Lettres d’un habitant des Landes/Postface

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Postface

Jusqu’à son dernier jour, Bastiat a voulu, d’une volonté invicible, éclairer, servir et unir les hommes. Convaincu que tous leurs intérêts légitimes sont harmoniques et non pas antagonistes, il supplie la jeunesse, à laquelle son livre est dédié, d’acquérir de la science et de l’expérience. « Esprits dégagés de préjugés invétérés, libres de toute haine, dit-il, cœurs dévoués, enthousiastes de tout ce qui est bon, beau, simple, grand, honnête, étudiez, observez le problème social ; vous comprendrez bientôt que Dieu ne s’est pas plu à fonder le monde sur une dissonance révoltante et irrémédiable. »

Épuisé, détruit par un mal toujours croissant qui le martyrisait, il combattait encore le scepticisme dont il redoutait par-dessous tout les progrès : « Jeunes gens, répétait-il, pour aider au triomphe du bien, croyez en vous-mêmes, en votre responsabilité qui ne peut se concevoir sans la liberté. »

Les forces du patient étaient vaincues, mais sa foi de missionnaire restait inébranlable. La tendresse qu’il avait vouée à sa seconde mère, aux siens, à ses amis, comme sa foi, malgré les plus vives souffrances, ne s’est jamais altérée. Sans cesse ramené par ses méditations à la contemplation des œuvres divines, chaque preuve nouvelle de la sagesse, de la bonté du Créateur lui causait des enchantements ineffables ; son âme, profondément religieuse, naturellement tournée vers la lumière, sembla l’entrevoir tout entière au moment suprême. « La vérité, la vérité, » répéta-t-il deux fois en pressant le crucifix de ses lèvres. Quelques minutes plus tôt, on l’avait entendu murmurer : « Je suis heureux que mon esprit m’appartient. » Bastiat allait atteindre sa cinquantième année quand il mourut à Rome le 26 décembre 1850. Dans l’église de Saint-Louis-des-Français, une dalle de marbre recouvre sa tombe et rappelle à ses compatriotes un nom qui honore leur patrie. Aujourd’hui, en 1877, sur la place du village de Mugron, vis-à-vis de la maison qui fut la sienne, un monument s’élève à sa mémoire. Déjà près de vingt-sept ans se sont écoulés depuis que l’auteur des Harmonies a cessé d’exister, et sa doctrine comprise se propage. Sa gloire est consacrée, la postérité a commencé pour lui.