Lettres à une inconnue/61

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(1p. 159-160).

LXI

17 mars 1843.

Je vous remercie bien de vos compliments, mais je veux mieux encore. Je veux vous voir et faire une longue promenade. Je trouve cependant que vous avez pris la chose trop au tragique. Pourquoi pleurez-vous ? les quarante fauteuils ne valaient pas une petite larme. Je suis excédé, éreinté, démoralisé et complétement out of my wits. Puis Arsène Guillot fait un fiasco éclatant et soulève contre moi l’indignation de tous les gens soi-disant vertueux, et particulièrement des femmes à la mode qui dansent la polka et suivent les sermons du P. Ravignan ; tant il y a que l’on dit que je fais comme les singes, qui grimpent au haut des arbres et qui, arrivés sur la plus haute branche, font des grimaces au monde. Je crois avoir perdu des voix par cette scandaleuse histoire ; d’un autre côté, j’en gagne. Il se trouve des gens qui m’ont black-boulé sept fois et qui me disent qu’ils ont été mes plus chauds partisans. Ne trouvez-vous pas que cela vaut bien la peine de faire ainsi le péché de mensonge, surtout pour le gré que j’en sais aux gens ? Tout ce monde où j’ai vécu presque uniquement depuis quinze jours me fait désirer avidement de vous voir. Au moins, nous sommes sûrs l’un de l’autre, et, quand vous me faites des mensonges, je puis vous les reprocher et vous savez vous les faire pardonner. Aimez-moi, quelque vénérable que je sois devenu depuis bientôt trois jours.