Lettres à une inconnue/148

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(1p. 317-318).

CXLVIII

27 mai 1852, au soir.

Vous êtes, par ma foi, d’un bon sel ! J’étais allé l’autre jour chez des magistrats et j’avais eu l’imprudence d’avoir un billet de mille francs dans ma poche. Je ne l’ai plus retrouvé ; mais il est impossible que, chez des personnes d’un si haut mérite, il se glisse des coupeurs de bourse ; aussi le billet s’est évaporé de lui-même, n’y pensons plus. En même temps, j’ai eu le malheur de toucher un soi-disant pestiféré et l’on a jugé prudent de me mettre en quarantaine pour quinze jours ; le grand malheur vraiment ! Mon ami M. Bocher va en prison à la fin de juin, nous nous y installerons ensemble. En attendant, j’ai grand besoin de vous voir ! — Mes vengeances ont déjà commencé. Mon ami Saulcy se trouvait hier chez des gens où l’on a parlé de l’arrêt qui me concerne ; là-dessus, sans consulter l’air du bureau, voilà mon canonnier qui, avec la discrétion de son arme, se lance à tort et à travers dans les grands mots de sottise, fatuité, stupidité, amour-propre de faquins, etc., prenant à témoin un monsieur en habit noir qu’il connaissait de vue, mais dont il ignorait la profession. Or, c’était M. ***, un de mes juges, qui aurait préféré être ailleurs. Figurez-vous l’état de la maîtresse de la maison, des assistants, et enfin Saulcy, averti trop tard, qui tombe sur un canapé en crevant de rire, et disant : « Ma foi, je ne me dédis de rien ! »