Lettres écrite d’Algérie au général de Castellane

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Lettres écrite d’Algérie au général de Castellane
Revue des Deux Mondes4e période, tome 145 (p. 48-79).
LETTRES ÉCRITES D’ALGÉRIE
AU GÉGÉRAL
DE CASTELLANE[1]


Le capitaine Changarnier, faisant fonction de chef de bataillon au 2e léger, au général de Castellane.


Au camp de Mustapha-Pacha, le 31 décembre 1835, à 3/4 de lieue est d’Alger.

Mon général,

Pendant la halte sur le Sig, — où nous avons perdu trois jours de beau temps, consommé des vivres, harassé nos soldats à élever un grand fort et une tête de pont devenus inutiles par un changement de plan de campagne, — j’étais sur la rive droite de la rivière où mon bataillon se trouvait seul avec les tribus alliées et trois compagnies de zouaves. Cette position, qui pouvait me faire espérer quelques occasions d’engagemens avec l’ennemi, n’a servi qu’à m’empêcher de profiter d’un courrier dont j’ai ignoré le départ. M. de Montredon, plus heureux que moi, a pu vous donner des nouvelles d’un corps pour lequel vous avez beaucoup fait et qui sait apprécier l’intérêt que vous voulez bien lui conserver.

Au retour, lorsque le quartier général était à Mostaganem, le 2e léger était à Missigran[2], petite ville déserte depuis de longues années. Le Prince[3] devait nous passer en revue et s’embarquer le 15, mais, son indisposition étant devenue un peu plus grave, il renonça à nous voir et avança son départ de vingt-quatre heures. Quand j’en fus averti, il ne me restait que cinq minutes pour griffonner un billet qui ne pouvait être bien reçu que par une mère.

Nous sommes rentrés à Oran, le 17, à deux heures. Quelque mauvais que soit l’établissement d’une troupe, vous savez, mon général, le temps qu’il exige pour un officier qui remplit ses devoirs. Il était donc nuit close, quand je suis arrivé à mon logement ; le vaguemestre y entrait en même temps que moi, et j’ai reçu un monceau de lettres au milieu desquelles j’ai reconnu la vôtre… le l’ai lue et relue, avant de m’approcher du feu, avant de toucher à un morceau de pain et à une éponge, dont j’avais un égal besoin, morfondu, sale, affamé que j’étais ! Cette lettre si gracieuse, si bonne, m’a fait un extrême plaisir. Je suis heureux de pouvoir compter sur la bienveillance dont elle est empreinte ; mais, mon général, l’ingratitude ne saurait être comptée sans injustice au nombre de mes défauts, et j’espère bien que vous me regardez toujours comme le plus humble, mais le plus dévoué de vos serviteurs.

Le 18, nos hommes étaient à la corvée de la paille, quand nous reçûmes l’ordre de nous embarquer immédiatement sur la Ville-de-Marseille et le Scipion, tous deux vaisseaux de 74. Je suis monté sur le dernier avec le second bataillon ; l’autre portait le premier et l’état-major. Nous étions à bord le même soir. Une heureuse traversée nous a conduits en rade d’Alger le 20 au soir. La marine nous a lentement débarqués vingt-quatre heures après, et nous sommes arrivés, dans la nuit du 21 au 22, au camp de Mustapha, où rien n’était préparé pour nous recevoir et où nous avons eu à maudire la même incurie qui s’était fait sentir à Oran. Nous avons laissé dans cette ville le commandant Arnaud avec les quatre compagnies d’élite qui doivent faire partie de la petite division destinée à partir du 1er au 5 janvier avec le Maréchal, s’il se décide à visiter Tlemcen.

Cette ville, d’une certaine importance, est gouvernée par un Bey et occupée par une garnison turque, qui ont fait preuve de fidélité à la France. Quand Abd-el-Kader rompit avec nous, il fit inquiéter la ville et agita quelques tribus voisines. Depuis le commencement des hostilités, il avait été obligé de concentrer ses forces et de retirer les troupes qu’il avait de ce côté. Le maréchal Clauzel attend des renseignemens sur l’effet produit par la défaite d’Abd-el-Kader et l’incendie de Mascara, et peut-être il ira parader pendant quelques jours à Tlemcen, pour en imposer à nos ennemis et raffermir le bon vouloir de nos amis. Il n’y aurait pas un coup de fusil à tirer. La marine déposerait les troupes à la hauteur de l’île d’Herchgoun, et de là, il n’y a que sept lieues à faire par terre. Notre premier bataillon est parti avant-hier pour le camp de Douera ; nous ne tarderons pas à l’y suivre.

Notre pauvre régiment est bien dispersé… Malgré les quasi promesses que vous avez reçues du ministre, malgré la conversation du général Schramm avec M. d’Arbouville, je crains bien que nous ne soyons pas près de quitter l’Afrique… Le Maréchal nous gardera. Ce pays, où je n’aurais voulu céder ma place à personne en un temps de crise et de danger, me semblerait peu agréable à habiter en un temps de calme et de paix.

Après cinq ans et demi de possession, je vois dans cette colonie une multitude de cabaretiers, de cafetiers, de brocanteurs de toutes les façons, mais je n’ai pas encore vu un homme arrivé avec une charrue et l’intention de s’en servir. Aux portes d’Alger, les jardins ne sont pas cultivés, ou le sont plus mal qu’avant la conquête. Je ne comprends pas une colonie sans colons. Les vœux de ma famille, quelques intérêts positifs m’appellent en France, mais il me serait surtout pénible de renoncer à l’espoir de me retrouver sous vos ordres…

Si je faisais l’histoire de la campagne, tout ne serait pas louange et admiration. La marche du Sig sur l’Habra a été très belle ; l’entrée dans les montagnes méritait d’être exécutée en présence d’un ennemi plus habile, plus consistant. Dans ces journées, le maréchal Clauzel a montré qu’il n’était pas un officier ordinaire ; mais n’avions-nous pas beaucoup attendu de la fortune de la France, en entrant en campagne avec des moyens de transport insuffisans et dans une pareille saison ?… Nous avons souffert des mauvais temps, mais ce sont ceux de cette époque de l’année, et si les pluies n’avaient heureusement cessé à dater du 10 au soir, il y aurait eu d’étranges désastres, quoique nous n’eussions plus d’ennemis. Je ne connais pas les rapports officiels, et je crains de ressasser ce que vous auront dit les journaux.

Les limites d’une lettre, quelque longue que je me permette de vous l’envoyer, ne peuvent suffire à rendre mes impressions pendant les journées du 3 au 10, si fertiles en incidens. Mascara me laissera de longs souvenirs !

Nous y avons fait notre entrée en pleine nuit, par une de ces pluies africaines, dignes de leur réputation, et j’ai été très heureux de m’établir, à l’aveuglette, au centre de mon bataillon, dans une chambre basse qui a reçu la moitié d’une compagnie, mes deux chevaux et moi. Dans la nuit, en visitant les postes, je remarquai quelques incendies qui commençaient à se manifester dans les faubourgs, j’en fis avertir le quartier général, on répondit qu’il fallait laisser faire et que plus tard on ordonnerait. On venait de reconnaître l’impossibilité d’y laisser le bey Ibrahim. Au jour, la pluie cessa par intervalles, et j’en profitai pour parcourir la ville. Je la trouvai bien supérieure à l’idée que je m’en étais faite. Il n’est pas question là de tentes en peau de chameau, mais de maisons mauresques qui ne sont pas dépourvues d’élégance. La principale mosquée est belle, et, dans la salle des tombeaux, — il y en a, ou plutôt il y en avait (car les zouaves et nos soldats, à leur imitation, ont tout brisé), — il y en avait de très remarquables par la légèreté et la grâce des sculptures : les marbres étaient d’une rare beauté.

Après avoir flâné pendant deux heures, je revenais chez moi, quand j’ai été agréablement distrait de tant de scènes d’horreur par l’aspect d’un de mes spahis qui, la carabine sur l’épaule, le pistolet et le sabre au côté, était tranquillement assis au milieu de la boutique d’un juif qu’il venait de mettre dehors et dont il vendait les chandelles et les figues avec une scrupuleuse exactitude et une conscience qui aurait fait l’admiration de nos cuisinières. Il soulevait gravement ses balances, faisant bon poids aux acheteurs ; le juif, du coin de la rue, le contemplait avec une sombre résignation. Après avoir joui silencieusement de ce spectacle pendant quelques minutes, j’ai fait un acte de justice expéditive à la turque : je suis entré dans la boutique, j’ai pris mon homme par sa belle barbe, je l’ai jeté dehors, après lui avoir appliqué quelques coups de plat de sabre sur les épaules et j’ai rétabli dans sa possession le légitime propriétaire qui, le misérable ! se jetant à genoux, baisait littéralement la boue de mes bottes ; j’ai eu beaucoup de peine à me dérober à son ignoble reconnaissance.

Ces malheureux juifs et une centaine de Maures, si confians en nos promesses et notre puissance, étaient restés, malgré les ordres d’Abd-el-Kader et les avanies des Arabes ; plusieurs, avant notre arrivée, avaient été assassinés ; beaucoup d’autres l’ont été par nos alliés indigènes et, en définitive, il a fallu que cette population s’expatriât et vînt chercher un asile à Mostaganem et à Oran. Quel spectacle que ce millier de misérables se traînant au milieu de nos colonnes ; que d’enfans, que de femmes, combien d’hommes même, sont restés dans la boue ! Notre administration, nos généraux ne sont pas sans reproche. Au fur et à mesure que les vivres s’épuisaient, des chameaux, des mulets, des chevaux de bât devenaient disponibles ; on a abandonné beaucoup de matériel, les ponts de chevalets par exemple ; pourquoi ne pas utiliser les chevaux de trait pour transporter ces malheureux qui ont eu le tort d’avoir foi en nous ?

Le général Oudinot s’était embarqué avec le Prince à Mostaganem, je n’ai donc pu lui faire vos complimens ; je l’ai d’autant plus regretté que, sans savoir les relations qui existent entre vous, j’avais eu occasion un jour de parler de vous devant lui, et que j’avais remarqué qu’il entendait avec plaisir parler de vous comme on doit en parler. Il a été fort apprécié de sa brigade. Le général Marbot lui a succédé, le 4, sans le remplacer. Ma lettre est d’une longueur effrayante et je ne vous ai point encore remercié des vœux que vous voulez bien faire pour mon avancement ; quelque peu disposé que je sois à me flatter, il me semble que mes espérances sont fondées. Quand le colonel a reçu l’ordre d’établir les avancemens et décorations, toutes les prescriptions étaient numériques ; pour moi seulement il y avait cette phrase : Vous proposerez le capitaine Changarnier pour chef de bataillon. Je suis le seul officier de l’armée pour qui un semblable ordre ait été donné nominativement. Je dois cette faveur à l’affaire de Sidi Rombarat, le 3, où le général Oudinot a été blessé et où j’ai eu le bonheur de conduire le bataillon de l’avant-garde, quand, sous le feu du canon, nous avons chassé l’ennemi embusqué derrière un ravin. Je n’ai pas été content, dans cette circonstance, du 2e chasseurs à cheval d’Afrique. Quand le général Oudinot fut blessé, le colonel Menue reçut momentanément le commandement de la brigade qu’il exerça honorablement, comme vous pouvez le croire. Le régiment, quoique sans chef, eut un beau moment sous le boulet et redoubla sa marche aux cris de : Vive le Roi !

Le Prince m’a traité avec une bonté extrême : quatre fois, c’est-à-dire toutes les fois que je me suis trouvé à sa portée, il m’a dit les choses les plus obligeantes. Un jour, en coupant la colonne devant la tête de mon bataillon, il dit au Maréchal, de manière à être entendu de moi et de tous ceux qui m’entouraient : C’est le capitaine Changarnier qui s’est si bien conduit à Sidi Rombarat ; et tous deux me saluèrent de la tête et de la main.

Nous avons beaucoup d’officiers et de soldats malades. La faim, les bivouacs dans la boue et sous la pluie, me sont un excellent régime, jamais je ne me suis mieux porté. Grâce au changement de garnison, nous sommes, depuis Oran, privés de lettres de France.

Recevez, mon général, la nouvelle expression du dévouement le plus respectueux et le plus vrai de votre très humble et très obéissant serviteur.


Le capitaine Forey, capitaine an 3e léger, au général de Castellane.


Bône, le 3 décembre 1836.

Mon général,

Nous arrivons de Constantine, le cœur navré par les scènes de douleur dont nous avons été témoins, mais aussi bien fiers du beau rôle que le bataillon, si bien commandé par M. Changamier, a été appelé à jouer dans cette mémorable expédition.

Le commandant m’annonce que vous désirez que je vous envoie une carte et un récit sur l’expédition ; c’était mon intention, mon général, vos désirs eussent été remplis sans que vous me les eussiez manifestés ; je vais m’en occuper aussitôt que je le pourrai. Le commandant vous écrira sans doute les détails de l’expédition, mais ce qu’il ne vous dira pas, c’est le sang-froid, le courage admirable qu’il a montré à notre tête dans une circonstance où une faiblesse aurait inévitablement entraîné la perte de toute l’armée. Après deux attaques de nuit repoussées avec une vigueur étonnante de la part de l’ennemi, la retraite, devenue bien difficile par la triste position de l’armée démoralisée, mouillée jusqu’aux os depuis huit jours, n’ayant pas une branche pour se chauffer, pas un biscuit à manger, a été ordonnée, le 24 novembre au matin.

Tous les corps prirent le devant, et l’on nous laissa seuls à l’arrière-garde. Nous étions 240 hommes environ, et l’on semblait nous dire : « Nous nous sauvons, tirez-vous d’affaire ! » Heureusement pour nous que nos hommes avaient conservé des vivres, que leur moral n’était pas le moins du monde abattu et que nous étions commandés admirablement.

A peine avions-nous quitté le bivouac, que toute la ville et des milliers d’Arabes accourus de tous côtés entourèrent notre bataillon, le resserrèrent dans un cercle étroit et, nos tirailleurs étant atteints par la cavalerie et sabrés, il n’y avait qu’à prendre la fuite, ce qui entraînait la perte totale de l’armée — ou combattre en nous défendant jusqu’à la mort.

C’est le dernier parti que nous prîmes. Le commandant arrêta le bataillon, cerné à quarante pas de distance par 10 ou 12 000 Arabes ; il fit former le carré, apprêter les armes aux cris de « vive le Roi », plusieurs fois répétés avec un enthousiasme impossible à décrire ; l’ennemi fut déconcerté par cette attitude fière et imposante. Profitant de ce moment d’incertitude chez les Arabes, nous ouvrîmes un feu de deux rangs bien dirigé qui acheva de persuader à cette multitude que nous ne serions pas une proie aussi facile à saisir qu’ils paraissaient le croire ; le cercle s’étendit peu à peu, nos tirailleurs reformèrent leur ligne ; et le bataillon continua sa marche aux applaudissemens de toute l’armée qui, ainsi que le maréchal et le Prince, nous ont honorés du titre de : Sauveurs de l’armée.

Le commandant s’est conduit admirablement ; nous lui offrons une épée d’honneur.

C’est sur ce petit bataillon, dont la réputation était si bonne, que reposa la responsabilité de la retraite, qui fut difficile pendant quatre jours, harcelés que nous fûmes du matin au soir par une nuée innombrable d’Arabes.

Enfin nous avons laissé bien des hommes, bien des voitures, bien des munitions en arrière, mais il était humainement impossible de faire autrement, et nous avons ramené une grande partie de notre matériel. La retraite s’est effectuée avec un grand ordre et nous pouvons répéter avec François Ier : Tout est perdu fors l’honneur. J’ai le bonheur d’être proposé le premier pour la décoration, j’espère que, malgré la non-réussite de l’expédition, l’armée qui a fait tout ce qu’elle a pu, qui a souffert avec une constance admirable tous les maux les plus cruels de la guerre, recevra des récompenses. J’ai recours, mon général, à votre bonté, pour faire appuyer ma proposition au ministère, vous avez une grande influence ; le Prince nous a parlé de vous avec une sorte d’enthousiasme.

Recevez, etc.


M. Dussert, sous-directeur des affaires civiles à Oran, au général de Castellane.


Oran, le 1 août 1839.

Mon général,

On a beaucoup parlé dans ces derniers temps de la rentrée de M. le maréchal Valée et l’on pensait même que l’expédition de Djidjelly n’aurait été faite que pour faire donner, avant son départ, les épaulettes de lieutenant-colonel à son gendre, M. le commandant de Salles.

L’expédition est venue, et l’épaulette aussi ; cependant, tout semble annoncer que M. le maréchal ne se dispose nullement à renoncer à son gouvernement. Il paraît que le ministère actuel continue en sa faveur le système de concessions adopté par le ministère précédent. Au surplus, le maréchal est diversement apprécié. S’il quittait l’Afrique, on regretterait certains côtés de son caractère, tout en se félicitant d’être débarrassé de certains autres. On lui reconnaît des qualités, une volonté ferme d’abord (chose très appréciable ici), et un esprit équitable. On lui reproche un défaut absolu de sociabilité et l’habitude de détruire tous les pouvoirs autour de lui, en voulant tout faire par lui-même ; c’est là un grand tort. Le métier d’un homme au pouvoir ne me semble pas être de briser les rouages placés près de lui, mais de les réunir dans sa main et de les laisser se mouvoir dans leur sphère en leur imprimant la direction. Enfin on s’étonne que le maréchal, qui a si bien compris que le gouverneur devait un peu se dégager des bureaux de Paris et conserver une grande latitude, ne sente pas aussi qu’il faut laisser un peu de cette latitude aux commandans placés sur les points secondaires. Il résulte de tout cela que les affaires administratives traînent, que la hiérarchie souffre, et qu’au total, il y a un peu de désorganisation partout.

Quant à la partie politique, vous avez vu les derniers événemens : le plus récent est la prise de Djidjelly qui amènera, selon toute apparence, l’occupation de Gollo. Quoique, en général, l’occupation, tant qu’elle suivra la lisière du littoral, soit avantageuse, on pense qu’il n’y avait pas urgence à aller à Djidjelly. L’installation nous a coûté quelques efforts : les habitans de cette partie de l’Afrique sont des Kabyles pur sang ; ils ont assez vigoureusement résisté, mais il arrivera ce qui est arrivé à Bougie. Quant à la possibilité d’y faire un port, il faudra d’assez fortes dépenses, quoi qu’on en dise, pour en venir là. Stora se peuple à souhait, dit-on, mais je crains que le bulletin ne passe un peu par la et qu’il ne faille rabattre quelque chose des deux cents maisons en pierre proclamées par les journaux de France. L’avantage réel et incontestable de Stora, sa destination spéciale et indiquée, c’est d’ouvrir une voie prompte jusqu’à Constantine : Stora est l’annexe de Constantine, l’une est la conséquence de l’autre, Si nous évacuons Constantine, Stora n’a plus d’avenir. Au demeurant, les affaires sont en bon pied dans l’Est. La province de Constantine est paisible et, tout en appréciant à leur juste valeur les Cercles arabes, les Caïds du désert, etc., toute cette poésie officielle du Moniteur algérien, il faut reconnaître que, dans cette partie de nos possessions, il y a facilité de tout tenter sans obstacles sérieux. Ce résultat doit être attribué à plusieurs causes : 1° à ce que les indigènes de cette province ont été depuis longtemps en contact avec l’Europe par la fréquentation des anciens comptoirs établis sur ce point ; 2° à la politique modérée qui a présidé à l’installation française dans le pays ; 3° à la prise de Constantine, qui a détruit le principal centre de résistance. Il est vrai que, sous ce dernier rapport, les frais occasionnés par la conservation contre-balancent déjà un peu les avantages qui en sont résultés.

Nous sommes moins avancés dans l’Ouest : ici, tout est stationnaire. Abd-el-Kader exécute tant bien que mal le fameux traité, le viole même quand cela lui convient sans trop de façons ; nous le laissons faire. M. le maréchal pense peut-être avec raison que la paix est plus préjudiciable à l’Emir que ne le serait la guerre, à moins qu’on ne fît, une fois pour toutes, une guerre complète et décisive. Quoi qu’il en soit, Abd-el-Kader prêchait dernièrement la croisade ; il engageait les tribus à se tenir prêtes et à rentrer au plus vite leurs récoltes. Il a été arrêté dans ses prédications par une levée de boucliers faite contre lui par deux cheiks puissans, ses ennemis. Les choses en sont là. Abd-el-Kader reçoit des armes et des secours du Maroc. Il s’approvisionne et attend. Je crois qu’il en viendra tôt ou tard à rompre le traité, voici pourquoi : les tribus de l’Ouest ne ressemblent pas à celles de l’Est ; celles-ci sont assouplies dès longtemps à la civilisation européenne ; les Arabes de la province d’Oran, au contraire, ont plus de fanatisme et une plus grande répulsion pour nous. Les souvenirs de l’occupation espagnole ne datent pas de si loin ; or, à cette époque, l’Inquisition siégeait à Oran, on faisait aux indigènes une guerre religieuse et de conversion. L’Arabe pris devenait catholique ou était brûlé comme infidèle. C’est donc surtout par le sentiment religieux qu’Abd-el-Kader a créé son influence et qu’il peut la maintenir. Il a intérêt à raviver ce sentiment s’il menaçait de s’éteindre, car il agit sur les Arabes en véritable marabout. Il dit avoir reçu de Dieu la mission de chasser les chrétiens d’Afrique. Une trop longue paix aurait pour lui le double inconvénient de mettre les populations en contact avec notre bien-être et notre tolérance et de faire douter les croyans de la réalité de sa mission. Il en viendra donc, je pense, à une rupture, sous peine de se démonétiser de ses propres mains.

Recevez, etc.


Le général de brigade Changarnier au général de Castellane.


Midah, le 18 mai 1841.

Mon général,

….. La matinée du 4 avril était froide ; j’avais conservé sur moi un paletot en épaisse étoffe de Tunis dont le capuchon était rabattu sur mes épaules. Un aide de camp du gouverneur étant venu me demander des nouvelles du combat, je me retournai et lorsque j’achevais ce que j’avais à lui dire, une balle traversa quatre épaisseurs d’étoffe croisée, bien doublée et flottante, ma capote, et pénétra de cinq lignes dans les chairs qui recouvrent l’omoplate gauche. Les muscles qui se croisent sur cette partie contribuèrent à garantir l’os. Après l’extraction de la balle et un premier pansement terminé en quatre minutes, je remontai à cheval et je continuai à diriger le combat qui se prolongea encore pendant une heure et demie. Je refusai de partir par un convoi dirigé dès le même soir vers Alger ; j’achevai l’expédition ; et je n’ai eu ni la fièvre, ni la commotion à la poitrine dont on me menaçait. Le bras gauche, longtemps engourdi, fonctionne parfaitement, sans aucune douleur ; la blessure est complètement cicatrisée, et, depuis six jours, je suis débarrassé de l’appareil, ennuyeux compagnon de mes dernières courses. Prêt à monter à cheval pour en commencer de nouvelles, j’ai voulu vous annoncer la guérison de cette blessure qui avait semblé d’abord mortelle à ceux dont j’étais entouré.

Le temps me manque pour vous faire le récit des dernières expéditions. Elles ont servi à mettre au grand jour les défauts et les qualités militaires du gouverneur, Le nombre des premiers l’emporte beaucoup sur celui des secondes dont l’une, l’entrain, suffit auprès des officiers médiocres pour en faire supposer plusieurs qui, en réalité, manquent à notre général en chef. Nous n’avons pas retrouvé chez lui ces soins attentifs et intelligens des troupes, base principale, mais fausse, de sa réputation. Rien d’ingénieux dans la combinaison de ses mouvemens. Il calcule médiocrement le temps et les distances. Un jour d’affaire, il ne tient pas dans sa main tous les fils de la machine ; il ne s’occupe que de ce qui se passe immédiatement sous ses yeux, et vit à l’instant l’instant, à l’idée l’idée ; véritablement, je le croyais plus fort. Je m’empresse de reconnaître qu’il a beaucoup d’activité d’esprit et infiniment d’activité de corps, beaucoup de résolution et d’entrain. Vantard et hâbleur au-delà de toute expression, il n’hésite pas à s’attribuer ou, quand cela ne lui est pas possible, à nier les services rendus par ses subordonnés.

Dans la soirée du 3 mai, devant Milianab, jour où, comme la veille, il avait commis plus d’une faute grave, il essaya, au cercle des généraux et chefs de corps, d’attribuer aux troupes qui avaient agi par ses ordres directs tout le mérite du succès dont la principale part revenait, au contraire, aux troupes commandées par le Prince[4], et en sous-ordre par moi. Tout en concédant l’énergie, M. le général Bugeaud voulut contester l’à-propos d’un mouvement qui avait décidé les très grands et positifs avantages obtenus. Le Prince, qui, dans l’affaire, avait bravement payé de sa personne, était absent ; je pris la parole, je réprimai cette injustice avec force ; et M. le général Bugeaud fut obligé de s’excuser et de désavouer les intentions qu’on avait pu attribuer à ses paroles. Dès ce moment, j’ai dû le compter au nombre de mes ennemis. Je suis bien dédommagé par l’opinion unanime de l’armée. Le Prince, dont, en définitive, c’était principalement la cause, est extrêmement bienveillant, pour moi. Il désirait m’emmener dans la province d’Oran, mais il a été repoussé. On me laisse comme conseiller, sous les ordres de M. le général Baraguey-d’Hilliers. On se réserve sans doute de me rendre solidaire des fautes qui pourront être commises, sans me laisser une part dans l’honneur du succès. J’ai décliné d’avance toute part de la responsabilité.

Les généraux Tarbé et Duvivier rentrent en France. Quelque fausse que soit ma position, je ne puis penser à quitter avant la fin de la campagne, tant qu’on m’emploiera activement.

Le Duc d’Aumale est charmant ; il a gagné l’estime et l’affection de toute l’armée.


Le capitaine Cler au général de Castellane.


Cherchell, Ier juillet 1842.

Mon général,

Depuis longtemps je devais profiter de l’honneur que vous m’avez fait en m’accordant la permission de vous écrire. Si je n’ai pas profité plus tôt de cette marque d’intérêt, c’était dans l’espoir de vous faire part de mes premières armes en Afrique. Depuis cinq mois que je suis dans ce pays, j’en ai passé quatre en expédition. Pendant ce temps, j’ai vainement cherché une occasion de combattre sans pouvoir la rencontrer. Nous n’avons fait la guerre qu’aux troupeaux, aux habitations, aux récoltes et à la partie la plus infime de la population qui, sans armes et poussée par la faim et la misère, aimait mieux se rendre que de combattre.

Mon bataillon a quitté Cherchell au mois de mars et, depuis cette époque, il a pris une part très active à toutes les expéditions et à tous les ravitaillemens qui ont été faits dans la province d’Alger. Nous ne sommes rentrés que depuis quelques jours, et nous pensons bientôt quitter notre garnison pour aller établir un camp à quatre ou cinq lieues dans la direction de Milianah. Ce camp servira de poste intermédiaire entre Milianah et Cherchell et recevra les troupes destinées à travailler à la route qui doit joindre ces deux points.

Les résultats obtenus à la suite des expéditions du printemps dans la province d’Alger ont été très satisfaisans : toutes les tribus de l’Ouest sont venues demander l’aman et faire leur soumission. Maintenant, cette paix est-elle bien sincère et les Arabes seront-ils longtemps nos amis ? J’en doute. Aujourd’hui, fatigués et ruinés par une longue guerre, n’ayant plus de centre d’action, ils traitent avec la France qui entretient des forces imposantes chez eux et qui leur fait un pont d’or. Dans quelques années, quand le chiure de l’armée d’occupation sera diminué, qu’un partisan hardi et entreprenant se présente, toute l’Algérie sera de nouveau en révolution !

En France, il est encore quelques individus qui regardent sincèrement l’Afrique comme une bonne école de guerre. Je diffère d’opinion avec eux, et je crois que, si aujourd’hui une guerre européenne se déclarait, les régimens venant d’Afrique ne vaudraient pas ceux qui sont restés en France.

La guerre que l’on fait maintenant en Algérie est tout exceptionnelle et peut tout au plus être bonne pour ce pays : on ne suit aucune des règles prescrites pour la grande comme pour la petite guerre. La discipline est très relâchée ; l’instruction militaire est presque nulle ; on sait à peine marcher et, en voyant comment certains chefs agissent, on ne peut pas même leur accorder le talent de guérillas. On part du bivouac sans savoir ce que l’on doit faire ; chaque chef de corps, en cas d’attaque, peut agir comme bon lui semble, car le général et les chefs de colonnes se tiennent à la tête et s’occupent peu de ce qui se passe derrière eux. Que l’arrière-garde soit attaquée, au moment où elle quitte le bivouac, le commandement et la responsabilité appartiennent alors à un chef de bataillon, quelquefois même à un simple capitaine. Ce cas s’est présenté plusieurs fois dans nos razzias. La manière d’opérer une retraite dans les montagnes et en terrain accidenté doit être presque toujours la même, dans un pays où les habitans ne changent jamais leur manière de combattre. J’ai vu des officiers supérieurs, ayant dix ans d’Afrique, agir en novices et faire tuer ou blesser des hommes là où, avec la moindre prudence, on pouvait éviter le combat et faire ensuite une retraite sans danger.

Quelquefois ce sont les célébrités de l’armée qui, bénévolement, cherchent à faire blesser des hommes pour avoir l’occasion de faire de pompeux bulletins avec quelques misérables tirailleries d’arrière-garde. L’exagération, je dirai plus, le mensonge, sont à l’ordre du jour : chacun cherche à se faire passer pour un grand vainqueur, et on dirait que le but de la guerre n’est pas de forcer les Arabes à demander la paix, mais bien de faire gagner, à quelques protégés, des croix et de nouveaux grades. Dans les bivouacs, chaque corps se garde comme il veut : les uns avec les grand’gardes, d’autres avec des petits postes, d’autres enfin avec quelques factionnaires placés devant les faisceaux ; aussi, bien souvent, les rôdeurs arabes enlèvent les armes et les chevaux à la barbe des sentinelles, qui peuvent dormir en paix, car elles ont rarement à redouter les rondes de nuit.

Je suis bien éloigné, malgré ce lugubre tableau, de regretter la position que j’avais en France, où la vie uniforme du régiment et le far niente des garnisons m’avaient dégoûté de l’existence militaire. Je pourrai toujours apprendre quelque chose en Afrique ; la vie qu’on y mène convient du reste à mon organisation. Grâce à vous, mon général, et à un séjour de trois ans dans votre division active, je me vois maintenant assez avancé pour braver un long séjour en Afrique et pour ne pas craindre qu’il me fasse oublier les bons principes puisés à votre école.

J’ai eu le bonheur de tomber avec un excellent chef, le commandant de Ladmirault, jeune officier, brave, instruit et connaissant, par habitude comme par étude, la manière de faire la guerre d’Afrique. Grâce à ce chef, j’ai pu, pendant les quatre mois que j’ai expéditionné avec lui, apprendre autant que si j’eusse fait partie de l’armée d’Afrique depuis dix ans.

Je me félicite tous les jours d’avoir permuté pour le 2e bataillon d’Afrique. J’avouerai que j’ai souvent de la peine à bien conduire les misérables soldats qui composent ma compagnie, soldats qui, comme vous le savez, sont pris dans les prisons et dans l’écume de l’armée. En compensation, mon avenir est assuré, et j’ai plus d’indépendance que dans tout autre corps.

J’ai rencontré dans mes courses quelques anciennes connaissances de la division active ; nous nous sommes rappelé, avec bien du plaisir, de vieux souvenirs et le temps passé sous votre commandement. On assure que le 26e rentrera en France dans quelques mois et qu’il doit tenir garnison à Perpignan. J’en suis content, car ce régiment est le mieux tenu de tous ceux qui sont aujourd’hui en Afrique.

Veuillez, mon général, me pardonner le long retard que j’ai mis à vous écrire et surtout ne pas l’attribuer à l’indifférence. Je me souviendrai toute ma vie que c’est à vous que je dois mes premiers grades et mes bons débuts dans la carrière militaire ; je désirerai toujours sincèrement avoir l’honneur de servir de nouveau sous vos ordres.

Je suis avec respect et reconnaissance, mon général, etc.


Le colonel Walsin d’Esterhazy au général de Castellane.


Oran, 22 juillet 1842.

Mon général,

Rentré à Oran après une course de quelques jours qui a suivi l’expédition du Chéliff, j’y trouve la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire pour me féliciter sur ma nomination au grade de lieutenant-colonel. Cette nouvelle preuve de votre bienveillance m’est bien précieuse. Mon général, veuillez être bien convaincu que j’aurai toujours à cœur de justifier ce que vous me dites de si obligeant et de mériter l’intérêt que vous voulez bien me porter.

J’aurais désiré que ma nomination me rappelât en France ; outre que je suis encore souffrant d’une blessure que je reçus l’année dernière pendant mon séjour à Mascara, je ne vous cacherai pas que je suis loin d’être satisfait de tout ce que je vois en Algérie. Il me semble que l’esprit militaire, loin de se fortifier à l’armée d’Afrique, s’y altère ; les bonnes traditions se perdent ; nous devenons un peu fanfarons, et j’apprends quelquefois par les bulletins de grandes victoires auxquelles je ne me doutais pas d’avoir assisté.

En vous signalant ce mal, je vous prie, mon général, de ne pas juger trop sévèrement l’opinion que je viens d’émettre. Si je me trompe, c’est loyalement, et mon erreur ne vient pas de passions mauvaises, mais de mon désir du bien.

Soyez assez bon, mon général, pour agréer l’expression de mes sentimens de respectueuse reconnaissance.

ESTERHAZY.


P.-S. — Ma lettre était terminée, mon général, lorsqu’un courrier extraordinaire, arrivé ce soir, nous apporte la triste et douloureuse nouvelle de la mort de S. A. R. Mgr le Duc d’Orléans : tout le monde est dans la consternation. Je ne vous parle pas de mes sentimens particuliers ; cet événement déplorable augmente mon désir de rentrer en France ; vous apprécierez, mon général, les motifs de ces sentimens.


Le capitaine Cler au général de Castellane.


Cherchell, 30 septembre 1842.

Mon général,

J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser au commencement du mois d’août. Depuis que je vous ai écrit, mon bataillon est allé bivouaquer dans la tribu des Beni-Menasser, et, pendant un mois, il a travaillé à la route de Cherchell à Milianah. Cette route, toute militaire, ne sera pas directe : elle doit traverser la chaîne de montagnes qui commence au sud de Cherchell ; passer au centre de plusieurs tribus ; couper la belle et riche vallée de l’Oued et Hachem et, en faisant un long détour, arriver à Milianah en touchant au Sahel des Beni-Méred et à la tribu des Riga. Le but qu’on s’est proposé en commençant cette route n’a pas seulement été d’ouvrir une communication entre Cherchell et Milianah, mais bien d’avoir une voie pour se porter rapidement, en cas de révolte, au centre du pays des Beni-Menasser, qui forment la plus puissante et la plus riche tribu de l’ouest de la province.

Pour vous mettre à même d’apprécier, mon général, nos progrès dans ce pays, je vais, en vous priant de m’accorder toute votre indulgence, vous donner le récit d’une petite expédition que nous venons de terminer dans la Kabylie des Beni-Menasser, des Gourayas et autres tribus de Tenès.

Notre expédition n’a été qu’une promenade militaire. Où nous croyions trouver des ennemis armés, nous n’avons rencontré que des tribus heureuses de devenir nos alliées. Nous avions avec nous l’aga des Beni-Menasser, Kadour, neveu du vieil El Berkani, et le hachem (gouverneur civil) de Cherchell, homme d’une grande influence. Ces deux chefs ont commandé les Arabes alliés et armés qui se sont joints à notre petite colonne.

Dans nos bivouacs, les chefs des tribus nous offraient le couscoussous fait par leurs femmes dans les maisons voisines ; les Kabyles nous vendaient aussi à bas prix leurs denrées. Ils acceptaient volontiers nos alimens, surtout le sucre et le café, qu’ils dégustent en gourmets. Pendant le temps que nous sommes restés au milieu de ces populations, hier encore ennemies, nous avons constamment été traités en amis. Nos soldats, toujours imprudens, se sont aventurés sans armes à de grandes distances de nos bivouacs. Quelques-uns, isolés et égarés, ont rejoint la colonne pendant la nuit, ramenés par les Kabyles qui leur servaient à la fois de guides et de protecteurs.

La race kabyle que je viens de visiter, plutôt en voyageur qu’en ennemi, est belle. Les hommes sont tous d’un tempérament sec et maigre, d’une taille plus élevée que la moyenne, et généralement bien faits. Leur figure est expressive ; leur regard vif et pénétrant ; quoique d’une agilité peu commune, ils sont cependant d’une excessive paresse. Je ne sais si, imitateurs des Spartiates, ils font mourir, à leur naissance, les enfans difformes, ou si les disgraciés de la nature ont honte d’eux et restent cachés, mais je n’ai point rencontré chez eux d’infirmes, comme dans les tribus de l’Atlas et de la plaine, excepté ceux qui le sont devenus par suite de blessures. Les vieux marabouts ont des figures graves et vénérables ; malgré soi, on est porté à les respecter. Les chefs, surtout les jeunes, ont les traits fins et distingués ; leur visage est souvent d’une pâleur aristocratique. J’ai admiré le respect que le Kabyle a pour ses chefs : ce respect vient de ce que ces derniers réunissent en eux les fonctions sacerdotales et militaires. Quand un Kabyle rencontre un marabout, un aga, ou même un simple chef, il s’avance avec empressement et, sans lui adresser la parole, lui baise le pied, la main, l’épaule, ou les joues, suivant le degré de sa puissance. Quand le chef est assis, l’arrivant, après les politesses d’usage, prend place au cercle et, gardant le plus profond silence, il écoute la conversation qui, du reste, est peu animée et qui se fait à voix basse.

Malgré sa pauvreté, le Kabyle n’est point mendiant ; placés à distance respectueuse, ils assistaient par curiosité à nos repas, ils ne nous demandaient point d’y prendre part ; quelquefois seulement, les plus hardis demandaient poliment à nos soldats la permission de boire de leur eau. Leur mise est simple, et, depuis son origine, je doute que les modes y aient apporté leurs changemens : une espèce de chemise sac, sans manches, sans col et sans ouvertures, quelquefois une culotte large et courte, toujours un burnous et une calotte sur le sommet de la tête ; voilà l’accoutrement de l’habitant des montagnes, et c’était probablement celui des habitans de la vieille Numidie. Rarement le Kabyle porte une chaussure ; quelques lions aux pieds délicats se permettent une espèce de large sandale en peau de chèvre non tannée. Sans être très sales, les Kabyles le paraissent, ce qui provient, et de la couleur primitive de leurs vêtemens, qui est blanche, et du hâle qui couvre les parties nues de leurs corps. Ce qu’ils chérissent le plus, c’est leurs armes, qui se composent d’un long fusil, souvent de fabrique espagnole, et d’un yatagan assez mauvais et très incommode. Ils en ont un grand soin, ne le quittent jamais, et il faudrait que le besoin d’argent se fît vivement sentir pour qu’ils se décident à s’en séparer.

En parlant de Cherchell, notre petite colonne a pris une direction perpendiculaire à la mer et est entrée de suite dans les montagnes. Après avoir suivi cette direction pendant quatre heures, elle a, par un changement de direction à droite, remonté vers l’ouest en coupant les crêtes des chaînons perpendiculaires à la mer. Ces monts, immenses contreforts du Petit Atlas, sont séparés entre eux par de nombreuses et profondes vallées. Formés d’énormes amas de schistes et d’ardoises, ils présentent un désordre que je n’ai jamais rencontré dans les hautes montagnes de la France. Ils revêtent toutes les formes, cônes, dômes, ballons ; rarement rocheux, ils sont séparés par de grands ravins aux flancs déchirés et rapides. Les vallées sont toutes transversales dans cette partie des montagnes de l’Afrique. Généralement toutes les montagnes secondaires et les sahels que j’ai vus dans la province d’Alger ont un aspect triste. Au lieu de cette végétation luxuriante que l’on rencontre dans la chaîne du Petit Atlas, on n’y voit que des broussailles et quelques bouquets de bois dont l’essence est de chênes verts, de pins, de lentisques et de myrtes. Ces bois n’étant point exploités, l’arbre meurt et pourrit là où il a pris naissance. Plus tard, en admettant l’extension de la colonisation, il nous sera difficile de tirer un parti avantageux de ces montagnes jadis cultivées, aujourd’hui usées par le temps, déchirées par les eaux pluviales, et ne présentant plus que des flancs désolés.

Les petites vallées qui séparent ces chaînes de montagnes sont larges. Les plus longues ont à peine cinq ou six lieues ; aussi elles ne conservent, pendant la saison sèche, qu’un faible filet d’eau. Dans la saison des pluies, le cours d’eau se change en un torrent qui, n’ayant pas un lit encaissé, ravage ses rives et atteint quelquefois une largeur de deux et trois cents mètres. Ces cours d’eau étant peu profonds, leur lit, pendant six mois de l’année, peut servir de voie de communication pour l’exploitation des bois des montagnes, et si quelques hardis colons essayent plus tard de cultiver leurs rives, la terre ne sera point ingrate, elle leur rendra au centuple leur première mise.

Pour revenir à Cherchell, la colonne a suivi, pendant deux jours, le rivage de la mer. Le Kabyle avait là une terre généreuse, mais, n’étant ni pêcheur ni commerçant, il a préféré les ravins de ses hautes montagnes qui lui ont offert et un asile sûr et des pâturages pour ses troupeaux. Les Romains, ces anciens maîtres du pays, ont agi différemment, et si l’on rencontre rarement les traces de leur passage dans les montagnes, sur les rivages de la mer on trouve à chaque pas les débris de leurs gigantesques monumens. Ce sont les ruines de ponts, d’aqueducs, de voies et de ports, les vestiges de villes, de maisons fortifiées et de phares, et, encore debout, de vastes citernes.

Pardonnez-moi, mon général, d’abuser ainsi de votre complaisance ; ayant une existence assez solitaire, je suis réduit, quand je ne suis pas en course, ce qui m’arrive rarement, à repasser les observations que j’ai pu faire pendant mes excursions. En agissant ainsi, je ne m’abrutirai pas complètement pendant mon séjour en Afrique et j’en rapporterai quelques souvenirs. Peut-être aussi, mon général, lirez-vous avec plaisir ces détails sur un peuple à peine connu, même de l’armée d’Afrique, qui, depuis cette année seulement, a osé entrer dans la Kabylie qu’elle n’a vue qu’en courant. Avant l’expédition pacifique que je viens de vous retracer, nous n’avions vu les habitans de ce pays qu’à portée de fusil.

Il y a, je vous l’assure, dans la nature primitive du Kabyle, plus de bon que de mauvais. Premiers habitans du nord de l’Afrique, ils furent conquis et non subjugués par les Numides, les Carthaginois, les Romains, les Vandales et les Arabes. Au milieu de toutes les révolutions qui ont dû accompagner ces conquêtes, ils sont toujours restés les mêmes et ils iront emprunté à leurs derniers maîtres que quelques dogmes de religion qui s’accommodaient à leurs habitudes et à leurs passions. La France ne les subjuguera jamais, car, semblables aux Suisses ennemis de Charles le Téméraire, ils ont pour se défendre et leur pauvreté et leurs montagnes impraticables. Si nous agissons avec eux avec fermeté, franchise et sagesse, nous nous ferons de ce peuple un ami qui préférera notre domination à celle des Arabes qui ont toujours été pour eux d’avides spoliateurs. Demandons-leur pour prix de notre amitié et de notre protection un faible tribut, l’échange de leurs denrées, le libre accès du pays et l’exploitation des bois qu’ils laissent pourrir sur place, et nous pourrons, je crois, être plus en sûreté chez eux que chez nous.

J’ai heureusement échappé aux maladies de l’été qui, cette année, se sont fortement fait sentir. La fièvre a fait de grands ravages dans mon bataillon ; dans ma compagnie, mes officiers, mes sous-officiers, et quatre-vingt-dix sur cent vingt-huit de mes soldats en ont été atteints. Heureusement, jusqu’à présent, il y a eu peu de morts ; mais à la fin d’octobre et au commencement de novembre, époque des rechutes, la mortalité sera beaucoup plus forte.

Je suis avec respect et reconnaissance, etc.


M. Dussert, sous-directeur de la province de Philippeville et Constantine, au général de Castellane.


Philippeville, le 14 octobre 1844.

Ici, mon général, nous avons eu nos grands événemens que les journaux vous ont fait connaître, le bombardement de Mogador et de Tanger, la bataille d’Isly, enfin le traité de paix avec le Maroc. On a dépensé à cet égard beaucoup d’enthousiasme ; à une époque quelque peu petite, comme la nôtre, il n’y a pas grand mal à ce qu’on donne aux choses plus d’importance qu’elles n’en ont, mais encore ne faut-il pas que l’exagération dépasse toute limite. C’est une bonne chose que l’affaire d’Isly et à laquelle il faut applaudir. Mais quand on rappelle les batailles de l’Empire et qu’on donne des duchés à propos de huit cents Marocains tués, on s’expose à faire rire à nos dépens les Anglais qui se battent dans l’Inde et les Russes qui se battent dans le Caucase. Quant au traité de paix, c’est une malheureuse conclusion, car il est à craindre que cela ne finisse absolument rien. Qu’est-ce, en effet, avec des Barbaresques, qu’une paix sans garanties et sans cautions ? Qui peut répondre qu’Abder-Rahman tiendra sa parole et, quand il la voudrait tenir, qui peut assurer qu’il le pourra ? Il est vrai que ce n’est pas au Maroc, mais à l’Angleterre que nous avons cédé : Dieu veuille qu’on n’ait pas à s’en repentir !

Le Duc d’Aumale nous a quittés, le 6 au soir, se dirigeant sur Alger : il est arrivé ici le 4, et a passé quarante-huit heures avec nous. Il s’est montré comme toujours affable, distingué, charmant ; il ne se contente pas d’être Prince, il est avant tout un homme remarquable. La province entière le regrette, parce qu’elle l’a apprécié à l’œuvre, parce qu’elle sait le bien qu’il a voulu faire, celui qu’il a fait, celui qu’il a essayé d’opérer. L’opinion en France n’a pas rendu à M. le Duc d’Aumale la justice qu’il mérite et qu’on lui rend hautement ici. On a fait grand bruit de l’incident de Biskra ; mais ce qu’on ne dit pas, c’est qu’après tout, ses expéditions dans le sud ont été couronnées d’un plein succès ; qu’il y a pacification générale ; que le commerce, habilement attiré à Constantine, a commencé à en prendre la route ; que le Prince a jeté les bases d’une excellente organisation des indigènes, qu’il a fait des projets de magasins d’abondance ; qu’il a tâté tous les besoins du pays et a indiqué ce qu’il y avait à faire ; qu’il a mis en train les travaux de la route de Constantine à la mer et qu’il s’est enfin montré en tout et sur tout un excellent administrateur ; il a donné la mesure de ce qu’il ferait ayant les bras déliés. Il serait fâcheux qu’on eût d’autres idées en France, car voilà le vrai ; et je vous certifie, mon général, que si, en plaçant M. le Duc d’Aumale à Constantine, on a voulu l’essayer comme administrateur, il a parfaitement réussi auprès des gens sérieux. Il est vrai que l’opinion ne se forme pas en général d’après ceux-ci.


Le sous-lieutenant Pierre de Castellane, à son père le général de Castellane.


Bel-Assel, 25 septembre 1845.

Vous recevrez à la fois deux lettres de moi, mon cher père, une où je vous annonce que je suis intact et bien portant, celle-ci où je vais vous donner quelques détails sur nos affaires des 19, 20 et 22 septembre. Le 19, nous avions traversé un défilé difficile pour entrer dans les Flittas ; une partie du pays est très accidentée et couverte d’un taillis de lentisques et de chênes verts extrêmement touffus ; vous comprenez combien grandes sont les difficultés quand chaque buisson vous cache un homme embusqué ; l’autre partie du pays, formée de hauts plateaux, n’a point un seul arbre. La partie boisée est habitée par des Kabyles de la plus dure espèce, l’autre remplie de cavaliers.

Le défilé du Tifour fut vivement disputé ; on le passa pourtant sans trop de pertes et nous fûmes conduits de buisson en buisson jusqu’au camp. Cette journée fut remarquable par une charge commandée par M. Paulze d’Yvoi. Le fourrier Parisot a son cheval tué ; le nommé Geffine, du 4e escadron, le dégage et, voyant un drapeau, court au porte-étendard, le tue, prend le drapeau et reçoit sept blessures : deux coups de feu et cinq coups de yatagan ; il tombe épuisé en serrant contre lui le drapeau qu’il vient de prendre et, tombant, il s’écrie : « Il est à moi ! »

Le 20, le général, avec deux bataillons et soixante chevaux, va au-devant d’une petite colonne venant du Khamis, la tire d’embarras et revient à Bes Atia. Les 19 et 20, les turcos font l’arrière-garde et se conduisent admirablement ; ils ont vingt-cinq blessés, un homme tué. La révolte gagne tout le pays des Flittas ; Bou-Maza, que l’on disait pris, est à leur tête. Nous n’avons pas assez de vivres et de munitions ; il faut de plus combiner les mouvemens avec les autres colonnes. On se décide à aller s’établir à l’entrée du pays des Flittas.

Le 21, séjour.

Le 22, on se mit en route, en reprenant le même chemin ; les chasseurs d’Orléans étaient d’arrière-garde, mon escadron en était aussi. Nous fûmes d’abord peu inquiétés ; puis, à la fin, nous fûmes attaqués sur tous les flancs de la colonne par environ un millier de cavaliers et quinze cents à deux mille fantassins ; tous les bois et broussailles en étaient blancs. Nous fîmes une première charge le matin, conduits par le lieutenant-colonel. Un peloton du 5e escadron se trouva vivement engagé un instant et perdit quatre chevaux. Après deux heures environ de marche, nous arrivâmes à l’entrée d’un petit bois de cinq cents mètres ; c’était une ramée très fourrée, traversée par un chemin creux très étroit. Toute la colonne l’avait déjà traversée et se montrait de l’autre côté, lorsque l’arrière-garde replia ses tirailleurs pour entrer dans le chemin, les Kabyles et les cavaliers se ruèrent sur elle, on se battait à bout portant.

En un instant, le reste des cartouches est usé, on se bat à la baïonnette ; notre escadron, qui était déjà au milieu du bois, fait demi-tour et revient au galop pour dégager les chasseurs d’Orléans. A deux pas de la sortie du bois, le colonel, avec quelques hommes, prend à gauche pour dégager un capitaine de chasseurs d’Orléans qui était entouré, il pointe un Kabyle. Celui-ci, en tombant, lâche son coup qui porte dans l’estomac du colonel et l’abat ; le brigadier Vincent se jette à bas de cheval avec le chasseur Gueno, ordonnance du lieutenant-colonel. Deux Kabyles se jettent sur le corps pour l’enlever ; on le retient et le brigadier les étend à côté du colonel. Le docteur Becour, qui suivait le lieutenant-colonel, s’était jeté à bas de cheval et le tenait dans ses bras, cherchant à arrêter le sang. J’étais du 2e peloton de charge. J’entends crier, à cinq pas du chemin sur la gauche, derrière un buisson de lentisques : « Au colonel ! au colonel ! » Je fais peloton à gauche au galop, j’entre dans le bois, je le vois à terre ; je laisse six hommes pour le relever, avec le reste je me porte sur une petite crête. Il était temps, plus de cent Kabyles se glissaient dans les broussailles pour venir enlever le corps ; une ligne de tirailleurs protégea son enlèvement, puis mon peloton rejoignit les deux autres qui, après avoir dégagé le commandant Clerc, avaient pris la ligne de tirailleurs.

Le commandant m’envoya deux fois au général pour chercher un bataillon de secours. Quatre fois, par conséquent, je traversai le bois seul, la dernière fois, il était coupé et je fus canardé ; les balles m’ont sifflé de près. Je rejoignis ensuite la ligne de tirailleurs de nos chasseurs et j’eus quatre hommes blessés près de moi.

Je n’ai rien vu de plus beau que ces chasseurs d’Orléans faisant le cercle autour de leur commandant, aussi calmes que s’il se fût agi de la parade, leurs baïonnettes rouges de sang : une dizaine de cadavres de chasseurs, une quinzaine de blessés, pleins de sang des chevaux tués, une quarantaine d’Arabes étendus morts. Le commandant Clerc avait le genou traversé d’une balle ; il y avait une demi-heure qu’il l’avait reçue et personne n’en savait rien. Le colonel Berthier vécut environ une demi-heure, puis expira étouffé par le sang. Le combat continua avec le même acharnement jusqu’au bivouac ; une quarantaine d’obus furent tirés par M. de Ber-kheim.

Cette journée nous a coûté vingt-trois tués et cinquante-trois blessés. Le lendemain, séjour. Le 24, la colonne gagna Relizane pour prendre des munitions et des vivres et attendre une autre colonne pour entrer dans le pays. La cavalerie et les blessés vinrent donc à Bel-Assel. Le corps du colonel Berthier que nous sommes parvenus à conserver a été porté le même jour à Mostaganem ; un détachement de vingt-cinq chevaux commandé par M. de Canclaux l’attendait à Bel-Assel ; il a été enterré ce matin.

Me voici maintenant de retour à la colonne. J’ai ainsi fait mes trente-six lieues en deux jours avec le même cheval. Ces combats nous ont coûté trente tués, quatre-vingt-dix blessés, presque tous gravement. Depuis bien longtemps, on n’avait vu un semblable acharnement. C’est le Rhamadan et ils sont fanatisés.

Maintenant plus que jamais je vous donnerai de mes nouvelles exactement. Je m’arrête. Adieu, mon cher père.


Le lieutenant général Lamoricière au général de Castellane.


Au bivouac de Ifizet, le 30 janvier 1846.

Monsieur le Lieutenant général,

Je viens de recevoir seulement il y a trois jours la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire par le Montezuma, pour m’annoncer l’arrivée de sept cents mulets des remontes de Saint-Maixent et de Guéret. Ce renfort nous sera fort utile, surtout si ce sont des mulets courts de reins et habitués à porter. Malheureusement, on nous envoie souvent des mulets qui, fort beaux et fort bons pour le trait, ne peuvent nous rendre aucun service sous le bât. Et ce sont ces derniers qui nous manquent le plus habituellement. Ce que vous me dites de ce nouveau détachement me rassure tout à fait.

Nos effectifs, dans les corps les moins anciens en Afrique, sont toujours fort réduits. Aussi importe-t-il que de leurs dépôts en France, on leur envoie tout ce qui est en état de porter un fusil ou de monter à cheval, suivant l’arme. Vous l’avez si bien compris que vous avez été le premier à demander au ministre l’autorisation de faire embarquer les hommes du 44e et du 16e de ligne et ceux du 2e chasseurs à cheval qui étaient dans cette situation. Je les attends avec impatience et vous remercie, monsieur le lieutenant général, de cette nouvelle marque d’intérêt que vous voulez bien donner à la province d’Oran.

J’aimerais assez qu’Ibrahim-Pacha et notre ambassadeur du Maroc pussent se rencontrer à Paris. Le premier, qui marche franchement dans les eaux de la France, ne manquerait pas d’influencer en notre faveur son coreligionnaire. N’est-il pas naturel, en effet, que l’Orient se charge du soin de venir éclairer l’Occident ?

Vous me dites que les discussions sur l’Algérie seront vives, cette année, à la Chambre, qu’on se préoccupe de ce qui arriverait pour l’Afrique dans le cas d’une guerre générale, et qu’on veut demander au gouvernement au prix de quels sacrifices il serait possible de s’y établir de manière à n’être point forcés d’évacuer dans des circonstances données. Une marine plus considérable, un refuge aux îles Baléares et un vaste port à Port-Vendres seraient, sans aucun doute, de puissans auxiliaires. Mais est-ce bien là ce qui, après la conquête, peut, en tout état de cause, nous assurer la sûre possession de l’Algérie ? Je ne le pense pas. Suivant moi, on pourrait presque dire que l’avenir de l’Afrique repose sur la rapide implantation sur le sol d’une nombreuse population européenne. En effet, il y a aussi deux choses essentielles à considérer : et l’armée chargée de défendre la colonie, et la nourriture de cette armée en cas de guerre maritime.

1° Pourrons-nous toujours demander à la mère patrie toute cette armée qui, un jour venu, devrait trouver, dans la colonie même, assez de ressources pour suffire, en partie du moins, à son entretien et à son recrutement ? Le puissant concours que devront nous fournir plus tard les milices africaines permettra au gouvernement de diminuer considérablement l’effectif des troupes proprement dites. C’est dans ce sens et aussi parce que les revenus seraient plus forts que, de fait, la colonie pourra suffire presque seule à sa propre défense. Mais, pour cela, il nous faut des colons européens, car nous ne pourrons jamais avoir assez de confiance dans les indigènes, qui, au premier bruit de guerre, ne manqueraient pas de se révolter.

2° Nous devons tout faire pour retirer du pays même le blé, la viande, les fourrages, etc., nécessaires pour la nourriture de cette même armée. Les indigènes cultivent-ils assez, élèvent-ils assez de bestiaux, de chevaux, etc., pour suffire à tous nos besoins ? Non, en supposant même qu’ils soient tous bien réellement soumis et qu’ils commercent avec nous. A plus forte raison, non, dans le cas d’une guerre générale, auquel cas, je l’ai déjà dit, ils nous abandonneraient bien certainement presque tous.

Entre la conquête et l’occupation réelle, la soumission des Arabes n’a qu’une transition indispensable. Une population chrétienne agricole peut seule nous permettre d’espérer qu’il nous sera possible, un jour, de nous maintenir en Algérie, sans être pour la France une charge telle qu’elle ne pourrait peut-être la supporter, en cas de guerre européenne.

Mais cette population européenne… A-t-on fait jusqu’ici ce qu’il fallait pour l’encourager à venir se fixer parmi nous ? Non, mille fois non. Les longs retards que les colons riches ou pauvres rencontrent à Paris et à Alger les ont souvent dégoûtés et ont discrédité notre colonisation. En un mot, on n’a rien fait ou presque rien fait encore pour peupler l’Algérie, et les cent mille colons que nous avons aujourd’hui sont venus pour la plupart comme cantiniers à la suite de nos régimens, j’oserais presque dire, malgré tout ce qu’on a pu faire pour les en empêcher, et non point comme colons dans la véritable acception du mot, car il en est bien peu encore qui se livrent à la culture.

Dans les discussions qui vont avoir lieu, bien des systèmes seront mis en présence. Le plus efficace, selon moi et en conséquence de tout ce que je viens de dire, sera celui-ci que je vais résumer en peu de mots.

Tout faire pour attirer le plus promptement possible en Algérie le plus grand nombre de colons possible, les encourager eu leur donnant la terre, aussitôt et au fur et à mesure qu’ils nous arriveront. Leur fournir, — attendu que pendant la première année ils ne peuvent rien récolter et qu’ils sont obligés de se construire des abris, — une sorte de première mise, soit en numéraire, soit en vivres, soit en matériaux, dont la quotité et le mode de versement seraient fixés par une ordonnance royale. Quelque chose d’analogue, mais avec des inconvéniens qu’il faudrait éviter, a déjà été employé dans quelques villages civils des environs d’Alger. Je voudrais que ce fût un système adopté en principe et mis partout en pratique et pour lequel les Chambres voteraient annuellement des fonds.

Je vous demande pardon, monsieur le lieutenant général, de vous entretenir si longuement d’une opinion qui m’est personnelle. Vous m’avez mis sur la voie, et je n’ai pu résister au désir de vous faire connaître ma pensée sur une question que je n’ai pas la vanité de juger mieux que personne, mais que j’ai la prétention d’avoir étudiée autant que qui que ce soit au monde.


La collection de journaux que vous avez bien voulu m’envoyer, comme toujours, nous donne amplement de quoi lire depuis huit jours et nous fait fort agréablement passer les loisirs, peu nombreux d’ailleurs, que nous laissent Abd-el-Kader et toutes les tribus qu’il avait soulevées. Ces dernières, qui sont sans cesse entre l’enclume et le marteau, commencent à comprendre qu’elles ont été trompées et qu’elles ont tout avantage à nous rester fidèles. Aussi nous sont-elles revenues pour la plupart ; elles ont repris leurs cultures et nous seront soumises jusqu’à ce qu’un accès de fanatisme vienne encore une fois leur faire perdre la raison.

Abd-el-Kader, chassé du Tell, s’est réfugié sur les hauts plateaux. Il est en ce moment dans le sud de la province d’Alger. Nous attendons qu’il dessine son mouvement, car si sa Daïra le rappelle au Maroc, il ne doit pas, dans son intérêt, négliger d’aller se faire voir dans l’ouest de la province de Constantine où Ben-Salem soutient toujours sa cause. Nous travaillons à lui rendre hostiles toutes nos tribus, à lui fermer les portes du pays à blé et à le forcer d’aller, faute de vivres, retrouver tout le monde qu’il a laissé dans la Moulouya.

Somme toute, notre situation s’améliore sensiblement. Peu à peu les traces de la dernière insurrection disparaissent, et nous avons tout lieu d’espérer qu’un moment de calme succédera à la crise dont nous sommes à peine sortis.

Veuillez agréer, etc.


Le colonel Le Flô au général de Castellane.


Au bivouac, sur l’Oued Djenan, est d’Alger, le 17 mars 1846.

J’ai quitté avant-hier, sur l’Oued Zeghroua, à vingt-cinq lieues au sud-ouest d’Alger, votre fils Pierre et je l’ai laissé aussi bien portant que vous pouvez le souhaiter. C’est un officier parfaitement posé dans son régiment, bon, spirituel et brave, et que j’ai rencontré avec grand plaisir, me rappelant toujours avec bonheur vos anciennes bontés pour moi. Permettez-moi de vous complimenter à son sujet et à l’occasion de la décoration qu’il vient d’obtenir et qu’il avait noblement gagnée dans plus d’un combat très vif, et laissez-moi espérer aussi, mon général, que m’étayant ainsi d’une de vos plus chères préoccupations, vous ne songerez pas que j’ai été négligent bien longtemps, bien contre mon gré, je vous assure, et que vous m’accueillerez encore avec votre bienveillance d’autrefois.

Depuis un an j’ai rejoint à Mostaganem le 32e de ligne dont j’avais été nommé colonel au mois d’octobre 1844, et, confiant dans une situation que tous les rapports de l’armée s’accordaient à représenter comme si prospère, j’ai fait la folie d’emmener en Afrique ma femme et ma petite famille qui s’y est augmentée d’une fille née au mois de décembre dernier. J’avais conçu de cet événement prévu et de la réunion de mes plus précieuses affections de grandes espérances de bonheur, mais les événemens du mois de septembre les ont détruites en partie, et les complications politiques et militaires, qui en ont été la suite, les ont changées en de bien douloureuses inquiétudes.

Votre fils, mon général, bien plus que les journaux, si mauvais appréciateurs de notre situation générale, et bien plus surtout que les rapports et les bulletins inexacts, a dû vous tenir au courant du véritable état des malheureuses affaires d’Afrique. À aucune époque, depuis 1830, cet état n’a été moins rassurant, et il l’est devenu d’autant moins dans ces derniers temps, qu’il n’est plus possible de prévoir désormais quelle sera l’issue de la crise. Tant qu’on a pu songer qu’une question aussi vaste, aussi complexe que celle de l’Algérie pouvait se résoudre par une guerre heureuse et, par conséquent, par une force déterminée de l’armée, un espoir quelconque était permis. Mais il aurait fallu pour cela un plan, un système, une seule idée arrêtée au moins, et voilà ce qui manque malheureusement, et pour l’honneur de la France, et pour l’honneur d’une armée réduite, malgré ses qualités, malgré son courage et son dévouement, à un excès de misère que nul, sans doute, en dehors d’elle ne soupçonne.

Un seul exemple vous donnera une faible appréciation du désordre dans lequel elle est tombée et du mépris coupable qu’on a fait de ses moindres besoins, de ses premiers intérêts. Je puise cet exemple dans le régiment même que je commande et qui, tout entier, me rendra certes la justice de dire que je n’ai pas manqué une minute à la sollicitude que je lui devais, à l’accomplissement de tous mes devoirs de chef de corps, et que je n’ai cessé de poursuivre de mes réclamations, aussi convenables qu’énergiques, une situation meilleure. Voici cette situation : Deux bataillons, sortis de Mostaganem le 16 septembre 1845, sont avec moi en ce moment dans le sud-est de la province d’Alger, sans qu’il m’ait été possible de renouveler un seul de leurs effets d’habillement. Quatre cent vingt-trois hommes forment aujourd’hui la totalité des disponibles de ces deux bataillons dont l’effectif est de plus de douze cents, et ces hommes tombent littéralement de lassitude et d’épuisement. Les plus heureux ont conservé des haillons de pantalons ; un bon nombre en a fait des sacs de campement ; et quelques-uns n’ont plus que des caleçons. Grâce à des emprunts faits à des Juifs et à des cantiniers, grâce à deux mille francs dont j’ai pu disposer moi-même, j’ai pu aligner à peu près la solde de la troupe jusqu’au mois de mars. Là se sont arrêtées mes ressources. Quant aux officiers, leur dénuement est inimaginable.

Mais, mon général, je passe à mon 3e bataillon, détaché dans la subdivision de Mascara au mois de janvier 1845 ; il a été envoyé à cette époque sur la limite du Tell pour y travailler à une route dite de ceinture, et les événemens de septembre l’y ont trouvé. Depuis lors, ballotté d’une colonne à une autre colonne, passant successivement aux ordres d’une multitude de chefs, sans que jamais, un seul jour, il m’ait été possible de le rencontrer, ne touchant jamais à aucun point de ravitaillement, il est parvenu à ceci : que, depuis quatorze mois, il est au bivouac ; que, depuis quatre trimestres complets, l’habillement lui est dû ; que les officiers n’ont pas reçu d’appointemens depuis trois mois et demi ; que le prêt est dû à la troupe depuis le 25 décembre, et que, depuis deux mois, officiers et soldats sont réduits aux simples rations réglementaires, faute d’argent pour acheter des vivres d’ordinaire. Dans ce moment, ce malheureux bataillon court littéralement nu, dans le Sud, à la suite de M. le général Iousouf, qui me le rendra sans doute dans le même état qu’il a déjà rendu toutes les cavaleries qui lui ont été confiées, — mortes ou à peu près.

Un pareil état n’a pas besoin d’être commenté. Tout y est en péril évidemment : la discipline, la police, l’administration, l’esprit de corps, toutes les choses enfin qui constituent un régiment ou une armée et dont l’absence doit amener la ruine.

Et encore, mon général, ce que je viens de vous dire n’est-il qu’un détail ; il faudrait voir par vous-même cette misérable armée d’Afrique dispersée en mille colonnes particulières, dont toutes les troupes sont distraites du commandement de leurs chefs naturels pour être placées sous les ordres, ici, du chef d’état-major général dont les fonctions ne sont plus remplies ; là, sous ceux de l’aide de camp de M. le Gouverneur. Que sais-je encore ? Il faudrait voir par vous-même toute notre cavalerie détruite sans avoir obtenu un résultat, observer dans chaque colonne cette bigarrure d’uniformes et cette confusion de numéros qui mêle ensemble, par exemple, dans un poste de Médéah, un soldat du 13e léger d’Alger, un soldat du 13e de Mascara et un chasseur du 19e léger de Sétif ; ce pêle-mêle de toutes choses enfin qui nous menace de ruine et qui a jeté le dégoût et le découragement dans les cœurs les plus énergiques et les plus dévoués. Je vous assure que c’est un spectacle profondément affligeant et humiliant pour des hommes de cœur, et je le répète pour l’honneur de la France, pour l’honneur de l’armée ; il est urgent qu’on porte remède à un mal si grave. Il ne s’agit plus d’une augmentation d’armée qui finirait par nous frapper de ridicule par la pensée qu’elle donnerait de notre impuissance : deux cent mille hommes, d’ailleurs, viendraient s’engloutir ici dans le même gouffre où se perdent les cent mille d’à présent.

Ce qu’il faut en Afrique, c’est un plan, un système, c’est de la probité, la moralité du commandement, l’ordre dans l’armée, une direction générale. C’est le respect des droits, l’observation des principes, des règlemens militaires, toutes choses qu’on a mises au néant. Et ne croyez pas, mon général, que j’exagère rien ! Tout est malheureusement trop vrai. Dieu veuille que des inspecteurs généraux soient envoyés de France cette année et que le gouvernement puisse être éclairé ainsi. C’est le vœu de tout ce qui conserve le sentiment de ses devoirs et de la dignité de notre noble profession.

Pardonnez-moi, mon général, de m’être laissé entraîner ainsi au-delà peut-être des limites d’une modération nécessaire ; mais je souffre, comme tous mes camarades, d’une guerre insensée qui, au lieu d’honneur, ne nous rapporte que confusion et misère. Je souffre de mon impuissance de chef vis-à-vis de tant de besoins auxquels je voudrais satisfaire, croyez-le bien ! je ne manque ni d’énergie, ni de courage, ni de dévouement. J’aime l’Afrique et j’aime mon état surtout, avec passion, je l’ai aimé toute ma vie et je l’aime encore plus aujourd’hui par reconnaissance des bénéfices honorables qu’il m’a apportés. C’est pour cela que je voudrais voir notre armée glorieuse fortement constituée et mise en état, afin de terminer une guerre devenue ridicule du moment que la véritable résistance de l’ennemi a cessé. Est-il honorable, en effet, de voir une armée de 90 000 hommes tenue en échec par un partisan à la tête de 500 chevaux ? Et est-il possible, en présence d’un pareil fait, de convenir que le rôle de cette armée a continué d’être honorable ? Non, évidemment. Et pourtant, mon général, quels élémens admirables dans notre armée ! Quels braves et bons soldats ! Combien d’abnégation chez eux et de qualités attachantes ! Quels officiers dignes, faciles à conduire et pleins de patriotisme véritable et d’excellens sentimens !

Je termine, mon général, encore une fois pardonnez-moi et permettez-moi d’espérer que vous, dont je respecte tant le caractère, vous dont les nobles leçons ont commencé à former mes idées militaires, vous qui m’avez appris à honorer notre profession, vous accueillerez avec indulgence les plaintes (qui me sont échappées.

Dans quelque temps, peut-être, pourrai-je avoir l’honneur de vous adresser un mémoire que je m’occupe à rédiger et qui a pour sujet : Des causes principales qui rendent impuissans les efforts de notre armée en Afrique et des moyens d’arriver à la fin de la guerre et à la domination complète du pays.

Selon moi, je puis vous le dire dès à présent, les deux causes principales de cette impuissance tiennent à la dispersion extravagante de notre armée, divisée en une multitude de petites colonnes sans lien, sans force, manœuvrant au hasard, et aussi à l’absence de grands établissemens militaires destinés à servir de centres particuliers d’opérations et à former, dans leur ensemble, une base générale de manœuvres. Le développement de cette double proposition m’amène à demander que l’année d’Afrique soit maintenue, pendant un nombre d’années déterminé, à un chiffre de soixante-dix ou soixante-quinze mille hommes, vingt-cinq mille de moins qu’à présent. Et je pense que ce chiffre pourrait être réduit, après trois ou quatre années, à soixante mille hommes. J’espère que les circonstances me permettront d’achever mon travail, et je serai heureux de pouvoir vous l’adresser avant tout le monde.

Veuillez agréer, etc.


Le colonel Canrobert au général de Castellane.


Batna, le 2 avril 1848.

Mon général,

Je viens de recevoir la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire sous la date du 5 mars. Je connaissais le noble exemple que vous aviez donné à l’armée française, en conservant pures les armes des soldats qui avaient le bonheur d’être sous vos ordres à l’époque des événemens de Février. Pourquoi donc, mon général, n’avez-vous pu faire passer votre énergie dans l’âme de tous les chefs de notre armée ? Nos fronts de soldats n’auraient pas eu à rougir de honte. Je ne puis m’accoutumer à la pensée que nos régimens se sont laissé désarmer !

La mesure qui vous frappe, mon général, ne saurait être de longue durée, vous êtes trop nécessaire à l’armée pour en rester éloigné pendant trop longtemps et les gouvernans de la France, quels qu’ils soient, s’ils aiment l’honneur et la gloire de leur patrie, ne peuvent la priver de vos éminens services[5].

Je suis toujours à la tête de la subdivision de Batna et de mon régiment. Nous attendons avec calme notre future destinée. Les soldats sous mes ordres sont parfaits de discipline et d’obéissance dévouée.

Daignez agréer, mon général, l’expression de la respectueuse et reconnaissante affection de votre dévoué serviteur.

  1. Mme la comtesse de Beaulaincourt, après avoir publié le Journal du maréchal de Castellane, son père, va faire prochainement paraître deux volumes de lettres à lui adressées, de 1835 à 1862, par quelques-uns des officiers qui avaient servi sous ses ordres. Les lettres que nous offrons à nos lecteurs sont extraites du premier de ces deux volumes, et se rapportent toutes à la conquête ou à l’organisation de notre colonie d’Algérie. Quelques-unes sont signées de noms devenus plus tard illustres, mais les moins intéressantes ne sont pas celles qui sont signées de noms plus obscurs ; et on le verra bien dans les trop rares extraits que nous en donnons. Dans leur ensemble, elles offrent ce grand intérêt que, si l’on ne saurait dire précisément qu’elles renouvellent l’histoire de la conquête de l’Algérie, elles en éclairent toutefois plusieurs points d’une lumière assez inattendue. Il nous a semblé qu’elles contenaient aussi quelques leçons dont l’application se faisait d’elle-même à ce qui se passe de nos jours dans cette France extérieure, plus grande et plus lointaine, qui est la France coloniale. Et enfin, quoique le Maréchal n’y prenne lui-même jamais la parole, il suffira d’observer comment ses anciens subordonnés lui écrivent — de quel ton de respect, de confiance et d’affection — pour voir sa vraie physionomie se dégager de cette Correspondance. La manière dont on nous écrit ne témoigne pas moins éloquemment pour nous que la manière même dont nous écrivons.
  2. Mazapran.
  3. Le Duc d’Orléans.
  4. Le duc de Nemours.
  5. Le 3 mars 1848, le général de Castellane avait été mis en disponibilité par le Gouvernement provisoire et remplacé à Rouen par le général Ordener.