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Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 308

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 635-636).

308. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. LE DUC DE CHAULNES.

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A Grignan, le 15 mai 1691.

Mais, mon Dieu, quel homme vous êtes, mon cher gouverneur ! on ne pourra plus vivre avec vous ; vous êtes d’une difficulté pour ïe pas, qui nous jettera dans de furieux embarras. Quelle peine ne donnâtes-vous point l’autre jour à ce pauvre ambassadeur d’Espagne ? Pensez- vous que ce soit une chose bien agréable de reculer tout le long d’une rue ? Et quelle tracasserie faites-vous encore à celui de l’empereur sur les franchises ? Ce pauvre sbirre si bien épousseté en est une belle marque[1] ; enfin, vous êtes devenu tellement pointilleux, que toute l’Europe songera à deux fois comme elle se devra conduire avec Votre Excellence. Si vous nous apportez cette humeur, nous ne vous reconnaîtrons plus. Parlons maintenant de la plus grande affaire qui soit à la cour. Votre imagination va tout droit à de nouvelles entreprises ; vous croyez que le roi, non content de Mons et de Nice, veut encore le siège de Namur : point du tout ; c’est une chose qui a donné plus de peine à Sa Majesté et qui lui a coûté plus de temps que ses dernières conquêtes ; c’est la défaite des fontanges à plate couture : plus de coiffures élevées jusques aux nues, plus de casques, plus de rayons, plus de bourgognes, plus de jardinières : les princesses ont paru de trois quartiers moins hautes qu’à l’ordinaire ; on fait usage de ses cheveux, comme on faisait il y a dix ans. Ce changement a fait un bruit et un désordre à Versailles qu’on ne saurait vous représenter. Chacun raisonnait à fond sur cette matière, et c’était l’affaire de tout le monde. On nous assure que M. de Langlée a fait un traité sur ce changement pour envoyer dans les provinces : dès que nous l’aurons, monsieur, nous ne manquerons pas de vous l’envoyer ; et cependant je baise très-humblement les mains de Votre Excellence.

Vous aurez la bonté d’excuser si ce que j’ajoute ici n’est pas écrit d’une main aussi ferme qu’auparavant : ma lettre était cachetée, et je l’ouvre pour vous dire que nous sortons de table, où, avec trois Bretons de votre connaissance, MM. du Cambout, de Trévigni et du Guesclin, nous avons bu à votre santé en vin blanc, le plus excellent et le plus frais qu’on puisse boire ; madame de Grignan a commencé, les autres ont suivi : la Bretagne a fait son devoir ; à la santé de M. l’ambassadeur, à la santé de madame la duchesse de Chaulnes ! tope à notre cher gouverneur, tope à la grande gouvernante ! Monsieur, je vous fais raison. Enfin, tant a été procédé, que nous l’avons portée à M. de Coulanges ; c’est à lui de répondre.


  1. Voir le journal manuscrit de Dangeau, 31 juillet 1891. M. de Chaulnes était ambassadeur à Rome.