Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/22

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VINGT-DEUXIÈME LETTRE.


Le Caire, le 15 septembre 1829.

Nous voici de retour dans la capitale de l’Égypte, où je ne trouve ni lettres ni nouvelles d’Europe. Je me hâterai de descendre à Alexandrie : je suis retenu au Caire par une visite que je dois faire à Ibrahim-Pacha, dont je suis désireux de faire la connaissance. Je puis, dans une conversation, laisser dans sa tête le germe de quelques bonnes choses[1], et il est capable de les exécuter.

Je n’ai pas oublié le musée égyptien du Louvre dans mes explorations ; j’ai recueilli des monuments de tout volume, et les plus petits ne seront pas les moins intéressants. En objets de gros volume, j’ai choisi sur des milliers trois ou quatre momies remarquables par des décorations particulières, ou portant des inscriptions grecques ; ensuite, le plus beau bas-relief colorié du tombeau royal de Ménephtha Ier (Ousireï), à Biban-el-Molouk ; c’est une pièce capitale qui vaut à elle seule une collection : il m’a donné bien du souci et me fera certainement un procès avec les Anglais d’Alexandrie, qui prétendent être les propriétaires légitimes du tombeau d’Ousireï, découvert par Belzoni aux frais de M. Salt. Malgré cette belle prétention, de deux choses l’une : ou mon bas-relief arrivera à Toulon, ou bien il ira au fond de la mer ou du Nil, plutôt que de tomber en des mains étrangères. Mon parti est pris là-dessus.

J’ai acquis au Caire, de Mahmoud-Bey le Kihaïa, le plus beau des sarcophages présents, passés et futurs ; il est en basalte vert, et couvert intérieurement et extérieurement de bas-reliefs ou plutôt de camées travaillés avec une perfection et une finesse inimaginables[2]. C’est tout ce qu’on peut se figurer de plus parfait dans ce genre ; c’est un bijou digne d’orner un boudoir ou un salon, tant la sculpture en est fine et précieuse. Le couvert porte, en demi-relief, une figure de femme d’une sculpture admirable. Cette seule pièce m’acquitterait envers la maison du roi, non sous le rapport de la reconnaissance, mais sous le rapport pécuniaire ; car ce sarcophage, comparé à ceux qu’on a payés 20 et 30 mille francs, en vaut certainement cent mille.

Le bas-relief et le sarcophage sont les deux plus beaux objets égyptiens qu’on ait envoyés en Europe jusqu’à ce jour. Cela devait de droit venir à Paris et me suivre comme trophée de mon expédition ; j’espère qu’ils resteront au Louvre en mémoire de moi à toujours.

  1. Cette vue, toute d’utilité publique, n'était pas illusoire. Dans une longue conférence, Champollion fit comprendre à Ibrahim combien il se ferait honneur en protégeant efficacement le voyage pour la découverte des sources du Nil. Ibrahim s’attacha vivement à ce projet dont il voulait s’assurer tout l'honneur : il paraissait très-désireux d’obtenir, par le succès d'une telle entreprise, les suffrages de l’Europe savante. D’autres vu l'ont aujourd’hui détourné des sources du Nil. C. F.
  2. Ce sarcophage, ouvrage admirable en effet, ainsi que le bas-relief colorié détaché du tombeau de Ménemphtha Ier, sont heureusement arrivés au Musée égyptien du louvre. C. F.