Lettres à la princesse/Lettre112

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Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 156-158).


CXII


Ce 26 juin.
Princesse,

J’ai vu M. de Calonne, qui a été bien reconnaissant de l’accueil et de l’attention qu’il a obtenus de Votre Altesse. L’attention ! c’est la chose la plus rare, la plus précieuse souvent à obtenir. Dans le cas présent, si le ministre écoute et veut bien y songer, il reconnaîtra :

Que détruire ce qui essaye de se fonder depuis dix ans est le parti le plus court, non le meilleur ;

Que ne laisser subsister qu’une seule et unique Revue, c’est en quelque sorte consacrer le monopole qu’elle affecte déjà ;

Que, si bien faite que soit cette autre Revue, elle n’est pas aux mains des amis ; qu’il y a quantité de sujets qui ne sauraient y être traités qu’à un point de vue opposé à celui du gouvernement ;

Que réduire les écrivains amis du gouvernement et qui ont un travail un peu étendu à publier, à n’avoir pour asile que le foyer même de l’adversaire, c’est les décourager, leur rendre la tâche impossible, déclarer en quelque sorte qu’il n’y a pas d’école gouvernementale possible, qu’il n’y a que l’opposition, et que bien sot est celui qui ne choisit pas ce cadre, etc., etc.

Pareille chose a eu lieu dans l’instruction publique. M. Duruy à son début a agi absolument comme s’il y avait eu dans l’État un changement par en haut du tout au tout.

Et les choses vont pourtant, et le pavillon est glorieux et flottant, et la marche presque triomphale ; mais, pour qui voit de près et réfléchit, que de remarques qui font naître le sourire de l’ironie ! — Il faut se dire que presque de tout temps il en a été ainsi.

Cette session s’éternise : le soleil est de plus en plus ardent. On a des besoins de calme, de fraîcheur, d’eau vive et de fontaine. — Je vais ce soir entendre pour la première fois l’Africaine : voilà, un singulier remède. Nous aussi, simples humains, nous commettons nos petites absurdités.

Je m’oublie à raisonner et à déraisonner, Princesse ; à mercredi, une heure de fraîcheur. Je mets à vos pieds l’hommage de mon respectueux et fidèle attachement.