Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 248

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 517-519).

248. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ À Mme  DE ORIGNAL.[modifier]

Aux Rochers, mercredi 29 novembre 1684.

Je vous vois, je vous plains : vous avez envie de m’écrire, vous avez bien des choses à me dire ; mais madame de Lavardin, qui ne s’en soucie point du tout, dîne à dix heures pour ne point vous manquer ; puis madame de Lamoignon, puis M. de Lamoignon : oh ! pour celui-là, il devait vous faire oublier votre écriture et votre écritoire ; enfin, voilà l’heure qui presse ; tout est perdu si je w’ecris point à ma mère ; et vous avez raison, mon enfant, il faut que nécessairement j’en reçoive peu ou prou, comme on dit ; il faut que je voie pied ou aile de ma chère fille ; et nul ordinaire ne se peut passer sans qu’elle me donne cette consolation : c’est ma vie, c’est manger, c’est respirer ; mais ce qu’il faut faire quand vous êtes attrapée comme samedi, c’est ce que vous avez dit : écrivez deux pages, et, sans finir, envoyez-les-moi, et achevez le reste à loisir : j’entendrai fort bien cette manière de précipitation ; et je vous prie même, ma très-chère, de ne point vous suffoquer de faire réponse à mes lettres infinies ; songez que je cause, et que je ne suis point du tout accablée de visites ; j’ai tout le temps qu’il me faut et au delà, et c’est par pitié de vous que je les finis ; car si j’en avais autant de moi, je ne les finirais point : laissez-moi donc discourir tant que je voudrai, et ne vous amusez point à parcourir les articles ; parlez-moi de vous, de vos affaires, de ce que vous dites à ceux que vous aimez ; tout est sûr, rien ne se voit, rien ne retourne, et c’est justement cela qui me touche, et qui fait ma curiosité et mon attention. Vous avez à me redresser sur Versailles : ne souffrez point que je sois de travers sur votre sujet. Madame de la Fayette vous en parle-t-elle ? Dites-moi aussi ce qu’est de venue cette Guadiana ; il me semble qu’elle est longtemps sans reparaître. Vous me faites un grand plaisir d’avoir chassé la princesse Olympie[1] de l’hôtel de Carnavalet, je n’aime point cette personne ; j’aime bien mieux une bonne petite prestance qui est toute propre à représenter la duchesse de Grignan : c’est ainsi que Coulanges vous nomme dans ses lettres, tout sérieusement, sans hésiter, ni sans dire quelle mouche l’a piqué ; j’en ai ri, et je voudrais que cette folie vous portât, bonheur. Il est enragé après cette pauvre Cuverdan[2], c’est une Furie, -et et c’est une injustice dont il rendra compte à Dieu ; car cette pauvre femme dit mille biens de lui ; et, tout bien compté, tout rabattu, il n’y a personne en Bretagne qui ait un si bon cœur et de si nobles sentiments : le voilà qui rit et se moque de moi ; je n’en suis point la dupe, point du tout ; je ne suis point aveuglée, point du tout ; mais je trouve que chacun a ses défauts ; et que celui qu’elle a n’est qu’une incommodité en comparaison de ceux qui ont les parties nobles attaquées : cependant je suis une friponne, et je pâme de rire des folies et des visions de Coulanges ; mais je n’y réponds point, parce que je craindrais qu’un crapaud ne me vînt sauter sur le visage, pour me punir de mon ingratitude. Je n’ai jamais vu des soins et des amitiés comme ceux de M. et de madame de Coulanges pour moi, c’est le parfait ménage à mon égard ; leurs lettres sont agréables d’une manière fort différente. Je fus hier dîner chez la princesse ; j’y laissai la bonne Marbeuf : voici comme votre mère était habillée, une bonne robe de chambre bien chaude, que vous avez refusée, quoique fort jolie ; et cette jupe violette, or et argent, que j’appelais sottement un jupon, avec une belle coiffure de toutes cornettes de chambre négligées ; j’étais en vérité fort bien : je trouvai la princesse tout comme moi ; cela me rassura sur l’oripeau. Dites-moi un mot de vos habits ; car il faut fixer ses pensées et donner des images. Nous causâmes fort des nouvelles présentes. La princesse de Bade vient par Angers, dont elle est ravie : elle a un cuisinier admirable, mais elle est bien aise de ne pas le mettre en œuvre dans de grandes occasions. Vous me de mandiez l’autre jour des nouvelles de quelqu’un : je vous en demande de Corbinelli ; il y a plus de quinze jours que je n’ai vu de son écriture, il y avait plus de trois semaines que je n’en avais vu auparavant : il abuse de la liberté d’être irrégulier : son neveu revient-il ? Je lui ai conseillé de le mander. Adieu, ma très-chère et très-aimable, je ne puis me représenter d’amitié au delà de celle que je sens pour vous ; ce sont des terres inconnues.


  1. Allusion à la pâleur et à rabattement de la princesse Olympie, lorsqu’elle se vit trahie par Birène.
  2. Madame de Marbeuf.