A Madame Hanska, Hôtel de Saxe, à Dresde

(Passy, 17-26 février 1845.)

Lundi 17 (février).

Je suis allé hier entendre la symphonie du Désert, et j’en suis revenu tout abasourdi. Rien de mieux n’a été fait, depuis Beethoven, dans ce genre, toujours Rossini hormis.

Ça vaut la peine de faire le voyage de Paris pour entendre un pareil chef-d’œuvre, car vous savez que rien ne peut se comparer à l’exécution de Paris en fait de musique. Voilà la première fois que la fougue parisienne ne se trompe pas sur le pavois de la sottise.

Il m’est impossible de reconquérir la tranquillité de ma tête, de me mettre à l’ouvrage ; j’ai été trop agité. Je le suis encore trop. Je suis au désespoir. Je voudrais, pour bien des choses, avoir fini ces stupides Paysans.


Mardi 18 (février).

Je vais ce matin voir le groupe de Léandre disant adieu à Hero avant de se noyer, chez Etex, et je dirai bonjour à David en même temps. Je dine après chez M. de Castellane-Théàtre, pour le distinguer des autres.


Mercredi 19 (février).

Le groupe est magnifique, et Etex le donnerait pour quinze mille francs ! Il lui en coûte douze mille ! J’avoue que je ne vois pas une grande différence entre ça et les chefs-d’œuvre de l’antiquité. C’est sublime. Mon buste vient demain chez moi. C’est encore une magnifique chose, qui est à vous ; je m’en réjouis pour toi, chérie. Ceci n’ira pas au Salon, David ayant mis dessus : « A son ami de Balzac, P.-J. David d’Angers, » et le règlement interdit toute inscription. Hier, j’ai perdu dix louis chez Mme Merlin. J’ai pensé que j’allais avoir une bonne nouvelle de Dresde, et voilà trois heures : pas de lettres ! Je n’ai rien vu de plus charmant que les nouveaux appartements de M. de Castellane. C’est... comment dire ? Royal ! C’est peu de chose. Un diner superbe ; j’étais entre deux femmes de beauté contestable : la princesse de Béthune et une autre. Beaucoup de merveilleuses : des Noailles, des Rothschild, de L’Aigle, etc. (J’) ai soutenu que les gens du monde étaient plus spirituels que les gens dits d’esprit, parce qu’ils n’écrivaient rien. J’ai eu du succès, tout en pensant à ma Line. Non content d’un théâtre dans son jardin, le comte a un théâtre au premier étage, dans la salle à manger. Ça fait un effet délicieux. C’est comme un panorama. La rime m’en arrive. J’ai les Chl (endowski) à dîner pour affaire. Il s’agit d’illustrer les Petites misères de la vie conjugale.


Jeudi (20 février).

Pendant que je suis allé chez Hugo, mon marbre est arrivé. C’est magnifique et cela fait un effet superbe. Où es-tu ?... J’ai bien fait d’acheter un piédestal ; que serais-je devenu si je n’avais rien eu pour poser ce colosse ! Je ne puis pas tirer une ligne de mon cerveau. Je n’ai pas de courage, pas de force, pas de volonté. Je corrige la Comédie Humaine, parce que les feuilles m’en viennent sous le nez.

On m’a donné le pamphlet de la Maison Dumas et Compagnie [8]. C’est ignoblement bête, mais c’est tristement vrai, et comme en France on n’écoute pas les bêtes, et qu’on croit bien plus à une calomnie spirituelle qu’à une vérité sottement articulée, cela fera peu de tort à Dumas. Je crois que l’Évangile a été spirituellement écrit.

Demain, je dîne chez Véron.


Samedi (22 février).

Il a fait hier, dans la nuit, un temps tel que j’ai mis une heure, en voiture, pour revenir de chez Véron, à la place Louis XV, et j’ai mis une demi-heure à la traverser. Enfin, parti à une heure du la rue Taitbout, j’étais à cinq heures du matin chez moi. Le verglas défendait aux malles-postes l’entrée de Paris. Elles attendaient à la barrière. C’était un dégel qui se préparait, et, ce matin, nous sommes en plein dégel. J’ai gagné trois louis chez Véron.


Dimanche (23 février).

Je suis au dernier degré de l’étonnement de ne pas recevoir une lettre, et comme lorsqu’il n’y a pas de lettres, il y a toujours quelque chose de fâcheux, mon inquiétude est extrême, et double est mon anxiété. Je ne sais plus que faire, que devenir. Cet état est accablant.

Je viens d’envoyer la Com(édie) Hum(aine) à Villemain et il m’a répondu la spirituelle lettre avec laquelle j’envelopperai ce paquet.

La princesse de Canino veut que je lise (chez elle) l’affreuse tragédie de (son mari) : Clotaire, et je ne puis pas refuser cette satisfaction à une si aimable vieille femme. Ce sera pour dans douze jours. Je suis enrhumé comme le Père Ducantal, des Saltimbanques.

J’ai Etex à déjeuner, et je te quitte. Le voici.


Lundi (24 février).

Pas de lettres ! Que se passe-t-il ? Y a-t-il en Saxe une révolution comme en Suisse ? Les chemins sont-ils gelés, les malles-postes sans chevaux ? Hélas ! hélas !

Etex va me faire la table pour le dessus en malachite d’Anna. Il fera Séraphita, Madame de Mortsauf, la belle Imperia et Pierrette. Ce sera en bronze doré, avec des attributs. Dutacq m’a amené quelqu’un hier qui me sera précieux pour l’achèvement de ma liquidation ; mais je ne travaille pas et je ne m’amuse pas ; c’est-à-dire je me fatigue en pure perte. Oh ! chère, si vous pouviez être témoin des dégâts que fait l’absence de votre petite écriture fine, vous écririez bien régulièrement toutes les semaines !


Mardi (25 février).

Enfin Gavault est venu ! (II) a dit pour sa défense qu’il voulait avoir lu les Paysans avant de venir. Il approuve l’acquisition d’un arpent de Monceaux en échange des Jardies et il va s’occuper des pièces nécessaires à la consommation de la vente des Jardies. Ses mines à Livourne vont bien. Je l’ai trouvé froid. Mme de B(rugnolle) dit qu’il se moque beaucoup de mes espérances, de mes payements. Et la raison de cela, c’est que M. Gav(ault) n’a jamais été aimé et n’a pas d’énergie. Il a, comme moi, sa fortune à faire, et il est sans activité. Ce qui m’arrive avec Gavault m’est arrivé avec tout le monde (hommes).

On est humilié à trouver tant de courage, d’activité, de persistance et on finit par prendre en haine ce qu’on envie. Un homme comme moi doit rester seul dans sa tanière, et c’est ce que je compte pratiquer avec mon louloup.

L’inspiration et le cœur à l’ouvrage ne bougent pas. Oh ! que le louloup est criminel ! Je lui expliquerai tout cela. Je suis le bec dans l’eau pour tout.

Je ne puis plus rester ici. Je n’y étais que temporairement, et comme en France, le provisoire est éternel, j’y suis resté cinq ans. Pour habiter une maison neuve, il faut qu’un hiver et un été aient passé dessus.

En supposant que Claret ait fait le gros œuvre en 1845, il faudra 1846 pour achever (tout), et ce ne sera prêt qu’en 1847. C’est donc un appartement pour trois ans à chercher. Or, comment puis-je déménager, sans savoir ce que contiendra cet appartement ? Est-ce un, ou deux, ou trois loups ? Voilà quels ravages exerce l’incertitude. Ici, je n’ai pas de bibliothèque. Les livres me chassent ; ils sont partout. Il y a sept ans que mes corps de bibliothèque sont insuffisants.

Puis-je faire des corps de bibliothèque pour un appartement, quand je dois les arranger pour une maison et une place éternelle ! Il en est de tout ainsi. Nous ne sommes pas, après notre entrevue de Pétersbourg, deux ans bientôt après, plus avancés ! Oh ! Minette, Linette chérie, Eve, fleur, amour, louloup, qu’est-ce que je dirai de plus pour t’attendrir ? Il faut nous voir au plus tôt, pour décider toutes ces grandes et petites choses.

Allons, adieu pour aujourd’hui.

Je t’envoie mille tendresses bien impatientes, mille impatiences bien tendres I


Mercredi (26 février),

Cinq heures du matin.

Ma chérie, j’ai reçu hier ton petit mot plein de désolation ; mais c’est toi-même qui as créé ta situation en me défendant de t’écrire, jusqu’à ce que tu eusses levé cette défense par un mot. Je ne te répéterai pas ce que te dit une longue lettre que tu dois avoir lue au moment où j’écris ceci ; mais tu ne calcules pas plus sur tes doigts à Dresde qu’à P(étersbourg) le temps qu’une lettre met à venir ici, et la réponse à aller à D(resde). Rien n’égale ma célérité à te répondre ; pour toi, je quitte tout, même une inspiration attendue pendant des semaines, et nécessaire. Ta lettre me fait voir que tu souffres tout ce que j’ai souffert, tout ce que je souffre encore. Tu m’as retourné le poignard dans la plaie, car je vois que nous aurions eu à nous le mois de janvier tout entier. Ce voyage eut reposé mon imagination plus fatiguée, je crois, par mon cœur que par mon travail !

En pensant à moi, il ne faut jam(is oublier que je vis comme l’oiseau sur la branche, que je n’ai d’argent que par mon travail, que l’obligation où je me mets, comme à Lagny, comme aujourd’hui pour les Paysans, est une nécessité.

Donnant tout ce que j’ai toujours à ce gouffre de dettes, je suis toujours pauvre comme un riche malaisé. Donc, en ce moment, jusqu’au 15 ou 16 mars, il faut travailler aux Paysans. Vois quel est mon malheur. En finissant la première partie en décembre, je me vois appelé à Dresde ; je ne pense plus qu’à mon voyage, et tu ne sauras jamais ce qu’est un homme de travail, de poésie et d’imagination, si tu ne me vois pas me crevant de labeurs, et achevant en huit jours, pour Chl (endowski), Béatrix, avec l’idée de partir du 1er au 10 janvier. Bon. Arrive une lettre de toi, qui me dit qu’il ne faut pas venir à Dresde, mais que tu pars pour Ffrancfort). Comment travailler ? Quinze jours après, tu restes à Dresde, au moins le mois de février. Chaque fois tes raisons sont péremptoires. Pour ne pas (me laisser) venir à D(resde), tu objectes le monde, Anna, etc. Pour ton séjour, il s’agit de l’oncle et de ta santé. Voilà tout janvier absorbé par trois lettres contradictoires, qui me tracassent le cœur en sens contraire. Je reste comme toi, pauvre chérie, avec mes paquets faits et, hélas ! mon argent prêt.

C’est un hasard que je n’aie pas fait faire deux flacons que je voulais apporter à mon cher gentil, friand nez ! Tous mes succès ont l’inconvénient de réveiller mes créanciers, ils s’imaginent qu’on me couvre d’or, et ils viennent ! Mes pauvres deux mille francs, si religieusement mis de côté pour voyager, sont allés dans les poches de ces gens-là ! Au commencement de février, je reçois une lettre où tu me dis : « Je pars, ne m’écris plus que quand tu sauras où m’écrire par un mot. Je t’écrirai en voyage. » Dix jours se passent. Je te crois à F(rancfort) et je reçois une lettre où tu me dis que tu as été malade, que tu restes, à D (resde) bien malheureuse, et qu’il faut que je t’écrive là. J’écris, il y a de cela onze jours aujourd’hui et tu ne calcules pas que, quand tu m’as écrit de t’écrire, il y avait dix jours que j’attendais une lettre (dans quelles angoisses, Dieu le sait !), que la mienne doit mettre quatre ou cinq jours à t’arriver !

La même démence de cœur qui me fait demander à Mme de B(rugnolle) en rentrant : « Y a-t-il une lettre ? » même quand cala ne se peut pas, t’agite là-bas. Nous sommes le même cœur, le même amour et le même caractère ; nous souffrons ensemble du même mal. Mais, c’est ma faute. J’aurais dû ne pas obéir si scrupuleusement à tes ordres, partir le 1er janvier, comme je le voulais, et revenir dans les premiers jours de février. Nous aurions eu un mois à nous ; on aurait babillé ; mais en me voyant repartir, on n’aurait rien dit, comme à Pétersbourg. Je me vois encore ta lettre à la main, discutant avec moi-même, étudiant tes phrases, et décidé par l’intérêt d’Anna, car tu m’y dis : « Je t’en supplie, mon Noré, attends dans l’intérêt de la petite. » Et Anna, qui méprise les Français, ne sait pas combien ils sont réellement nobles en tout ! Et je suis resté, mes paquets faits, mon or compté.

Maintenant, je n’ai pas une ligne (d’écrite) sur les Paysans. J’ai usé mes facultés à l’œuvre désespérante de « l’attente. » Et il faut travailler, travailler plus cruellement qu’à Lagny, car j’ai six volumes à écrire, et je n’ai plus que quinze jours. Les Paysans doivent reparaître le 15 mars sous peine : primo, de me nuire dans l’opinion publique ; secundo, de sacrifier les trente mille francs du livre dont le succès sera compromis ; tertio, sous peine de me brouiller avec la Presse ; quarto, sous peine, enfin, de ne pas avoir d’argent ! Et voilà dix jours que je me lève tous les matins entre trois et cinq heures pour travailler, pour trouver une ligne dans mon encrier, une idée dans ma tête, pensant uniquement à ceci : « Que fait-elle ? est-elle retournée en Uk(raine), rappelée par la mort de l’oncle ? Est-elle en route ? » Enfin, fou, fou de chagrin, de désespoir, me demandant à quoi bon venir, se risquer sur les routes, pour te trouver partie. Au lieu d’un paradis nous avons un enfer, et quel enfer !

Ça a eu des conséquences ridicules ici. Me croyant sur le point de partir, Madame de B(rugnolle) n’a pas voulu prendre de cuisinière pour quinze jours, et nous sommes sans domestique, depuis le 1er janvier. Ame, esprit et maison tout est sens dessus dessous. Tout eût été si bien si tu m’avais laissé partir pour D(resde) le 1er janvier. Nous aurions eu un bon mois ; je me serais rafraîchi les idées dans le bonheur de te voir, et je serais revenu à mes Paysans le 15 février. Il n’en eut été ni plus ni moins. Moi, la neige, le froid, rien ne me déplaît quand je vais à un pareil plaisir. Vous étiez toutes deux souffrantes, toi plus malade qu’Anna. Vous ne pouviez pas aller voyager, par cet hiver si bizarre. Nous sommes tous irréprochables et malheureux, c’est-à-dire tous deux (Anna ne se doute de rien de notre martyre.) C’est être deux fois malheureux. A l’avenir je ne t’écouterai pas.

Maintenant, me voilà tout épuisé, comme Jacob dans sa lutte avec l’ange, devant six volumes à écrire, et quels volumes ! La France entière a ouvert les yeux et les oreilles sur cette œuvre. Les voyageurs de la librairie, les lettres que je reçois, tout est unanime ; j’ai touché la plaie générale ! La Presse a gagné cinq mille abonnés. On m’attend, et je suis comme un sac vide ! Et personne ne se doute qu’il y a mon âme à D(resde), que j’ai été ivre de chagrin, de douleur, d’angoisses, d’inquiétude, pendant quarante-cinq jours ! Oh ! louloup, tu ne sais pas dans quel abîme tu m’as précipité. Je suis au fond, sans savoir comment (en) sortir. J’ai essayé d’un peu de dissipation pour retrouver du calme ; tout est inutile. Je me revois sans idéal, et le cœur usé de douleur.

Hier, j’ai passé toute ma journée à lire Pévéril du Pic, pour ne pas penser, jusqu’au moment où ta lettre est venue, pour fuir le néant de mon esprit et le trop plein de mon cœur ! Juge où j’en suis ! Et ta lettre, si courte, si désespérée et si désespérante, ne change rien à cette situation.

Combien de fois, ne me suis-je pas dit : « Ne pensons plus à elle et travaillons ! » Ah ! bien oui !... Il n’y a pas jusqu’aux pommes de pin, avec quoi j’allume mon feu, qui ne parlent de toi, de Russie. D’ailleurs, comment te fuir ? Si je lève les yeux je vois le Daffinger ; si je regarde à gauche, c’est Wierzchownia, adroite, le salon de P(étersbourg ; ) à côté, Anna à six ans, (qui me vient) de Lirette ; devant ma table, ton tapis de voyage ; sur ma table, les malachites ; sur ma cheminée, la cassette où sont tes lettres, que j’ouvre deux fois par jour ; sous mes papiers, cette lettre commencée ! Enfin, c’est toi partout, matériellement parlant.

Nous voici le 26 février ; il faut que les deuxième et troisième parties des Paysans soient prêtes pour le 15 mars, et je suis comme un mollusque devant ma table. Je n’ai d’énergie que pour me tourmenter. Et cette œuvre est la clef de voûte dans mes dettes ; elle représente quarante-cinq mille francs ! Elle me libère de ce qui m’ennuie le plus ; elle achève le prix de mon terrain ! Tiens, la folie me gagne en écrivant ces lignes ; j’ai le vertige !

Allons, que mes douleurs se taisent ! Je ne veux pas te les communiquer ; tu as assez de tes souffrances. Une autre fois, si jamais cette crise se représente, je n’écouterai que moi.

Ce mot d’Anna : « un Etranger, » me fait du chagrin. Si elle aime le comte Georges, tout est bien ; mais je reviens à mon thème, et je dis que je ne vois que des malheurs pour la Pol(ogne), tant que vivra le système actuel. On veut vous détruire à tout prix. Epouser un Polonais) plein de moyens, de patriotisme et de courage, c’est acheter un glorieux malheur et attirer la foudre sur soi ; c’est tenter la délation ; c’est un désastre en herbe. Epouser un Polonais) sans énergie, c’est dissiper la fortune. A moins de révolutions impossibles ou imprévisibles, Kosciuszko a dit un mot prophétique : Finis Poloniae.

J’ai dit tout cela au (feu) comte, au Pré-Lévèque [9], en l’engageant à sauver sa fortune, en la faisant passer à l’étranger, et (en) se choisissant une autre patrie. Plus nous allons, plus grande est la nécessité de (suivre) cet avis. Dans dix ans la carte de l’Europe sera refaite à cause de l’Orient. La Pologne sera prussienne ; les bords du Rhin, français ; les quatre principautés, autrichiennes et russes et la Mer-Noire un lac russe, et le sort du monde se décidera dans la Méditerranée comme toujours. Devenir Prussiens, voilà votre plus bel avenir.

Il n’y a, pour changer cela, qu’une révolution) russe, car, par ici, nous sommes à la tranquillité pour longtemps. L.-Ph(ilippe) vivra dix ans (encore), à la manière dont il se porte, et nous allons être engagés dans douze millions de travaux pour nos chemins de fer, notre Algérie, notre Marine. La paix de l’Europe est là. Mais après, la France sera formidable, car nous sommes très riches, plus riches que l’Angleterre, sans que ceci soit paradoxal.

La conclusion est que vous avez eu tort, ma chérie, de ne pas plaider pour le Silésien, s’il était riche surtout. Ça vaut mieux, dans la situation d’Anna, que tous les Jagellons ensemble. (Un) sujet mixte est un trésor pour elle et pour toi. Je t’en supplie, examine ma thèse. Si ce gentilhomme n’est pas déplaisant, s’il est riche, reviens là-dessus, reste à D(resde) et pense profondément à mes raisons. Elles sont bien sages, bien désintéressées. Un Silésien, dans la politique actuelle, vaut mieux qu’un Polonais). On ne vous pardonnera jamais un Polonais), et un Silésien est irréprochable. C’est la liberté presque, la liberté d’aller et venir au moins. Dixi. Je n’ai pas changé d’opinion. J’ai dans ma manche un prince Bonaparte, fils de Lucien. Mais, d’après le mot : un étranger, je me retire. Je n’en parle pas ; mais je crierai jusqu’au dernier moment qu’un Polonais) est le plus mauvais mari qu’(Anna) puisse avoir. Mon dilemme subsiste. On compte les fortunes et les têtes qui restent à votre malheureux pays, et la pire condition est de rester riche, très riche et capable. C’est rester à l’état de proie pour l’aigle, ou à l’état de suspect.

Le jour est levé ; je viens d’ouvrir mes fenêtres. Je ferme cette lettre, et je vais l’envoyer aujourd’hui.

Tu l’auras, au plus tard, le 2 mars. Il a plu. Est-ce la fin de l’hiver ? Je commence à le croire.

Voici quatre jours que le vent du Sud a persisté.

Ai-je besoin de te dire combien je t’aime, après tout ce griffonnage plein de toi, d’Anna, que je voudrais libre et heureuse, libre de venir souvent à P(aris), et heureuse en la voyant hors des griffes de l’aigle, ou à moitié.

C’est un tort, à une mère, de dire : « Je laisserai ma fille libre de choisir, » car aucune fille n’est en état de choisir ; elle ignore la vie ; elle a des parents exprès pour l’éclairer. Bien entendu que la volonté des parents ne doit pas être tyrannique. Prie Dieu, ma chérie, que je t’écrive, dans six jours, que je travaille, car notre réunion dépend maintenant de l’achèvement des Paysans. Je ne puis partir que cet ouvrage fini.

Je n’ai pas encore pu envoyer ce que je t’avais annoncé ; le volume n’est pas achevé d’imprimer ; le petit buste n’est pas prêt.

J’envoie aujourd’hui à Paris pour savoir si je puis avoir un volume où se trouvent la fin de Béatrix et Modeste Mignon.

Allons, adieu, mon louloup ; soigne-toi bien, car tu sais si ta santé m’est précieuse ! Surtout ne te tourmente pas à mon propos. Va, l’excessif désir que j’ai de prendre la malle-poste de F(rancfort) fait que les Paysans se finiront.

J’éprouve souvent de ces caprices de cerveau, et c’est au moment où je me crois un crétin, que les facultés reparaissent plus brillantes que jamais. La douleur, la crainte, sont deux mains de cuisinières qui fourbissent les casseroles, et le dur grès qu’elles emploient, le frottage, nous font croire à des maladies. Enfin, ne pense qu’à toi, à me conserver mon cher louloup et mon cher minou, toujours beau et frais, comme je les ai vus à Pétersbourg. Dis-toi que tu es aimée comme aucune femme ne l’est. Vois, par tous les ravages que tu fais dans ma pauvre maison, dans ma tête, dans mon cœur, à quel point tu y es tout, la fleur et le fruit, la force et la faiblesse, le plaisir et la douleur, la douleur involontairement, le plaisir toujours, même dans la douleur, la richesse, le bonheur, l’espérance, toutes les belles et bonnes choses humaines, même la religion. Je n’ose pas te dire que tu es autant que Dieu, car je crois que tu es plus encore !...

Allons, chauffe tes poêles, ne les laisse pas éteindre ; qu’il en soit comme de mon cœur, et tu n’auras pas de rhumes, ni de douleurs.

Du 15 au 20 mars, nous nous verrons, vivons là-dessus. Mille tendresses à mon E(ve). Mille caresses au cher m(inou) et mes amitiés à Anna.

Prêche-lui le Silésien. Allons, il me semble que quand finit la page, finissent tous mes plaisirs.

Peux-tu lire mes griffonnages ? Oui ? Eh bien ! lis ici toutes les rêveries d’un bengali pour son m(inou) !


H. DE BALZAC.

  1. Ces lettres sont extraites d’un volume qui paraîtra prochainement à la librairie Calmann-Lévy, pour faire suite aux deux volumes de Lettres à l’Étrangère déjà parus à la même librairie.
  2. Le Duc d’Orléans qui se maria avec une Mme de Montesson, en 1773 ; son fils, dit Philippe-Égalité, habita aussi la Folie-Monceau.
  3. A cette date, Gérard de Nerval avait eu déjà plusieurs atteintes de folie.
  4. Cette lettre a déjà été publiée dans la Correspondance générale de Balzac (Xe CCLXXIX, mais très incomplètement.
  5. A Dresde.
  6. Surnom donné à Liszt.
  7. Le comte Michel de Borch.
  8. Par Eugène de Mirecourt »
  9. A Genève.