Lettres d’Helvétius

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Lettres d’Helvétius
Œuvres complètes d’HelvétiusP. Didottome 14 (p. 7-109).

LETTRES
D’HELVÉTIUS.


LETTRE I.

À Voltaire

C’est avec la plus grande reconnoissance, mon illustre maître, que j’ai reçu votre épître, et avec le plus grand plaisir que je l’ai lue. Je vais mettre vos leçons en pratique. J’envoie paître les cagots de Paris ; et je pars pour la campagne, où je menerai paître des moutons qui sont à moi. C’est à Lumigny, à une terre que j’ai près Rosay en Brie, que je me retire cette année.

J’ai l’âme attristée de toutes les persécutions qui s’élèvent contre les gens de lettres. Vous savez que l’abbé Coier, auteur de la Vie de Sobieski, vient d’être exilé ; que son censeur est à Vincennes, et qu’enfin on a défendu jusqu’à l’Épître au peuple du professeur Thomas.

On a dit de tout temps que les laides ne veulent près d’elles que des hommes aveugles. Certaines gens n’y veulent que des hommes stupides. Vous en savez la raison.

J’ai vu vos derniers Dialogues. Votre sauvage est mon homme. Vous êtes l’Achille qui combattez pour la raison. Mais vous combattez contre les dieux ; il faudra qu’enfin la raison succombe. Que peut-elle à la longue contre la puissance ? On veut étouffer ici toute espece d’esprit et de talents ; et l’on ne s’appercevra du tort qu’on aura fait à la nation que lorsque le remede sera impossible. Que l’on considere l’état de bassesse et d’avilissement où se trouvent les Portugais, peuple sans arts, sans industrie, que l’Anglais habille depuis le chapeau jusqu’au soulier ; et l’on verra combien l’ignorance est ruineuse pour une nation. Je pars demain matin pour ma terre. Je n’ai que le temps de vous assurer de mon respect, et de prier Dieu qu’il vous ait toujours en sa sainte garde. Adieu, mon illustre maître. Vale, et me semper ama.

H.

LETTRE II.

Au même.

Je suis fatigué, monsieur et cher ami, d’avoir tant écrit de vile prose sans aucune espérance d’en voir jamais rien imprimé de mon vivant. Je n’ai plus le courage de faire de longues entreprises de travail ; ma mémoire s’affoiblit tous les jours. Il me faut des occupations que je puisse quitter et reprendre à volonté. J’ai repris le goût des vers, pour lesquels vous m’aviez si fort passionné il y a vingt-cinq ans et plus. On veut que je finisse le poëme du Bonheur. Il s’en faut bien que j’en aie si bonne opinion que mes amis. Vos vers m’ont dégoûté des miens. Mais vous n’aimeriez pas me voir commenter, comme Newton, l’Apocalypse. Pour amuser ma vieillesse, je ferai des vers. Avant de m’y remettre, cependant, je vous envoie cet échantillon. Dites-moi sincèrement si vous me conseillez de continuer. Je ne suis point attaché à cet ouvrage. Au nom de l’amitié, souvenez-vous, avant de me donner votre avis, que le médiocre en poésie est insoutenable.

Totus tuus, H.
De Voré, ce 15 octobre 1771.

LETTRE III.

Montesquieu a Helvétius.

Mon cher, l’affaire s’est faite, et de la meilleure grace du monde. Je crains que vous n’ayez eu quelque peine là-dessus ; et je ne voudrois donner aucune peine à mon cher Helvétius. Mais je suis bien aise de vous remercier des marques de votre amitié. Je vous déclare, de plus, que je ne vous ferai plus de compliments ; et, au lieu de compliments, qui cachent ordinairement les sentiments qui ne sont pas, mes sentiments cacheront toujours mes compliments. Faites mes compliments non compliments à notre ami Saurin. J’ai usurpé sur lui, je ne sais comment, le titre d’ami, et me suis venu fourrer en tiers. Si vous autres me chassez, je reviendrai, tamen usque recurret. A l’égard de ce qu’on peut reprocher, il en est comme des vers de Crébillon : tout cela a été fait quinze ou vingt ans auparavant.

Je suis un admirateur sincere de Catilina, et je ne sais comment cette piece m’inspire du respect. La lecture m’a tellement ravi, que j’ai été jusqu’au cinquieme acte sans y trouver un seul défaut, ou du moins sans le sentir. Je crois bien qu’il y en a beaucoup, puisque le public y en trouve beaucoup ; et, de plus, je n’ai pas de grandes connoissances sur les choses du théâtre ; de plus, il y a des cœurs qui sont faits pour certains genres de dramatique, le mien en particulier est fait pour celui de Crébillon ; et comme dans ma jeunesse je devins fou de Rhadamiste, j’irai aux Petites-Maisons pour Catilina: jugez si j’ai eu du plaisir quand je vous ai entendu dire que vous trouviez le caractere de Catilina peut-être le plus beau qu’il y eût au théâtre. En un mot, je ne prétends point donner mon opinion pour les autres. Quand un sultan est dans son serrail, va-t-il choisir la plus belle ? Non : il dit je l’aime, il la prend, etc. Voilà comment décide ce grand personnage. Mon cher Helvétius, je ne sais point si vous êtes autant au-dessus des autres que je le sens ; mais je sens que vous êtes au-dessus des autres : et moi je suis au-dessus de vous par l’amitié.

MONTESQUIEU.
A S.-Seurin, ce 11 février 1749.

LETTRE IV.

A HELVÉTIUS
voyageant en Allemagne.

Eh bien ! depuis que dans d’autres climats
Vous portez loin de nous vos pensers et vos pas,
Par-tout, Helvélius, vous aurez vu des hommes ;
Ceux de l’antiquité, ceux du siecle où nous sommes,
Diogene nouveau, vous les connoissez tous.
Il les estimoit peu : que nous en direz-vous ?
Le soleil en faisant sa ronde
Éclaire mille esprits divers.
L’un paroît en cet univers
Ne respirer que le malheur du monde ;
Un autre, presque aussi pervers,
Peu sensible au bonheur, peu touché des revers ;
Sur tout ce qui se passe en la machine ronde,
Insensible, muet, ne s’échauffant de rien,
Regarde du même œil elle mal et le bien ;

Tranquille également quand le tonnerre gronde,
Prêt à frapper la vertu sans soutien,
Et quand le doux espoir d’une moisson féconde
Charme dans ses travaux l’agreste citoyen.

Mais il est des cœurs nés sensibles,
Doués d’un naturel heureux,
Justes, éclairés, généreux,
Qu’un sage poursuivî par le sort rigoureux
N’éprouva jamais inflexibles.
En avez-vous beaucoup envisagé
De cet excellent caractere ?
Sans avoir beaucoup voyagé,
Je le crois rare sur la terre.

Peut-être je me trompe, et les charmants récits
Que vous vous apprêtez sans doute de nous faire
Sur les penchants des cœurs, les talents des esprits,
Et sur les mœurs des différents pays,
Nous assureront du contraire.
Avancez ce plaisir nouveau ;

Pour moi, j’en accepte l’augure,
Heureux de voir l’auteur de la peinture
Dans le modele du tableau.

Je suis, avec une extrême considération et le plus inviolable attachement, etc. etc.,

LEFEBVRE

LETTRE V.
Helvétius a M. Le Marquis de ***.

J’ai reçu, monsieur, en arrivant dans ma terre, les nouveaux ouvrages sur l’agriculture que vous m’adressez. Les observations qu’ils renferment sont sans doute très bonnes comme recueil d’observation physiques ; mais si on les regarde homme d’une utilité prochaine à la France, on se trompe. Il faut, avant d’en profiter, que le paysan sache lire ; et pour apprendre à lire il faut qu’il soit plus riche. Il faut même qu’il soit en état de faire des expériences, et d’acheter de nouveaux outils. Le peut-il ? S’il en a les moyens, sa routine et ses préjugés lui permettront-ils ces tentatives ?

Sera-ce donc les propriétaires eux-mêmes qui profiteront de ces observations ? Mais les propriétaires riches et en état de faire des expériences sur leur terrain demeurent tous à Paris, s’occupent d’autres emplois, et peu d’agriculture. S’ils habitent la campagne, c’est pour peu de temps ; c’est plutôt pour pressurer la bourse de leurs fermiers que pour les encourager. Il faut vivre à Paris. On a des enfants à placer, des protecteurs à cultiver. C’est donc la forme du gouvernement qui s’oppose à ce que les propriétaires riches restent à la campagne. Quant aux propriétaires mal aisés qui sont obligés de s’y fixer, ils sont dans le cas du paysan.

Il faut donc commencer tout le traité de l’agriculture par un traité de finance et de gouvernement pour rendre plus riche l’habitant de la campagne. Qu’il soit de son intérêt d’être industrieux, et laissez faire cet intérêt ; vous pouvez être sûr qu’il cultivera bien les terres. C’est alors que les lumieres des physiciens pourront être utiles aux agriculteurs. Si l’on ne commence pas par mettre les habitants de la campagne à leur aise, et que les propriétaires riches n’aient point d’intérêt d’habiter leurs terres, je regarde alors tout ce qu’on dira sur l’agriculture comme inutile. C’est comme un homme qui feroit une très belle machine, mais qui, lorsqu’elle seroit faite, ne pourroit agir, faute d’eau pour la faire mouvoir.

Il est toujours bon cependant que les esprits se tournent vers ce but d’utilité publique et de première nécessité. A force d’en parler et de s’en occuper, il peut venir dans la fantaisie d’un ministre d’y penser aussi. Et pourquoi cette fantaisie-là ne lui viendroit-elle elle pas comme une autre ? Alors, en remontant aux vrais principes qui seroient la base de l’agriculture, les observations recueillies sur ce sujet trouveroient leur place, et seroient utiles aux expériences.


LETTRE VI.

M. le comte de *** A HELVÉTIUS

MONSIEUR,

Vous avez acquis si justement une estime universelle, que vous n’êtes point surpris de recevoir des pays les plus éloignés l’hommage qui vous est dû. Votre génie supérieur, s’étant communiqué par la voie de l’impression, semble vouloir partager avec nous autres les faveurs dont la nature vous a comblé : en révélant vos connoissances il a développé les nôtres. Vous avez droit, monsieur, à la reconnoissance de tous les hommes. Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous ; mais je croirois manquer à ce qu’on doit aux personnes qui nous instruisent, si, après avoir lu l’ouvrage immortel de l’Esprit, je ne remerciois son illustre auteur des avantages que j’en ai tirés. Je m’estimerai heureux si ma vénération pour vos lumieres vous prévenoit pour une nation qui a malheureusement passé dans l’esprit de bien des gens pour barbare. La plus forte preuve que vous pourriez me donner, monsieur, de vos sentiments favorables à mon égard seroit de me procurer l’occasion de vous être de quelque utilité dans ma patrie, et de prouver l’admiration et la considération distinguées avec lesquelles j’ai l’honneur d’être,

monsieur,

votre très humble serviteur.

A S.-Pétersbourg, ce 20 septembre 1760.


LETTRE VII.

Helvétius a M. Le Comte de ***,
Président de l’académie de S.-Pétersbourg.

Sans m’arrêter, monsieur, à tout ce que votre lettre a de flatteur pour mon amour-propre, je vous félicite, je félicite vos compatriotes sur le zele éclairé que vous montrez pour le progrès des lumieres et de la raison. Il est des hommes que le ciel fait naître pour élever l’esprit et le caractere d’une nation, et jeter les fondements de sa gloire à venir. Le czar a ébauché l’ouvrage que vous achevez maintenant. Il faut, pour mettre en mouvement lu masse entiere d’une grande nation, que plusieurs grands hommes se succedent ainsi les uns aux autres. Un souverain a sans doute des moyens plus puissants pour exciter l’émulation que le grand seigneur même le plus accrédité. Mais l’esprit supérieur dans un homme tel que vous supplée à la foiblesse des moyens. Vous réunissez tous les dons de la fortune. Ces avantages de la naissance, des dignités et des richesses, vous les partagez avec beaucoup d’autres grands seigneurs. Le seul amour de la gloire peut vous distinguer d’eux. C’est le seul bien qu’il vous reste à envier ; c’est la récompense la plus digne d’une ame élevée, parcequ’elle est toujours un don de la reconnoissance publique. La gloire d’une infinité de nations puissantes s’est ensevelie sous les ruines de leurs capitales. Par vous, peut-être, la Rome russe doit encore subsister lorsque le temps en aura détruit la puissance. Si les Grecs n’eussent vaincu que l’Asie, leur nom seroit maintenant oublié. C’est aux monuments qu’ils ont élevés aux sciences et aux arts qu’ils doivent encore le tribut d’admiration que notre reconnoissance leur paie.

Nous partageons encore les hommages que les beaux génies de Rome ont rendus à la bienfaisance de Mécene et d’Auguste. C’est à elle que nous devons les ouvrages immortels d’Horace et de Virgile. Vous marcherez sur leurs traces en encourageant dans votre patrie la liberté de penser. Il ne faut pas que le ciseau de la superstition et de la théologie rogne les ailes du génie. Qu’a de dangereux la liberté de tout dire ? Les égarements mêmes de la raison ont souvent fait naître la lumiere du sein des ténebres. Il n’y eut jamais que les erreurs que le fanatisme et la superstition ont voulu consacrer qui aient semé le trouble et la division.

J’ai cru m’appercevoir dans la lettre dont votre excellence m’a honoré qu’elle doutoit un peu du succès de ses efforts, et ce doute est peut-être fondé sur la difficulté d’accorder une certaine liberté aux écrivains de votre nation. Cette liberté cependant est absolument nécessaire. Avec des chaînes aux pieds on ne court pas, on rampe.

Pour créer des hommes illustres dans les sciences et les arts il ne suffit pas de répandre sur eux des largesses ; il ne faut pas même les leur prodiguer. L’abondance engourdit quelquefois le génie. Le riche éteint l’amour de la gloire dans les jouissances. C’est par des honneurs et des distinctions qu’il faut principalement récompenser le mérite littéraire. La vanité mise en jeu développe les ressorts de l’esprit ; l’appât du gain l’avilit et le courbe aux bassesses. Apollon auroit-il mérité la gloire et les éloges des poëtes s’il n’eût été qu’un dieu, et s’il ne fût pas descendu chez Admete pour y garder ses troupeaux, et chanter dans le chœur des muses ?

Les honneurs entre les mains des princes ressemblent à ces talismans dont les fées font présent dans nos contes à leurs favoris ; ces talismans perdoient leur vertu sitôt qu’on en faisoit mauvais usage.

Un moyen encore de lier plus étroitement les savants russes au corps des autres gens de lettres de l’Europe, et d’exciter leur émulation, est d’associer, à l’exemple de Louis XIV, les étrangers aux honneurs que vous décernerez à vos compatriotes. Un Russe, l’associé, en France d’un Voltaire, en Angleterre d’un Hume, sera curieux de lire leurs ouvrages, et voudra bientôt en composer de pareils. C’est ainsi que les lumieres se répandent, et que l’émulation s’allume.

Votre excellence voit que l’intérêt vif qu’elle prend aux sciences, aux arts, et en général aux progrès de l’esprit humain, a passé dans mon ame, m’a fait insister sur des vérités que vous n’ignorez pas. Mais une derniere dont je desire sincèrement que vous soyez convaincu, c’est de l’estime et du profond respect avec lesquels j’ai l’honneur d’être,

de votre excellence,

le très, etc.

LETTRE VIII.

M. Le comte de *** A HELVÊTIUS.

J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré ; ma sensibilité répond au respect quo je vous dois ; j’en serois bien plus charmé encore si je n’y trouvois des éloges que je ne puis mériter. Peut-être, monsieur, quelque homme mal informé vous a-t-il fait de moi un portrait qui ne me ressemble pas ; peut-être m’a-t-il cru plus puissant et plus capable d’effectuer ce que vous attendez de moi. Je veux vous en faire un de moi-même, et vous donner une idée auparavant de notre état par rapport aux sciences et aux arts. Pierre I, après avoir créé ou réformé tout, n’a pas été suivi après sa mort, en plusieurs parties, dans ses vues et sages institutions. Les sciences et les arts ont pris naissance du temps de ce grand homme. Nous avions d’habiles gens en plusieurs genres. Les artistes qui avoient fait leur apprentissage en Italie pouvoient passer pour de très bons maîtres, et faisoient honneur à notre nation. Le peu de soin qu’on prit après d’encourager ceux-ci, et plus encore la négligence d’en former d’autres, étouffa le germe de tout ce qui venoit d’éclore, et fit évanouir de si belles espérances. Dans la suite des temps, les premiers postes de l’empire étant occupés par des étrangers, ceux-ci, soit que naturellement ils fussent peu portés à faire fleurir les sciences et les arts dans un pays étranger, soit qu’ils eussent en vue des objets qui ne leur laisserent point le temps de penser et d’agir avec le zele des patriotes, sont restés dans une parfaite inaction à cet égard. Cette négligence dans l’institution de la jeunesse (excepté l’École Militaire ou le Corps des Cadets, créé en 1750, de six cents gentilshommes, qui a produit tant de bons officiers,) a arrêté en quelque maniere les progrès des sciences et des arts. Voilà ce qui a fait que le noble desir de s’instruire en tout a été ralenti dans plusieurs de mes compatriotes. Un intervalle aussi fâcheux pour nous a fait croire injustement à quelques étrangers que notre nation n’est pas capable de produire des hommes tels qu’ils devroient être : préjugé d’autant plus grand, qu’il faut du temps pour le détruire. Sa majesté impériale, marchant sur les traces de Pierre le Grand, a fondé l’université de Moscow, et l’académie des arts de S.-Pétersbourg, desquelles j’ai l’honneur d’être chef. Voilà, monsieur, deux parties seulement dans lesquelles je pourrois rendre service à ma patrie si mes lumieres répondoient à mon zele. Je me sens encouragé par vos conseils ; je le serai encore plus si vous me les continuez. Votre lettre pour moi est un recueil d’instructions. L’honneur et l’avantage de votre connoissance et de celle de quelques autres savants, particulièrement de M. de Voltaire, qui ne cesse point de me combler des marques de son amitié, me flattent au-dessus de toute expression. Que je serois heureux, monsieur, de mériter votre estime ! Le suffrage d’un homme tel que vous m’est bien plus glorieux que ce que nous tenons du caprice de la fortune. Je tâcherai toujours de mettre vos sages conseils à profit. Je gagne à tous égards à votre connoissance ; vous ne retirez de la mienne qu’une reconnoissance sans borne, jointe à l’admiration avec laquelle j’ai l’honneur d’être,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur.

S.-Pétersbourg, ce 27 juillet 1761.


LETTRE IX.

HELVÉTIUS A HUME.

Monsieur,

Lorsque j’ai rendu hommage à la supériorité de votre génie et de vos lumieres, j’ai joint ma voix à celle de tous mes concitoyens, et je suis très flatté que vous ayez bien voulu la distinguer. Votre nom honore mon livre, et je l’aurois cité plus souvent si la sévérité du censeur me l’eût permis.

Depuis dix mois je suis l’objet de la haine et de la persécution des dévots, et j’ai malheureusement appris à mes dépens combien ces messieurs de la cour éthérée sont implacables dans leurs vengeances. Mais quelque mal qu’ils m’aient fait, j’en suis bien dédommagé si vous accordez quelque estime à l’ouvrage et quelque amitié à l’auteur.

Lorsque la guerre s’est déclarée entre les deux nations, j’avois dessein d’aller en Angleterre pour y passer quelques mois avec des Anglais de mes amis ; maintenant, que vous voulez bien m’honorer de votre amitié, vous ne doutez pas que le désir d’y voir un homme que l’admire ne m’y conduise dès que la paix me le permettra.

L’objection que vous me faites dans votre lettre me paroît très bonne ; et, s’il est permis de jurer in verba magistri, c’est sûrement d’après vous : aussi suis-je prêt à convenir de mon erreur. J’imagine cependant que l’estime publique conçue pour un talent ou une science doit être l’effet combiné, et de l’utilité dont ce talent est au public, et de la difficulté d’y exceller : difficulté que nous ne pouvons mesurer, en quelque genre que ce soit, que par le grand nombre des succès. En effet, s’il n’est point d’idées innées, qui nous auroit fait naître l’idée de l’estime pour un tel talent si ce n’est l’intérêt ? (Expression que je prends dans le sens le plus étendu, puisque j’entends par ce mot depuis le plus imperceptible jusqu’au plus fort degré de plaisir et de douleur). Si toutes les nations ont pour M. Hume la plus haute estime, c’est que ses ouvrages sont un bienfait pour l’humanité, et que chaque nation a intérêt d’estimer celui qui l’éclaire. Le plaisir et la douleur, et par conséquent l’intérêt, doivent donc être les inventeurs de toutes nos idées, et tout s’y doit généralement rapporter, puisque l’ennui même et la curiosité se trouvent alors compris sous ces noms de plaisir et de douleur. En partant de là, voyez et jugez si j’ai tort ou raison ; je m’en rapporte entièrement à vous. À l’égard de l’amitié, il me paroît que la cause pour laquelle nous aimons notre ami peut être plus ou moins claire à notre esprit, selon que nous avons plus ou moins contracté l’habitude de nous étudier nous-mêmes, mais que cette cause existe toujours ; et je lui donne le nom d’intérêt, que peut-être on n’a pas toujours pris dans toute l’étendue du sens que je lui donne.

Je me suis acquitté des commissions dont vous m’avez chargé. J’ai vu M. l’abbé Prévôt ; il a traduit votre ouvrage, et malheureusement les deux premiers volumes sont déja imprimés. Nous sommes cependant convenus que, dans un appendice, il renverroit à la fin de sa traduction les changements que vous aviez faits dans votre nouvelle édition. Ce même abbé m’a paru très disposé à traduire l’Histoire d’Écosse de M. Robertson ; et j’ai pris des mesures pour lui faire parvenir tous ces livres.

Souffrez que je vous remercie ici du présent inestimable de vos œuvres. Quelques études que j’avois été obligé de faire m’avoient distrait de l’étude de la langue anglaise ; je m’y remets pour vous lire et m’éclairer.

Vous savez que M. Stuard est parti pour Madrid. Il m’a promis à son retour de passer par ma terre. Plût à Dieu que nous fussions alors en paix, et que je pusse partir avec lui et sous sa protection pour vous aller rendre mes devoirs à Londres ! Si vous découvrez le nom de celui qui veut bien traduire mon ouvrage, mandez-le moi pour que je le lui envoie. Acceptez-en, je vous prie, un exemplaire que mon libraire adressera pour vous à M. Dehondt, en Hollande. Comparé au présent que vous me faites, c’est la dragme de la veuve, que je vous prie de recevoir avec bonté.

Je suis, etc.
Du 1 avril 1759

LETTRE X.

Au Même.

Je viens de recevoir, monsieur et illustre ami, votre lettre que m’a remise M. Jordin. L’ami[1] qui devoit remettre à M. Stuard un manuscrit pour être traduit en anglais a changé d’avis. Le motif quil’y déterminoit étoit la crainte de la persécution. Elle devient de jour en jour plus dangereuse. Le crédit des prêtres augmente ; et, quoiqu’ils soient les ennemis des parlements, ceux-ci se prêteroient assez volontiers, pour leur faire plaisir, à verser le sang de quelque philosophe : ils n’attendroient pas même de preuve juridique pour le faire. J’ai donc conseillé à mon ami de remettre à sa mort la publication de ses ouvrages. Il a déja pris là-dessus des précautions nécessaires, et il s’en tient là.

Le livre de mon ami est à-peu-près de 750 ou 800 pages in-4o. d’impression, du caractere de l’Esprit des lois.

Notre malheureux pays est bien dans l’état de crise où l’on vous l’a mandé. Il a reçu une impulsion qui ne tardera point à précipiter sa chûte, si quelque évènement étranger, et difficile à prévoir en ce moment, ne la retarde pas. Tant que les choses resteront sur le pied où elles sont, quel rôle pouvons-nous espérer de jouer en Europe ?

Benjamin est sans force, et Juda sans vertu.

Vous devez plaindre vos amis qui vous sont fidèlement attachés. Plusieurs auroient été vous rejoindre à Édimbourg, sans l’embarras de la vente de leurs biens ; car rien ne se vend ; toutes les bourses sont fermées. Point de circulation, parceque personne n’est sûr de ne pas mourir de faim.

Conservez-moi votre amitié : je la mérite par l’estime et la vénération que j’ai pour votre génie et pour votre caractere.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Cet ami dont parle Helvétius est Helvétius lui-même, qui avoit eu quelque temps avant sa mort le dessein de faire paroître en Angleterre son livre de l’Homme. Cette lettre, sans date, paroît avoir été écrite en 1770.

LETTRE XI.

A M. L’Abbé Chauvelin,
Conseiller au parlement.

Je vous remercie, monsieur l’abbé, des bontés que vous m’avez témoignées pendant mon séjour à Paris, et de l’intérêt que vous avez bien voulu prendre à mon affaire. Vous n’ignorez pas sans doute qu’on m’a dénoncé à la Sorbonne, et que cette dénonciation est remise au premier d’octobre. Je ne sais quelle suite elle peut avoir, et si l’on peut éviter que la Sorbonne aille plus loin. Je m’en rapporte à vous sur tout cela. Je vous observerai cependant que nous croyions vous et moi cette affaire assoupie, et qu’il me semble qu’elle ne l’est point du tout. On m’a même assuré que M. le dauphin étoit prévenu contre moi au point de n’en jamais revenir. Vous êtes à portée de savoir ce qui en est. Mandez-le moi sans me flatter, afin que je puisse en conséquence prendre un parti convenable. J’ai peur qu’en me

faisant signer une rétractation on ne m’ait tendu un piege, et qu’on n’ait eu dessein de me mettre dans le cas de ne pouvoir nier mon livre, supposé qu’on voulût me faire des affaires au parlement. La haine théologique a passé en proverbe, et je sais qu’elle est aussi adroite qu’implacable. Vous voyez quelle est ma confiance en vous. Je ne crains pas qu’elle soit trahie.

LETTRE XII.

Au même.

MONSIEUR,

Si le parlement exigeoit absolument une troisieme rétractation, il en est une qui m’a été dictée par un homme respectable, qui est entre les mains de M. le comte de S.-Florentin. Elle est honnête, elle est vraie, conforme à ma préface, et c’est la seule que je puisse signer. Mais je désirerois bien que vous pussiez m’éviter cette troisieme rétractation. Après les marques de bonté que vous m’avez données, j’espere, monsieur, comme vous me le promettez, que vous n’en ferez usage qu’à la derniere extrémité, que vous ne la ferez point imprimer, et que vous la laisserez au greffe, puisque cela dépend de vous. Je n’imaginois pas qu’après deux rétractations le parlement voulût encore en exiger une troisieme. Je vous envoie la copie d’une lettre que je viens de recevoir du cardinal Passioneï. Vous y verrez que ce prélat croit les deux rétractations que j’ai données suffisantes. Le parlement seroit-il moins indulgent qu’un prélat qui a été grand inquisiteur à Malte, et qui est actuellement de la congrégation de la propagande ? Vous verrez même, par le ton de la lettre de ce cardinal, qu’il ne juge pas mon livre aussi dangereux qu’on voudroit le faire croire ici : car enfin ce prélat savoit la persécution suscitée contre moi ; et cependant, lorsqu’il m’a écrit, il ne dit pas, comme vous le verrez dans sa lettre, que mon livre soit susceptible de mauvaises interprétations, mais qu’il pourroit l’être. Or, quel livre est à l’abri des interprétations ? Les hérésies les plus monstrueuses et les plus ridicules ne sont-elles pas toutes fondées sur quelques passages mal interprétés de l’écriture ? Quelles interprétations la malignité n’a-t-elle pas même données aux plus sages remontrances du parlement ?

D’ailleurs mes intentions ne sont pas douteuses, puisque je me suis soumis à la censure, par conséquent à la loi à laquelle les magistrats ont assujetti tous les citoyens. C’est une loi que le parlement peut changer, mais qui est réputée loi jusqu’à ce qu’il ait été déclaré qu’elle ne l’est plus : autrement ce seroit un piege qu’il tendroit aux citoyens ; et ce corps respectable ne peut être capable d’en tendre. Si j’ai failli en observant la loi, c’est une faute de la loi même, et mes intentions sont du moins justifiées.

J’ai l’honneur d’être, etc.


LETTRE XIII.

Au Même.

Ce que vous me mandez, monsieur, de l’état actuel de vos affaires du parlement m’a fait réfléchir sur les causes qui ont empêché ce corps médiateur entre le roi et ses sujets de jouir de tout le crédit et de toute l’autorité dus à cette prérogative. J’ai cherché quels étoient vos ennemis naturels. J’ai vu, d’une part, des ministres qui veulent être despotiques, des grands seigneurs indignés que des bourgeois aient le droit de les juger ; de l’autre, le clergé jaloux que toute espece de puissance ne soit pas entre ses mains, et qui voudroit que toute autorité dans l’état lui soit subordonnée. Il ne faut pas que le parlement se flatte de jamais gagner ces deux sortes d’ennemis. Il a plus à espérer de l’inconséquence et de l’amovibilité des premiers. Mais il n’y a jamais de treve à faire avec les derniers. C’est un corps éternel que les circonstances forcent parfois à changer de maximes, et jamais à les abandonner, parceque son intérêt y est trop étroitement attaché, et que cet intérêt n’est jamais celui des parlements, ni des citoyens qu’ils protegent. C’est dans notre histoire même que se trouvent toutes les preuves que je pourrois vous en fournir. Il est presque aussi impossible au parlement de s’attacher ces deux especes d’ennemis, qu’à la France de se croire amie de l’Angleterre. Ces états peuvent faire des treves passageres ; mais leur position respective, et la différence de leur intérêt, en fera des ennemis éternels. Il ne s’agit entre eux que de s’attraper.

Quels sont les amis nés du parlement ? Le public, qui ne peut lui nuire, et dont il peut attendre un grand crédit. Qui peut le soutenir contre la tyrannie des grands et les intrigues sourdes du clergé ? Le public, dont l’opinion, à la longue, force l’autorité à être juste. Mais cette opinion ne se fonde que sur la certitude que le parlement est le protecteur des lois, de la liberté et de la propriété des citoyens. C’est un titre que les parlements n’ont pas toujours respecté, il faut l’avouer, soit en abandonnant pour leurs propres intérêts la cause des peuples quand des ministres ont voulu les fouler, soit en se prêtant aux impulsions du clergé quand il vouloit persécuter un homme de lettres. Le clergé a toujours fait adroitement de sa cause la cause de l’état ; et le parlement n’a jamais voulu voir que c’étoit son intérêt qu’il abandonnoit pour celui des prêtres. Il est peu d’hommes de lettres persécutés dans ces derniers temps qui ne l’aient été précisément pour avoir établi dans leurs ouvrages des principes favorables aux magistrats. Le clergé l’a bien vu. Aussi n’a-t-il pas manqué, par son cri ordinaire d’impiété et d’irréligion, de sonner l’alarme, et de vous engager à persécuter les meilleurs amis que vous ayez dans le public. Ne vous y trompez pas : un écrivain célebre a de nombreux partisans ; il n’a même de célébrité que pour avoir enseigné aux hommes des vérités qui les touchent ou qui les flattent. C’est d’après ces vérités qu’on le juge, et non d’après vos arrêts. Que gagnez-vous en le condamnant ? Vous prêtez vos armes aux prêtres, dont vous augmentez le crédit. Sans vous en faire des amis, vous augmentez le nombre de vos ennemis de tous les partisans de l’écrivain que vous cherchez à persécuter.

Il y a long-temps qu’il est démontré que ce ne sont que les biens de la terre que recherche le clergé en prêchant les biens du ciel. Tout homme de génie opposé à ses prétentions en doit être nécessairement persécuté. Soyez-en le protecteur ; établissez autant qu’il est en vous le droit naturel de la tolérance ; c’est le moyen de ruiner la puissance rivale du clergé : vous multipliez le nombre de vos partisans, parceque tous les hommes attachés à des opinions quelconques sauront que vous seuls les empêchez d’être persécutés. Ils ne verront en vous que des protecteurs, et des protecteurs que divinise le zele que chaque secte a pour ses sentiments.

Que le parlement se souvienne toujours qu’il n’est rien sans le public ; que ce n’est que par la protection du public qu’il peut contrebalancer le pouvoir de ses ennemis. Le progrès des lumieres l’affoiblit de jour en jour ; et, si vous savez profiter des circonstances, vous forcerez vos rivaux à n’être qu’utiles, et à renoncer aux intrigues. Les jésuites eux-mêmes cesseront de vous donner de l’ombrage. Vous rendrez inutiles tous les pieges que ces moines dangereux tendent aux gens de bien et aux hommes de génie.

La liberté de la presse sera toujours à l’avantage du parlement, quand il se montrera le protecteur né des gens de lettres et des citoyens. Si vous négligez ces maximes, on peut prédire que dans peu le parlement sera le mépris des grands par sa foiblesse, et celui des petits par des prétentions ridicules qu’il ne pourra faire valoir.

Votre amitié, monsieur, m’a permis ces réflexions ; le zele pour un corps que je crois utile à l’état me les a suggérées. La persécution qu’il a voulu me faire essuyer ne m’empêche pas de voir ses véritables intérêts. Je les crois étroitement liés avec la gloire du souverain et le bien de ses peuples.


AVERTISSEMENT

sur

LES LETTRES SUIVANTES.

ON a imprimé dans plusieurs papiers publics qu’Helvétius, lors du grand succès de l’Esprit des lois, en avoit témoigné sa surprise à quelques uns de ses amis intimes. Voici l’anecdote telle qu’on la tient d’Helvétius. Il étoit l’ami de Montesquieu, et passoit beau. coup de temps avec lui dans sa terre de la Brede pendant ses tournées de fermier-général. Dans leurs conversations philosophiques, le président communiquoit à son ami ses travaux sur l’Esprit des lois. Il lui fit ensuite passer le manuscrit avant de l’envoyer à l’impression. Helvétius, qui aimoit autant l’auteur que la vérité, fut affligé, en lisant l’ouvrage, d’y retrouver des opinions qu’il avoit combattues de vive voix et par lettres, qu’il croyoit d’autant plus dangereuses qu’elles alloient être consacrées en maximes politiques par un des plus beaux génies de la France, et dans un livre étincelant d’esprit, et rempli de vérités grandes et neuves. Sa modestie naturelle et son admiration pour l’auteur des Lettres persanes lui inspirant de la défiance pour son propre jugement, il pria Montesquieu de permettre qu’il communiquât son manuscrit à un ami commun, M. Saurin, auteur de Spartacus, esprit solide et profond, que tous deux estimoient comme l’homme le plus vrai, et le juge le plus impartial. Saurin fut du même avis qu’Helvétius. Quand l’ouvrage eut paru, et qu’ils en virent le prodigieux succès, sans changer d’opinion, ils se turent, en respectant le jugement du public et la gloire de leur ami.

Comme quelques idées de Montesquieu ont servi depuis à fortifier de grands préjugés, et que des passions particulieres les ont érigées en principes pratiques, il est utile de mettre sous les yeux du public les jugements que les amis de Montesquieu lui adressoient à lui-même. C’est ce qui nous a déterminés à publier les deux premieres des quatre lettres suivantes, qui paroîtront aussi à la tête de la nouvelle édition de Montesquieu, par Didot, actuellement sous presse. On a ajouté au livre de l’Esprit des lois de cette nouvelle édition des notes qu’Helvétius avoit écrites en marge de son exemplaire, parcequ’on a pensé que l’examen critique d’une partie de l’Esprit des lois par l’auteur du livre de l’Esprit et du livre de l’Homme ne pouvoit qu’intéresser tous les amis de la raison et de la liberté.

Nous publions aussi deux autres lettres d’Helvétius, écrites, peu de temps avant sa mort, à l’un de ses amis. L’une contient son opinion plus détaillée sur la constitution anglaise ; qu’il avoit vue de près dans un voyage fait à Londres ; l’autre renferme quelques idées sur la nécessité d’instruire le peuple. Le public nous saura gré de lui offrir sur deux objets si importants les pensées d’un philosophe illustre, dont les écrits répandus dans toute l’Europe, traduits dans toutes les langues, lus par les hommes de toutes les classes, ont eu et doivent avoir encore une si grande influence sur les progrès de la raison humaine.

En lisant ces différentes pieces, on les croiroit écrites pendant la révolution ; tant il est vrai qu’un philosophe qui a passé sa vie à méditer sur les droits des hommes et sur les erreurs des gouvernements est en avant des idées de son siecle, et prévoit les effets que doit produire infailliblement le progrès des lumieres et des véritables principes de l’ordre social.



LETTRE I.

Helvétius à Montesquieu,
Sur son manuscrit de l’Esprit des lois.


Sans date.


Jai relu jusqu’à trois fois, mon cher président, le manuscrit que vous m’avez fait communiquer. Vous m’aviez vivement intéressé pour cet ouvrage à la Brede. Je n’en connoissois pas l’ensemble. Je ne sais si nos têtes françaises seront assez mûres pour en saisir les grandes beautés : pour moi, elles me ravissent. J’admire l’étendue du génie qui les a créées, et la profondeur des recherches auxquelles il a fallu vous livrer pour faire sortir la lumiere de ce fatras de lois barbares dont j’ai toujours cru qu’il y avoit si peu de profit à tirer pour l’instruction et le bonheur des hommes. Je vous vois, comme le héros de Milton, pataugeant au milieu du chaos, sortir victorieux des ténebres. Nous allons être, grace à vous, bien instruits de l’esprit des législations grecques, romaines, vandales et wisigothes ; nous connoîtrons le dédale tortueux au travers duquel l’esprit humain s’est traîné pour civiliser quelques malheureux peuples opprimés par des tyrans, ou des charlatans religieux. Vous nous dites : Voilà le monde comme il s’est gouverné, et comme il se gouverne encore. Vous lui prêtez souvent une raison et une sagesse qui n’est au fond que la vôtre, et dont il sera bien surpris que vous lui fassiez les honneurs.

Vous composez avec le préjugé, comme un jeune homme entrant dans le monde en use avec les vieilles femmes qui ont encore des prétentions, et auprès desquelles il ne veut qu’être poli, et paroître bien élevé. Mais aussi ne les flattez-vous pas trop ? Passe pour les prêtres. En faisant leur part de gâteau à ces cerberes de l’église, vous les faites taire sur votre religion ; sur le reste ils ne vous entendront pas. Nos robins ne sont en état ni de vous lire ni de vous juger. Quant aux aristocrates et à nos despotes de tout genre, s’ils vous entendent, ils ne doivent pas trop vous en vouloir ; c’est le reproche que j’ai toujours fait à vos principes. Souvenez-vous qu’en les discutant à la Brede je convenois qu’ils s’appliquoient à l’état actuel ; mais qu’un écrivain qui vouloit être utile aux hommes devoit plus s’occuper de maximes vraies dans un meilleur ordre de choses à venir, que de consacrer celles qui sont dangereuses, du moment que le préjugé s’en empare pour s’en servir et les perpétuer. Employer la philosophie à leur donner de l’importance, c’est faire prendre à l’esprit humain une marche rétrograde, et éterniser des abus que l’intérêt et la mauvaise foi ne sont que trop habiles à faire valoir. L’idée de la perfection amuse nos contemporains ; mais elle instruit la jeunesse, et sert à la postérité. Si nos neveux ont le sens commun, je doute qu’ils s’accommodent de nos principes de gouvernement, et qu’ils adaptent à des constitutions, sans doute meilleures que les nôtres, vos balances compliquées de pouvoirs intermédiaires. Les rois eux-mêmes, s’ils s’éclairent sur leurs vrais intérêts, (et pourquoi ne s’en aviseroient-ils pas ?) chercheront, en se débarrassant de ces pouvoirs, à faire plus sûrement leur bonheur et celui de leurs sujets.

En Europe, aujourd’hui la moins foulée des quatre parties du monde, qu’est un souverain alors que toutes les sources des revenus publics se sont égarées dans les cent mille canaux de la féodalité qui les détourne sans cesse à son profit ? La moitié de la nation s’enrichit de la misere de l’autre ; la noblesse insolente cabale, et le monarque qu’elle flatte en est lui-même opprimé sans qu’il s’en doute. L’histoire bien méditée en est une leçon perpétuelle. Un roi se crée des ordres intermédiaires ; ils sont bientôt ses maîtres, et les tyrans de son peuple. Comment contiendroient-ils le despotisme ? ils n’aiment que l’anarchie pour eux, et ne sont jaloux que de leurs privileges, toujours opposés aux droits naturels de ceux qu’ils oppriment.

Je vous l’ai dit, je vous le répete, mon cher ami ; vos combinaisons de pouvoirs ne font que séparer et compliquer les intérêts individuels au lieu de les unir. L’exemple du gouvernement anglais vous a séduit. Je suis bien loin de penser que cette constitution soit parfaite. J’aurois trop à vous dire sur ce sujet. Attendons, comme disoit Locke au roi Guillaume, que des revers éclatants, qui auront leur cause dans le vice de cette constitution, nous aient fait sentir ses dangers ; que la corruption, devenue nécessaire pour vaincre la force d’inertie de la chambre haute, soit établie par les ministres dans les communes, et ne fasse plus rougir personne : alors on verra le danger d’un équilibre qu’il faudra rompre sans cesse pour accélérer ou retarder les mouvements d’une machine si compliquée. En effet, n’est-il pas arrivé de nos jours qu’il a fallu des impôts pour soudoyer des parlements qui donnent au roi le droit de lever des impôts sur le peuple ?

La liberté même dont la nation anglaise jouit est-elle bien dans les principes de cette constitution plutôt que dans deux ou trois bonnes lois qui n’en dépendent pas, que les Français pourroient se donner, et qui seules rendroient peut-être leur gouvernement plus supportable ? Nous sommes encore loin d’y prétendre. Nos prêtres sont trop fanatiques et nos nobles trop ignorants pour devenir citoyens, et sentir les avantages qu’ils gagneroient à l’être, à former une nation. Chacun sait qu’il est esclave, mais vit dans l’espérance d’être sous-despote à son tour.

Un roi est aussi esclave de ses maîtresses, de ses favoris, et de ses ministres. S’il se fâche, le coup de pied qu’en reçoivent ses courtisans se rend et se propage jusqu’au dernier goujat. Voilà, j’imagine, dans un gouvernement le seul emploi auquel peuvent servir les intermédiaires. Dans un pays gouverné par les fantaisies d’un chef, ces intermédiaires qui l’assiegent cherchent encore à le tromper, à l’empêcher d’entendre les vœux et les plaintes du peuple sur les abus dont eux seuls profitent. Est-ce le peuple qui se plaint que l’on trouve dangereux ? Non, c’est celui qu’on n’écoute pas. Dans ce cas, les seules personnes à craindre dans une nation sont celles qui l’empêchent d’être écoutée. Le mal est à son comble quand le souverain, malgré les flatteries des intermédiaires, est forcé d’entendre les cris de son peuple arrivés jusqu’à lui. S’il n’y remédie promptement, la chûte de l’empire est prochaine. Il peut être averti trop tard que ses courtisans l’ont trompé.

Vous voyez que par intermédiaires j’entends les membres de cette vaste aristocratie de nobles et de prêtres dont la tête repose à Versailles, qui usurpe et multiplie à son gré presque toutes les fonctions du pouvoir par le seul privilege de la naissance, sans droit, sans talent, sans mérite, et retient dans sa dépendance jusqu’au souverain, qu’elle sait faire vouloir et changer de ministre selon qu’il convient à ses intérêts.

Je finirai, mon cher président, par vous avouer que je n’ai jamais bien compris les subtiles distinctions sans cesse répétées sur les différentes formes de gouvernements. Je n’en connois que de deux especes ; les bons et les mauvais : les bons, qui sont encore à faire ; les mauvais, dont tout l’art est, par différents moyens, de faire passer l’argent de la partie gouvernée dans la bourse de la partie gouvernante. Ce que les anciens gouvernements ravissoient par la guerre, nos modernes l’obtiennent plus sûrement par la fiscalité. C’est la seule différence de ces moyens qui en forme les variétés. Je crois cependant à la possibilité d’un bon gouvernement, où, la liberté et la propriété du peuple respectées, on verroit l’intérêt général résulter, sans toutes vos balances, de l’intérêt particulier. Ce seroit une machine simple, dont les ressorts, aisés à diriger, n’exigeroient pas ce grand appareil de rouages et de contrepoids si difficiles à remonter par les gens mal-habiles qui se mêlent le plus souvent de gouverner. Ils veulent tout faire, et agir sur nous comme sur une matiere morte et inanimée qu’ils façonnent à leur gré, sans consulter ni nos volontés ni nos vrais intérêts ; ce qui décele leur sottise et leur ignorance. Après cela ils s’étonnent que l’excès des abus en provoqué la réforme ; ils s’en prennent à tout, plutôt qu’à leur maladresse, du mouvement trop rapide que les lumieres et l’opinion publique imprimant aux affaires. J’ose le prédire, nous touchons à cette époque.


LETTRE II.

Helvétius A M. Saurin.

J’ai écrit, mon cher Saurin, comme nous en étions convenus, au président, sur l’impression que vous avoit faite son manuscrit, ainsi qu’à moi. J’ai enveloppé mon jugement de tous les égards de l’intérêt et de l’amitié. Soyez tranquille, nos avis ne l’ont point blessé. Il aime dans ses amis la franchise qu’il met avec eux. Il souffre volontiers les discussions, y répond par des saillies, et change rarement d’opinion. Je n’ai pas cru, en lui exposant les nôtres, qu’elles modifieroient les siennes ; mais nous n’avons pas pu dire

Cur ego amicum

Offeudam in nugis ? Hæ nugæ seria ducent
In mala derisum sexuel, exceptumque sinistre.

Quoi qu’il en coûte, il faut être sineère avec ses amis. Quand le jour de la vérité luit et détrompe l’amour-propre, il ne faut pas qu’ils puissent nous reprocher d’avoir été moins séveres que le public.

Je vous envoie sa réponse, puisque vous ne pouvez pas me venir chercher à la campagne. Vous la trouverez telle que je l’avois prévue. Vous verrez qu’il avoit besoin d’un systême pour rallier toutes ses idées, et que, ne voulant rien perdre de tout ce qu’il avoit pensé, écrit ou imaginé depuis sa jeunesse, selon les dispositions particulieres où il s’est trouvé, il a dû s’arrêter à celui qui contrarieroit le moins les opinions reçues. Avec le genre d’esprit de Montaigne, il a conservé ses préjugés d’homme de robe et de gentilhomme : c’est la source de toutes ses erreurs. Son beau génie l’avoit élevé dans sa jeunesse jusqu’aux Lettres persanes. Plus âgé, il semble s’être repenti d’avoir donné ce prétexte à l’envie de nuire à son ambition. Il s’est plus occupé à justifier les idées reçues que du soin d’en établir de nouvelles et de plus utiles. Sa maniere est éblouissante. C’est avec le plus grand art du génie qu’il a formé l’alliage des vérités et des préjugés. Beaucoup de nos philosophes pourront l’admirer comme un chef-d’œuvre. Ces matieres sont neuves pour tous les esprits ; et moins je lui vois de contradicteurs et de bons juges, plus je crains qu’il ne nous égare pour long-temps.

Mais que diable veut-il nous apprendre par son Traité des fiefs ? Est-ce une matiere que devoit chercher à débrouiller un esprit sage et raisonnable ? Quelle législation peut résulter de ce chaos barbare de lois que la force a établies, que l’ignorance a respectées, et qui s’opposeront toujours à un bon ordre de choses ? Sans les conquérants qui ont tout détruit, où en serions-nous avec toutes ces bigarrures d’institutions ? Nous aurions donc hérité de toutes les erreurs accumulées depuis l’origine du genre humain ; elles nous gouverneroient encore ; et, devenues la propriété du plus fort ou du plus frippon, ce seroit un terrible remede que la conquête pour nous en débarrasser. C’est cependant l’unique moyen, si la voix des sages se mêle à l’intérêt des puissances pour les ériger en propriétés légitimes. Et quelles propriétés que celles d’un petit nombre, nuisibles à tous, à ceux même qui les possedent, et qu’elles corrompent par l’orgueil et la vanité ! En effet, si l’homme n’est heureux que par des vertus, et par des lumieres qui en assurent le principe, quelles vertus et quels talents attendre d’un ordre d’hommes qui jouissent de tout et peuvent prétendre à tout dans la société par le seul privilege de leur naissance ? Le travail de la société ne se fera que pour eux ; toutes les places lucratives et honorables leur seront dévolues ; le souverain ne gouvernera que par eux, et ne tirera des subsides de ses sujets que pour eux. N’est-ce pas là bouleverser toutes les idées du bon sens et de la justice ? C’est cet ordre abominable qui fausse tant de bons esprits, et dénature parmi nous tous les principes de morale publique et particuliere.

L’esprit de corps nous envahit de toutes parts. Sous le nom de corps, c’est un pouvoir qu’on érige aux dépens de la grande société. C’est par des usurpations héréditaires que nous sommes gouvernés. Sous le nom de Français il n’existe que des corporations d’individus, et pas un citoyen qui mérite ce titre. Les philosophes eux-mêmes voudroient former des corporations. Mais, s’ils flattent l’intérêt particulier aux dépens de l’intérêt commun, je le prédis, leur regne ne sera pas long. Les lumieres qu’ils auront répandues éclaireront tôt ou tard les ténebres dont ils envelopperont les préjugés......


LETTRE III.

Helvétius à M. Lefebvre-Laroche,
Sur la constitution d’Angleterre.
Voré, ce 8 septembre 1768.

Vous admirez beaucoup le gouvernement anglais, mon ami ; je suis de moitié avec vous. J’en ai dit du bien et ne cesserai d’en dire jusqu’à ce qu’il s’en forme un meilleur. Mais ne le jugez pas sur ce qu’en dit Montesquieu. Il seroit loin encore de la perfection, quand le modele existeroit comme son imagination l’a embelli. Curieux de voir de près le jeu de cette machine, je l’ai trouvée compliquée et bien embarrassée dans ses rouages. Pouvoit-on mieux à l’époque de sa formation ? J’en doute. Quand les circonstances n’auroient pas forcé de la composer des éléments que l’on avoit sous la main, avoit-on toutes les lumieres nécessaires pour s’en approprier d’autres ? On craignit de détruire entièrement l’ancien édifice ; on bâtit sur des ruines, et l’on en étaya d’autres. C’est de ces débris disparates et mal assortis que se forma la constitution anglaise. Si l’impossibilité de mieux faire et la force de résistance qu’opposoient de grands intérêts l’ont fait adopter, c’étoit déja un grand exemple donné à l’univers de la perfectibilité des gouvernements. La Grande-Bretagne, par sa position seule, qui donne un caractere particulier à ses habitants, en a tiré de grands avantages. Ils eussent été immenses si sa constitution, vicieuse dans quelques unes de ses bases, en s’améliorant par une bonne représentation, par une distribution mieux proportionnée de ses pouvoirs, avoit empêché de germer les principes corrupteurs qui la dominent aujourd’hui. C’étoit alors un grand pas vers le bonheur des nations d’avoir pu forcer un roi à reconnoître quelques droits de son peuple, à respecter sa liberté, et à ne plus lever arbitrairement les impôts. Mais tout n’étoit pas fait. Après avoir lié les mains à leur despote, et s’être donné un grand principe d’activité, les Anglais sont restés en beau chemin. Pour s’être imaginé avoir un meilleur gouvernement que leurs voisins, ce qui n’étoit pas difficile, ils ont cru qu’ils n’avoient qu’à le laisser marcher.

Plusieurs fois la prérogative royale a tenté de se relever, et mis leur constitution en péril. Au lieu de songer aux remedes, ils n’ont fait que changer de roi ou de ministres ; ce qui n’arrive pas sans de rudes convulsions, et sans que la fortune publique ne coure de grands risques. Leur industrie et leur commerce, sources de grandes richesses au dedans, ont maintenu leur crédit au dehors, mais n’ont fait qu’accroître cette prodigieuse inégalité de fortunes qui corrompt tous les pouvoirs, et devient pour la nation entiere une banque où se calculent tous les vices et toutes les vertus. Un ministre est sûr d’y réaliser ses projets dès qu’il connoît le tarif de toutes les probités. La constitution anglaise a suffi pour développer la plus grande activité dans ce peuple. Elle n’a pas prévu les moyens qui en maîtrisent les effets, et les empêchent d’être nuisibles. C’est en exagérant ses forces que ce gouvernement étend sa puissance, et que tôt ou tard il l’affoiblira. L’époque n’en est peut-être pas très éloignée.

Si l’Angleterre avoit une bonne constitution, et telle que la raison humaine perfectionnée pourroit la donner, ce seroit un systême lié dans toutes ses parties, fondé sur la nature de l’homme, et calculé sur tous ses rapports sociaux, et non sur des chimeres de puissance et de prospérité publique qui rendent un grand nombre d’individus étrangers au bonheur qu’ils envient autour.

Cependant jusqu’ici la nation anglaise a eu la vanité de se croire exclusivement heureuse. Elle l’est en effet plus que tous ses voisins, malgré l’inquiétude ou la mode qui la fait voyager et promener son ennui dans toutes les contrées de l’Europe. La grande inégalité des richesses y produit une multitude d’oisifs qui, fatigués de jouissances, ou entraînés par l’exemple, vont chercher ailleurs de nouveaux desirs et de nouvelles sensations. Mais ceux qui restent dans leurs foyers, occupés d’industrie et de commerce, recueillent les fruits de la liberté, ont des mœurs, des goûts simples, qui les rapprochent un peu de la nature, et les garantissent en partie de la corruption de ceux qui gouvernent.

Ce qui empêchera l’Anglais d’être généralement plus heureux, c’est que ses écrivains lui vantent trop sa constitution que nos philosophes de leur côté s’obstinent à croire parfaite ; c’est que le coup-d’œil de mépris jeté sur l’esclavage et la superstition des autres peuples la lui fait encore chérir davantage. Elle croit lui devoir toute sa prospérité, qui n’est cependant que l’art d’un habile négociant faisant servir à sa fortune la sottise et l’incurie de ses voisins. Mais attendons qu’ils se réveillent, que leurs tyrans s’avilissent au point de s’en faire mépriser. Alors, d’eux-mêmes, les états reprendront une nouvelle vie. Il est temps qu’ils songent à devenir libres.

Les gouvernements des grands états vont tous sourdement au despotisme, comme l’homme qui a toujours sa tendance naturelle vers son intérêt personnel. Les lumieres y naissent souvent trop tard pour éclairer les causes qui l’accélerent. Ce n’est presque jamais que dans l’état de maladie qu’on s’occupe des vices qui minent la constitution ; et souvent il arrive que l’ignorance des remedes ou les essais qu’on en fait accélerent la mort.

Cependant les nations de l’Europe ont encore de l’énergie ; de grandes lumieres sont répandues chez quelques unes, et leurs ministres ne sont pas si habiles qu’on ne puisse profiter de leurs fautes pour anéantir leur pouvoir et le rendre au peuple. Les grands veulent gouverner, et sont ignorants. Le clergé s’avilit par ses richesses et ses mauvaises mœurs. Les corps de justice n’ont que des prétentions ridicules. Dès que le peuple sentira sa force et ses moyens, il dissipera tous ces fantômes de la tyrannie. Alors la constitution anglaise sera utile au monde  ; ses abus mêmes, éclairés par une longue expérience, serviront à les faire éviter. Le progrès naturel des connoissances amenera plus d’accord, plus de simplicité dans les plans d’une association libre. Les pouvoirs seront plus distincts, moins compliqués, et plus accommodés au jeu de la machine politique.

C’est un grand mal quand un des pouvoirs a trop d’énergie pour suspendre l’action qui seroit utile, et emploie des moyens dangereux pour la précipiter ou l’égarer ; c’est un grand mal quand une nation maîtresse de voter ses subsides est entraînée malgré elle, par des circonstances impérieuses ou par des représentants corrompus, à les accorder contre ses propres intérêts ; c’est un grand mal quand une chambre des pairs héréditaires, placée entre le monarque et les sujets, a, pour éterniser ses privileges, un appui dans la prérogative royale, dont elle étend les abus, qu’elle partage toujours aux dépens du peuple ; c’est un grand mal quand un clergé dont le roi est le chef suprême entre comme partie intégrante dans la législation, et ne doit rien à la nation qu’il a encore le droit d’enseigner ; enfin c’est un grand mal quand il n’y a dans un corps politique d’énergie pour l’intérêt commun que dans une grande opposition qui s’effraie souvent d’un danger alors qu’il n’est plus temps de le prévenir.

Voilà pourtant ce chef-d’œuvre qu’a fait naître le cours des siecles, et pour lequel les Anglais ont répandu tant de sang. La raison perfectionnée ne nous serviroit-elle pas mieux que le hasard des circonstances n’a pu faire nos voisins ? Quels si grands avantages trouve-t-on dans cette lutte éternelle de pouvoirs qui fatigue le peuple, et n’est qu’une treve mal assurée, garantie par la rivalité des parties, et souvent dangereuse sans les moyens corrupteurs employés par ses ministres pour les réduire à l’impuissance ? Quel étrange gouvernement que celui où, même pour faire le bien, la corruption devient un moyen légal et nécessaire !

Tant que les débris de la féodalité comprimeront les ressorts de cette vaste machine, la liberté y sera toujours orageuse et mal affermie. Voyez le clergé : ses membres, représentants-nés dans le corps législatif, n’y sont unis que par leur intérêt et par l’ambition des places dont le roi dispose. Les grands, qui ont tout à espérer du pouvoir exécutif et rien à attendre du peuple, mettront-ils en balance ses intérêts avec les leurs ? Les faits ne le prouvent pas.

Aussi le peuple se plaint-il souvent des atteintes portées à sa liberté, qui n’est qu’une concession fondée sur des chartres, au lieu d’être un droit reconnu que l’homme tient de sa nature. Des lois assurent sa propriété. Mais n’est-elle pas violée sans cesse par les contributions énormes qu’imposent avec tant de facilité les trop longs parlements ?

Le territoire de tout l’empire britannique ne forme que la moitié de celui de la France, et l’inquiétude qui tourmente les Anglais leur fait chercher des possessions sur toute la surface du globe. Ils en ont d’immenses en Asie et en Amérique ; ce qui fait comparer cet empire à un moineau qui veut s’élever dans les airs avec des ailes d’aigle.

Que les voisins de l’Angleterre se donnent de meilleurs gouvernements que le sien, elle se verra forcée d’améliorer sa constitution ; ce qui peut être plus difficile que d’en créer une, parcequ’un bâtiment simple et commode à construire coûte moins qu’un édifice gothique et fastueux à réparer.

Dans un gouvernement sans principes, on peut tout attendre du progrès des lumieres et de l’excès du mal. Le bien se voit mieux, frappe davantage, et se fait plus vîte. Les despotes abrutis n’y sont point préparés à la résistance.

Nous touchons à cette époque. Si elle arrive, l’Angleterre sera ce qu’elle doit être, une puissance réduite à régler ses affaires sans trop se mêler de celles des autres, et sans nuire à leur repos. Elle fondera son commerce plus solidement sur son industrie que sur ses traités et ses vaines prétentions à la souveraineté des mers.

Sa constitution telle qu’elle est, il est vrai, est favorable à son industrie, et paroît évidemment le grand principe de son activité. Mais son commerce ne peut-il vivifier son île sans être la source de ses injustices, de ses longs démêlés avec les puissances du continent, de ses envahissements de possessions dans les quatre parties du monde, de ses traités frauduleux, appuyés de la menace, et souvent violés par la force ? L’extrême avidité de l’or que ce grand commerce occasionne n’allume-t-elle pas ce foyer de corruption qu’entretiennent ceux qui gouvernent, pour perdre les mœurs, dénaturer le patriotisme, et étouffer peut-être un jour la liberté sous le poids de la dette publique ? Si les nations voisines, mieux éclairées sur leurs intérêts, s’avisoient de mettre en activité leur puissance réelle, que deviendroit alors la puissance factice de l’Angleterre que son systême politique lui a tant fait exagérer ? Alors on verra quels avantages elle aura retirés d’avoir si mal proportionné son empire à ses moyens de le conserver, et sur-tout d’assurer sa paix intérieure, sans quoi une constitution est mauvaise, et devient étrangere au bonheur des citoyens. La vie morale des empires est comme la vie physique des individus. Ce n’est point à la force tonique des remedes qui la soutiennent qu’il faut juger de sa durée, mais au tempérament robuste qui facilite le jeu naturel de ses organes, sans altérer sa constitution.

Qu’est-ce qu’un systême de législation que des intérêts commerciaux font vaciller sans cesse, qui a besoin, pour être soutenu, d’un parti d’opposition qui force chaque jour le ministere à changer de mesures, à modifier ses principes ? Qu’attend-on de cette lutte perpétuelle avec des colonies lointaines toujours prêtes à détacher leurs intérêts de ceux de la métropole, et que l’on ne tient en respect que par une exaltation de forces onéreuses à la nation, et dangereuses à sa liberté ? Cet état violent ne sauroit être durable qu’autant que la sottise et l’ignorance des nations environnantes ne le troubleront point. Si d’ailleurs il corrompoit l’esprit public, s’il n’attachoit de considération qu’aux richesses, et que la probité y fût vénale, les places du gouvernement deviendroient le prix de l’intrigue, de la bassesse et de tous les vices. La nation seroit vendue à ses représentants, qui la dépouilleroient à leur tour pour payer ses suffrages et la gouverner à leur gré.

Je vous l’ai déja dit ; quand l’Angleterre s’est donné une constitution, c’étoit la meilleure que ses lumieres et les circonstances où elle se trouvoit alors lui permettoient de choisir. Au lieu d’être un systême combiné dans toutes ses parties, elle n’est que le résultat des passions qui l’agitoient, et des intérêts divisés que la force des partis faisoit dominer. Ce n’est dont point en elle qu’il faut chercher le grand principe d’action qui lui procure quelques avantages intérieurs, et fait admirer sa prodigieuse influence dans toutes les parties du monde. Elle l’a dû plus souvent au sommeil léthargique de ses voisins qu’à une politique raisonnée, à un plan suivi d’agrandissement.

Que l’on ouvre l’histoire d’Angleterre : depuis qu’elle a une constitution, l’on verra un peuple qui marche au hasard, qui se fie à des lois qu’il n’ose perfectionner ; une nation sans cesse en travail, qui prévoit peu, va sans s’arrêter, ne voit que des gains mercantiles dans ses projets, et ne fait la guerre que pour vexer ses colonies, ou troubler la tranquillité de ses voisins. Si c’est là le meilleur esprit de gouvernement qu’un législateur doive chercher dans une constitution, on ne peut nier que les Anglais l’aient trouvé dans la leur. Un philosophe ami de l’humanité seroit plus difficile à satisfaire. Il voudroit une constitution telle qu’en jouissant de toute la plénitude de sa liberté, de sa sûreté personnelle et de sa propriété, il fût obligé de respecter, je ne dis pas seulement celle de ses concitoyens, mais de tous les autres peuples, par l’heureuse impuissance où il se mettroit de les attaquer ; car nuire aux droits naturels des autres, c’est sans raison compromettre les siens. Les esprits sont sur la route de cette vérité ; attendons que la sotte stupidité ou l’inconséquence de ceux qui gouvernent mettent les peuples dans la nécessité d’en profiter. Un grand pouvoir n’est pas loin de sa chûte quand il continue de marcher sans regle et sans mesure au milieu d’un peuple dont la raison s’éclaire et s’étend chaque jour.

J’ai beaucoup loué les Anglais dans mes ouvrages ; je ne cesserai de les louer encore tant que nos gouvernements seront plus mauvais que le leur. Nous leur devons quelques bons écrits, fruit de leur liberté de la presse. N’ont-ils pas dédommagé par-là l’humanité d’une partie des maux qu’ils lui ont faits ? Profitons de leurs idées pour valoir mieux qu’eux ; mais ne transportons pas de leur île dans notre continent une constitution dont les éléments, quand ils seroient les mêmes, auroient des conséquences beaucoup plus fâcheuses pour nous qu’elles n’ont dû l’être pour eux, vu les changements survenus depuis chez toutes les puissances de l’Europe ; changements qui, en amenant de nouveaux rapports, ont fait disparoître les anciens. Que seroient donc les connoissances acquises depuis un siecle, si l’expérience et l’observation ne nous enseignoient rien de mieux à perfectionner dans nos gouvernements modernes que ce que le hasard des circonstances a fait rencontrer aux Anglais ?

Je commence à m’apercevoir que ma lettre est bien longue. Je ne la relirai pas. Vous m’aimerez avec mes défauts : quoique théologien, vous êtes tolérant.... Je vous embrasse.

LETTRE IV.

Le même au même,
Sur l’instruction du peuple.


À Voré, ce 15 août 1769.


Je vous attends à Voré ; vos conseils me seront utiles sur le parti à prendre pour l’impression de l’Homme. Je veux en finir, et laisser la premiere moitié telle que je l’avois faite pour répondre aux critiques de l’Esprit. Je sais que le public m’en a fait justice, et qu’il goûte assez généralement mes principes. Mais il est bon d’y revenir, et d’en faire aux superstitions religieuses une application plus précise que je ne l’ai faite dans mon premier ouvrage. Les allégories sont inutiles. La lumiere se répand de jour en jour. Il faut dire nettement aux hommes la vérité ; il y a assez long-temps qu’on les trompe. Je ne prends d’autres précautions que de déguiser mon style et de cacher mon nom.

Pourquoi, si l’on combat les erreurs, s’exposer à être assommé par les frippons qui les accréditent ? Jean-Jacques ne sait ce qu’il dit quand il prétend qu’un honnête homme doit répondre de son ouvrage. Un honnête homme ne doit rien écrire dont il puisse rougir. Mais où est la nécessité de compromettre son repos et son bonheur pour la sotte gloire d’être connu pour l’auteur d’un livre où l’on ne s’est occupé que du bien public ? Le bien public que peut faire un particulier dans nos gouvernements modernes est-il ailleurs que dans la déstruction des préjugés funestes, et dans la révélation des vérités qui les combattent ? Qu’importe le nom de l’écrivain courageux qui prend sur lui une si pénible tâche ? Ne peut-on être incognito le bienfaiteur de ses semblables ? et doit-on s’exposer à devenir inutilement la victime de l’envie contemporaine ?.....

Vous me demandez s’il est bon d’instruire le peuple. Et pourquoi l’instruction pourroit-elle nuire ? Si quelques hommes ont intérêt à tromper, nul n’a intérêt à être trompé. Il faut donc laisser à tout le monde la plus grande liberté d’examiner le pour et le contre. C’est le seul moyen sûr d’empêcher qu’on ne trompe, et qu’on n’ait la tentation de nous tromper. Ces vues générales sont claires. Ont-elles des dangers dans la pratique ?

Observez d’abord qu’il est assez inutile de s’opposer aux progrès des lumieres : il est inévitable. Pour les circonscrire dans de certaines limites, le génie despotique de Richelieu n’a pu imaginer que les académies, où les esprits, pour ainsi dire éjointés, n’avoient que la liberté de prendre le vol qui conviendroit au protecteur qui les soudoyoit. Heureusement nos meilleurs philosophes ne se sont pas laissé prendre à ce piege. Quelques uns se sont bien glissés dans ces corps ; mais, par la circonspection de leur conduite, ils ont fait tolérer la hardiesse de leurs idées. Si les académies n’ont point propagé les connoissances humaines, du moins elles n’y ont pas nui comme les universités.

Observez que les peuples anciens, quoiqu’ils n’eussent point de corps enseignants, n’ont jamais pensé que l’ignorance fût bonne à quelque chose ; que César et Cicéron dans le sénat romain osoient parler de vérités délicates qu’on trouveroit hardies dans nos sociétés particulieres, et qu’en Angleterre même on blâmeroit en public.

Observez encore que c’est chez les peuples où l’on a entretenu l’ignorance qu’il y a eu le plus de fanatisme, de crimes de tout genre, et d’opposition aux bonnes lois, quand il a pris fantaisie aux despotes ou à leurs ministres d’en faire. L’ignorance est le plus arbitraire des tyrans ; il faut des siecles pour s’en délivrer : au lieu qu’un instant de révolution chez un peuple éclairé suffit pour lui rendre tous ses droits à la liberté. Ce n’est pas là ce que cherchent les gouvernements. Ils favorisent les lumieres jusqu’à un certain point où ils voudroient les arrêter. Mais cela n’est guere en leur puissance. On ne peut les retarder qu’avec beaucoup de vexations qui irritent les esprits, excitent le murmure, répandent l’aigreur dans les ouvrages furtifs, et les rendent par-là plus dangereux.

Qu’a fait notre police moderne ? De petits réglements, d’inutiles persécutions qui ont donné plus de cours et de célébrité aux livres prohibés. Elle n’a fait de ses défenses et de ses censures que des privileges exclusifs au profit de la sottise.

Il paroît donc que les gens en place, les seigneurs de paroisse, les curés et les prêtres, se croient seuls intéressés à l’ignorance du peuple, pour le mieux tromper, et le conduire par-là plus à leur aise. Je vois bien ce qu’ils esperent gagner à l’abrutir pour le soumettre ; mais je ne vois pas que l’esclave ignorant soit plus utile au bonheur de son maître, ni qu’un peuple avili releve davantage la dignité de son prince.

On dit : Le peuple instruit est processif. — En effet, le paysan qui sait lire est chicaneur. Mais si tous savoient aussi bien lire que lui, croit-on que l’équilibre des lumieres ne produisît pas équilibre de force, et que tous connoissant mieux leurs droits, les uns attenteroient à ceux des autres par des procès coûteux dont l’issue est toujours incertaine ?

Il est indocile. — Quelle nécessité y a-t-il qu’il se laisse si facilement opprimer par des frippons de toute espece ? Vous vous rappelez la réponse de mon garde-chasse, à qui je reprochois de faire souffrir les lapins qu’il portoit dans sa gibeciere : « Monsieur, disoit-il, ils sont mauvais ; ils ne veulent pas se laisser tuer. »

Il est mécréant. — Je le crois bien. Pourquoi le prêtre qui lui prêche tant le précepte le persuade-t-il si peu par son exemple ? Le peuple doit-il mieux valoir que ses guides ? Peut-on lui faire un crime de ne pas raisonner aussi mal qu’eux, quand ils démentent par leur conduite la vérité d’une religion qu’annoncent leurs discours ? Le bon sens du peuple lui dit assez qu’on ne persuade bien que ce dont on est convaincu soi-même. Et, sans trop d’examen, il imagine que la vraie conviction est moins dans l’éloquence des paroles que dans celle des actions. N’a-t-on pas raison de se défier des poltrons qui vantent la bravoure ?

Il est insolent. — Pourquoi cherche-t-on à l’humilier, à le mépriser et à l’opprimer ? Pourquoi veut-on s’arroger le pouvoir d’être impunément injuste avec lui ? J’aime la noble réponse d’un Anglais grand seigneur à qui un paysan répondoit avec fierté. « Quoi ! lui disoit un Français, vous souffrez ainsi l’insolence de vos paysans » ! — « Non seulement je le souffre, répondit-il, mais je l’estime : c’est signe qu’ils n’ont pas besoin de moi, et qu’ils sentent leur égalité avec tout autre homme. »

Il n’y a rien à attendre d’un peuple ignorant qui méconnoît sa dignité, et ne sait faire aucun usage de sa raison. Le sultan est-il plus heureux de commander à des esclaves abrutis, qu’un roi d’Angleterre de se faire obéir par des hommes libres ? L’œil du voyageur se repose-t-il avec plus de complaisance sur les plaines désertes de l’Asie que sur les contrées montueuses de la Suisse ? Une poignée de Grecs instruits et libres faisoit trembler les nombreuses armées du grand roi. C’est par la destruction de l’esclavage que les nations ont repris leur ressort et senti une nouvelle existence. Un courage plus éclairé a doublé leur énergie et multiplié les sources de leur bonheur.

L’homme ignorant est esclave ; il languit et meurt accablé du poids des remords qu’on lui inspire, et garrotté par tous les liens de la superstition. Qu’importe à l’homme qui a une patrie de lui sacrifier une vie longue ou courte, s’il l’a passée au milieu des jouissances qu’a dû lui procurer le libre exercice de ses facultés ?

C’est donc le chef-d’œuvre de la politique autant que de la raison d’avoir appris aux hommes qu’ils étoient libres. Il y a peut-être des maux voisins du bien. Il faut les peser. J’ai dit peut-être, car je suis persuadé que c’est ici un lieu commun ; et les lieux communs sont presque toujours faux. Rien n’éloigne le mal comme le bien ; et d’une bonne loi il ne peut naître d’inconvénients, à moins qu’elle ne soit seule, c’est-à-dire à moins qu’elle ne soit pas accompagnée de toutes les lois qui en sont ou le vrai principe ou les conséquences naturelles. A-t-on jamais vu le peuple se révolter contre les lois raisonnables ? et n’est-il pas bon que ceux qui veulent l’opprimer sachent que le peuple est instruit des ressources qu’offrent les lois contre l’oppression ? Les ministres de la religion qui n’auroient pas à compter sur une sotte crédulité rendroient leur enseignement moins absurde et plus circonspect. Tout homme qui voudra n’être que juste ne sauroit craindre d’avoir pour subalternes des hommes instruits. En un mot, quand on n’a ni dupes à faire, ni passions et intérêts à déguiser, et qu’on n’a pas le dessein d’en imposer par des hauteurs ou des caprices, on ne redoute pas les lumieres et le bon sens du peuple.

Vous voyez combien il est important au bonheur des hommes de le fonder sur la nature, et de répandre les lumieres qui la font mieux connoître. Leur introduction dans le monde n’y peut être dangereuse, par la lenteur avec laquelle elles se propagent. Vous en avez vu les raisons dans la derniere partie de mon ouvrage, qui, je crois, sera la meilleure et la plus intéressante. Je n’ai pas craint de tout dire ; j’avois moins de ménagements à garder que dans le livre de l’Esprit. Ma pensée est plus libre. Vous vous en êtes apperçu au style, dont j’ai moins soigné les détails et les liaisons. Quoique le gouvernement s’éclaire peu, les Français s’instruisent, et ne sont plus des enfants. La vérité moins ornée commence à leur plaire.