Lettres d’amour (Champsaur)

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Librairie universelle (p. 1-8).


LETTRES D’AMOUR
(Extrait de l’Amant des Danseuses)


Ce qui suit est dépouillé d’intrigue ; comme réalité, c’est la copie exacte d’une correspondance. Rien n’a été changé, sauf les noms.

Des naturalistes ont pu, d’après quelques ossements, reconstituer un animal antédiluvien, décrire son caractère et ses mœurs ; il serait curieux ainsi, d’après ces petits billets, de deviner les détails des plaisirs et peines d’amour dont elles sont le vestige.

Les deux amants ont mis du noir sur du blanc. C’est tout ce qui reste de leur sentiment passager : pour elle passion, pour lui caprice ; car rarement existe, en amour, l’accord parfait.

Madame de Sergy, 10, rue de Monceau
Paris, 23 août, jeudi.

Méchante, je vous ai attendue. Vous êtes admirablement gracieuse. J’ai été joyeux tout le jour dans l’espérance certaine de votre venue promise.

Un mot, je vous prie, pour me donner rendez-vous. Ou plutôt je serai chez moi demain, à cinq heures. Méchante, qui êtes si gentille, venez.

À vos pieds.
Jacques de Mirande.
Vendredi.

Je n’ai fait que songer à vous.

(Sur une carte de Jacques, laissée rue de Monceau, chez Mme de Sergy.)

Maison Rose, dimanche.

Pourquoi vous être moquée de moi, hier ? Donner ce rendez-vous par ce soleil, c’est une jolie plaisanterie. Personne… Je suis dans votre jardin comme un voleur. Je ne comprends pas. Qu’est-il arrivé. Pourquoi n’avoir pas prévenu ?

Une dépêche aussitôt, Laure, pour dire quand pourrai venir.
Je devrais, en ce moment, vous couvrir de baisers, comme d’un voile de promesses, de baisers qui donnent la fièvre pour d’autres baisers.

Je suis navré. Je ne sais plus, je ne comprends plus rien, sinon que je vous aime. Un « petit bleu ».

J’ai sauté par-dessus la grille, pour laisser ce mot, avec des roses, dans un des deux mignons sabots oubliés dehors.

Près de Marie-Antoinette,
Dans le petit Trianon,
Fûtes-vous pas bergerette ?

Une dépêche, ce soir, et j’accours. À vous, du profond du cœur. C’est atroce.

Jacques.

2 h. 30. (Au crayon, sur une feuille déchirée d’un carnet.)

Maison Rose, lundi.

Ce soir, pour vous les verrous du chalet seront tirés.

Laure.
Paris, jeudi 30 avril.
Marquise de Sergy, — Maison Rose, Parc de Neuilly.

Lettre, chérie.

(Télégramme)

Jacques.
Paris, 3 septembre, mardi.
Chère amie,

Vois-tu, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Je pars en voyage. Il le faut. Mais j’ai le meilleur souvenir de ces quelques jours et de ton charme exquis. Écris-moi que tu ne me boudes pas, que nous resterons bons amis. Tu me plais beaucoup et je te chéris bien.

Je serai très heureux, je t’assure, si tu veux bien toujours m’envoyer de tes nouvelles, et quand nous nous rencontrerons cet hiver, à Paris ou à Nice, ce sera une fête d’amitié, même d’amour, si ta gentillesse s’en mêle.

Pourquoi finir après un peu plus d’une semaine ? J’en ai pris la résolution, et je suis tout attristé par les regrets.

Crois-moi, mon cœur.
Jacques.
Maison Rose, mardi soir.

Vous m’avez dit que vous m’aimiez ; vous avez été mon amant, et c’était du fond de mon âme que mes baisers montaient à votre cœur.

J’avais mis dans ce roman plus que de la fantaisie et pris pour de l’amour une aventure frivole, qui ne pouvait durer qu’un jour, qu’une nuit. Aujourd’hui, le regret silencieux penche ma tête blonde et ternit l’azur de mes yeux.

Si je me suis trompée, si vous pensez à moi, venez, ami, cueillir à ma paupière une larme discrète et fière et me rendre ce délire qui me faisait tout oublier.

S’il est trop tard, alors que mon cœur se déchire. L’amour est mort. Il est sous terre. Qui peut ressusciter les morts ?

Laure de Sergy.
Paris, 5 septembre, mercredi.

Ta lettre charmante m’a troublé. Qui peut ressusciter les morts ? La foi. Je t’aimais. Depuis ta lettre, je t’aime davantage.

Pourquoi cette inconséquence ? C’est qu’il y a un homme double en moi, le sensitif et le raisonneur. Réfléchis aussi. Où nous mènerait une liaison ? Nous quitter plus tard serait difficile après un enracinement.

Je le jure, aucune femme ne m’a ravi plus que toi, le premier jour où je t’ai vue, avec ta voix si douce, ta silhouette élégante et fine. Tu es supérieure, délicate, distinguée, adorable.

Et je t’adore. Tu peux venir, en tout temps, me voir. Tu es sûre d’être la bienvenue, la bien chérie, la bien fêtée. Cependant, soyons amis, mon amour.

Il suffit d’une semaine de sentiment véritable pour parfumer l’amitié de toute une vie. Je souffre de te faire de la peine. Pardonne. J’ai le malheur de te causer un chagrin.

Jacques.
Maison Rose, vendredi 7 septembre.

Devrais-je t’écrire, mon pauvre cher ami ? Tu es parfois bien singulier, et sans qu’on en sache le motif ! Hier, sur ma poitrine ton cœur battait à se briser, et sur mes lèvres je sens encore tes baisers. Et tu ne m’aimais pas ! Ce n’était que caprice. Tu parles d’amour pour prendre le cœur sans donner le tien.

Hélas ! l’amour est un oiseau de passage ; la joie est brève, et le réveil triste. Aujourd’hui nos amours sont terminées. Nous les jetterons dans le passé, et nos baisers nous couvriront de leurs débris.

Tu m’as fait pleurer et rire quand tu cherchais dans mes yeux et sur ma bouche l’infini. Tu me disais que mes traits sont adorables, et tu ne m’aimais pas ! Il te semblait drôle de passer le temps en badinant avec l’amour.

Prends garde, chéri, de te prendre toi-même au piège et que ton chagrin ne me venge !

Laure.
Maison Rose, 8 septembre.
Cher ami,

Je t’envoie, au hasard, cette rose, et, cachée bien au fond du feuillage, cette épître amoureuse. Je ne sais où ni quand elles te parviendront. Peut-être que la fleur, lasse d’un tel voyage, n’aura déjà plus rien de sa beauté d’un jour, mais je pourrais juger que ma lettre n’aura rien perdu de son parfum d’amour.

Je voudrais te voir.

Laure.
Mardi, Minuit.

Si (?) mon petit mot vient t’éveiller, à l’heure où l’aurore commence, prends mon premier regard et mon premier baiser.

Laure.
Paris, mercredi, 12 septembre.

À méditer, Amie.

Jacques.

« … À cet être qui prend votre vie et votre pensée ne lui donnez que des restes d’âme et de caresses, que des miettes tombées du festin mangé par un autre. C’est la pire des douleurs humaines, c’est, des hontes ardentes, la plus dévorante ; vous êtes criminelle envers lui que vous adorez. Pâle victime, vous tremblez sous ses caresses, parce qu’elles ne sont pas assez pressantes pour vous faire oublier que vous avez été coupable autrefois. Envisagée des bras qui vous enlacent, de cette poitrine sur laquelle vous reposez une tête qui ne peut pas plus dormir que s’enivrer, votre vie écoulée avant de le connaître apparaît incessamment… »

(J. B. d’Aurevilly.Ce qui ne meurt pas.)
Maison Rose, 16 septembre, dimanche.

J’ai reçu, il y a trois jours, votre imprimé et n’en ai pas compris le sens. Vous êtes un méchant curieux qui se plaît à froisser l’amie qui s’est donnée à vous tout entière et confiante. Cherchez votre idéal dans un musée, vous trouverez sûrement une belle statue.

Laure.

(Lettre qui accompagnait une aquarelle, signée : Georges Decroix, représentant Mme de Sergy en clownesse, — petits souliers et maillot d’azur semé d’étoiles, justaucorps rouge à crevés, cheveux d’or jaune et, à l’extrémité de la houppe, un papillon bleu — Mme de Sergy, la marquisette, dansant au cirque Molier, sur une selle de panneau, au trot d’un magnifique cheval alezan normand :)

Je veux, au jour critique,
Dire un mot de regret
Et, par acte authentique,
Te léguer ce portrait.
Puis une mèche blonde,
Un long baiser de feu.
Qu’à ton cœur il réponde,
Ce rien qui parle un peu.

Laure.
Maison Rose, 29 septembre.

Je suis un peu pressée. Mais j’ai besoin de te l’écrire : j’ai trouvé que tu sentais bien bon.

Laure.
Paris, 1er octobre.

Pas de nouvelles. Pas de courrier hier ni aujourd’hui.

Que faites-vous, monsieur ? Y a-t-il dans votre chemin quelqu’un qui vous captive assez pour me faire oublier ? Êtes-vous retombé dans vos bizarreries et inégalités de caractère ? Pour moi, je ne peux pas en avoir de semblables. Enfin, je suis fâchée, mais toute prête, mon ami, mon amant, à faire ce que vous voudrez.

Votre petite
Miss Crampon.
Paris, 3 octobre.

Adieu, avec un profond souvenir du cœur, Marie de Magdala, à qui on donne l’amour sans confession.

À plus tard, amie.

Jacques.
Paris, 4 octobre.

À plus tard, amie. Rien de plus triste. Je savais bien que vous n’étiez dans ma vie qu’un feu follet. Vous me donnez de mauvaises raisons, enveloppées dans des compliments ou des regrets, comme vous m’avez donné votre temps perdu. Votre amie a un tout petit estomac ; elle ne peut ni avaler ni digérer tout ce qu’on lui offre. Une fois pour toutes, le passé est bien fini, je n’entendrai plus parler de vous. Vous m’avez envoyée une fois encore aux calendes grecques. Laissons ce cruel badinage, et gardez pour d’autres fleurs vos caressantes paroles de lendemain, de fidélité. Votre nature passionnée aime éperdument toutes les nuances de roses. Quant à moi, l’amoureuse désillusionnée, qui déteste le partage, je vous écris le sentiment qui doit survivre aux folies de mon cœur. J’ai les nerfs horriblement malades.

Mais tout est fini.

Laure.

(Lettre portée par Mme de Sergy chez M. de Mirande, absent. Sur l’enveloppe, au crayon, trois fois : « Revoir. »)

Madame de Sergy, rue de Monceau.
Paris, 6 octobre.

Obligé partir à Nice. Adieu nécessaire, irrémissible, ému.

(Dépêche).

Jacques.
Paris, 7 octobre.

Vous êtes bien coupable ; vous faites, en me quittant, comme les poltrons qui prennent leurs jambes à leur cou et se sauvent sans se retourner. J’ai bien compris, n’est-ce pas ? À quoi bon les tristesses du départ et de l’adieu ? Votre lettre est venue me souhaiter bon voyage ; je l’ai là, sur le cœur. Est-ce pour me punir de ma joie de l’autre jour ? Vous m’envoyez ce mot en courant ; je vous plains de courir toujours ainsi, quand il y a près de vous, de l’ombre et du bonheur.

Je vous vois de nouveau dans les aventures, comme feu Figaro. Vous êtes décidément un être si décousu que je vous excuse et vous pardonne, cher Juif-Errant, qui marchez avec cinq sous dans votre poche sans pouvoir vous arrêter jamais.

Vous avez des choses tristes à m’écrire, parce que vous n’avez pas le courage de me les dire. D’ailleurs, j’avais des pressentiments ; les voilà qui se justifient. Vous me rendez la clef de mes chers songes heureux. Je vous aimais pourtant bien, et je ne puis m’empêcher de « te » le dire encore.

Il me semble que c’est mon dernier baiser.

Tu as hésité, retardé, consulté. Plus de doute. Eh bien, je serai brave. Et quand le temps d’épreuves sera passé, les amoureux se retrouveront des amis. Mais quand ? En attendant, il faut te dire adieu en t’adorant. Adieu donc. Je t’adore, je te le jure, et je veux t’étreindre dans ma lettre, une suprême fois de toutes mes forces, comme l’autre jour, te rappelles-tu ?

Non. Ce serait faire revivre un souvenir que je ne veux pas revoir. J’oublie aussi. Je mettrai sur de la cire noire : Espérer. Tiens, vois-tu, j’aime mieux fermer tout de suite ma lettre et mes yeux et, autant que possible, mon pauvre cœur.

Laure.
Paris, 8 octobre.

Je n’ai pas oublié vos tendresses, le magnétisme irrésistible. Après m’avoir deux fois abandonnée, vous sonnez contre moi les trompettes du jugement dernier.

Tenez, je voudrais tremper ma plume dans le sang de mon cœur et vous écrire, triste ou gai, ce qui monte à ce cœur tout plein de souvenir.

Le souvenir, c’est la caresse de l’amour éloigné. Eh bien, je ne m’en cache pas, j’ai pleuré, je pleure les baisers envolés, je pleure votre cœur, que je ne trouve plus pour reposer le mien.

Maintenant, j’ai résolu de ne plus vous écrire, de ne plus penser à vous. Il paraît que c’est fort difficile, car il vous aimait beaucoup, ce pauvre cœur, et je crois qu’il ne désirait rien de plus en ce monde. Voici une mèche blonde : il faut la mettre, avec le portrait, sous un crêpe noir. Si vous avez à m’écrire, votre lettre sera comme le soleil qui sourit dans la pluie. Ne m’en privez pas.

Pauvre petite amie.

Laure de Sergy.
Nice, 11 octobre.

Ma chère Laure, le croiras-tu de moi, si mauvais pour ton amour ? Je pleure aussi. C’est inconséquence. Qui sait ? Le bonheur passe-t-il sur mon chemin sans que je le voie ?

Crois-moi, cher cœur, je t’aime de toute mon âme. Tu survis à tous les désirs, à tous les caprices. Tu es ce que je rêve. Pourquoi donc ? Pourquoi ? je n’aime que toi, je n’ai jamais aimé que toi, et, si jamais j’en aime une autre, ce sera encore toi. Petit idéal d’élégance et de tendresse aventureuse, étoile blonde, qui aurais dû attendre pour parcourir le ciel afin de guider ma vie amoureuse de toi, je regrette tes premiers rayons. Cher amour, fins et longs cheveux d’or clair, je vous adore : vous êtes tout ce qui m’a ému au monde !

Je suis obligé de m’interrompre. Mes yeux sont obscurcis de larmes. Je pleure les joies qui ont passé devant moi, l’affection de ma vie évanouie, je pleure ce que j’aurais voulu, ce que je payerais de cinq ans d’existence… J’ai bien pensé à toi.

Quels seront nos destins ? Mais tu devais être à moi, et, s’il est un Dieu bon et tendre, car parfois on voudrait croire, il aurait dû réunir nos deux âmes durant l’éternité. Elles n’en font qu’une… N’envie personne, chérie, tu as le meilleur de moi.

Être bizarre, je lutte contre moi-même. J’embrasse la mèche de cheveux que tu m’as envoyée ; dans ce baiser je mets ce que je ne donne jamais, tout ce que j’ai d’amour et de chimère.

Jacques.

Cette lettre était la dernière en date du paquet noué d’un étroit ruban noir.

Quels menus événements expliquaient cette correspondance ? Quelles ont été les émotions de cœur entre ces lettres d’amour ? Quel est le caractère, la situation de cette maîtresse délaissée ?

C’est certainement une âme tendre, qui avait ordinairement de l’esprit. Elle ne connaissait pas, marquisette, cette légende d’un dessin de Grévin représentant un monsieur, près de lui une enfant qui s’habille.

« Maintenant, ma chérie, souviens-toi pour ta gouverne qu’il n’y a de femmes « chouettes » que celles qu’on ne peut pas avoir. »

Et l’amant capricieux — un tout jeune homme sans doute, de dix ans plus jeune que sa maîtresse — qu’était-il ?

Comme quelques fous, un chercheur d’impossible, un rêveur qui aurait voulu en même temps manger les raisins et en voir les fleurs. — Le rêve, il existe peu ; on en sort, chaque matin, quand commence la vie réelle.

Félicien Champsaur.


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