Lettres d’une Péruvienne/Lettre 08

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LETTRE HUITIÉME.



QUand un seul objet réunit toutes nos pensées, mon cher Aza, les événemens ne nous intéressent que par les rapports que nous y trouvons avec lui. Si tu n’étois le seul mobile de mon ame, aurois-je passé, comme je viens de faire, de l’horreur du désespoir à l’espérance la plus douce ? Le Cacique avoit déjà essayé plusieurs fois inutilement de me faire approcher de cette fenêtre, que je ne regarde plus sans frémir. Enfin pressée par de nouvelles instances, je m’y suis laissée conduire. Ah ! mon cher Aza, que j’ai été bien récompensée de ma complaisance !

Par un prodige incompréhensible, en me faisant regarder à travers une espéce de canne percée, il m’a fait voir la terre dans un éloignement, où sans le secours de cette merveilleuse machine, mes yeux n’auroient pu atteindre.

En même-tems, il m’a fait entendre par des signes (qui commencent à me devenir familiers) que nous allons à cette terre, & que sa vûe étoit l’unique objet des réjouissances que j’ai prises pour un sacrifice au Soleil.

J’ai senti d’abord tout l’avantage de cette découverte ; l’espérance, comme un trait de lumiere, a porté sa clarté jusqu’au fond de mon cœur.

Il est certain que l’on me conduit à cette terre que l’on m’a fait voir, il est évident qu’elle est une portion de ton Empire, puisque le Soleil y répand ses rayons bienfaisans[1]. Je ne suis plus dans les fers des cruels Espagnols. Qui pourroit donc m’empêcher de rentrer sous tes Loix ?

Oui, cher Aza, je vais me réunir à ce que j’aime. Mon amour, ma raison, mes desirs, tout m’en assure. Je vole dans tes bras, un torrent de joie se répand dans mon ame, le passé s’évanouit, mes malheurs sont finis ; ils sont oubliés, l’avenir seul m’occupe, c’est mon unique bien.

Aza, mon cher espoir, je ne t’ai pas perdu, je verrai ton visage, tes habits, ton ombre ; je t’aimerai, je te le dirai à toi-même, est-il des tourmens qu’un tel bonheur n’efface !

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  1. Les Indiens ne connoissoient pas notre Emisphere, & croyoient que le Soleil n’éclairoit que la terre de ses enfans.