Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 183

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 383-384).

183. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

À Paris, dimanche au soir 15 décembre 1676. •

Que ne vous dois-je point, ma chère enfant, pour tant de peines, de fatigues, d’ennuis, de froid, de gelée, de frimas, de veilles ? Je crois avoir souffert toutes ces incommodités avec vous ; ma pensée n’a pas été un moment séparée de vous, je vous ai suivie partout, et j’ai trouvé mille fois que je ne valais pas l’extrême peine que vous preniez pour moi, c’est-à-dire par un certain côté ; car celui de la tendresse et de l’amitié relève bien mon mérite à votre égard. Quel voyage, bon Dieu ! et quelle saison ! vous arriverez précisément le plus court jour de l’année, et par conséquent vous nous ramènerez le soleil. J’ai vu une devise qui me conviendrait assez ; c’est un arbre sec, et comme mort, et autour ces paroles : Fin che sol ritorni. Qu’en dites-vous, ma fille ? Je ne vous parlerai donc point de votre voyage, nulle question là-dessus ; nous tirerons le rideau sur vingt jours d’extrêmes fatigues, et nous tacherons de donner un autre cours aux petits esprits, et d’autres idées à votre imagination. Je n’irai point à Melun ; je craindrais de vous donner une mauvaise nuit, par une dissipation peu convenable au repos : mais je vous attendrai à dîner à Villeneuve-Saint-Georges ; vous y trouverez votre potage tout chaud ; et, sans faire tort à qui que ce puisse être, vous y trouverez la personne du monde qui vous aime le plus parfaitement. L’abbé vous attendra dans votre chambre bien éclairée, avec un bon feu. Ma chère enfant, quelle joie ! puis-je en avoir jamais une plus sensible ?

N. B. Madame de Grignan arriva à Paris le 22 décembre 1676, et elle ne retourna en Provence qu’aie mois de juin 1677.