Lettres (Musset)/27

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LettresCharpentierŒuvres complètes d’Alfred de Musset. Tome X (p. 327-328).


XXVII

À M. ALFRED TATTET.


Je vous remercie de votre lettre, mon cher ami. Il ne nous est rien arrivé, à mon frère ni à moi, que beaucoup de fatigue. À l’instant où je vous écris, je quitte mon uniforme que je n’ai guère ôté depuis l’insurrection. Je ne vous dirai rien des horreurs qui se sont passées ; c’est trop hideux.

Au milieu de ces aimables églogues, vous comprenez que le pauvre oncle Van Buck est resté dans l’eau[1]. Il avait pourtant réussi, et je puis dire complètement, — sans exagération. C’était justement la veille de l’insurrection ; j’avais encore trouvé une salle toute pleine et bien garnie de jolies femmes, de gens d’esprit ; un parterre excellent pour moi, de très bons acteurs, enfin tout pour le mieux. J’ai eu ma soirée. Je l’ai prise, pour ainsi dire, au vol. Après la pièce, on a redemandé tous les acteurs et même l’auteur, qui, vous le pensez bien, n’a pas paru. — Le lendemain, bonjour ! acteurs, directeur, auteur, souffleur, nous avions le fusil au poing, avec le canon pour orchestre, l’incendie pour éclairage et un parterre de vandales enragés. La garde mobile a été si belle, si admirablement intrépide, que ce seul spectacle, heureusement, nous a donné encore de bons battements de cœur. C’étaient presque tous des enfants. Je n’ai jamais rien rêvé de pareil. — Mille amitiés respectueuses à madame Tattet. — Je vous écris à la hâte et vous serre la main de tout cœur.

Alf. M.
1er juillet 1848.
  1. Il ne faut jurer de rien, comédie en trois actes, représentée au Théâtre-Français le 22 juin 1848.