Lettres à une inconnue/49

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(1p. 137-139).

XLIX

17 février 1843.

Que j’aie été injuste envers vous, cela est possible et je vous en demande pardon ; mais vous ne vous mettez pas assez à ma place ; et, parce que vous ne sentez pas comme moi, vous voudriez, ce qui est impossible, que je ne sentisse qu’à votre manière. Peut-être devriez-vous me savoir plus de gré que vous ne faites de tous mes efforts pour vous ressembler. Je ne comprends rien à la mine que vous m’avez faite aujourd’hui. Au reste, à ne s’attacher qu’à la lettre, il y a longtemps que je vois que vous m’aimez mieux de loin que de près. Mais ne parlons plus de cela maintenant. Je veux seulement vous dire que je ne vous fais aucun reproche, que je ne suis pas mécontent de vous, et que, si je suis triste quelquefois, vous ne devez pas croire que je suis en colère. J’ai de vous une promesse, vous pensez bien que je ne l’oublierai pas. Je ne sais si je vous la rappellerai. Il n’y a rien que je déteste tant que les querelles, et assurément il en faudrait une pour vous redonner de la mémoire. Rien de ce qui vous fait de la peine ne me donnera de plaisir ; ainsi, j’accepte le programme que vous m’annoncez. Nous avons eu, en effet, une heureuse inspiration l’autre jour. Quelle neige et quelle pluie ! Quel chagrin si vous m’aviez remis à aujourd’hui ! Vous craignez toujours les premiers mouvements ; ne voyez-vous pas que ce sont les seuls qui vaillent quelque chose et qui réussissent toujours ? Le diable est lent, je crois, de son naturel et se décide toujours pour le plus long chemin. Ce soir, je suis allé aux Italiens, où je me suis assez amusé, bien qu’on ait fait un succès de claqueurs à mon ennemie madame Viardot.

J’ai reçu des livres d’Espagne que j’attendais pour travailler à quelque chose ; en sorte que je suis assez in high spirits pour le moment. Je souhaite que vous pensiez un peu à moi, et surtout que nous pensions ensemble. Adieu ; je suis charmé que ces épingles vous plaisent. J’avais craint qu’elles ne vous eussent inspiré du mépris ; mais, malgré le plaisir que j’aurais à vous les voir porter, ne mettez pas le châle bleu la première fois. Vous avez dit avec beaucoup de raison qu’il était trop voyant.