Lettres à une inconnue/43

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(1p. 125-127).

XLIII

Paris, 21 janvier 1843.

Vous êtes bien aimable et je vous remercie de votre première lettre, qui m’a fait encore plus de plaisir que la seconde, laquelle sent un peu les seconds mouvements. Elle a du bon cependant. Mais écrivez donc plus lisiblement l’allemand. J’ai bien besoin des commentaires que vous m’offrez, commentaires verbaux s’entend, ce sont les meilleurs. D’abord, j’ai lu heilige Empfindung, puis je crois qu’il faut lire selige. Mais il y a deux sens. Est-ce sentiment de bonheur ou sentiment passé, mort ; feu sentiment ? Si je vous avais vue écrivant, j’aurais probablement deviné à votre expression ce que vous vouliez dire. Double coquetterie de votre part, coquetterie d’écriture, coquetterie d’obscurité. Hélas ! vous me croyez plus savant que je ne suis en matière de toilette. J’ai cependant mes idées très-arrêtées sur ce point ; je vous les soumettrai, si bon vous semble ; mais je ne comprends pas la plupart des belles choses qu’il faut admirer, à moins qu’on ne me les démontre ; vous m’expliquerez et je comprendrai tout de suite, je vous assure. Mais quand et comment ? ces deux questions me préoccupent autant que votre pourquoi et pour qui ! N’avez-vous pas regretté un peu les beaux jours passés au soleil de printemps ? Aucun danger pour les merveilles de bottines ! Si vous me dites que vous y avez pensé et que vous y pensez, vous me ferez prendre patience ; mais il faudra plus que penser, il faudra résoudre. Je n’ai nulle envie de vous rappeler vos promesses ; car j’espère que vous ajouterez à votre bonne foi à les remplir de bonne grâce, de ne pas les faire trop attendre. J’ai été tellement consterné par cette averse et ce qui s’ensuit, que je suis devenu tout confit en douceur et en abnégation de moi-même. J’ai maintenant assez de confiance en vous pour croire que vous ne vous en prévaudrez pas pour devenir tyrannique. Vous y avez, je crains, de grandes dispositions ; ç’a été mon défaut autrefois : je dis la tyrannie, mais j’en suis corrigé, je m’en flatte. Adieu donc, dearest ! Pensez donc un peu à moi.