Lettres à une autre inconnue/XLI

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Michel Lévy frères (p. 205-208).
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XLI


Cannes, 15 décembre.


Chère et aimable Présidente,


Vous me faites un grand nombre de questions, mais je suis trop malade aujourd’hui pour répondre à toutes. Le fait est que je suis très-souffrant et découragé d’être si mal par un si beau temps. Mais ne parlons pas de ces sottes misères de santé.

La chose la plus importante, je vous l’ai dit, c’est au sujet de votre coiffure. Vous avez toute permission de ma part de porter des robes et des chapeaux comme la mode les fait ; mais vous auriez grand tort de gâter la tête que le bon Dieu vous a donnée. Elle est assez grosse de malices et de coquetterie sans que vous l’augmentiez en imitant avec vos cheveux un bonnet de Basilikyr.

J’ai fort admiré la voix et le brio de Madame de Blumsberg, et je ne la trouve pas si triste que vous dites. Elle a des yeux comme des étincelles. J’ai trouvé aussi Madame Potocka bien mieux que je ne m’y attendais. Si vous trouvez occasion de lui dire mon admiration, vous m’obligerez de lui en faire part.

Je reçois des nouvelles de Compiègne. On y est très-sage et très-digne.

De Paris, on m’écrit que la grande préoccupation n’est ni au Mexique ni à Rome, c’est la nouvelle loi sur le service militaire qui met tout le monde en émoi. Les cocodès, qui ne sont pas chevaleresques, ne paraissent pas montrer beaucoup de goût pour les fusils à aiguille.

Adieu, Madame ; je regagne mon canapé et je n’ai plus la force de vous écrire. Pour répondre cependant à une de vos questions, je vous dirai qu’il faut que je vous aime beaucoup pour vous dire la vérité sur votre coiffure. J’aurais encore des observations à vous faire sur les bas rayés ; les raies horizontales ont des inconvénients, mais cela mériterait une dissertation spéciale.

Adieu, Madame ; pardonnez au décousu de ma lettre, et veuillez agréer l’expression de tous mes respectueux hommages.