Lettres à la princesse/Lettre245

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Lettres à la princesse, Texte établi par Jules TroubatMichel Lévy frères, éditeurs (p. 335-337).


CCXLV

27 mai 1868.
Princesse,

Je venais hier d’envoyer une lettre lorsque j’ai reçu la vôtre. Je suis un peu mieux, — pas tout à fait bien encore. — Je félicite les voyageurs, les deux pigeons revenus au gîte après une volée si splendide en deux coups d’aile : voilà notre progrès, cela ne s’est vu que de nos jours.

Il y a, par suite de ces misérables dénonciations et de ces séances prolongées du Sénat qui ont soufflé le feu, une indicible émotion chez les étudiants en médecine : ils sont venus hier chez moi au nombre de deux cents environ[1]. Ces jeunes gens étaient contents de leurs professeurs, ils en sont maintenant enthousiastes. On a peine à se remettre paisiblement au train d’études. C’est ce sec et hideux cardinal qui est venu porter la confusion là où il y avait le calme et l’étude. Il serait bien bon que l’empereur sût quelque chose de tout cela. Il ne manquerait plus que de faire Dupanloup cardinal : et je vois le moment où il le sera.

Princesse, tâchez que l’empereur soit pénétré de ceci : ces hommes noirs sont odieux au fonds généreux de la France. C’est compromettre l’avenir que de laisser croire qu’on est lié à eux ou avec eux. Ils sont messagers de mal et conseillers de malheur.

Daignez agréer, Princesse, l’hommage de mon tendre et respectueux attachement.


  1. On a noté, dans le moment même, les paroles que M. Sainte-Beuve adressa, dans son jardin, à ces jeunes gens, auxquels on avait immédiatement ouvert la porte de la maison, afin d’éviter toute collision possible au dehors : « Messieurs, ancien élève, trop faible élève de l’École de médecine, mais fidèle et reconnaissant, rien ne pouvait m’être plus sensible qu’une démarche comme la vôtre. Il y a longtemps que je l’ai pensé : la seule garantie de l’avenir, d’un avenir de progrès, de vigueur et d’honneur pour notre nation, est dans l’étude, — et surtout dans l’étude des sciences naturelles, physiques, chimiques et de la physiologie. C’est par là que bien des idées vagues ou fausses s’éclaircissent ou se rectifient ; que, dans un temps prochain et futur, bien des questions futiles ou dangereuses se trouveront graduellement et insensiblement diminuées, et, qui sait ? finalement éliminées. Ce n’est pas seulement l’hygiène physique de l’humanité qui y gagnera, c’est son hygiène morale. À cet égard, il y a encore beaucoup à faire. Étudiez, travaillez, messieurs, travaillez à guérir un jour nos malades de corps et d’esprit. — Vous avez des maîtres excellents : évitez surtout de donner à vos ennemis aucune prise sur vous. »