Lettres d’un Provençal à son épouse/13

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, par M. H……Y
(p. 55-59).
Lettre huitième

LETTRE HUITIÈME

Paris, le……


Le foyer du Théâtre Montansier, ma bonne femme, est proprement dit un bordel public pour l’un et pour l’autre sexe. On ne fréquente pas ce spectacle pour le mérite des ouvrages que l’on y représente, toutes les pièces que l’on y donne sont d’une bêtise que n’excuserait pas nos Tron-de-dieu bagasses. J’en excepte cependant la comédie du Timide, qui m’a procuré un plaisir inouï, indicible… Et tu ne sais pas comment ?… Je me suis fais branler pendant toute la représentation ! et au dénoûment j’ai déchargé dans la poche d’un vieux rentier qui applaudissait à tout rompre ! Revenons au foyer. Il est bon que tu saches que c’est également la galerie des jolies filles de joie et de ces petits squelettes qui se croient la coqueluche de toutes les femmes. Là, on se parle, on se heurte, on se pince, on se dit de charmantes grossièretés, et cela par pure gentillesse. Comme j’ai enculé et foutu de toutes les manières les nymphes qui en font l’ornement, je t’envoie leurs noms et demeure.

Catherine la barbotteuse, taille de cinq pieds, sept à huit pouces, figure de sapeur, le sourcil extraordinairement fourni et d’un beau noir, l’œil brun et méchant, taille épaisse : elle fixe les regards à cause de l’éclat des pierreries qui la décorent ; mais comme tout est faux chez elle, de même que son apparente beauté, une fois qu’on l’a vue on n’y retourne plus. Elle reste Pâté de la porte Saint-Antoine, no 110.

Chon-chon, chez la Sainte-Lucile, Palais-Royal, Galerie de la rue des Bons Enfants, petite drôlesse à l’œil fripon, à la mine chiffonnée. On doit rendre hommage à sa belle chute de reins.

La Rosière, belle tête, coupée suivant les règles de l’art, âgée de quatorze ans, ayant un port voluptueux et des manières engageantes. Son domicile est chez madame Concassé, rue Verte, no 120.

Rose, bien nommée à cause de son teint vermeil, il lui manque déjà quelques dents incisives ; mais qu’on se rassure, elle doit s’en faire remettre d’autres. Galerie du Lycée, no 26.

Juliette, sœur de cette fameuse libertine : rue Trousse-Vache, no 100. On peut la considérer comme une beauté, si ce n’est qu’elle a un tuyau de commodités dans l’estomac.

Amable, rue Tire-boudin, no 80. Elle a plus d’apparence que de réalité. L’art lui est d’un grand secours. Le ventilateur qu’elle a dans le bec lui fait tuer les mouches au vol.

Aline, superbe créature, bonne et douce, foutant comme la déesse de la volupté. Je te la recommande particulièrement, elle demeure rue des Déchargeurs, no 3.

Germancé, petite sotte, jouant le bel esprit, écourtée sur pattes et de grandes oreilles, rue Bétizy, no 1.

La Goulue, rue Vide-Gousset, no 8. Tétons pendants nonobstant le corset élastique, bras longs et décharnés. C’est seulement pour faire nombre qu’elle vient au foyer.

Madelon, au Palais, no 150. Fille enjouée, modeste sur ses appas qu’elle n’a pas. Il faut lui rendre justice, elle se connaît.

La Gimblot, au Palais, no 17. Grande blonde, bien faite, tétons gros et fermes : son con est si étroit qu’il est impossible de la baiser ; je la crois barrée.

La Dormeuse, ainsi appelée à cause de son air nonchalant à faire des chalands : belle femme du reste. Elle loge en garni rue des Mousquetaires, à côté de la fontaine.

Lison, no 62, au Petit Carreau. Fille alerte, faisant bien son commerce ; le jour elle fréquente les Tuileries et Coblentz.

Rosalie, au Palais, no 62, tête superbe, belles dents, bouche vermeille, douze à treize ans et sans grande malice.

Dorothée, rouge, acariâtre, méchante par caractère et intéressée ; cuisses faites au tour et belles jambes, rue Transnonain, no 4.

Louisette, au Palais, no 18. C’est une petite pelotte de graisse.

Denise et sa sœur logent ensemble au Marais ; comme elles m’ont dit être tribades, je te les note en conséquence. Rue du Pont-aux-Choux, no 10.

Enfin, je n’en finirais pas si je te parlais des autres femmes qui assiègent les escaliers de ce théâtre ; ce sont les défectueuses qui se tiennent dessus pour éviter la grande clarté du foyer.

Ne t’ayant jusqu’à présent entretenu que de putains, dans ma première je me réserve de te parler un peu des femmes du bon ton et de leur manière de penser. Écris-moi de suite, et crois qu’il n’était pas besoin de me faire un héritier pour cimenter l’amour qui existe entre nous.

Je t’embrasse mille fois,
B…

Lettres d’un Provençal, 1867, Figures
Lettres d’un Provençal, 1867, Figures