Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/28
C’est aujourd’hui que je comptais recouvrer ma liberté, perdre mon titre de pestiféré, dire adieu au lazaret et bonjour aux rues d’une ville française. Le conseil de santé en a jugé autrement ; considérant que l’Astrolabe, avant de nous prendre à Alexandrie, était allée mettre M. de Malivoir, consul d’Alep, à Latakié, sur la côte de Syrie, où un canot l’avait déposé, l’Astrolabe ayant ensuite mis à la voile pour retourner en Égypte, ledit conseil a augmenté notre quarantaine de dix jours de plus, en nous considérant comme provenance brute. Cette décision malencontreuse aura son cours, parce que ces messieurs l’ont jugé ainsi selon leur bon plaisir. L’Égypte, depuis cinq ans, n’a pas vu de peste ; l’état sanitaire de Latakié était parfait ; le canot seul avait touché terre ; quarante jours et plus s’étaient écoulés, à notre entrée en rade de Toulon, depuis le départ de l’Astrolabe de devant Latakié ; aucune maladie ne s’était montrée à bord ; vingt autres jours de quarantaine à Toulon, expirés hier 13, ajoutés aux quarante précédents, donnent deux mois d’épreuve à la santé de l’équipage ; et quand même, on en exige encore dix de plus ! Le plus plaisant, s’il y a le mot pour rire dans un tel acte, c’est que le brick l’Éclipse, avec les officiers et les passagers duquel nous avons vécu tous les jours bras dessus bras dessous à Alexandrie, est arrivé trois jours avant nous à Toulon, et n’a été soumis qu’à vingt jours de quarantaine. Si nous avions la peste, les personnes de l’Éclipse doivent l’avoir prise de nous ; s’ils sont déclarés sains, c’est que nous le sommes nous-mêmes. Tout cela ne m’a pas semblé très-rationnel, surtout quand il en résulte un supplément de quarantaine.
Je vais écrire à M. le duc de Blacas, puisqu’il est de retour à Paris. J’espère qu’il aura reçu les deux lettres que je me suis fait un devoir de lui adresser, la première de Thèbes, en remontant le Nil, et la seconde après avoir quitté la seconde cataracte ; je donne dans celle-ci une idée générale de mes conquêtes historiques en Nubie, et c’est à M. le duc de Blacas que j’en devais le premier hommage.
Cette lettre-ci te parviendra par M. le ministre de la marine, auquel je viens d’adresser quelques renseignements importants qu’il m’a demandés au sujet du transport de l’obélisque de Louqsor. Dieu veuille que cette belle entreprise s’achève ! cela serait glorieux pour tous et pour tout.
Rien de plus. Le lazaret est le pays de l’uniformité. Ma santé et celle de Salvador sont excellentes, malgré les vents, la pluie et la neige, et l’impossibilité d’avoir du feu à bord ; mais je passe une partie de la journée dans une mauvaise chambre du lazaret, où je puis faire du feu. Quelle opposition que ce mortel hiver avec nos cinquante degrés d’Ibsamboul ! Vous n’êtes pas mieux traités à Paris, et j’en grelotte d’avance ; mais enfin ce sera à Paris… Adieu.