Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 199

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 411-412).

199. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.[modifier]

À Livry, ce 23 août 1678.

Où est donc votre fils, mon cousin ? pour le mien il ne mourra jamais, puisqu’il n’a pas été tué dix ou douze fois auprès de Mons. La paix étant faite et signée le 9 août[1], M. le prince d’Orange a voulu se donner le divertissement de ce tournoi. Vous savez qu’il n’y a pas eu moins de sang répandu qu’à Senef. Le lendemain du combat, il envoya faire ses excuses à M. de Luxembourg, et lui manda que s’il lui avait fait savoir que la paix était signée, il se se rait bien gardé de le combattre. Cela ne vous paraît-il pas ressembler à l’homme qui se bat en duel à la comédie, et qui demande pardoii à tous les coups qu’il donne dans le corps de son ennemi ?

Les principaux officiers des deux partis prirent donc dans une conférence un air de paix, et convinrent de faire entrer du secours dans Mons. Mon fils était à cette entrevue romanesque. Le marquis de Grana demanda à M. de Luxembourg qui était un escadron qui avait soutenu, deux heures durant, le feu de neuf de ses canons, qui tiraient sans cesse pour se rendre maîtres de la batterie que mon fils soutenait. M. de Luxembourg lui dit que c’étaient les gendarmes-Dauphin, et que M. de Sévigné, qu’il lui montra là présent, était à leur tête. Vous comprenez tout ce qui lui fut dit d’agréable, et combien, en pareille rencontre, on se trouve payé de sa patience. Il est vrai qu’elle fut grande ; il eut quarante de ses gendarmes tués derrière lui. Je ne comprends pas comment on peut revenir de ces occasions si chaudes et si longues, où l’on n’a qu’une immutabilité qui nous fait voir la mort mille fois plus horrible que quand on est dans l’action, et qu’on s’occupe à battre et à se défendre.

Voilà l’aventure de mon pauvre fils ; et c’est ainsi que l’on en usa le propre jour que la paix commença. C’est comme cela qu’on pourrait dire de lui plus justement qu’on ne disait de Dangeau : Si la paix dure dix ans, il sera maréchal de France.


  1. D’Avrigny dit le 11.