Lettres (Spinoza)/XXXIX. Spinoza à L. Meyer
Œuvres de Spinoza, tome 3, Charpentier, 1861 [nouvelle édition], III (p. 458-459).
Lettre XXXIX
À MONSIEUR LOUIS MEYER S. P. D.,
B. DE SPINOZA.
MON EXCELLENT AMI,
Je vous renvoie par notre ami de Vries 2 la Préface 3 dont vous l’aviez chargé pour moi. J’ai mis quelques notes à la marge, très-peu, comme vous verrez ; aussi me reste-t-il à en ajouter quelques-unes que j’ai mieux aimé confier à une lettre. 1° Vous expliquez au lecteur, page 4, à quelle occasion j’ai composé la première partie de mon ouvrage ; je voudrais qu’à cet endroit, ou dans tel autre qu’il vous plaira, il fût dit aussi que je l’ai composée en deux semaines 4, personne alors ne devant s’attendre à trouver dans cet écrit le plus haut degré de clarté qu’on puisse exiger, et j’espère aussi qu’on ne se laissera pas arrêter par un ou deux passages obscurs qui pourront se rencontrer çà et là. 2° Je voudrais encore que le lecteur fût averti que j’ai démontré plusieurs choses d’une autre façon que Descartes, non certes pour corriger Descartes, mais seulement pour être plus fidèle à l’ordre que je me suis tracé, et pour ne pas accroître le nombre des axiomes ; et c’est aussi pourquoi j’ai dû démontrer plusieurs choses que Descartes se borne à proposer sans démonstration, et en ajouter d’autres qu’il a cru pouvoir omettre 5. Enfin, mon très-cher ami, je vous supplie instamment de supprimer tout ce que vous avez dit contre le personnage en question et de n’en laisser subsister aucune trace 6. Entre beaucoup de raisons qui m’engagent à agir de la sorte, je ne vous en dirai qu’une, c’est que je voudrais voir tout le monde persuadé que notre publication est faite pour le bien de tous les hommes, que vous n’êtes poussé à imprimer ce petit livre que par le seul désir de propager la vérité, et dès lors que votre principal soin, c’est de rendre cet opuscule agréable à tous, d’encourager les hommes avec bienveillance et douceur à l’amour de la véritable philosophie, de travailler enfin à l’utilité commune. Et c’est ce que chacun sera disposé à croire quand il verra que personne n’est attaqué dans mon écrit et qu’on n’y trouve rien qui puisse faire la moindre peine à qui que ce soit. Que si plus tard notre homme ou quelqu’un de ses pareils s’avise de faire éclater sa malveillance, il sera temps alors pour vous de dévoiler sa vie et ses mœurs, et le public vous applaudira. Je vous demande donc de vouloir bien attendre jusque-là ; ne me refusez pas, de grâce, et croyez-moi toujours,
Votre bien dévoué de tout cœur,
B. DE SPINOZA.
Woorburg, 3 août 1663.
Notre ami de Vries m’avait promis de vous porter cette lettre ; mais comme il ne sait plus maintenant quand il vous reviendra, je me sers d’un autre intermédiaire. Je vous envoie par la même occasion une partie du Scholie de la Proposition 27, partie 2, au commencement de la page 75. Veuillez la faire passer à qui de droit pour qu’on l’imprime de nouveau. - Il est nécessaire que cela soit imprimé une seconde fois, et il faut ajouter 14 ou 15 règles qui peuvent s’intercaler aisément.