Lettres d’une grand’mère

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Lettres d’une Grand’Mère






LETTRES D’UNE GRAND’MÈRE





Grand’mère de Ségur



LETTRES


D’UNE GRAND’MÈRE


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LA COMTESSE DE SÉGUR


À SON PETIT-FILS JACQUES DE PITRAY



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LIBRAIRIE H. OUDIN
PARIS | POITIERS
10, RUE DE MÉZIÈRES, 10 | 4, RUE DE L’ÉPERON, 4

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1898



À LA COMTESSE L. DE COURVILLE


L’aimable auteur de Mademoiselle Edmonde et des Petits de Presles.
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Chère Madame et amie, mon cœur m’inspire en inscrivant votre nom sur la première page de cette publication. Soyez-en la marraine spirituelle, et que votre ressemblance littéraire avec ma mère chérie s’atteste ici dans une parenté morale qui m’est doublement chère.

Vicomtesse de PITRAY, née de Ségur.

Paris, 1er septembre 1897.




GRAND’MÈRE


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Jamais, jusqu’à ce jour, je n’avais écrit pour les jeunes lecteurs de ma mère une Biographie (court résumé de sa vie), car je désirais la leur donner avec ses lettres charmantes à son cher petit Jacques, mon fils aîné.

Je serai brève : ne se peint-elle pas dans cette correspondance où elle montre pleinement son ardente bonté, son infatigable sollicitude, sa puissance d’aimer et sa piété profonde ? « Grand’mère » a une façon d’écrire qui n’appartient qu’à elle et sait donner du relief aux moindres choses. Longtemps sa modestie l’avait laissée dans l’ombre ; mais les prières de ses petits-enfants la décidèrent à livrer son nom à la publicité, et la publicité, ce fut pour elle la célébrité.

Sa vie retirée la dérobait néanmoins aux yeux curieux de la foule. On savait bien que c’était la fille de l’illustre Rostopchine, de l’incendiaire patriote de Moscou, qui écrivait les histoires délicieuses que s’arrachaient des milliers de petites mains ; puis, c’était tout ! Parfois une tête brune ou une tête blonde venait inopinément s’offrir naïvement au baiser affectueux de la vénérable et célèbre conteuse… Ces jolies scènes étaient rares, tant ma mère savait bien garder son incognito en toutes circonstances ; elle avait une telle horreur des compliments et de la flatterie !

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Née en 1799, Sophie Rostoptchine était encore une fillette quand l’incendie de Moscou lui révéla quel héros était son père. Ce souvenir fut ineffaçable ; elle en parlait avec une admiration enthousiaste qu’elle nous a communiquée. Sa conversion au catholicisme, due à sa pieuse mère, lui fit agréer un mariage en France, et en 1819 elle épousait Eugène comte de Ségur, ancien page de Napoléon Ier et officier de cavalerie.

La petite fille aux grands yeux gris espiègles, aux joues roses, était devenue alors une personne charmante, dont la physionomie était des plus expressives, dont les magnifiques cheveux blond foncé étaient non moins remarquables que le teint éclatant, et dont la tournure élégante était aristocratique au suprême degré. Que l’on joigne à cela une simplicité profonde, une grâce qui s’ignore, et l’on aura le portrait de ma mère au moment de son mariage.

Sur huit enfants que Dieu lui envoya, le second, Renaud, mourut tout jeune ; l’aîné était mon frère Gaston, ce saint Monseigneur de Ségur dont la cécité a fait briller d’un plus vif éclat les multiples vertus.

Celui qui vint après Renaud était Anatole, marquis de Ségur, ancien conseiller d’État, auteur distingué ; puis Edgar comte de Ségur-Lamoignon, ancien secrétaire d’ambassade et ancien député, dévoué aujourd’hui à l’œuvre des cercles catholiques ouvriers.

Quatre filles arrivent à la suite ; Nathalie, baronne de Malaret, jadis Dame du Palais de l’Impératrice ; Sabine, qui, entrée au monastère de la Visitation, y mourut en vraie sainte, et Henriette, sa sœur jumelle, devenue la femme d’Armand Fresneau, le catholique sénateur du catholique Morbihan.

Olga, celle qui écrit ces lignes, est la dernière de la famille, et elle ne se souvient pas sans douleur d’avoir, par su naissance, altéré pour de longues années la santé de son excellente mère.

Devenu Pair de France après la mort du chef de la famille, car cette dignité était héréditaire chez les Ségur, mon père partageait son temps entre Paris et nos chères Nouettes, la campagne donnée à ma mère en 1822 par le général comte Rostoptchine pour ses étrennes. C’est aux Nouettes que nous nous ébattions autour de notre mère chérie, la comblant de soins et de caresses et vivant heureux de ce bonheur paisible dont on ne se rend compte que lorsqu’il vous échappe. C’est aux Nouettes que se fiancèrent Nathalie et Henriette. C’est aux Nouettes que notre frère vénéré, que Gaston devint aveugle ! C’est aux Nouettes que ma mère écrivit la plupart de ses charmants livres. C’est aux Nouettes que naquirent la plupart de ses enfants et de ses petits-enfants. C’est aux Nouettes enfin que nous voyions le plus et le mieux notre illustre ami Louis Veuillot.

L’âge seul força ma mère à quitter cette terre bien-aimée. Sa santé, déjà altérée en 1870, reçut une seconde et rude secousse dans cette année néfaste qui la vit trembler pour la première fois de sa vie… La mère souffrait d’être séparée de la plupart de ses enfants ! la grand’mère souffrait de ce même mal !…

L’auteur ne se releva pas de ce coup cruel ; la Vie des Saints n’eut que trois pages d’écrites… et la plume faiblit dans ces mains défaillantes, sans toutefois s’en échapper tout à fait, car sa correspondance continuée atteste que l’esprit était toujours aussi charmant, aussi fin, aussi gai, aussi alerte. La force seule faisait défaut, et ma mère ne devait la retrouver qu’au ciel. Stoïque devant la vieillesse, elle en constatait les progrès avec un calme qui nous confondait. Son amour pour Dieu, grandissant chaque jour, lui faisait accepter la perspective d’une séparation dont l’idée seule nous déchirait le cœur ! Ma mère attendait la mort en 1874 et commença en athlète chrétienne une lutte formidable, avec une agonie terrible, comme jadis Jacob avec l’ange. Cette lutte suprême dura plus de quinze jours… puis, le 9 février au matin, cette belle âme s’envola vers le Dieu qu’elle servait avec tant d’énergie et tant d’amour, laissant mon pauvre frère Gaston si brisé de cette perte qu’elle en altéra sa santé à jamais.

Voilà ce que fut « grand’mère » dont la dépouille mortelle repose dans le cimetière de Pluneret, près de Sainte-Anne d’Auray, en Bretagne. « Dieu et mes enfants », porte la croix qui se dresse sur sa tombe. – Ce fut le cri de son cœur et la règle de sa vie. La chrétienne et la mère s’unissaient en elle pour faire de son existence un tout incomparablement beau et touchant.

… Qu’elle l’aimait, cette enfance pour laquelle sa plume traçait, en se jouant, des pages impérissables ! La comtesse de Ségur est un des classiques de la littérature enfantine, et ses livres resteront pour attester son esprit, sa verve, son cœur et sa foi.

La miséricorde divine a permis que son cher petit Jacques et sa chère petite Camille ne succombassent qu’après elle. Les lettres contenues dans ce volume montrent la tendresse de ma mère pour ses petits-enfants. Je puis attester qu’ils en furent dignes et que, pour son compte, Jacques méritait cet attachement profond, manifesté avec une persévérance si fidèle ! Sa piété, son bon cœur, son amour pour le travail, ses brillantes études prouvent qu’il eût réalisé les tendres rêves de son aïeule, s’il fût resté parmi nous… Hélas ! des imprudences réitérées à la suite d’un refroidissement compromirent, puis brisèrent sa robuste santé. Deux ans après la mort de « grand’mère », Jacques, après avoir héroïquement enduré dix mois d’une souffrance sans nom, s’éteignait pieusement, consolé par les secours de la religion qui avait assisté son martyre, la veille de ses 19 ans !…

Que les prières de ceux qui liront ces pages réunissent dans leur souvenir la grand’mère et ses deux bien-aimés petits-enfants, car Camille la rejoignait peu après, comme attirée par la main puissante de l’aïeule voulant terminer, de par la permission divine, une vie toute de larmes et de douleur…

De là-haut rayonne désormais l’image pure et imposante de l’auteur chrétien dont je trace en pleurant la notice. Ceux qui l’ont bien connu ne l’oublieront jamais et l’aimeront toujours, d’un amour qui défie le temps et qui laisse à vif la plaie saignante faite par la mort dans leurs cœurs. – « C’est le premier chagrin » qu’elle m’ait jamais causé, disait Louis XIV de Marie-Thérèse mourante. Les enfants et les amis de ma mère répètent ces mots et y ajoutent l’au revoir ! de la Foi qui espère dans l’Éternité pour les réunir à « grand’mère » et aux autres bien-aimés partis avant eux…


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LETTRES D’UNE GRAND’MÈRE


Paris, jeudi 12 janvier 1861.
Mon cher petit Jacques,

Je t’écris pour te consoler un peu de ne pas venir avec maman. Mais je crois que tu te serais ennuyé. Pierre et Henri n’y sont pas… Il n’y a aucun enfant que tu puisses voir. Chez moi, après dîner, je n’aurais pas pu jouer avec toi, à cause de ton oncle Gaston ; alors, que serais-tu devenu ? Ton grand-père, tes oncles, tes tantes sont tous absents. À Livet tu t’amuseras avec ta sœur à faire une cabane et un treillage à ton jardin. Si tu as besoin d’un ouvrier pour t’aider, je te payerai deux ou trois journées ; il aura le temps de faire le plus difficile de ton ouvrage. Arrange cela avec Auguste[1], qui est très bon et qui te procurera un bon ouvrier comme Lortie. Je vous ai envoyé, à tous deux, une jolie cravate par M. Mazier, qui retourne à Laigle ce soir et qui vous enverra votre petit paquet par le facteur. J’aurais bien voulu vous envoyer aussi deux jolies petites tasses à café avec votre nom écrit dessus en lettres d’or, et puis un joli verre pour toi, un sac de perles pour Jeannet, du joli papier à lettres avec enveloppes bordé de jaune, de rouge, de bleu, de vert ; mais M. Mazier n’avait pas de place dans sa malle. Je t’enverrai cela par maman avec d’autres petites choses. Je pense toujours à toi et à Jeanne, et j’espère que maman vous laissera venir aux Nouettes bien longtemps et beaucoup de fois. Adieu, mon cher petit ; je t’embrasse bien tendrement avec Jeannet à laquelle j’écrirai demain. Embrasse papa pour moi.

Grand’mère de Ségur.
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Cher amour,

J’irai te voir demain avec ton oncle Gaston ; je t’apporterai encore des noix. Les petits chiens ont crié comme des malheureux après ton départ : je croyais que c’était de chagrin, mais j’ai découvert que c’était la faim ; on avait oublié de leur donner à dîner à midi. J’ai chargé Joséphine Morel de leur porter à manger trois fois par jour. Adieu, mon cher petit chéri ; embrasse bien maman, papa, ma grosse Jeannette et mon excellente Margoton. Embrasse aussi ta bonne, et fais un petit salut à Léontine[2]. Je t’embrasse bien fort et beaucoup de fois. Ton oncle et M. l’abbé t’embrassent avec Jeannet et Margoton.

Grand’mère de Ségur.

J’envoie douze petites poires pour vous et pour maman.


Paris, 1863, 14 mars.


Mon bon petit Jacquot, je pense continuellement à toi, et je suis bien ennuyée de n’avoir pas de nouvelles de toi et de ce que tu fais. Je ne sais seulement pas si tu as la pioche que je t’avais commandée et qu’on devait te donner quand tu as passé devant les Nouettes. Dis-moi, en dictant une lettre à ta bonne, à quoi tu t’amuses, si tu travailles à ton petit jardin, si le jardinier t’aide un peu, si tu as tout ce qu’il te faut. Je t’ai envoyé, par le paquet de grand-père, cinq bougies bleues comme tu avais demandé. Je n’ai pas eu le temps de t’envoyer autre chose, ni quelque chose pour Jeannet et Margot, parce que j’ai su trop tard que grand-père envoyait un paquet… Ta petite cousine Henriette[3] est très gentille ; figure-toi qu’elle commence à lire assez bien les Malheurs de Sophie et qu’elle commence à écrire dans les cahiers de M. Paupier… elle compte très bien jusqu’à 100 ; elle se trompe quelquefois de 70 à 80. Sa maman lui donne deux fois par jour des petites leçons de 10 ou 15 minutes, jamais plus. Le soir, Henriette joue avec M. l’abbé à faire des tours, des églises, des villages dans le petit salon… Le petit Armand ne vient au salon qu’après déjeuner pendant dix minutes, parce qu’il fait du bruit… Élisabeth… s’amuse à lire, à découper, à écrire des histoires… Adieu, mon cher excellent petit Jacques ; je t’embrasse mille fois… Une poignée de main à papa. Adieu, mon cher petit ange.


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Paris, 1863, 28 mars.


Cher enfant, j’envoie une petite caisse qui contient les cahiers d’écriture que tu me demandes ; tu commenceras par le n° 1 blanc, puis 1 bis ; puis 1 grand cahier ; quand tu feras bien les 1, tu prendras 2, puis 3, puis 4. Il faut repasser avec de l’encre ce qui est en rouge ou en bleu. Maman te montrera ça ; il ne faut faire pour les premières pages que 2 ou 3 lignes par jour, sans quoi la main se fatigue et on écrit mal. Il y a quatre flacons de parfums que tu me demandes ; puis pour toi et pour Jeanne des petits cahiers de papier de couleur, et des petites enveloppes. Il y a un porte-monnaie-calepin pour Marguerite ; puis deux petits livres de messe pour toi et pour Jeanne ; enfin deux petites tasses pour toi et pour Marguerite qui n’en a pas. Louis s’ennuie beaucoup à Paris. Il ne va nulle part qu’aux Champs-Elysées voir Guignol.

Je suis triste de ne plus vous voir tous, mon cher amour Jacquot. Je ne vous verrai pas avant deux mois d’ici ; et comme je serai seule aux Nouettes, je viendrai vous voir souvent. Adieu, mon cher petit chéri… Je serai bien contente quand je pourrai t’embrasser.

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Paris, 1863, 21 avril.


Mon cher petit Jacques,

Maman écrit que tu es toujours souffrant de l’estomac, ce qui me fait de la peine……. Ne te force pas à manger et ne mange que ce qui te plaît. Si tu aimes le lait, bois-en matin, soir, dans la journée, tant que tu voudras. Et ne te fatigue pas à faire de trop longues courses ; c’est mauvais pour toi. Si papa se moque de toi et te dit que tu es une poule mouillée, ne t’en afflige pas et pense, pour te consoler, que tu es un bon petit coq, bien huppé, et que tout le monde le sait et le dit.

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Louis est un peu triste de la mort de son écureuil qui est mort en wagon pour avoir été à reculons et n’avoir pas pu vomir. Il se console avec les deux petites poules que tu lui as données et qu’il a emmenées à Bruxelles. Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement, ainsi que maman, papa, Jeannet, ma bonne grosse Margot et le gros Paul.


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Paris, 1864, 1er février.

Mon très cher, très bon, très excellent et très charmant Jacquot, je t’embrasse d’abord et je te remercie ensuite de ta bonne longue lettre.

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Je vous ai envoyé un petit paquet dans lequel il y avait de jolies bouteilles d’anis, de liqueur, et du chocolat ; plus des petites boîtes de lettres pour composer des mots qu’on donne à deviner ; la petite Henriette aimait beaucoup ce jeu ; seulement elle mettait une drôle d’orthographe ; ainsi, pour habit elle mettait abi ; pour encrier elle mettait ankriyé. Ce jeu apprendra à Jeannet à connaître ses mots : et toi, il t’apprendra l’orthographe. Demande à maman de te lire dans le premier volume des Instructions familières de ton oncle Gaston : Un examen de Catéchisme ; ce sont de petits garçons qui disent des bêtises et un garçon qui répond très bien. Je fais un livre qui t’amusera beaucoup ; il s’appelle Un bon petit diable ; c’est un petit garçon qui est très sévèrement élevé par une méchante tante, à laquelle il joue des tours affreux ; j’ai fait cinquante pages. Marie-Thérèse est un peu malade depuis deux jours, mais c’est peu de chose. Pierre et Henri sont enchantés d’apprendre à danser avec leur cousin Fernand K… ; ils ont deux leçons par semaine, et dans l’intervalle des leçons, Pierre et Fernand dansent toujours, ce qui ennuie Henri ; alors il se moque d’eux, Pierre et Fernand le chassent, et il reste tout seul.

… Adieu, mon cher petit minet chéri, je t’embrasse bien tendrement.Papa a bien raison de ne pas te donner de fusil, tu te tuerais et tu tuerais les autres (avant de te tuer toi- même)…


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Paris, 1864, 14 février.
Mon cher petit Jacques,

Je t’embrasse bien tendrement pour tes sept ans, et j’espère que tu vas avoir bientôt un nouveau furet. Prie papa de te donner de ma part cinq francs pour t’aider à en acheter un. Tu crois que ton furet est mort dans un trou ; pas du tout ; il vit encore ; il lui est arrivé ce qui arrive à presque tous les furets ; il est entré dans un trou à lapins ; il les a massacrés impitoyablement, il a sucé leur sang (car tu sais que les longues dents des furets leur servent à percer les grosses veines des lapins pour sucer leur sang) ; il s’est enivré, car le sang chaud enivre comme le vin ; il est tombé endormi dans le trou et il en a fait sa demeure, ne pouvant plus retrouver Livet ; il a probablement fait connaissance avec des amis furets ; et il vit là-bas, dans un terrier volé aux pauvres lapins, avec quelques amis, et il se réjouit d’avoir recouvré sa liberté. Des gens qui travaillent près de là, l’ont entendu dire : « Si vous saviez, mes amis, quelle horrible vie mène un pauvre furet prisonnier ; toujours enfermé dans une prison noire, petite, puante ; peu à manger, souvent battu. Moi, j’avais heureusement un bon, excellent petit maître (le furet pleure, essuie ses yeux avec sa petite patte et continue d’une voix tremblante : ) un maître que j’aimais, qui me faisait sortir, prendre l’air, qui avait la bonté de me lâcher près des terriers de ses lapins ; j’en tuais des douzaines, je suçais leur sang, puis je sortais quand je me sentais devenir ivre, et j’arrivais près de M. Jacques, mon bon petit maître. (Le furet pleure.) Hi… hi… hi… ça me fait de la peine de ne pas le voir ; il est si bon ! je l’aime tant ! » Les autres furets ennuyés l’ont laissé pleurer et ne sont revenus que le soir ; ton furet était consolé, mais encore triste. Adieu, mon cher petit Jacquot ; te voilà à l’âge de raison ; je t’embrasse encore bien tendrement.

Grand’mère de Ségur.


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Mon bon petit Jacques, je te remercie de ton joli bouquet qui embaume ; j’ai trouvé le bout de la trompette ; il était dans le panier à joujoux ; je te l’envoie… Fais-moi dire de tes nouvelles par le facteur, et de celles de Paul et de maman…

Je te porterai du raisin, et je déposerai une couronne sur la tombe de notre chère petite Marguerite.

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Je t’envoie deux grappes de raisin que Méthol m’a apportées de Paris ; tu les partageras avec Jean et Paul ; tu enlèveras quelques grappillons de chaque grappe, pour faire la part de Paul, et puis tu donneras un reste de grappe à Jeanne, et tu garderas l’autre reste de grappe pour toi. Nous vous attendons avec impatience aux Nouettes ; vous n’oublierez pas… vos livres de classe. Adieu, petit chéri…


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Kermadio, 11 décembre 1864.


Cher petit Jacquot, Henriette a reçu ta lettre qui est si bien écrite que nous avons tous cru que c’était papa qui te l’avait tracée au crayon et que tu n’avais fait que la repasser à l’encre ; mais maman m’a écrit que c’était toi seul qui avais si bien écrit, et tout le monde se joint à moi pour te faire compliment de tes rapides progrès et pour complimenter aussi papa qui a si vite formé un si bon élève. Dis à maman que je tâcherai à Paris de te trouver des livres d’étude amusants et faciles à comprendre, dans le genre du Manuel des Salles d’asile que j’ai donné à maman pour toi ; un gros livre rouge et or, où il y a les commencements de tout : catéchisme, histoire, grammaire, géographie, calcul, etc.

Je veux aussi commencer cet hiver des livres utiles et agréables pour les enfants ; je tâcherai de faire vite une grammaire et un livre de calcul pour toi. Nous sommes débarrassés du loup depuis quinze jours ; il a été à quatre lieues d’ici dans un village qu’on appelle Kraq, où il a mangé une belle génisse ; les habitants se sont fâchés ; ils l’ont chassé et ils lui ont cassé une patte d’un coup de fusil ; de sorte qu’on le voit peu et il traîne péniblement sa patte cassée ; il n’est pas revenu à Kermadio ; j’espère que les habitants de Kraq achèveront de le tuer. Adieu, mon cher bon petit Jacquot.

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Adieu, mon bon petit chéri.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, vendredi 27 janvier 1861.

Mon cher petit Jacques, dis-moi si tu trouves les chevaux que papa a achetés jolis et si papa les a essayés avec toi et M. Anneau. Dis-moi quelle est leur couleur, s’ils sont d’une jolie taille, et surtout s’ils sont doux et faciles à mener ; tu me diras aussi leur âge.

Ton petit cousin Louis, frère de Valentine, est malade d’une angine couenneuse ; on lui a brûlé la gorge hier, comme M. Rouyer a fait à Paul, et j’attends de ses nouvelles…

Quel vilain temps tu as, mon pauvre petit ! Ta maisonnette est-elle finie ? Peux-tu y mettre tous tes outils ?…..

Ta dernière lettre à maman était encore mieux que les autres. Je t’embrasse de tout mon cœur.

Grand’mère de Ségur.
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Paris, ler février 1861.


Mon bon et cher petit Jacques, remercie bien M. Anneau de sa lettre et des détails intéressants qu’il me donne sur toi et tes occupations. Je regrette de ne pas pouvoir arriver avec un immense ballon pour gagner la bataille ; mais je te chargerai de mes intérêts et je t’enverrai un gros ballon, le plus énorme qui puisse se fabriquer. Tu ménageras M. Anneau à cause de sa bonté ; contente-toi de lui faire des bosses sans blessures saignantes…

Adieu, mon cher excellent petit Jacques, je t’embrasse bien tendrement… Je vais tâcher de trouver un énorme ballon…. Adieu, mon petit chéri, je t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, 2 mars 1865.

Mon cher petit Jacques chéri, je suis très contente que ton poignard te fasse plaisir, et j’espère que tu n’auras jamais occasion de t’en servir pour ta défense personnelle ; il est terriblement pointu, coupant et dangereux ; ainsi ne le laisse pas traîner, et surtout que Paul n’y touche pas. Maman m’a écrit que tous vos gros ballons étaient crevés ; est-ce que le gros beau de 5 francs que je t’ai envoyé a pu être percé ? Il était pourtant bien épais et bien dur. Je soupçonne Paul de l’avoir lardé et je t’engage, quand tu en auras un autre, à le serrer soigneusement et à le confier à l’honneur et à l’amitié de M. Anneau, toutes les fois que tu ne joueras pas avec. Pierre et Henri reviennent à Paris dans vingt jours ; je t’écrirai s’ils sont grandis, et ce qu’ils racontent de Rome. Je crois que Henri ne s’y est pas beaucoup amusé. Il te racontera tout cela lui-même quand il viendra aux Nouettes.

Tu vas voir dans quelques jours ton oncle Rostoptchine qui veut absolument aller chercher lui-même ta tante Lydie. Ton cousin Louis de Malaret est toujours souffrant, pâle et maigre, depuis son angine couenneuse ; on pense pourtant à lui donner un précepteur, parce que Mlle H. ne suffit plus ; il commence le latin. Quand tu le commenceras, je te donnerai un excellent livre nouveau pour comprendre et apprendre le latin en très peu de temps, de sorte que dans trois mois tu rattraperas tes cousins… Pierre a envie d’entrer au collège… Adieu, mon cher excellent petit Jacquot ; dis-moi si tu as encore eu des crises d’estomac. Je t’embrasse bien fort…


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Samedi, 1865.


Cher enfant, envoie-moi le nom de baptême de M. Anneau, j’en ai besoin pour le mettre dans un bel Évangile relié que je lui donne pour remplacer le sien qu’on lui a pris… Aie bon courage, mon cher petit chéri. Nous tâcherons de placer notre bon M. Anneau au chemin de Laigle, et tu le verras souvent alors[4]. Je suis bien contente d’avoir assisté à ton examen jeudi ; je crois que tu en sais assez pour être en septième avec tous les enfants de ton âge. Je pense à toi et je prie pour toi jour et nuit ; je t’embrasse mille fois…


Ta grand’mère de Ségur,
qui t’aime de tout son cœur.


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Kermadio, 29 octobre 1865.


Mon cher petit Jacques chéri, ta petite lettre est si bien, que tout le monde a été surpris. Je crois même que l’orthographe était de toi. Henriette te fait dire que quand elle sera aux Nouettes et que tu y seras aussi, vous écrirez chacun de votre côté une petite page pourvoir lequel des deux fait le mieux. Je suis bien contente que tu t’amuses avec M. Anneau ; cela prouve qu’il est très bon et que tu travailles très bien, parce que quand un enfant travaille mal et se conduit mal, il est gêné avec son précepteur et il ne s’amuse pas avec lui… Je serai aux Nouettes probablement mardi 8, et j’espère bien que vous viendrez vous établir aux Nouettes le mercredi 9. Je serai bien contente de vous embrasser et de regarder vos chères petites figures. Adieu, mon cher petit chéri. Pierre m’écrit qu’il est enchanté d’être à Turin, qu’il s’amuse beaucoup et qu’il danse tous les soirs… Ils ont fait avec ton oncle Anatole une excursion à Milan… Ils vont tous bien…


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Paris, 31 décembre 1865.

Mon bon petit Jacques, un mot pour te souhaiter une bonne année et pour te prévenir que tu dois recevoir en même temps que ma lettre une petite caisse contenant : un petit panier en argent ciselé pour maman ; une petite valise de voyage pour Françon ; un petit microscope pour Paul ; un miroir à alouettes pour toi ; une boussole et une petite lorgnette à image pour toi, une pour Jeannet, une petite pour Paul ; deux flacons à parfums exquis, un pour toi (celui que tu voudras), un pour Jeannet ; c’est un parfum qui vient du Brésil, apporté à Honorine par un jeune cuisinier marin et qui est rare et hors de prix ; il faut en mettre une ou deux gouttes pour tout embaumer. Tu choisiras le flacon que tu voudras. J’avais pour Jeannet une petite ménagère ; mais au moment de faire le paquet, je ne l’ai pas retrouvée. Adieu, mon bon excellent petit Jacques, je t’embrasse tendrement. Si ta caisse n’arrive pas demain, demande au facteur de te l’apporter ; elle est très légère et pas grande.

Tu planteras en terre le long bout d’acier du miroir à alouettes ; tu mettras le bout de cuivre sur la petite pointe ; tu poseras dessus le miroir à facettes. Tu dérouleras la ficelle ; tu tireras légèrement la ficelle et tu la lâcheras alternativement en maintenant le bout de la ficelle dans ta main, le plus loin possible du miroir. Voilà tout. Le microscope doit se retirer de son étui de cuivre ; on regarde par le petit bout ; il y a dedans du millet ; si tu veux y mettre autre chose, une mouche, une puce ou plusieurs puces, et tout ce que tu voudras, tu dévisseras le bas et tu y mettras ce que tu veux.

Adieu, petit chéri, je t’embrasse encore ; bien des amitiés à notre cher M. Anneau…


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Kermadio, 8 mai 1866.


Merci, mon cher petit Jacques, de ta longue lettre ; elle est si bien écrite, que je l’ai fait voir à tout le monde ; on l’a trouvée très bien, et très gentille…

Henriette fait dire à Jeanne de se dépêcher d’apprendre à lire tout à fait bien, à écrire, à compter et toutes les autres choses qu’il faut savoir. À toi, elle te fait dire de ne pas trop apprendre pour ne pas être trop savant quand elle ira aux Nouettes l’année prochaine. Elle et Armand se sont bien amusés hier soir ; le vicaire de la paroisse, l’abbé X., fait des tours d’adresse aussi bien que Robert Houdin ou Robin. Entre autres choses, voici ce qu’il a fait. Il a demandé une bouteille vide et une carafe d’eau. Il a versé l’eau dans la bouteille qu’il a bien rincée devant nous tous, au milieu du salon ; ensuite, il a demandé si on voulait boire du cognac, du kirsch, de l’anisette, du curaçao, du rhum ou n’importe quoi ; il a versé dans un petit verre ce qu’on a demandé ; puis il a versé de la même bouteille, devant nous tous, plus de cinquante petits verres, non seulement des liqueurs nommées, mais encore ce qu’on lui a demandé, croyant l’embarrasser, du madère, de la chartreuse, du malaga, du bordeaux et d’autres vins et liqueurs dont j’ai oublié le nom. Il était debout au milieu du salon : il n’a pas une seule fois baissé le bras ni la bouteille ; on lui présentait les verres ; il versait, versait toujours, sans même tourner ni relever la bouteille, à chacun ce qu’il demandait. Les cinquante personnes présentes ont toutes bu, et toutes ont trouvé leur liqueur ou vin excellents. Pendant deux heures il a fait des tours de ce genre. Il a demandé un grand verre qu’on lui a apporté ; il l’a rempli de son ; il a appelé Henriette et lui a donné à tenir le verre. Il l’a couvert d’un mouchoir ; il a soufflé dessus ; il a enlevé le mouchoir, et le verre s’est trouvé plein de dragées roses et blanches qu’il a distribuées à toute la société. Il n’avait devant lui ni table, ni meuble ; Henriette était comme lui, debout au milieu du salon. J’ai oublié de te dire que quelques personnes ont demandé à la bouteille inépuisable un cigare au lieu de liqueur ; il en est sorti un cigare. Trois ou quatre autres ont aussi demandé des cigares ; elles en ont eu également. Les cigares étaient secs comme s’ils sortaient d’une boîte. Dans un des tours, les enfants ont eu une quantité de joujoux, trompettes, sifflets, montres, poupées, etc., sortant d’un chapeau vide. J’ai bien regretté que vous ne fussiez pas là ; vous vous seriez bien amusés… Adieu, petit chéri ; je t’aime énormément ; je t’embrasse très fort et je te félicite sur tes trois lapins. Si tu continues ainsi, tu seras le plus fort chasseur et tueur du pays.


Les Nouettes, 1866, 8 octobre.


Merci, mon cher petit chéri, de ta bonne lettre qui m’a fait très grand plaisir et qui n’a pas une seule faute d’orthographe. J’espère que tu seras heureux à Vaugirard. Je t’y verrai mercredi…

M. Anneau sera à Paris après-demain… Demande à papa qu’il arrange ses courses pour que M. Anneau vous trouve chez vous quand il y arrivera. Je suis bien sûre que papa ne te refusera pas ce plaisir, et ne voudra pas causer au bon M. Anneau le chagrin de ne pas te voir… Il fait un temps superbe ; je fane mes regains…

Remercie bien papa de sa bonne et aimable lettre et des nouvelles qu’il me donne… Tout le monde va bien. Françon ramasse des pommes et des noix tant qu’elle peut pour toi et pour Jeanne, dit-elle. Elle mange et dort bien, ainsi que Paul ; ils sont gais comme des pinsons. Adieu, cher petit chéri, je t’embrasse tendrement ainsi que papa… M. Anneau t’embrasse de tout cœur.

Grand’mère de Ségur.


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Mardi, soir 1866.

15me !!! J’espère que c’est beau ! Comme tu y vas, mon petit chéri ! Tu marches à pas de géant ; tu as sans doute chaussé les bottes de sept lieues du petit Poucet. Je n’espérais pas te voir entrer dans la première vingtaine avant trois ou quatre mois d’ici. Tu es heureux, tu es content ; moi aussi je suis enchantée et tranquille enfin grâce à toi. Paul va beaucoup mieux ; il a été levé aujourd’hui, et il a mangé. Moi, je suis un peu grippée, ce qui m’empêche d’aller te voir avec maman. J’envoie ta lettre à papa qui sera enchanté comme moi. Ton écriture aussi a fait des progrès merveilleux. Françon a été voir aujourd’hui ta tante Sabine, qui l’a trouvée gentille à croquer.

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Ton oncle Gaston t’embrasse, te félicite et t’annonce cinq francs d’encouragement pour mardi prochain.

Grand’mère de Ségur.


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Les Nouettes, 10 décembre 1866.

Mon cher petit Jacques chéri, bientôt je te verrai, car je pars le surlendemain de Noël, jeudi, et j’irai te voir dimanche 30. Tu me diras à quelle heure il faudra t’aller chercher le jour de l’an…

Paul et Françoise t’aiment beaucoup, ils baisent souvent ton portrait que j’ai près de mon lit. « Mon cher Jacques, dit souvent Paul, j’aime beaucoup mon cher Jacques. » Françoise répète après lui, comme de raison. Paul a fait beaucoup de progrès pour le caractère et la gaieté. Il est très obéissant, très serviable ; il cause beaucoup plus ; il rit souvent aux éclats ; il est moins timide ; tu le trouveras changé à son avantage. Françon est très gentille, mais colère comme un dindon et volontaire, mais pas avec moi qui ne cède pas à ses caprices ; elle veut pourtant toujours être chez moi ; tous les deux détestent leur bonne allemande.

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Il y a 15 jours, toute la chasse de M. *** (j’oublie le


Jacques de Pitray.



nom) est venue jusqu’à Beaujay ; le cerf s’est jeté dans la rivière près du pont. Les chiens s’y sont précipités après lui et l’ont pris dans Peau. Les piqueurs ont été obligés d’entrer aussi dans la rivière pour avoir le cerf. Tout le village, y compris M. le curé, était rassemblé autour des chasseurs ; c’est M. de Cha… Cha… (je ne sais quoi) qui a égorgé le pauvre animal. Adieu, mon cher petit bien-aimé, je t’embrasse bien tendrement.

Grand’mère de Ségur.


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Les Nouettes, 1866.


Mon cher petit Jacques chéri, j’espère qu’on t’a apporté ton papier à lettres, tes enveloppes, tes plumes, porte- plumes. Serre les bien de peur qu’on ne te les chipe. Tu sais que messieurs les collégiens sont forts sur le chipage, ce qui est très mal, car chiper c’est voler et faire de la peine à ceux qu’on vole.

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Paul et Françoise parlent beaucoup de toi ; ils sont contents que tu viennes passer huit jours à Livet, après Pâques.

Papa a tué deux lièvres que nous avons mangés et que nous aurions bien voulu t’envoyer ; mais c’est impossible ; tu n’aurais pas pu les manger, à cause de tes nombreux compagnons. Les deux ravaudes chassent admirablement ; papa te fera chasser pendant ton séjour à Livet ; et il est probable que ce sera moi qui vous amènerai de Paris.

Tu dois avoir beau temps pour tes promenades ; ici il fait beau presque tous les jours. Paul et Françon vont à Aube tous les jours pour faire des emplettes. Hier Paul a acheté un sécateur de 75 centimes ; il en est enchanté et coupe toutes les branches qu’il peut attraper. Tu en achè- teras un (mais plus beau) quand tu seras ici. Adieu, mon cher petit Jacques ; je t’embrasse bien tendrement ; tout le monde t’embrasse… Adieu, chéri.

Grand’mère de Ségur.


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Les Nouettes, 1866, 21 décembre.
Mon cher petit Jacques,

Bientôt je te verrai, car j’arrive jeudi 27, pour dîner chez ton oncle Gaston. J’irai te voir dimanche avec Jeanne. Et le mardi, jour de l’an, je te ferai sortir ; nous aurons à dîner toute la famille ; après déjeuner tu iras avec Jeanne et Honorine faire des emplettes du jour de l’an…..

Paul est devenu très gentil ; il est plus gai, plus causant ; il t’aime beaucoup et Françoise aussi ; ils sont enchantés de te voir. J’espère, mon petit chéri, que tu continues à être heureux dans ton collège et à aimer les bons Pères Jésuites. M. Anneau m’écrit qu’il est entré comme précep- teur près du petit Louis d’Ar…, âgé de huit ans, qui doit entrer à Vaugirard dans trois ans. Ce petit garçon t’aime beaucoup, d’après ce que lui a dit M. Anneau et d’après les Mémoires d’un âne et les Vacances. Les parents doivent venir en Normandie aux vacances, et M. Anneau t’amènera le petit Louis. Adieu, mon cher petit chéri… Paul est en- chanté de retourner à Livet, le jour de Noël, après la grand’messe et le déjeuner. Je t’embrasse de tout mon cœur.

Grand’mère de Ségur.


Vendredi, 1er mai 1867.


Mon cher petit, ton oncle Gaston t’envoie ce paquet de boules de gomme contre la toux ; il les a bénies en leur ordonnant de te faire du bien et de ne pas te faire punir…

Je t’enverrai chercher bien exactement mardi, à 7 heures et demie…..

Vous dînerez tous chez moi avec les cousins Pierre et Henri. Dans la journée, vous courrez après le bœuf gras ; il y en a douze énormes au Jardin d’acclimatation, et achetés par le même boucher….

Je t’envoie une toupie volante ; il faut monter neuf tours pour qu’elle aille bien et la lancer d’un peu haut. Adieu, mon cher bon petit, je t’embrasse bien tendrement. Tes cousins te félicitent sur ta 15e place et s’étonnent de la rapidité de ton avancement. Adieu, mon petit chéri ; je t’envoie aussi quelques timbres saxons et piémontais.


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Les Nouettes, 1861, 6 mai.


Depuis que tu es parti, mon cher petit Jacques, il fait un temps magnifique ; et pendant tes vacances, tu n’as pas eu une seule belle journée. Papa te cherche d’avance un bon petit cheval, bien sûr, pour les vacances ; il croit qu’au bout de 8 ou 10 jours, tu pourras venir seul aux Nouettes et te promener dans les environs. Je te recommanderai bien à la protection de la sainte Vierge, pour qu’elle te préserve de tout accident, ce qui ne m’empêchera pas d’être bien inquiète toutes les fois que tu monteras seul. Heureusement que tu es prudent à cheval comme à la chasse. Papa m’a dit l’éloge qu’avaient fait de toi le Père A. et le Père C. Tu juges si j’ai été contente…..

Henri, qui va faire sa première communion jeudi 9, viendra aux Nouettes le 10… Ta tante de Malaret m’écrit que le pauvre Louis est maigre à faire pitié, depuis sa dernière maladie. Le bon air des Nouettes lui fera du bien ; il s’est toujours bien porté ici. Hier dimanche, c’était la fête d’Aube ; Paul et Françoise y ont fait les emplettes accoutumées : des pains d’épice, des sucres d’orge, des pipes à bulles de savon, des couteaux, des trompettes, etc. Ils déjeunent ici avec papa et maman.

Adieu, mon cher petit bien-aimé, je t’embrasse bien tendrement.

Grand’mère de Ségur.


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Les Nouettes, 1867, 24 mai.
Mon bon petit Jacques,

Personne ne m’a donné de tes nouvelles depuis que tu es parti, mon cher petit bien-aimé, ce qui me prouve qu’on ne va pas te voir ; c’est bien la peine d’avoir un demi-cent d’oncles, de tantes et de cousins pour n’en voir aucun. La pauvre Jeanne est aussi délaissée que toi ; c’est le sort de tous les pensionnaires, garçons et filles. Je regrette de ne pas être à Paris, je ne t’abandonnerais pas, ni Jeanne non plus…..

Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement. Tout le monde va bien à Livet. Paul soupire après toi.

Les Nouettes,18S7, 14 juin.

Mon petit chéri, maman vient de m’envoyer aujourd’hui samedi ta lettre de mardi qui m’a beaucoup intéressée. Tu fais très bien d’écrire à maman au lieu de m’écrire à moi, car moi, tu sais que je ne serai pas jalouse ; je sais que tu m’aimes ; quoi qu’il arrive et quoi que tu dises et fasses, je sais que tu m’aimeras toujours ; et comme tu as peu de temps à donner à ta correspondance, je suis bien aise que tu l’emploies au profit de ceux qui seraient mécontents de ton silence. Louis est enchanté d’un arrangement de leçons que ta tante de Malaret a fait avec le précepteur M. Dob… Il doit travailler cinq heures par jour en quatre fois. Le gouverneur a calculé ce qu’il pouvait faire en cinq heures, et on a déclaré à Louis qu’il aurait à faire tel et tel devoir pour chacune de ses heures de travail ; que lorsqu’il aurait fini plus tôt, il irait jouer.

Depuis deux jours qu’il a commencé ce système de travail, il gagne cinq ou dix minutes chaque heure, ce qui lui donne des récréations plus longues ; tout à l’heure il vient de gagner une demi-heure sur une heure de thème latin. Ce qui le stimule autant, c’est qu’il arrange le petit jardin, qu’il le plante en choux, oignons et autres légumes. Le petit Gaston [5] est son garçon jardinier ; il court avec la brouette pour chercher ce qu’il faut, et comme ses absences se prolongent trop quand quelque chose l’attire, comme les poulets, les canards, les vaches, etc., Louis perd sou temps à courir après son garçon jardinier qui fait l’école buissonnière. Ils sont très gentils tous les deux ; ils ne se disputent jamais. Louis t’attend avec une grande impatience ; il y a encore deux mois d’attente ; mais en travaillant, le temps passe vite.

Adieu, mon cher petit Jacques chéri, je t’embrasse bien tendrement et je prie bien souvent pour ton vrai bonheur dans ce monde et dans l’autre…..

S. R comtesse de Ségur.


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S. R. COMTESSE DE SÉGUR.


Les Nouettes, 1867, 11 juin.

Mon cher et bon petit Jacques, Léon m’a écrit qu’il t’avait trouvé en très bonne santé, que tu avais été premier en analyse et que tu étais très content. Louis, qui est ici depuis douze jours, travaille beaucoup au petit jardin ; il a semé des pois, des haricots, des salades qui viennent très bien ; lui et le petit Gaston ont ramé ce matin leur petit carré de pois, qui sont hauts comme cette feuille de papier. Ils se fout un chemin à travers bois pour rejoindre l’allée de ton oncle Gaston ; le sécateur coupe, taille des branches grosses comme le pouce. Louis regrette bien que tu ne sois pas là pour diriger les travaux. Il espère te faire manger aux vacances quatre lapins qu’il élève et qu’il nourrit avec un tel soin qu’il y en a déjà un mort d’indigestion ; il leur donne à manger par jour deux petites charrettes pleines de légumes et d’herbe. On dit qu’il y a tant d’étrangers à Paris qu’on ne trouve plus de voitures ; les chevaux tombent morts de fatigue ; on campe dans les corridors et sur les escaliers des hôtels ; on ne trouve pas à manger ; on se bat dans les restaurants ; heureux ceux qui ont un abri et à manger chez des amis. Le sultan va arriver avec une suite de cinq cents personnes ; l’empereur de la Chine veut aussi se mettre en route pour voir Paris et l’Exposition. Tous les rois et les empereurs viennent à leur tour, sans compter les pauvres principicules d’Allemagne, détrônés et volés par la Prusse et l’Italie. Si j’étais à Paris, je serais désolée, car je ne pourrais pas aller te voir, faute de fiacres ou remises. J’espère que tu sortiras jeudi.

Adieu, mon petit chéri, je t’aime et je t’embrasse bien tendrement.

Grand’mère de Ségur.


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Les Nouettes, 1867, 11 juin.

Mon cher petit Jacques chéri, j’ai su par ta tante Henriette que tu avais assisté à la grande revue de Longchamp ; j’espère que tu as pu voir les empereurs, rois, princes, grands-ducs, taikoune, etc., et surtout les beaux régiments de cavalerie arrivant au galop sous la tribune des souverains et s’arrêtant court sans déformer les rangs. Tu as vu ensuite l’attentat contre les empereurs revenant en voiture de la revue. Le malheureux qui a tiré sur le czar a son père en Sibérie ; sa mère est morte pendant le voyage de Sibérie ; sa sœur, restée seule, a été en butte aux plus cruels traitements de la part de l’escorte. Tous ces souvenirs ont tourné la tête du malheureux Polonais et il a fait l’acte de folie qui va le mener à l’échafaud. Il a manqué tuer notre empereur en visant le sien ; heureusement qu’il n’y a personne de tué ni de blessé, sauf l’assassin qui a deux doigts coupés par les éclats du pistolet qui était trop chargé.

Papa vient de t’acheter un très joli petit cheval pour les vacances ; il est très doux et très vif pourtant. Ce qu’il faudrait avec cela, ce serait un compagnon de promenade ; car sortir seul est dangereux pour un enfant qui n’a pas de force ni de défense contre.’son cheval et les passants malveillants. Depuis que Louis est ici, il a travaillé énormément au petit jardin ; mais depuis trois jours, ce sont les foins qui l’entraînent. Il aime énormément Henriette [6] ; malheureusement elle est tombée malade hier d’un mal de gorge accompagné de fièvre ; elle est dans son lit ; Camille a eu aussi depuis quatre jours une angine ; elle se lèvera ce soir pour la première fois. Nous autres, nous allons bien. Adieu, cher enfant, je t’embrasse bien tendrement et je t’aime énormément.

Grand’mère de Ségur.

Tes tantes, cousines et cousins de Malaret et Fresneau t’embrassent tous.


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Les Nouettes, 1867, 25 juin.

Mon cher petit Jacques, tes cousins Pierre et Henri sont partis ce matin ; ils ont passé cinq jours aux Nouettes entre deux compositions.

…..Ils ont bien regretté, ainsi que Louis de Malaret, de ne pas t’avoir avec eux pendant ces petites vacances. Ils ont laissé à Louis le soin d’un affreux geai qu’ils ont trouvé dans le bois, tout jeune encore et ne sachant pas voler. Louis le nourrit de groseilles, de framboises et de pain. Pierre, Louis, Henri, Armand, Gaston, Henriette, étaient et sont encore en admiration devant ce geai qui répète tous leurs cris ; ils veulent lui apprendre à parler et ils dentprétendent qu’il leur dit merci, qu’il aboie, qu’il miaule, et qu’il comprend ce qu’on lui dit. As-tu jamais vu un geai pareil ?
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Papa te mènera, j’espère, à l’Exposition que vous n’avez pas encore vue, je crois. Je vous enverrai par lui cinq francs à chacun pour acheter ce qui vous plaira en objets bon marché ; ainsi on fait en cinq minutes des boulons de manches en or avec le chiffre qu’on demande, pour 50 centimes. Adieu, mon cher petit chéri, je t’aime bien tendrement et je t’embrasse de même. Tout le monde ici et à Livet t’embrasse, t’aime et te regrette…

Ta grand’mère de Ségur.


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Les Nouettes, 1867, 11 juillet.

Mon bon et cher petit Jacques, j’ai toujours voulu t’écrire pour te complimenter sur les trois rubans que tu as envoyés à maman, dont un de diligence, le plus honorable de tous ; ton écriture a aussi beaucoup gagné, ainsi que ton orthographe. J’attends avec impatience le temps des vacances qui approche. Dis-moi quel jour on peut t’aller chercher… Gaston vient d’avoir la petite vérole volante ; il est guéri et s’est levé aujourd’hui pour la première fois depuis huit jours. Louis est parti hier avec ta tante Henriette pour Kermadio ; il était très content ; il y restera un mois et il prendra des bains de mer. En parlant, il a pleuré et sangloté de quitter sa maman ; mais Elisabeth m’a écrit que son chagrin n’a duré qu’un quart d’heure. Henriette qu’il aime beaucoup et qui était avec lui sur le siège de l’omnibus, l’a consolé et distrait…

Pierre vient d’être premier en version latine ; il aura probablement des prix au collège, en vers latins et en version latine ; il est presque toujours premier dans ces deux facultés.

Jeanne espère avoir des prix à son couvent ; elle est généralement première en écriture, en travail à l’aiguille, en orthographe et en conduite. Ton petit cheval est un peu méchant ; l’autre jour, il a jeté par terre Louis qui monte pourtant très bien à cheval ; papa le fait monter par Paul en le tenant par la bride, mais ce n’est pas Paul qui le dressera… Ton oncle Gaston pourra te ramener… si son retour correspond avec tes vacances… J’aurais le plaisir de t’embrasser en passant ; tu dînerais aux Nouettes… Adieu, mon cher petit Jacques chéri, je t’embrasse bien tendrement. Je t’écrirai plus souvent, maintenant que j’ai moins de monde et plus de temps par conséquent… Ton oncle Gaston t’embrasse bien tendrement. Adieu, petit chéri ; que le bon Dieu te bénisse.

Ta grand’mère de Ségur.


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Les Nouettes, 1867, 23 juillet.
Mon bon et cher petit Jacques,

Je te demande toujours de ne pas m’écrire parce que je sais que tu n’as pas le temps ; mais aujourd’hui, je te demande au contraire de m’écrire deux ou trois lignes quand le jour des vacances sera fixé. Et surtout n’oublie pas de l’écrire à papa pour qu’il vienne te chercher bien exactement. Les vacances de Jeanne ne commenceront que le 16, si elle veut assister à la distribution des prix qui se donnent le 16, à 2 heures ; elle espère en avoir, car elle a été presque toujours première en conduite, en lecture, écriture, politesse, piété et travail à l’aiguille.

En t’attendant, Paul monte tous les jours à cheval, conduit en laisse par papa pendant une bonne heure. Le pauvre papa revient en nage, car il court presque tout le temps pour faire trotter ton petit cheval qui est devenu plus sage et plus docile à la bride.

Paul et Françoise ont dîné aux Nouettes avant-hier dimanche ; Gaston avait un tambour et il a fait faire l’exercice à son régiment composé de Paul, Françoise, Marie Méthol et le petit Léger, qui étaient armés de bâtons en guise de fusils. Ton oncle Gaston a vu à Paris un de tes camarades de collège qui lui a dit que tu étais le premier et le meilleur élève de ta classe. Ton oncle en a été très content ; tu vois que tes efforts ont déjà leur récompense et que ta réputation s’établit. Louis revient de Kermadio le 5 ou le 6 ; il prend des bains de mer tous les jours… Pierre espère avoir des prix au collège ; on les donne le 8, le lendemain du grand concours. Adieu, mon petit Jacques chéri, je t’embrasse bien tendrement. N’oublie pas mon adresse : aux Nouettes, Laigle (Orne). Ton oncle Gaston t’embrasse ; il retourne à Paris jeudi 26 ; il revient aux Nouettes le 5 ou 6 août. Si tu as à lui écrire, c’est rue du Bac, n° 39.


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Paris, jeudi, 4 mars 1868.
Cher petit Jacques chéri,

Je t’annonce que tu as un neveu depuis hier soir. Camille a un petit garçon qui s’appelle Paul ; ainsi tu as maintenant un frère Paul, un neveu Paul et un oncle Paul (de Malaret). Camille est enchantée ; elle va très bien ; le petit Paul crie souvent et fort, ce qui prouve qu’il n’est pas enchanté. Adieu, mon petit chéri ; j’irai t’embrasser dimanche probablement avec Léon, Je t’embrasse bien tendrement. Ton oncle Gaston t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, jeudi 21 mars 1868.
Mon cher petit Jacques,

Je suis aussi heureuse que toi de ton triomphe ! Premier ! Je n’espérais un si beau succès que pour la fin de l’année, et encore ! Te voilà donc chef de file ! Sois-le toujours pour tout ce qui est bon et sage. C’est papa qui doit être joliment surpris et enchanté !…..

Nous irons tous te voir dimanche prochain. Pierre et Henri iront te complimenter mercredi. Ils ont sauté de surprise et de joie en apprenant que tu avais été premier. Adieu, mon petit chéri ; à dimanche.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, lundi, midi 15 avril 1868.

Cher enfant, voici ton gros ballon qui arrivera à temps, j’espère, pour que tu puisses l’essayer. C’est Pierre qui te le porte. Ton oncle Gaston ira à Vaugirard jeudi ; il vous fera une petite instruction, et il te verra après ou avant. Je crois que c’est vers trois heures qu’il vous parlera.

J’irai te chercher pour tes vacances de dix jours. À revoir mercredi, cher petit ; je t’embrasse tendrement.

Grand’mère de Ségur.


Kermadio, 15 juin 1868.
Mon cher petit Jacques,

Je pense que tuas pu recevoir Notre-Seigneur le jour de la Pentecôte et à la Fête-Dieu. Il y a eu ici une superbe procession avec les belles statues dorées de la sainte Vierge, saint Joseph, l’Enfant-Jésus et sainte Anne, patronne d’Auray et de tout le pays. Nous l’avons suivie par une chaleur atroce ; il y avait plus de 50 bannières, tous les marins du pays en grande tenue escortant un charmant vaisseau et des bateaux consacrés à sainte Anne. Adieu, cher enfant bien-aimé, je t’embrasse encore.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, 1808, 3 septembre.

Merci, mon cher petit chéri, de ta lettre si gentille. Ta pauvre tante Sabine te remercie de penser à elle et de prier pour elle ; elle a bien besoin que le bon Dieu lui donne du courage, car elle souffre beaucoup de tous les membres ; ses jambes sont enflées et douloureuses jusqu’au-dessus du genou ; elles sont grosses comme le corps de Françon et crevassées aux chevilles, aux talons et sur le cou-de-pied. On ne l’entend presque pas parler, tant sa voix est faible ; et pourtant elle va un peu mieux depuis deux jours ; elle dort assez bien la nuit entre ses quintes de toux, et elle ne vomit plus ce qu’elle mange ; mais la maladie va toujours son train, et la fièvre ne la quitte presque pas. Je n’irai pas à Méry ; je resterai près de ta tante, de crainte d’un accident comme suffocation ou crachement de sang. père pourtant que je pourrai aller passer avec vous les derniers jours des vacances et te ramener à Paris le 7 octobre. Je te remercie, cher petit, de travailler à tes versions ; j’en suis inquiète, et ce sera pour moi une grande joie quand elles seront finies. Je t’embrase bien tendrement, mon cher petit Jacquot chéri…….sans oublier le bon Léon……

Grand’mère de Ségur.

Dis à maman que je vais voir demain un domestique qui est excellent et juste ce qu’il vous faut.


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Dimanche, 6 février 1869.

Mon petit Jacques chéri, je ne vais pas te voir aujourd’hui, parce que je ne suis pas très bien portante depuis mercredi ; je ne dors pas à cause du mauvais temps brumeux et humide…..

J’espère aller te voir mercredi prochain ; en attendant, je t’envoie des timbres, faute de mieux. Adieu, mon cher enfant, je t’embrasse tendrement. Ton oncle Gaston revient demain soir ; il va très bien et sa retraite va très bien aussi, pour les maîtres comme pour les élèves. Le petit Gaston est couché depuis deux jours ; il tousse comme un bœuf ; il a la fièvre, il ne mange pas et il dort mal ; il perce des dents de sept ans. Si tu avais le temps de lui écrire deux lignes sur un gentil petit papier, il serait enchanté et ta tante le serait encore plus que lui. C’est ainsi qu’on se prépare des amis. Adieu, petit chéri ; je te recommande à nos grands, vrais et éternels amis, le bon Dieu, la sainte Vierge, et quand tu verras le Père M., présente-lui mes bien affectueux hommages.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, 15 février 1869.

Mon petit Jacques chéri, c’est aujourd’hui l’heureux jour de ta naissance, et c’est une grande privation pour moi de ne pas pouvoir t’embrasser.Le bon Dieu s’est chargé des présents que j’aurais voulu te faire, en te faisant gagner de si beaux lots à la loterie. Je lésai rapportés en très bon état et j’ai donné le Napolitain à raccommoder ; tu sais qu’il avait cassé sa houlette ; mon marchand de porcelaines m’assure qu’il n’y paraîtra pas. On admire beaucoup ton cerf…..

Louis a fait une excellente première communion entre les mains du Père C, qui a bien voulu l’y préparer depuis deux mois. Il l’a faite dans la chapelle des bons Pères Jésuites (de Toulouse) ; elle était ornée de fleurs et charmante. Deux des Pères ont bien voulu jouer de l’orgue et chanter pendant la messe. Le Père C. a fait un petit discours qui a charmé et attendri tous les assistants ; toute la famille y était et a communié avec Louis. Le lendemain, l’archevêque de Toulouse lui a donné la confirmation dans sa chapelle. Adieu, mon cher petit Jacques chéri, je t’embrasse bien tendrement. À mercredi, après-demain.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, vendredi matin, 1869.

Cher enfant chéri, je suis bien contrariée de n’avoir pas pu aller te voir mercredi, avant-hier ; il pleuvait et on a craint que je m’enrhumasse… D’après ce que m’a dit ton ami Pierre Ch. d’H…, tu avais encore été premier lundi dernier : ce qui m’a fait un très grand plaisir pour toi et pour maman qui y tient beaucoup. Je t’attends mardi avec une vive impatience ; ce sera, dit Pierre, la dernière sortie du carême ; j’en espérais encore une pour le premier mardi d’avril. Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 22 avril 1869.

J’ai reçu ta lettre avec grand plaisir, mon cher petit Jacques ; je suis heureuse de penser à la grande satisfaction que tu éprouves d’être à Livet avec tous les tiens. Tes trois cousins ont lu ta lettre avec admiration, d’abord à cause de ta charmante écriture, ensuite pour ton courage héroïque d’avoir tué l’énorme couleuvre qui aurait, sans toi, dévoré les petits canards. Tu ne m’as pas dit comment tu l’as tuée ; tes trois cousins te demandent instamment de leur faire savoir avec quoi tu l’as tuée et si tu as eu bien peur. Louis vient d’avoir ici une lutte magnifique avec un veau dont il est resté vainqueur. Le veau s’est échappé (un veau d’un an) du côté de la mer ; les vaches le poursuivaient (33 vaches). Louis a couru au secours du veau et des vachères, et ne pouvant faire obéir le veau, il s’est jeté sur lui, l’a saisi par le cou ; il a été emporté à plus d’un quart de lieue,faisant de gré et de force des bonds prodigieux ; enfin, après un quart d’heure de course échevelée, le veau, fatigué et gêné dans sa respiration, s’est arrêté. Louis l’a ramené (pacifiquement cette fois) aux vachères qui étaient restées àmoitié chemin. Le petit Gaston avait poursuivi de loin Louis et le veau ; ils sont revenus haletants, mais triomphants. Je vais bien, sauf les vertiges qui sont à peu près de même qu’à Paris. J’ai trouvé tout le monde en bon état, Gaston [7] engraissé et très frais, Louis [8] grandi et fortifié, et très bon teint ; je ne crois pas qu’il soit plus grand que toi, mais il se tient beaucoup plus droit qu’auparavant…..

Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement. Embrasse bien maman pour moi et remercie-la de sa lettre qui m’annonçait ton heureuse arrivée.


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Kermadio, 12 mai 1869.

Je te remercie de ta lettre, cher enfant, et je te félicite de ta place de premier, conquise à la pointe de ton épée qui est ta plume et qui tue tous tes adversaires. On a beaucoup admiré ta jolie écriture et tu es embrassé par ton oncle, ta tante, Élisabeth, Henriette et le petit Armand. Ils ont tous bien envie de t’avoir à Kermadio. Et moi donc ! Si je t’avais ici avec Léon, que je serais contente !

Je vais très bien ; j’ai reçu hier une lettre de la maman qui a chez elle Madame X. et ses deux petits garçons, qui sont tellement gâtés, criards, batailleurs, insupportables que papa en est crispé, agacé, assommé. Adieu, mon cher petit chéri ; je t’embrasse comme je t’aime, de tout mon cœur. Il fait beau aujourd’hui ; j’espère que tu as eu une agréable promenade. Adieu, chéri.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, samedi, 29 mai 1869.

Merci, mon cher petit, de ta bonne lettre. Je viens d’avoir un érysipèle sur la figure ; j’étais horrible et gonflée comme une citrouille ; un œil tout a fait bouché par les paupières, et l’autre à peine entr’ouvert. C’est fini ; je vois et mon visage est à peu près revenu à son état naturel. Le temps est affreux ici ; il pleut sans cesse. J’ai de bonnes nouvelles de Livet ; tout le monde va bien. Je t’embrasse tendrement, mon cher petit chéri, et je te quitte déjà parce que je manquerais la poste ; et je suis bien aise que tu reçoives ma lettre demain dimanche pour donner de mes nouvelles à Léon.

Je suis très contente de ta place de troisième ; tu te soutiens dans toutes les facultés importantes. Je t’embrasse comme je t’aime.

Grand’mère de Ségur.

Avant-hier il est tombé à Auray un aérolithe, à un kilomètre d’ici ; il a fait en tombant un bruit comme le tonnerre qui a éveillé tout le pays ; il paraît qu’il a éclaté en tombant et a lancé des fusées et des flammes comme un Douquet de feu d’artifice. Il était onze heures du soir. Madame Charlet a eu une peur atroce, elle a cru que c’était la fin du monde.


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Kermadio, 1869, 10 juin.
Mon cher petit Jacques chéri,

Je suis enchantée que tu sois le premier en thème latin et que tu aies la croix pour ta sortie d’aujourd’hui… Je reviens de la première communion de ta cousine Henriette Fresneau ; c’est ton oncle Gaston qui a dit la messe et qui a donné la sainte communion à plus de 100 enfants et à autant de parents. Henriette a fait une bonne première communion ; depuis six mois elle s’y prépare de tout son cœur ; il n’y a pas eu un reproche à lui adresser depuis plusieurs mois et je ne doute pas qu’elle ne marche de plus en plus sur les traces de ta tante Sabine, à laquelle elle ressemble de figure et surtout de physionomie ; elle s’intéresse beaucoup à tes succès et tout le monde à Kermadio voudrait te voir ici pendant les vacances. Nous avons eu avant-hier un bien triste accident. Un garde-barrière du chemin de fer a été se baigner dans la mer avec quatre de ses camarades ; la mer est dangereuse ici à cause des nombreux trous et de la vase épaisse qui fait le fond du terrain. Le pauvre homme ne savait pas nager ; il est tombé dans un de ces trous, et ce n’est qu’au bout d’une heure que ses camarades se sont aperçus qu’il avait disparu ; on a cherché partout sans avoir pu le trouver, et ce n’est que lorsque la mer a baissé qu’on a pu le trouver dans ce trou. Il avait une femme et trois enfants ; l’aîné a huit ans et joue souvent avec le petit Armand ; les deux autres ont cinq ans et deux ans. Ils faisaient des cris horribles ; leur père était très bon et les aimait beaucoup. Jusqu’à une heure du matin on a fait tout au monde pour faire revenir à la vie ce pauvre homme, mais inutilement. La femme et les enfants faisaient pitié ; jusqu’au lendemain ils n’ont fait que crier. Le matin Armand a été chercher l’aîné qui s’appelle Pierre et il est parvenu à le consoler et à le faire manger ; il n’avait voulu rien avaler depuis la veille deux heures de l’après-midi.

Ton oncle Armand, qui est excellent, a trouvé moyen de tirer cette pauvre famille de la misère en leur promettant une petite ferme vacante qu’il leur montera de bestiaux et d’ustensiles nécessaires ; la veuve a vingt-cinq ans : elle aimait beaucoup son mari ; elle reste bien affligée, mais du moins tranquille sur l’avenir de ses enfants. Le pauvre homme a été enterré hier soir ; il a fallu se dépêcher, d’abord à cause de la première communion qui a eu lieu ce matin, ensuite parce qu’il était tout décomposé, tout noir depuis le matin. Adieu, mon cher petit Jacques bien-aimé, je t’embrasse bien tendrement… Adieu, petit chéri ; à bientôt.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio 26 juin 1869.
Mon cher petit Jacques chéri,

Il y a longtemps que je ne t’ai écrit, parce que je me dépêche de finir à Kermadio un livre amusant qui s’appellera : Après la pluie le beau temps ; tu y joues un rôle assez important et très beau, comme de raison, en ta qualité d’élève de Vaugirard… Ton oncle Gaston est revenu à Paris mardi dernier. Dans tous les cas, il te ferait sortir. Il y a au Jardin d’acclimatation deux petits éléphants très doux, qu’on peut monter en payant la course. Dis-le à Léon, ou si Léon n’y est pas, à Méthol. Je t’embrasse encore ; Armand, tes cousines, etc., t’embrassent bien.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 8 juillet 1869.
Mon bon et très cherr petit Jacques,

Tu peux être tranquille pour mon livre futur Après la pluie le beau temps. Tu seras le premier à en avoir autant d’exemplaires que tu voudras ; tu sais que tu es toujours le premier dans tout ce que je puis faire d’agréable pour mes enfants et petits-enfants ; je ne mets avant les autres quo ton oncle Gaston, Camille, toi et Élisabeth. Élisabeth désirait beaucoup te voir ; elle t’aime beaucoup, ainsi que le petit Armand qui t’aime tellement qu’il disait ce matin que si tu pouvais venir à Kermadio, il renoncerait à aller à Cauterets avec sa maman, ce qui serait pour lui un sacrifice énorme. Je vais très bien à présent. Adieu, mon petit Jacques chéri ; je t’aime et je t’embrasse de tout mon cœur. Henriette et Armand t’embrassent.

Grand’mère de Ségur.

J’ai oublié de te dire que mon livre ne serait pas imprimé avant le jour de l’an, à cause des illustrations qui deman- dent trois ou quatre mois, et l’impression qui en demande deux au moins ; et je ne l’aurai fini qu’à la fin de juillet.


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Kermadio, 16 juillet 1869.

Cher enfant, dans vingt-cinq jours la distribution des prix, puis les vacances ; mais Léon m’écrit que tu resteras à Paris avec papa jusqu’au huit à cause du mariage de ta cousine de B… Comme Léon sera avec toi, tu ne t’ennuieras pas. S’il y a des difficultés de logement, dis à papa que je t’offre mon appartement, avec Léon qui couchera avec toi dans la grande chambre au premier. Pauline, la cuisinière, vous fera vos déjeuners et tout ce que vous voudrez. Tu pourras prendre aussi des livres pour toi dans ma bibliothèque et les petites affaires que tu as encore chez moi…

Si tu gagnes des prix, je te donne pour le prix d’excellence 20 fr., accessit 10 fr.

Pour chaque prix, 5 fr.

Pour chaque accessit, 3 fr.

D’après ton année triomphante, tu peux avoir ainsi un bon petit magot.

Adieu, mon cher petit Jacques chéri ; je t’embrasse bien tendrement et je prie le bon Dieu de te bénir. Ceux d’ici l’embrassent bien.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 24 juillet 1869.

Tu es bien aimable, mon bon petit Jacques, de m’écrire si souvent. Je suis enchantée que les compositions soient terminées ; c’était un vrai supplice avec l’affreuse chaleur que vous aviez. Ta tante Henriette, heureusement arrivée à Cauterets, a eu 38 à 40 degrés depuis Bordeaux jusqu’à Gauterets ; ils ont couru un grand danger près de Pierrefitte, dans les montagnes, où la route très étroite, entre des rochers à pic et un précipice affreux, monte très raide. Les chevaux, éreintés, se sont mis à reculer ; il n’y a pas de parapet dans cette partie de la route ; les roues n’étaient plus qu’à quelques pouces du précipice, lorsque le cocher est parvenu à faire tourner les chevaux en travers de la route. Ta tante, le petit Armand, Henriette et Léonore la bonne ont sauté à terre et un excellent M. Martin (habitant d’Auray), qui suivait avec sa femme dans sa voiture, est venu à leur secours, a fait monter ta tante et les enfants dans sa voiture avec sa femme et a pris avec Léonore celle de ta tante, après avoir fait changer de place aux malles qui chargeaient trop par derrière. Le pauvre petit Armand était pâle de terreur ; Henriette, toujours calme, avait offert à Dieu sa vie et attendait paisiblement que la sainte Vierge et sainte Anne (qui est la patronne vénérée de la Bretague) les sauvassent du danger. En arrivant à Cauterets, ils ont trouvé ta tante de Malaret arrivée depuis deux jours avec Louis et Gaston ; et aussi ton oncle et ta tante de Ségur-Lamoignon avec leur petit Louis, qui va parfaitement. Ils partent aujourd’hui pour Versailles[9]

Grand’mère de Ségur.

Jeanne et Paul ont une gouvernante nouvelle qui arrive lundi.

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Kermadio, 4 août 1869.

Honneur, salut et gloire à mon cher petit bien-aimé Jacquot, honneur de la famille ! Voilà donc un pauvre petit, qui, il y a trois ans, entrant, ignorant comme un pauvre âne, à Vaugirard, dès les premiers mois saute de quarante-cinquième à premier, remporte les premiers prix de sa classe, et cette fois a neuf nominations dont quatre premiers prix superbes, surtout celui d’excellence, et cinq nominations honorables dont 1 optime. Tu juges si je suis contente et si je regrette de ne pas pouvoir t’embrasser. Je t’ai envoyé par Léon une récompense honnête, quoique bien au-dessous de tes mérites. Si ton pauvre grand-père de Pitray vivait encore, comme il serait heureux et fier de tes succès !… Adieu, mon cher et bon petit Jacques, je t’embrasse tendrement… Au revoir à Livet, petit chéri. Je te remercie du livret des prix que lu m’as envoyé. Je croyais que la distribution était aujourd’hui. Je t’ai écrit à Vaugirard lundi.

Grand’mère de Ségur.


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Les Nouettes, 1869, mercredi 25..

Cher enfant, demande à maman ou à papa de me donner de tes nouvelles par écrit. J’irai demain déjeunera Livet et j’y resterai jusqu’à quatre heures. Nous nous battrons aux dominos et autres armes ; tu as reçu, j’espère, les pastilles de chocolat que je t’ai envoyées, et aussi la petite boîte avec tes chapelets raccommodés et la photographie de la grotte de Lourdes dans une enveloppe à part. Je pense à toi sans cesse, cher enfant, et je regrette beaucoup d’avoir dû vous quitter tous…

Je t’embrasse comme je t’aime, de toutes les forces de mon cœur. Jean Gounod part à 1 heure 1/2 avec son père ; il n’est pas content de s’en aller.

C’est aujourd’hui la fête de ton oncle Gaston [10]. Il t’embrasse.


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Les Nouettes, 10 novembre 1869..

Cher petit Jacques chéri, fais-moi donner de tes nouvelles par le facteur ; demande à maman de m’écrire si tu

as eu des crises de douleurs [11] hier depuis mon départ, si
le chateau des nouettes, d’après un dessin de Mgr de Ségur
elles ont été longues et fortes, si tu as bien dormi, et comment

tu te trouves ce matin. Je t’embrasse bien tendrement ; je pense à toi et je prie pour toi, cinquante fois par jour ; tu ne quittes pas ma pensée. J’ai oublié, dans le tiroir de ta table, mon porte-monnaie en maroquin rouge ; garde-le-moi jusqu’à demain ; tu y trouveras trois pièces neuves d’un franc que je voulais te donner et que j’ai oubliées. À demain ; je viendrai soit à 11 heures pour déjeuner, soit à 2 heures après déjeuner ; à moins qu’il ne tombe des hallebardes. J’embrasse toute la famille et toi en particulier. Ton oncle [12] t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, 69, 24 novembre.

Mon cher petit Jacques chéri… ta tante de Malaret est souffrante et il lui est impossible de sortir. Moi, je continue à avoir des vertiges en voiture et en marchant, ce qui m’empêche d’aller te voir, à mon grand regret. Et encore si Léon pouvait aller te voir comme jadis, mais c’est malheureusement impossible ; il est tenu en esclavage… et puis sa future l’attire d’un autre côté….. Fais-moi savoir si tu as une bonne place dans la dernière composition, comme tu l’espérais quand ton oncle Anatole est venu te voir…..

Je crains que ta bourse ne soit un peu à sec, car j’ai vu dans l’Univers d’hier la somme énorme de 1,000 fr. donnée au Saint-Père par le collège de l’Immaculée-Conception de Vaugirard, et je pense que tu te seras dépouillé comme les autres. Mercredi je referai ta bourse. Adieu, mon cher petit bien-aimé ; je t’embrasse bien tendrement ; voici une lettre que j’ai reçue de Françoise….. Ton oncle Gaston l’embrasse ; le petit Gaston aussi ; il est enchanté de se promener avec toi mercredi. Vous irez où vous voudrez. Adieu, chéri.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, 1869, 1er décembre.

Cher petit Jacques chéri, tu es le premier auquel j’écrive quelques mots [13]. M. l’abbé ira te chercher mercredi, à 8 h. ; il t’amènera chez moi, où t’attendra ton déjeuner dans ma chambre. Arrange avec ton bon Père M. le déjeuner chez Louis Veuillot. Est-ce le Père qui viendra te prendre chez moi, ou bien est-ce Saint-Jean [14] qui te mènera chez L. Veuillot , M , rue du Bac ? — Je vais presque tout a fait bien, mon chéri ; seulement la tête me tourne encore quand je marche, quand je veux lire ou écrire ; aussi je ne fais rien de la journée. Je t’embrasse bien tendrement, mon cher petit chéri. A mercredi. Tout le monde va bien à Livet et chez ton oncle.

Grand’mère de Ségur.


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Lundi, 6 décembre 1869.

Cher enfant, voici tes patins ; s’ils ne vont pas, tu me l’écriras ; dis-moi aussi si tu as besoin de mitaines chaudes (pour écrire), de gilets ou vestes en tricot pour la nuit et le jour, de caleçons, etc. Il fait un froid qui me chagrine pour toi et pour le pauvre Louis à Cannes ; il va à merveille et se plaît beaucoup à présent dans son collège. Il aime les Pères presque autant que tu aimes les tiens. Woldemar m’adonne l’espoir d’un congé de trois jours pour le jour de Fan, comme c’est dans tous les collèges ; si c’est vrai, quel bonheur ! Adieu, cher petit bien-aimé, je t’embrasse bien tendrement.

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Paris, 1869, 14 décembre.

Cher enfant, pour écrire à M. Veuillot, il faut adresser la lettre qu’on lui destine, rue des Saints-Pères, n° 10, aux bureaux du journal l’Univers, avec prière de faire passer à M. Louis Veuillot, à Rome. Il faut que l’adresse soit : À M. Eugène Veuillot, pour faire parvenir à M. Louis Veuillot, à Rome. Je vais très bien ; dimanche prochain, j’irai encore te voir à Vaugirard. J’ai une charmante trousse de voyage pour toi. Au revoir, mon cher petit, je t’embrasse bien tendrement comme je t’aime ; tâche d’avoir la croix ou le ruban pour la sortie du jour de l’an. N’oublie pas de demander à ton ami (dont j’ai oublié le nom) de venir avec toi, chez moi, pour la sortie du jour de l’an. Adieu, mon petit chéri.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, 1870, 9 février.

Cher enfant, le mauvais temps m’empêche d’aller t’embrasser ; j’en suis très contrariée. Ce sera pour dimanche, j’espère. Gaston a été enchanté de ton aimable petite lettre, et ta tante au moins autant que lui ; elle a dit plusieurs fois que tu étais bien aimable, bien gentil. Gaston a déposé ta lettre, qu’il a beaucoup admirée (contenant et contenu), dans son portefeuille de trésors. Il tousse moins depuis hier, mais il est pâle et faible quoique toujours gai. — Moi, je vais assez bien et j’ai de bonnes nouvelles de maman et de tout Livet, sauf que Françon est abîmée d’engelures aux mains et aux oreilles. Adieu, mon cher petit chéri….. je t’embrasse bien tendrement, et je t’envoie un paquet de chocolat et deux oranges.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 2 mai 1870.

Mon cher petit Jacques….. je vais bien, mon cher petit ; je fais de longues promenades ; je pourrai aux vacances aller avec vous jusqu’à l’église, à pied. J’espère passer avec vous une grande partie de septembre, et te ramener, après tes vacances, à ton collège. Louis de Malaret a eu une heureuse chance, dont ta tante a été bien heureuse ; à cause de la grande épidémie de petite vérole qui règne à Vannes, la rentrée de Pâques a été reculée jusqu’au 4 mai : de sorte que Louis est encore ici jusqu’à mercredi. Ta tante partira pour Malaret vendredi ou lundi ; elle est désolée de quitter Louis, mais elle a la consolation de le laisser très heureux, aimant beaucoup les Pères, ses camarades, son travail, toute sa vie de collège, utile et réglée ; il a énormément gagné sous tous les rapports, et il s’est beaucoup fortifié de santé. Adieu, mon cher petit Jacques bien-aimé, je t’embrasse et je t’aime de tout mon cœur.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1870, 18 mai.

Mon cher petit Jacques chéri, il y a longtemps que je ne t’ai donné de mes nouvelles qui continuent à être bonnes, sauf un reste de fatigue de la tête qui ne me permet pas de lire longtemps ni surtout d’écrire sans avoir des vertiges ; aussi je serais bien embarrassée de faire tout ce que vous faites au collège, vous autres jeunes et vaillants travailleurs ; je serais la dernière des septièmes, toujours punie, toujours réprimandée, aux arrêts, etc. Nous qui avons tant désiré la pluie pour les récoltes et la verdure, nous commençons à frémir devant la constance de la pluie ; depuis trois jours c’est un déluge. Demain nous attendons ton oncle Edgar avec ta tante et les trois enfants. S’il continue à faire mauvais, ce sera terrible pour les enfants ; et puis il fait froid. Et toi, pauvre collégien, quel ennui tant pour les récréations que pour les promenades ! ……… Maman m’écrit que si les républicains (toujours pillards, brigands et assassins) avaient attaqué le collège, vous l’auriez défendu et soutenu un siège en règle. C’est une belle et bonne résolution ; mais je crois que vous auriez été vaincus par le nombre et tous massacrés. sementHeureusement que le bon Dieu n’a pas permis le triomphe de ses ennemis. Adieu, mon cher petit chéri…………. Adieu, cher enfant, que le bon Dieu te bénisse, que la sainte Vierge te protège et que tes bons Pères te conservent jusqu’à la fin de ton éducation.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1870, 17 mai.

Cher enfant chéri, merci de ta lettre ; prends-moi pour 5 fr. de billets de loterie, et si-je gagne quelque chose, garde-le pour toi. Je te souhaite les petits revolvers qui t’ont donné dans l’œil, et je te souhaite de ne jamais t’en servir pour ta défense personnelle, ni pour celle de ceux que tu aimes. Je vais très bien……… Je t’embrasse bien tendrement.

Grand’mère de Ségur.

Valentine et Louis de Lamoignon t’embrassent; ils sont enchantés d’être ici et de voir la mer quand elle est haute et qu’elle baigne les arbres du parc et les falaises ; je suis dans les transes que Louis et Armand ne s’y pré- cipitent en péchant les crabes que la mer jette au loin. Je t’embrasse.


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Kermadio, 1870, 26 mai.

Mon cher petit Jacques, c’est mercredi prochain la grande sortie, si je ne me trompe; écris à ton oncle Gaston, 39, rue du Bac, pour lui demander de te faire sortir ; je lui écrirai de mon côté……… La première communion de Jeanne est fixée au 19 septembre, lundi ; c’est l’anniversaire de l’apparition de Notre-Dame de la Salette ; j’aurais mieux aimé le 8 septembre, anniversaire du jour où tu as été miraculeusement délivré, par l’intercession de la sainte Vierge, des affreuses douleurs, suite de ta chute. Louis de Malaret sortira aussi mercredi (ou jeudi peut-être). Il s’est bien habitué au collège ; il aime beaucoup les Pères, excepté le Père K., le surveillant de sa classe, qui l’a pris en grippe, à cause peut-être des commencements difficiles de Louis. Tous les autres Pères, y compris le Père Préfet, sont excellents pour lui.

Moi, je vais bien depuis trois jours, cher enfant; je n’ai presque plus d’étourdissements et je marche très bien et beaucoup pour moi. On a été obligé de tuer le pauvre Fox d’Armand ; il avait l’air malade et des allures sombres et bizarres qui ont fait craindre la rage; on l’a jeté à la mer avec une pierre au cou. Armand ne l’a pas su dans le moment ; quand il l’a appris, il a compris qu’on n’avait pas pu faire autrement. Adieu, mon cher petit bien-aimé, je t’embrasse bien tendrement ; tout le monde t’embrasse et regrette que tu ne sois pas ici ; Elisabeth t’embrasse très particulièrement, ainsi que Louis et Valentine de Lamoignon. Adieu, chéri ; que le bon Dieu te bénisse !


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Kermadio, 9 juin 1870.

Cher enfant, j’ai eu de tes nouvelles par Philippe L., le lendemain de ta sortie ; j’ai su que tu avais eu pour principal amusement deux heures de dentiste et plusieurs averses qui vous ont obligés de chercher un refuge à l’exposition des fleurs et des tableaux. Une autre fois, tu feras bien d’emporter avec toi, de chez ton oncle Gaston, un livre pour lire chez le dentiste… Je ne sais rien de tes places depuis longtemps. Maman m’a écrit une fois que tu étais décoré, mais depuis je ne me réjouis de tes succès que par l’espérance… Louis est complètement heureux depuis que le Père K. est devenu bon pour lui ; tous les autres Pères sont excellents, comme ils l’ont toujours été. Ils prennent deux fois par semaine des bains de mer à la maison de campagne des Pères ; c’est une plage magnifique et qui n’offre aucun danger. — Ici, tes cousins et cousines ont commencé leurs bains de mer ; il n’y a qu’Henriette et Élisabeth qui sachent un peu nager ; les autres sautent en se tenant à la corde ; ils ont le courage de se plonger la tête dans l’eau, ce qui semble à Valentine être un exercice très dangereux. Armand prétend donner à Louis (de Ségur-Lamoignon) des notions de natation ; mais lui-même n’ose pas les mettre à exécution ; si tu étais avec eux, tu leur ferais voir comment on nage ; cette année, tu feras encore des progrès, bien certainement. Je suis un peu effrayée de l’idée de papa d’acheter un bateau ; tes sœurs et frères se noieront tous, c’est certain, surtout si c’est un bateau à quille. Et puis, la pièce d’eau n’est pas assez grande pour s’y amuser réellement et pour devenir un fort rameur. Du reste, je ne me mettrai pas en travers de vos désir, si vous en avez envie, car je sais que partout on a des batelets et que tout le monde n’en meurt pas. Vous prendrez vos arrangements avec papa. Moi, je vais bien mieux depuis quelques jours ; je suis chargée par le petit Gaston de bien t’embrasser et de te demander si tu peux avoir quelques graines de fleurs d’été pour mettre dehors en corbeilles ou en bordures, qu’il serait enchanté si tu pouvais lui en envoyer quelques-unes dans une lettre. On lui écrit : À Monsieur Gaston de Malaret, à Malaret, par Verfeil (Haute-Garonne). Voilà ma commission faite. Adieu, mon cher petit Jacques chéri ; si tu as besoin de quelque chose, n’oublie pas que je suis là, toujours heureuse de te rendre service et de te faire plaisir. Je t’embrasse bien tendrement, mon petit chéri ; cousins, cousines, tantes et oncles t’embrassent aussi de tout cœur.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 25 juin 1870.

Cher enfant, tu dois avoir bien souffert de la chaleur, ces jours derniers, surtout le jour de séance, mardi, et le. surlendemain 23, jour de la grande promenade, si je ne me trompe. Depuis hier (Saint-Jean) il fait presque froid ; je m’en réjouis comme toi et pour toi. La sécheresse continue à tout détruire et brûler ; pourtant les récoltes de ton oncle Armand se maintiennent fraîches et belles, à cause des labours profonds et autres choses qui permettent aux racines de gagner le terrain humide. À Livet, les foins de papa sont diminués des trois quarts ; aux Nouettes, dans le parc, ton oncle Anatole a 700 bottes au lieu de 2000. Les pauvres petits fermiers ou propriétaires sont obligés de vendre leur bétail à vil prix, n’ayant pas de quoi le nourrir. Nous allons bien ici ; Élisabeth a eu la rougeole, mais très douce ; elle est sortie hier pour la première fois. Louis de Malaret l’a eue aussi avec cinq autres camarades, mais aussi bénigne qu’Élisabeth ; il est retourné en classe hier vendredi, mais sans études, pour ménager les yeux qu’il a fort délicats.

Dis-moi quand vous commencez les compositions pour les prix et ce que tu peux espérer en fait de prix ; auras-tu quelque chose en excellence ? Je te demanderai de prier le Père M. de me faire expédier un exemplaire du livret imprimé des prix, afin que je lise de mes yeux ta gloire et tes succès, ou bien ta noble défaite comme la retraite des dix mille, ou comme la glorieuse retraite du maréchal Ney, à la Bérésina, en Russie. Je ne sais pas si ton oncle Gaston sera de retour de toutes ses prédications et retraites pour la sortie de juillet ; je te l’écrirai à temps pour que tu puis- ses réclamer… Adieu, mon cher petit chéri, je t’aime et je t’embrasse de tout mon cœur ; et je prie le bon Dieu et la sainte Vierge de te bénir et de te protéger dans tes compositions. Cousins et cousines t’embrassent.

Grand’mère de Ségur.

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Kermadio, 1870, 4 juillet.

Cher enfant, je ne puis être avec toi mercredi, le jour de ta sortie, mais sois sûr que je t’accompagnerai chez ton oncle et à ton pèlerinage de Notre-Dame des Victoires, par la pensée… Tu sais, mon cher petit bien-aimé, que je suis obligée de passer à Kermadio tout le mois d’août, à cause de ton oncle Gaston. Il ne peut pas aller aux Nouettes qui seront inhabitées pour cause d’absence aux eaux de ta tante Cécile et de ton oncle Anatole à Kermadio. Alors ton oncle viendra me rejoindre à Kermadio le 7 ou 8 août et y restera jusqu’au 10 septembre. Je ne pourrai l’y laisser sans moi, puisque c’est pour moi qu’il y vient. Je suis très peinée de devoir sacrifier ainsi un bon mois du temps que j’ai à vous voir à Livet, mais je ne puis faire autrement ; le devoir est souvent pénible et l’on ne doit pourtant pas s’en affranchir. Et ton oncle Gaston ne peut pas s’installer aux Nouettes pour son repos des vacances, parce qu’il n’y trouverait personne pour le recevoir [15]. — Par exemple, ce sera moi qui te ramènerai en octobre, et je serai exacte à te visiter cette année, si le bon Dieu ne m’envoie pas un retour de ma maladie de l’année dernière. Je vais bien, ma tête ne tourne presque plus ; et du reste je me porte fort bien. Louis de Malaret sort demain, à sa grande joie. Je l’autorise à acheter un vaisseau de 7 à 8 fr. qu’il fera voguer sur la mer de Vannes ; et pour commencer, sur la mer de Kermadio, car ce marchand de vaisseaux (qui est un marin) est sur la route de Vannes à Kermadio. Louis va arriver avec son vaisseau, demain, pour déjeuner. Adieu, mon cher bon petit Jacques, je t’embrasse bien tendrement et je te charge de bien embrasser ton bon oncle et M. l’abbé, et dédire bien des amitiés à Méthol. Adieu, chéri ; tout le monde ici, cousins, cousines, oncles et tantes, t’embrassent. Élisabeth me demande de t’embrasser très particulièrement.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 19 juillet 1870.

Cher petit ami, il y a bien longtemps que je ne t’ai écrit, mais j’ai eu de tes nouvelles par Philippe qui m’a écrit six pages de détails sur ta sortie. Voilà les vacances qui approchent à grands pas ; encore onze jours et tu es en congé pour deux mois… Louis de Malaret espère fortement avoir un prix ; quand je saurai les tiens, je t’enverrai par Philippe le montant ; j’espère qu’il sera très élevé. Il fait beaucoup moins chaud ; nos pauvres soldats ne souffriront pas trop de la chaleur pendant cette guerre à laquelle nous oblige cet abominable roi de Prusse ; j’espère que le bon Dieu nous accordera la victoire, que ce roi se trouvera réduit à l’état de principicule allemand, comme les ducs de Cobourg, de Weimar, de Darmstad, etc., et que son armée sera réduite à cinq ou six cents hommes, dont Bismarck sera le chef humilié. Le pauvre jardinier de Kermadio, qui était à sa dernière année de réserve, a dû partir dimanche dernier pour rejoindre son régiment à Metz ; le pauvre garçon n’a été prévenu que 6 heures avant celle du départ. Tous les marins ont été pris et embarqués ; on va bombarder les ports prussiens, dévaster toutes les côtes et détruire leur puissante marine dont ils commençaient à être très fiers ; ils avaient bien cinq ou six vaisseaux et quelques dizaines de petits bâtiments. — Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement et je soupire en pensant que ce ne sera pas moi qui t’emmènerai en vacances, et que je ne te verrai que les premiers jours de septembre, peut-être pas avant le 10 ou 12. Ton oncle Edgar restera ici jusqu’au 29 de ce mois ; les enfants en sont enchantés ; ils aiment beaucoup Armand et Henriette et même la grande Elisabeth qui leur raconte des histoires terribles et amusantes. Adieu, mon petit Jacques chéri, je t’embrasse encore. Présente bien mes respects les plus affectueux au R. P. M.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1870, 29 juillet.

Mon petit Jacques chéri, je crois que tu n’as pas reçu mes lettres. Je ne sais rien de toi depuis ta sortie de juillet. As-tu écrit à ton oncle Gaston de t’envoyer cherchercher pour les vacances, tel jour et à telle heure (39, rue du Bac) ? Sais-tu les prix que tu as ?…..

….. Personne pour me donner de tes nouvelles. Quand tu seras à Livet, trouve un moment pour me dire ce qui m’intéresse, sur ta santé, ta bonne mine, tes triomphes, tes échecs, s’il y en a ; ton voyage, ton arrivée. Adieu, mon enfant, je t’embrasse mille fois.

Grand’mère de Ségur.

Donne cette petite lettre ci-jointe au P. M.


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Kermadio, 1870, 11 août.

Mon cher bon petit, nous avons été bien consternés des mauvaises nouvelles de ces derniers jours qui ont coïncidé avec l’évacuation de Rome par nos troupes. Mais nous espérons beaucoup dans les prières du Saint-Père et dans l’unanimité des colères et des regrets de tous les Français ; jusqu’aux républicains de Paris qui crient contre l’Empereur pour avoir violé sa parole d’honneur envers le Pape et qui lui attribuent la défaite de nos pauvres soldats qui ont été aussi héroïques que les zouaves pontificaux à Mentana et Monte-Rotondo. Pense, un de ces jours, à écrire à ton oncle Gaston (à Kermadio) ; il m’a dit t’avoir écrit à Livet et il est étonné de ne pas avoir de réponse. Tu sais comme il est aimable et bon pour toi ; sois de ton côté aimable pour lui ; tu lui donneras des nouvelles du curé nouveau, de la première messe aux Quatre-Vents ; tu nous diras s’il y avait beaucoup de monde, s’il y a des bancs ou des chaises, et si le curé est bien, jeune ou vieux, gai ou grave, bonhomme ou pincé. Adieu, mon cher petit Jacques, je t’embrasse bien tendrement….. Saint-Jean sera, je le crains, obligé de partir ; il mourra à la première étape. J’espère le faire conserver dans la nationale, en raison de sa mauvaise santé. Adieu,mon petit chéri.Pierre et Henri t’embrassent en compagnie des autres cousines et cousins ; ils tremblent d’être rappelés aux Nouettes ; leur mère les a prévenus hier que si leur père est obligé d’aller à Paris, elle les fera revenir, pour ne pas rester seule, sans hommes, aux Nouettes….. La pauvre Mme de X. ne peut pas retourner chez elle à la campagne ; les Prussiens y sont en visite, en attendant qu’on les fasse déguerpir. Adieu, chéri.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 7 septembre 1870.

Mon cher petit Jacques, le bon Dieu nous envoie la République qui, jointe aux Prussiens, rendra peut-être impossible toute communication avec nous. Si vous ne recevez, ni les uns ni les autres, de nouvelles de Kermadio, ne crois pas que je vous oublie ; toi et tous les tiens vous êtes sans cesse près de moi par la pensée du cœur. Je ne sais ce que le bon Dieu décidera de notre sort et s’il permettra que je puisse vous revoir ; dans cette incertitude, je vous envoie à tous et principalement à toi, mon petit chéri, ma bénédiction la plus tendre et mes vœux bien sincères pour votre bonheur en ce monde et surtout dans le monde éternel ; n’oublie jamais, mon enfant, que toutes nos actions,toutes nos pensées doivent tendre à nous réunir dans le sein de Dieu, que la vie passe bien vite et que plus nous souffrons ici-bas, plus nous serons heureux et glorifiés dans l’éternité. N’oublie pas les excellents conseils du bon Père X. et veille sur Paul et tes sœurs qui ont une grande confiance en toi.A l’occasion de la première communion de ma chère petite Jeanne, prie avec ferveur pour toi-même et pour ta famille. J’implore plus que jamais la protection de la sainte Vierge ; elle ne t’abandonnera pas. Adieu, mon enfant chéri ; je t’embrasse et te bénis encore du fond de mon cœur, avec maman, papa, Jeanne, Paul et Françon.

Grand’mère de Ségur.

Le pauvre petit Armand est toujours de même ; je crains qu’il n’en ait pour quelques jours encore ; la fièvre ne le quitte pas ; on ne sait pas ce qu’il a ; il est très abattu et faible.


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Kermadio, 26 septembre 1870.

Mon cher petit Jacques, j’ai reçu avant-hier votre paquet de lettres qui m’a enlevé toutes mes inquiétudes ; je ne crois pas du tout que les Prussiens viennent vous inquiéter à Livet ; ils ne vont guère que dans les grandes villes où ils peuvent lever des contributions et se pourvoir de vivres et de munitions….. Le collège de Vannes ouvre le 5, comme s’il n’y avait pas de guerre ;….. J’espère que tu ne souffriras pas trop dans tes études du retard qu’elles éprouveront. Dis-moi si tu travailles un peu, si tes devoirs de vacances sont finis. Est-on bien agité dans vos environs ? Ici on a voté de l’argent pour avoir des fusils Chassepot et des munitions ; tous les hommes en auront dans quatre jours achetés en Angleterre par les fonds de chaque ville et chaque commune. Adieu,mon cher petit, je t’embrasse bien tendrement et tous ceux qui t’entourent….. Tout le monde t’embrasse. Quel temps magnifique pour ces coquins de Prussiens !

Le petit Armand a eu un nouvel accès de fièvre hier, mais pas fort ; la quinine prise ce matin la coupera, j’espère.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 8 octobre 1870.

Cher petit chéri, je voudrais bien avoir des détails sur ta vie et celle de tes sœurs et frère à V. ; t’amuses-tu ? Que peux-tu faire pour t’amuser ? As-tu des livres ? Peux-tu travailler ? Avec qui travailles-tu ? Et Jeanne, Paul, qui est-ce qui les fait travailler ? Quel âge ont les enfants de ton oncle ? Ce qui est triste, c’est que l’hiver se passera probablement sans que tu puisses rentrer au collège des Jésuites… Que je serais contente si tu pouvais être à Vannes ! c’est un si bel établissement, un air si sain, des promenades charmantes ; le Père M. devait y aller ; je ne sais pas s’il y est. — Le temps s’est enfin gâté cette nuit ; il pleut à torrents ; j’espère que ces abominables Prussiens sont trempés, traversés ; qu’ils vont tous périr, avec leur roi et leurs princes, et qu’ils seront ainsi punis de leurs barbares et sauvages traitements envers leurs malheureux prisonniers… Adieu, mon cher petit-bien aimé ; on m’attend pour porter les lettres ; je t’embrasse bien tendrement…


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Kermadio, 17 octobre 1870.

Mon cher petit Jacques chéri… je suis condamnée à ne pas te voir cette année et peut-être de tout l’hiver ; je serai peut-être obligée de passer l’hiver à Kermadio ; pourtant, si Vaugirard se remet et que tu puisses y rentrer, j’irais passer deux mois à Paris pour te voir ; je te mènerais à Pâques à Livet et je te ramènerais à Paris avant de retourner à Kermadio…

Le temps est superbe et doux le jour, froid et humide la nuit. C’est bon pour les Prussiens et leurs dysenteries et typhus. Pauvres malheureux ! On est obligé de se réjouir de leurs souffrances, malgré qu’ils soient là par force et avec désespoir ; on dit qu’ils sont si découragés, si désolés, qu’ils font leur possible pour se l’aire prendre prisonniers. Tu sais que ces sauvages ont brûlé le beau château de Saint-Cloud, pour se venger de leurs dernières grandes défaites par le général Trechu ; je crains beaucoup qu’ils n’en fassent autant de Versailles, quand ils seront obligés d’en déguerpir. Déjà, ils ont établi des ambulances dans le palais, et pour se désennuyer, ils tirent à balles dans les beaux tableaux, les statues, les glaces. Des sauvages ne feraient pas de pareils vandalismes. Dis-moi si tu as des livres pour te récréer, et si tu ne t’ennuies pas quelquefois ; fais-tu de longues promenades[16] ? Le pays est-il joli ? À quelle distance es-tu de Bordeaux[17] ? et du chemin de fer ?….. Ton oncle Gaston ne sait pas du tout quand il pourra retourner à Paris ; peut-être passera-t-il l’hiver à Kermadio avec moi. Ton oncle Anatole est décidé à passer l’hiver aux Nouettes. Adieu, mon cher bon petit ; je t’embrasse bien tendrement. Réponds-moi sur le collège : quel est ton désir ? n’affranchis pas tes lettres ; c’est inutile….. Adieu, petit chéri ; que le bon Dieu te bénisse et t’empêche de jamais l’oublier.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1870, 26 octobre.

Cher enfant, je t’ai un peu manqué de parole en retardant ma lettre jusqu’à aujourd’hui ; j’ai eu, comme on le dit aujourd’hui des lâches, des faibles, des paresseux, une défaillance ; c’est-à-dire qu’au lieu de braver courageusement les étourdissements, les somnolences, l’entraînement d’une occupation plus favorable à ma paresse, je m’y suis laissée aller. — À Vannes… les études, les habitudes sont les mêmes qu’à Vaugirard ; mais on habite un endroit sain, agréable, où il y a un espace énorme pour les récréations, de longs corridors en galeries vitrées pour les communications intérieures, des promenades variées, une nourriture plus abondante et meilleure qu’à Paris ; du reste, les sorties, les séances sont les mêmes C’est très bien composé ; de bons enfants en général et bien élevés…..Je t’envoie de quoi t’amuser pendant la longue réclusion après la rougeole [18] : dessins à un sou à colorier ; couleurs, crayons, papier, ciseaux à découper, etc.

Il faudra attendre [19] que les chemins soient sûrs, que les scélérats de Prussiens aient déblayé le pays.

Le petit Armand et Henriette t’espèrent avec une impatience extraordinaire ; aux yeux d’Armand, tu es un être admirable, vénérable, adorable ; et tu es son cousin !!! Il se pavanera d’avance de toi et de ta respectabilité…..

Adieu, cher enfant chéri ; tout le monde ici t’embrasse. Je t’embrasse bien tendrement.


Grand’mère de Ségur.


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Kermsdio, 1870, 2 novembre.

Cher enfant, je crois que c’est ton tour d’avoir une lettre… Je te conseille, mon cher petit chéri, de travailler un peu sérieusement et en jeune homme sage, pour ne pas rentrer trop en retard au collège : une heure de latin en deux fois, une demi-heure de grec, en deux fois, une heure d’histoire ; une demi-heure de lecture instructive historique, comme des Mémoires, des Voyages, des Vies de grands hommes, etc. Il doit y avoir quelques livres à V. ; on ne peut pas vivre sans lire. Tu feras un peu de calcul pour ne pas l’oublier ; un peu de géographie ; tu liras un peu de littérature, comme Racine, Corneille, Lamartine, Victor Hugo (Théâtre et Odes et Ballades). Tout cela est utile et intéressant ; impose-toi environ trois heures par jour pour tout cela ; plus te fatiguerait et t’ennuierait, étant seul, sans guide et sans camarade de travail et de jeu ; et trois heures de travail varié et bien employé valent sept, huit et dix heures de travail en commun, coupé de classes et de récréations bien employées. On ne peut pas tout travailler en un jour, hormis le latin et l’ennuyeux grec qu’il faut cultiver plus sérieusement…..

En terminant, je te recommande encore le latin et le grec, et aussi une petite lecture pieuse de quelques minutes tous les jours, la messe le plus souvent possible, ainsi que la confession et la communion, les deux grandes armes contre le mal. Donne-moi des nouvelles de papa [20] ; je lui ai écrit avant-hier.

Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement….. J’espère que le pauvre Paul est guéri de sa rougeole et que vous deux grands, vous ne l’avez pas eue. Adieu, chéri…..11 fait superbe depuis deux jours, mais froid ; il a gelé cette nuit. Les Prussiens gèlent et meurent ; c’est bien fait.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1870, novembre.

Merci, mes chers petits enfants ; j’ai reçu hier votre petite caisse ; le médaillon est charmant ; tes cheveux, mon petit Jacques, sont parfaitement arrangés ; le médaillon fait un effet superbe ; je l’ai accroché près de mon crucifix au milieu de mon lit. Ta pelote, ma petite Jeanne, est très jolie ; elle est accrochée de l’autre côté de mon crucifix, en pendant du médaillon de Jacques. Maman m’a écrit que tu entrais décidément à Poitiers. Puisses-tu y être heureux, cher enfant ! J’offrirai tous les jours au bon Dieu le grand sacrifice de ma séparation avec toi. Je t’espérais à Vannes ; le bon Dieu a voulu m’infliger le chagrin de ne plus te revoir ; que sa volonté soit faite ! Toi, de ton côté, mon cher enfant bien-aimé, n’alourdis pas ma croix en m’oubliant tout à fait ; écris-moi une fois par mois ; quelques lignes seulement pour me dire si tu vas bien, si tes études vont bien, si tes places ne se ressentent pas trop des premières semaines de classes perdues, si tu as retrouvé des camarades de Vaugirard, si tu as besoin de quelque chose…. As-tu un bon couteau de poche, des ciseaux à ongles, etc. ? Je vais assez bien, sauf les vertiges. Donne-moi ton adresse et le nom de ton collège. Je crois qu’il ne serait pas bon, par le temps d’impiété actuel, de t’adresser les lettres au collège des Révérends Pères Jésuites. Le Père M. est-il à Poitiers ? S’il y est, présente-lui mes respects bien affectueux. Adieu, mon enfant ; que le bon Dieu te bénisse et te conserve ton bon petit cœur et ta belle petite âme blanche. Je t’embrasse de tout mon cœur. Je t’écrirai souvent. Ton oncle Gaston t’embrasse et te bénit.

Grand’mère de Ségur.

Élisabeth t’embrasse. Armand est désolé que tu ne sois pas à Vannes. Louis de Malaret est enchanté du collège des Pères de Toulouse ; il a presque toujours des A et il est premier en latin, thème et version. J’espère que tu as ta trousse ; tu y trouveras tout ce qu’il te faut. Tout le monde d’ici t’embrasse.


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Kermadio, 21 novembre 1870.

Mon cher petit Jacques, j’ai su par maman, il y a trois jours seulement, qu’elle t’avait envoyé à Poitiers ; c’est bien heureux qu’il ne te soit pas arrivé de mésaventure avec les Prussiens qui sont partout ; mais il paraît que tu es arrivé à bon port ; j’espère que maman t’a envoyé une lettre que je t’avais adressée à V. et dans laquelle je te demandais beaucoup de choses : d’abord, que tu me dises si tu es bien à Poitiers comme à Vaugirard, si la nourriture est bonne, si les cours de récréation sont plus grandes qu’à Paris, si tu as retrouvé des amis de Vaugirard,entre autres le jeune d’H. ; si tu avais de l’argent dans ta bourse. Ton oncle Gaston va bien et me charge de t’embrasser ; il ira à Poitiers voir l’Évêque qui est son ami, et prêcher une retraite au séminaire, dans le cours de l’hiver. Si les affaires politiques ne se calment pas, il passera l’hiver avec moi à Kermadio. Moi, je ne quitterai Kermadio que pour aller à Livet passer un mois avec maman et tes sœurs et frère. Tu as dû t’ennuyer cet automne à Livet, sans chasse et avec l’agitation de la guerre. Ton oncle et ta tante Anatole passèrent tout l’hiver aux Nouettes, avec tes cousins qui s’ennuieront joliment, n’ayant aucun de leurs amis ni aucune distraction de voisinage. Ici, on ne s’ennuie pas parce que tout le monde s’occupe, travaille ; nous ne sommes pas comme X. dans le noir et dans l’attente continuelle de malheurs et de souffrances. Nous espérons toujours et nous voyons des ressources immenses dans la protection du bon Dieu et de la sainte Vierge. Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement. Si tu sais où est le bon Père M., tu me le diras. Élisabeth t’embrasse plus particulièrement que les autres qui ne te connaissent pas ; elle t’aime beaucoup.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio 17, novembre 1870.

Mon cher petit Jacques chéri, j’ai reçu ta lettre datée du collège et tu as dû en recevoir une de moi adressée au collège des R. P. Jésuites ; désormais je t’écrirai au collège Saint-Joseph ; mais tu ne me donnes pas le nom de la rue ; je crois que c’est rue des Feuillants, mais je n’en suis pas sûre. J’ai eu par Thérèse des nouvelles de ton séjour chez elle à la campagne ; je suis contente que tu t’y sois amusé et qu’Henri t’ait fait monter à cheval ; j’espère que tu pourras continuer tes jours de sortie, tant qu’Henri y sera pour t’accompagner ; seul, ce serait imprudent. Figure-toi que Pierre de Ségur est arrivé à Kermadio avec Jean [21], hier matin. Ton oncle Anatole ayant su que les Prussiens faisaient prisonniers les jeunes gens de 18 à 20 ans, de peur qu’ils ne s’engageassent dans les francs-tireurs, et sachant les Prussiens à Chauday, a eu peur pour Pierre et l’a fait partir le 23 en tapissière, conduite par Léger [22], les chemins de fer ne marchant pas. Ils ont couché à la Ferté-Macé, où ils ont trouvé une carriole qui les a menés à Mayenne ; de carriole en carriole, ils sont arrivés le 25 au soir à Rennes, où ils ont couché, et ils en sont repartis hier le 2fi, en chemin de fer. À midi, Pierre entrait dans la salle à manger où nous déjeunions tous. Il était fatigué et ennuyé de ce long voyage ; il était enchanté d’être arrivé ; il avait eu en route la nouvelle que les Prussiens, au lieu de continuer sur Laigle et Saint-Hilaire, ont pris le chemin de la Trappe pour aller à Mortagne et à Alençon ; ils doivent se masser près du Mans et se préparer à la grande bataille qui doit se livrer par là. Je vais écrire à maman pour lui annoncer cette bonne nouvelle : voilà notre pays (Laigle) délivré des Prussiens [23] ; ils ont craint de s’engager dans notre vallée pleine de petits bois, de ravins, de collines, etc., et ne leur offrant pas de grandes ressources de pillage. Ils ont fait payer par la ville de Laigle 200.000 francs pour lui épargner une visite Le père X. [24] a donné 100.000 francs à lui seul.

J’ai oublié de te dire que Thérèse et Henri m’ont fait de toi les plus grands éloges ; elle me dit que tu as plu à tout le monde chez eux ; qu’on t’a trouvé aimable, naturel, modeste, causant bien et avec une mesure parfaite, enfin un vrai élève des Pères Jésuites. Cet éloge ne m’a pas étonnée, mais il m’adonne de l’orgueil en me faisant voir comme je t’avais bien jugé depuis ta naissance. J’espère que maman et tes frère et sœurs pourront bientôt revenir à Livet ; maman te verra à Poitiers en passant. Mais il faut que les chemins de fer aient recommencé à marcher. Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse mille fois. Si tu as besoin de quelque chose, écris le-moi….. Je vais assez bien ; tout le monde t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 30 novembre 1870.

Cher petit Jacques, tu es, je le crois, inquiet de papa ; sois bien tranquille, les Prussiens ont quitté Laigle et nos environs pour ne plus y revenir ; ils y reviendraient, que papa ni Livet ne courent aucun danger…..

Il n’y a pas de francs-tireurs chez nous ; or, les Prussiens ne font de mal qu’aux villages qui résistent, ou qui don- nent asile aux francs-tireurs, qu’ils craignent beaucoup et qui leur font beaucoup de mal.

…..Je m’empresse de te rassurer ; sois sûr que je te tiendrai au courant de ce qui peut t’intéresser et te rassurer. Pierre est enchanté d’être à Kermadio ; il est toujours avec Élisabeth ; ils sont très occupés à courir de tous côtés pour avoir des vêtements chauds et de l’argent pour nos pauvres prisonniers français qui souffrent tant du froid et de la faim en Allemagne ; ils ont déjà envoyé par Genève de nombreux et immenses ballots de gilets de laine, chaussures, linge, paletots, vareuses, cache-nez, bonnets de laine, etc., et plus de 600 fr. eu argent. Elles travaillent (les femmes) à toutes espèces de vêtements ; cinq ou six de leurs amies d’Auray se réunissent à elles… Pierre accompagne, aide de son mieux, cause… Aux Nouettes, il s’ennuyait beaucoup. Il commence à faire très froid ; il gèle la nuit. — Je vais mieux ces jours-ci, j’ai moins de vertiges. Ton oncle Gaston t’embrasse et te bénit ; quand il ira à Poitiers, il ira certainement te voir ; je demanderai aussi à Urruty [25] d’aller te voir et tu lui demanderas ce dont tu as besoin ou envie ; je lui recommanderai de te le procurer. Adieu, mon cher petit bien-aimé, je t’embrasse bien tendrement ; ta tante, tes oncles, cousins et cousines t’embrassent bien.

Grand’mère de Ségur.

Pierre a tué hier une chouette ; il est enchanté ; le pays est plein de chouettes, d’éperviers, de geais, de pies, que personne ne tue. Si tu étais ici, tu en ferais de fameux abatis.


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Kermadio, 1870, 4 décembre.

Mon cher petit Jacques, j’ai reçu ta lettre avant-hier et j’y réponds vite… Je t’envoie deux feuilles de papier gommé qui guérit si bien les engelures ; tu peux en faire toi-même en faisant fondre de la gomme dans de l’eau ; en poudre elle fond plus vite ; quand l’eau est bien épaisse de gomme, tu l’étends avec un pinceau sur un morceau de papier et tu l’appliques sur l’engelure comme du taffetas d’Angleterre… J’espère que notre aide à nous sera le bon Dieu, qui combattra avec Trochu contre ces infâmes Prussiens et délivrera Paris et la France non seulement de ces sauvages ennemis, mais de tous les scélérats rouges qui cherchent à détruire le règne de Dieu. — Je vais bien ; je sais par ton oncle Anatole que papa va très bien… Adieu, mon cher petit bien-aimé, je t’embrasse mille fois ; tout le monde d’ici t’embrasse, surtout Pierre et Élisabeth.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 16 décembre 1870.

Cher enfant, maman m’a fait part de tes bonnes places, de ta mention honorable, de ta sortie de faveur ; je n’en ai pas été surprise, car j’ai l’habitude de te voir bien noté, oies placé, mais je n’en suis pas moins très contente… J’ai bien des petites poches à garnir, sans compter les grosses qui crient misère à cause des changements de position et de fortune amenés par la chute du gouvernement impérial. Pourtant, si tu as besoin de choses utiles comme des répétitions, des vêtements, des raccommodages de montre, demande-le-moi sans te gêner ; tu l’auras… Le petit Armand est très gentil et très pieux ; il fera sa première communion l’année prochaine ; il a une envie extrême de te voir. Peut-être pourras-tu, aux vacances prochaines, passer deux ou trois jours à Kermadio. Il y aura à faire un immense abatis de pies, de geais, de chouettes qui dévastent la basse-cour et que personne ne tue ; si tu avais ton fusil, tu t’amuserais à tuer toutes ces méchantes bêtes, sans compter les écureuils qui remplissent les bois, et les renards et lièvres qui. se promènent comme des présidents, sans être chassés… Adieu, cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement ; je vais mieux de la tête… Ton oncle Gaston a prêché cette semaine une retraite au séminaire de Vannes…

… Je t’enverrai incessamment une jolie dizaine de chapelets et une statuette en argent de sainte Anne ; le tout béni et indulgencié par ton oncle. Adieu, chéri, je t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1870, 22 décembre.

Cher enfant….. si les pauvres Pères sont chassés de Poitiers, tâche d’arriver à Vannes, où tu seras en sûreté et à ma portée ; il ne faut pas songer à Bordeaux où est le gouvernement provisoire (c’est-à-dire dérisoire) et où les Prussiens te poursuivront. Ce serait une bien grande joie pour moi et pour Armand et tes cousines. J’ai reçu une lettre de papa qui va très bien et qui paraît débarrassé définitivement des Prussiens ; maman attend pour retourner à Livet que les environs de Tours et du Mans soient aussi délivrés de ces dangereux sauvages. Adieu, cher enfant, je t’embrasse tendrement. Je crois que tu m’as écrit, mais que tes lettres ne sont pas arrivées à cause du désordre de la poste. On m’écrit que tu as été quatrième en je ne sais quoi. C’est très bien ; tu arrives tout doucement au n° 1. Les notes sont excellentes ; c’est plus important que les places des compositions. Je t’envoie pour tes engelures des papiers gommés que t’a faits Armand. Il fait bien froid. Achète des gants chauds, pour les récréations et promenades. Adieu, mon petit chéri, je t’embrasse…

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1870, 22 décembre.

Cher enfant, je veux te souhaiter la bonne année un peu d’avance, à cause de l’irrégularité de la poste, afin que tu saches, avant de finir cette année désastreuse, combien je pense à toi, combien je t’aime et combien je t’aimerai jusqu’à ma mort et après ma mort. Ta cousine Thérèse m’a écrit que le collège était licencié, mais que les Pères ont obtenu l’insigne faveur de ne pas jeter dehors les enfants dont les parents habitaient les départements envahis par l’ennemi. J’ai bien remercié la bonne Thérèse des détails qu’elle m’a donnés sur toi et sur ta sortie de faveur, et j’ai bien remercié le bon Dieu de t’avoir gardé dans ton excellente école près des bons Pères qui font de leurs élèves des saints ou tout au moins des hommes distingués et chrétiens…..

Nos jeunes soldats se battent comme des lions ; les Bretons sont des modèles de guerriers par leur foi et leur bravoure ; chaque bataillon a ses aumôniers et, avant le combat, ils reçoivent tous à genoux l’absolution sur le champ

de bataille. À Paris, les églises sont pleines de Bretons…..

Moi, je vais bien aussi ; Louis de Malaret travaille un peu mollement ; mais il a de bonnes notes et il continue à être très content. Adieu, mon cher petit chéri, je t’aime et je t’embrasse bien tendrement. Ton oncle Gaston t’embrasse et t’envoie sa bénédiction. Il ne sait pas encore quand il ira à Poitiers ; il ira certainement te voir. Henri sera parti probablement quand tu recevras cette lettre ; ta pauvre cousine sera bien désolée….. Adieu, mon cher enfant ; que le bon Dieu,te bénisse.

Grand’mère de Ségur.

Tout le monde t’embrasse, surtout Élisabeth et Armand.


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Kermadio, 1871, 5 janvier.

Mon cher petit Jacques, je suis bien sûre que tu m’as écrit pour la nouvelle année, mais je n’ai pas reçu de lettre de toi… Je suis bien inquiète de toi, mon enfant chéri, et bien triste de ne pas te voir ; mon bon temps est passé, le bon temps où je te voyais deux fois par semaine, où je te faisais sortir, où je te savais près de moi. Je prie le bon Dieu pour ton bonheur ; je pense à toi pour ma satisfaction personnelle ; j’espère et j’attends de tes nouvelles ; je demande à Dieu de m’accorder la grâce de te revoir aux vacances à Livet, et je me soumets, du reste, à sa sainte volonté ; seulement, si je meurs loin de toi, sache bien que tu es ma dernière pensée et que je t’envoie ma dernière bénédiction. — J’espère que tu n’es pas gelé à Poitiers comme nous le sommes ici depuis le 30 novembre. Je crains que tu n’aies des engelures…..

Si tu étais ici, tu nous ferais manger du gibier ; il y a des grives en quantité, à en tuer dix ou douze par heure ; des courlis excellents, des bécasses énormes, comme je n’en ai jamais vu, des canards sauvages en quantité et des lièvres énormes. Pierre n’a pas son fusil ; il n’y en a dans la mai- son qu’un seul qui appartient a un jeune domestique qui l’a acheté pour 5 francs ; tu juges ce que c’est qu’un fusil de 5 francs. Adieu, mon petit chéri ; je t’embrasse comme je t’aime, de tout mon cœur. Tous les tiens vont bien.

Grand’mère de Ségur.


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Collège de Vaugirard.


Kermadio, 1871, 9 janvier.

Mon cher petit Jacques chéri, j’ai reçu hier ta bonne lettre… J’ai écrit à papa pour le mettre au courant de ta vie ; il verra que tu lui as écrit plusieurs lettres qui ne lui sont pas arrivées ; il en est de même partout…..

Ces coquins de Prussiens sont dans tout le nord et le centre de la France… La gelée nous a abandonnés ; c’est un premier bienfait ; je vais commander quelques chapelets pour le R. P. qui confesse les zouaves ; je te les enverrai quand ils seront faits ; ce ne sera pas avant huit ou dix jours ; dans ce pays-ci, le travail va lentement… les ouvriers d’ici sont très ignorants, maladroits et négligents.

Hier on a tiré les Rois à la cuisine ; le petit Armand a été voir ce qui se passait ; c’est Uruty qui a été roi ; Armand a été chercher son violon,il leur a joué des airs bretons ; ils ont dansé, chanté, crié : le roi boit, etc. On a fini par faire une immense ronde autour de la table sur laquelle était monté Armand, comme les violons de campagne ; il sautait et tour- nait sur sa table tout en jouant ou raclant du violon.et il a été enchanté de sa soirée. Tu juges ce que devait être la musique ; Armand n’a jamais appris le violon ; c’est au jugé qu’il joue les airs qu’il connaît ; il est vrai qu’il joue bien du piano et qu’il a beaucoup de sens musical…..

Si tu as besoin de ciseaux à ongles et d’un couteau-canif-serpette, je te l’enverrai dans une boîte prochaine. Je t’embrasse bien tendrement, mon cher petit. Tout le monde t’embrasse et te souhaite la bonne année.


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Kermadio, 31 janvier 1871.

Cher petit Jacques chéri, je pense que depuis l’armistice (prélude de la paix) les lettres peuvent arriver à Poitiers. Depuis ta lettre du jour de l’an, je n’en ai plus reçu ; j’espère que les miennes ont pu t’arriver, ainsi que la boîte de chapelets… Je pense qu’Henri va revenir quand on aura signé la paix ; les éclaireurs, francs-tireurs, etc., seront rendus à la liberté. Ton cousin Jacques s’était engagé dans les zouaves de Charette, mais il n’a pas encore eu le temps de rejoindre…..

Je vais bien… Quel froid il a fait et il fait encore ! Comment vont tes engelures, mon pauvre petit ? et comment a été ton mois de janvier pour tes places et tes notes ? As-tu reçu la lettre du Père M. que je t’ai envoyée il y a 10 jours environ ? Adieu, mon cher petit chéri ; je pense à toi sans cesse ; je t’embrasse comme je t’aime…..

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1871, 13 février.

Cher petit, tu auras 14 ans après-demain, et je veux que tu reçoives de moi une preuve de souvenir et de tendresse ; ce jour-là, ton absence me sera plus pénible encore que d’habitude. J’ai appris avec peine que ton ami d’H. était à Vannes… Il a eu la visite d’une de ses tantes, Madame de Cl. ; quand il a su qu’elle me connaissait, il a demandé de tes nouvelles et où tu étais ; il a été désolé de te savoir à Poitiers au lieu de Vannes. Si tu as le temps de lui écrire, il sera enchanté d’avoir de tes nouvelles par toi-même, et tu sauras comment il se trouve à Vannes. Nous allons avoir la paix sous peu de jours ; la Chambre nouvelle est bonne et comprend que la paix est le seul moyen de sortir de l’abîme dans lequel nous sommes plongés. Ton oncle Armand est nommé dans le Morbihan ; il est parti pour Bordeaux ; leur première séance a eu lieu hier. — Pierre part après-demain 15 ; Jean est venu le chercher pour le ramener aux Nouettes… À Ray, des francs-tireurs ont tué un Prussien et l’ont laissé sur la grande route ; puis ils ont porté son fusil chez le curé pour le leur garder. Quand les Prussiens ont passé et qu’ils ont tu le corps de leur camarade, ils ont été chez le curé et ils ont aperçu ce fusil ; ils sont tombés sur le pauvre vieux curé à coups de poings, à coups de pieds et à coups de crosse de fusil ; ils l’ont entraîné et Font fait marcher jusqu’à Chambord, à quatorze lieues de Laigle ; à chaque village ils s’arrêtaient, faisaient signe au pauvre curé qu’il allait être fusillé ; ils lui criaient : capout, et lui donnaient des coups de poings sur la tête. Enfin, à Chambord, un officier supérieur l’a fait relâcher, et le pauvre curé est revenu à Ray le surlendemain ; il n’a trouvé ni sa servante qui s’était réfugiée aux Nouettes, ni aucun habitant ; le presbytère et le village avaient été pillés, dévastés ; les meubles brisés, les effets volés, les portes et les fenêtres arrachées et en morceaux. Heureusement que ton père, l’ayant appris, a été chercher le pauvre homme et l’a emmené à Livet où il le soigne…..

Adieu, mon cher bon petit, je t’embrasse bien tendrement. N’oublie pas de t’adresser à moi si tu as besoin de quelque chose… Adieu, mon enfant chéri ; je t’embrasse mille fois. Tout le monde ici va bien, et moi aussi ; je vais de mieux en mieux. La petite vérole du petit Gaston est finie ; le pauvre Louis est sans cesse enrhumé, avec de la fièvre et des étouffements.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1871, 13 février.

Cher enfant, j’ai reçu une lettre de Jeanne qui m’annonce la frayeur qu’a eue la petite Françoise ; elle jouait près d’un petit bassin ; elle a glissé et elle est tombée dedans ; heureusement elle n’avait de l’eau que jusqu’aux genoux ; elle a crié, appelé Jeanne à son secours ; mais elle était sûre de mourir, ayant entendu dire que lorsqu’on tombait dans l’eau après avoir mangé, on mourait de suite ; et comme elle sortait de déjeuner, elle a cru mourir en quelques minutes, de sorte qu’elle était au désespoir, la pauvre petite ; on l’a calmée facilement et elle en a été quitte en changeant de chaussures et de vêtements…Pierre, que son père a rappelé la semaine dernière, a mis quatre jours pour venir de Rennes à Aube ; il a dû coucher trois fois en route, ne trouvant pas de voiture, pas même de carriole ; tous les chevaux avaient été pris par les Prussiens et par notre artillerie et cavalerie. Je pense que la paix est signée, puisque l’armistice finit aujourd’hui à minuit. Dieu veuille nous rendre la paix ! ..

J’ai reçu hier des nouvelles de ton père qui allait bien et qui bataillait avec ton oncle Anatole et tous les maires du canton de Laigle contre les Prussiens de Laigle qui voulaient faire payer à tous les habitants du canton une contribution de guerre de 25 fr. par tête, hommes, femmes et enfants. Ton oncle a écrit à Versailles à Bismarck pour se plaindre de cette exaction. La paix va couper court à toutes ces voleries ; et sous peu, nous n’aurons plus ces brigands à redouter…..

Je continue à aller bien… Ton oncle Gaston t’embrasse et t’envoie sa bénédiction. 11 prêche le carême à Auray. Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse de tout mon cœur.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1871, 27 février.

Cher petit, je t’ai écrit hier, mais je t’écris encore quelques lignes aujourd’hui, de peur que tu ne partages les inquiétudes sur ton père ; on le croit emmené en otage par les Prussiens,parce qu’il a refusé,ainsi que ton oncle Anatole, de payer l’impôt illégal que les Prussiens veulent prélever sur tous les habitants de l’Orne, 25 fr. par tête. Tous les maires ont fait comme eux ; et on les a tous menacés d’être emmenés en otage ; mais cette menace n’a pas été effectuée, comme elle ne l’avait pas été avec d’autres. Et la paix devant être signée à présent, les Prussiens n’ont aucun droit sur aucun Français ; surtout quand il s’agit d’un conseiller d’État, d’un officier de la Légion d’honneur, qui n’a fait que son devoir, et de gens comme il faut.

Si on t’a écrit de B., ne t’inquiète pas de leurs terreurs ; tu verras que rien de fâcheux n’arrivera à ton père. Jeanne s’inquiète beaucoup qu’il ne gagne la gale, parce que, dit-on, tous les Prussiens ont la gale. Or la gale se guérit par un ou deux bains de soufre ; ainsi la gale même n’a aucun danger pour lui. Adieu, mon très cher petit, je t’embrasse bien tendrement… Je vais bien ; tout le monde d’ici t’embrasse, surtout ton oncle Gaston.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 27 février 1871.

Je t’écris un second mot, cher enfant. La paix est signée, l’on père ne court plus aucun danger. Le général a grondé les Officiers prussiens ; il y aurait eu 15 maires et 15 adjoints à emmener dans chaque canton. Tout est tranquille. Je t’embrasse. C’est ma troisième lettre depuis hier.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadia, 6 mars 1871.

J’ai reçu ta lettre, mon petit chéri… Il y a dans ta lettre un mot que je ne crois pas beaucoup ; tu me dis que tu es moins sage qu’à Vaugirard. Je crois que tu es toujours très sage et que tu auras à la distribution des prix un prix d’excellence comme d’habitude. Ne te tue pas à faire des diligences ; ménage ta tête qui a besoin de toutes ses forces pour les dernières années d’étude. Papa va très bien ; la paix les a débarrassés des Prussiens. Dieu soit loué ; et mal- gré que les conditions en soient dures, elles ne sont qu’humiliantes pour la France et non déshonorantes ; le déshonneur n’est que pour la Prusse qui, depuis Sedan, s’est comportée en nation barbare, avide, injuste et méprisable. Dans peu d’années, nous serons comme le phénix qui renaît de ses cendres plus glorieux que jamais… Adieu, mon cher bon petit Jacques, je t’embrasse bien tendrement. Papa veut te donner Paul à emmener en octobre aux grandes vacances. Je pense qu’à cette époque Vaugirard sera régénéré, et que je ne serai plus un an sans te voir. Adieu, mon bien cher enfant, je t’embrasse encore et je ne cesse de penser à toi et de t’embrasser de tout mon cœur.

Tu sais que ton oncle Fresneau est député…..

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 30 mars 1871.

Mon cher petit Jacques, tu es sûr d’avoir les vacances que le Père M. veut bien t’accorder. J’ai écrit, j’ai télégraphié à papa….. S’il ne peut venir te chercher, ce sera moi qui t’enverrai chercher par Saint-Jean pour t’amener à Kermadio ; tu seras privé de voir ton père et Livet, mais du moins tu viendras respirer le bon air de Kermadio, tu feras connaissance avec tes cousines et ton cousin, tu verras la mer, tu iras voir Lorient, le collège de Vannes où tu trouveras ton ami d’H., et tu iras voir les fameuses pierres de Carnac qui ont l’air d’une armée rangée en bataille. La légende dit que c’est une armée romaine pétrifiée par un miracle de saint Cornellis poursuivi par les Romains pour être martyrisé. Ce sera pour moi un vrai bonheur de te revoir après une année de séparation. Mais si papa t’emmène à Livet, je serai consolée par la pensée de ton bonheur. Adieu ou au revoir, cher enfant bien-aimé. Je t’embrasse bien tendrement.

Grand’mère de Ségur.


Demande qu’on te prépare ton petit paquet.


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Kermadio, 1871, 11 avril.

Cher enfant…, ils [26] ont bu tant de vin et d’eau-de-vie pendant leur règne de bandits que la moindre blessure devient gangreneuse. — Armand se joint à moi pour te demander des nouvelles de votre comédie ; as-tu bien joué ton rôle de zouave ?… Toute la maison était en l’air pour travailler au reposoir qu’on devait faire à Kerlo, cette ferme tout près de Kermadio. Il a très bien réussi ; c’est Louise qui atout composé et dirigé ; il y avait une foule de draperies eu gaze blanche doublée de rose etdes guirlandes de buis et de chêne en profusion ; c’était très joli… Adieu, mon cher enfant chéri, je t’embrasse bien tendrement. Quand nous approcherons du 29, jour de la première communion d’Ar- mand, tu serais très aimable d’écrire deux ou trois lignes à lui et à Yalentine qui fera sa première communion avec lui ; tu leur écrirais à tous deux ensemble en leur disant que tu n’as pas le temps de leur écrire séparément… Adieu, petit chéri, je t’embrasse ; ceux]d’ici en font autant et t’aiment tous.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1871, 10 avril.

Cher enfant, je te remercie bien de ta bonne lettre, qui m’a tranquillisée sur l’accueil que t’a fait le Père A. J’avais peur qu’il ne te traitât en réfractaire [27] ; heureusement qu’il a bien voulu admettre que tu étais un pauvre être dépendant et devant attendre le bon vouloir (ou pouvoir) de ton oncle ; il t’a très aimablement reçu : cela fait honneur à son esprit de justice… Livet est rempli par tes parents de B. et de la C. Tu sais que Paris en est toujours au même point, mais tu ignores peut-être comment les saints curés de la Madeleine, de Saint-Sulpice et de Saint-Séverin (je crois) ont été récompensés de leur charité pour les pauvres. Après leur arrestation, les pauvres de leurs paroisses se sont réunis, plusieurs milliers d’hommes,de femmes, d’enfants, et se sont attroupés autour de la prison ; ils ont crié, menacé pour qu’on leur rendît leurs protecteurs, leurs pères, leurs soutiens ; ils ont déclaré que si on ne leur rendait pas la liberté, ils démoliraient la prison et les enlèveraient de force. On a eu peur et on a délivré ces trois bons prêtres qui employaient en effet tout ce qu’ils avaient, tout ce qu’ils parvenaient à quêter, pour des établissements de charité et des secours à domicile. Les pauvres ont emmené leurs curé ? et les ont accompagnés à leurs églises respectives. Voilà ce que c’est que d’être charitable ; on en est récompensé même en ce monde. Depuis ton départ, il pleut sans cesse ; le bon Dieu t’a fait la gracieuseté de te donner un temps magnifique pendant tes petites vacances ; et depuis ton départ, nous acceptons la pluie avec plaisir, caria terre en avait besoin ; tout pousse à vue d’œil, blé, avoine, légumes, feuilles, four- rages, etc. Pourtant je voudrais le retour du beau temps à cause de l’arrivée de Camille ; son pauvre petit Paul finirait par s’ennuyer, quand la nouveauté des visages et des joujoux n’exciterait plus son intérêt ; il est très joli, très gai et très gentil ; blond avec yeux bleus, comme Camille, très rose, pas trop blanc, pas trop gras (comme une volaille engraissée), parlant très bien, pas sauvage du tout et très sympathique. Il a pris Armand fort en gré et il ne le quitte pas ; lors qu’Armand s’échappe, le petit crie et pleure comme un petit malheureux, Le vent est terrible ; ton oncle Gaston m’écrit qu’il devait dire la messe hier 15 ou aujourd’hui 16 chez tes bons Pères Jésuites ; le Père A. lui a dit beaucoup de bien de toi,ce qui nous a fait grand plaisir, à ton oncle et à moi. Adieu,mon cher petit,je t’embrasse bien tendrement ; je vais bien et je vis dans l’attente du mois d’août… Adieu, cher enfant. Henriette a reçu ta lettre, elle t’en remercie et elle te répondra demain. Tout le monde ici t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 2 mai 1871.

Cher enfant, j’ai reçu hier une lettre de Paul qui me dit que tout le monde va bien à Livet ; sa lettre est courte, ne disant rien d’important, mais d’une bonne écriture, assez coulante et régulière. Papa est décidé à te le donner comme compagnon de collège aux vacances prochaines, soit à Vaugirard, soit à Poitiers, si Vaugirard n’est pas rouvert ; ce qui le fait encore hésiter, c’est qu’on lui dit que le régime de Poitiers est aussi dur pour les petits que pour les grands, que tous se lèvent et se couchent aux mêmes heures, ont autant d’heures d’études, font les mêmes promenades, etc. Il craint que ce ne soit trop pour la grosse tête de Paul qui est souvent pris de la tête et qui ne voudra jamais avouer qu’il a la tête fatiguée ou malade. Enfin… le bon Dieu le protégera comme il t’a protégé, toi, mon pauvre enfant, et comme il nous protège tous, tous les jours de notre vie. Quand tu viendras à Livet, tu trouveras le gibier très augmenté, à cause de la défense de chasser toute l’année dernière et cet hiver. Brière [28] t’attend avec impatience ; il paraît que les petits chiens sont devenus superbes et excellents. Je me réjouis de penser que je serai avec toi à Livet une grande partie des vacances. Je me porte très bien ; ma santé se consolide de plus en plus et je marche beaucoup mieux ; je puis aller à pied à l’église et en revenir de même ; j’espère qu’à Livet je pourrai aller à pied à la messe ; ce serait le complément de mon bonheur à Livet. Adieu, mon cher enfant chéri, je t’embrasse bien tendrement…..

Adieu, mon cher petit ; nous avons un temps magnifique ; je crains qu’il ne fasse bien chaud à Poitiers.

Grand’mère de Ségur.


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Ton oncle Gaston, ta tante, tes cousines et cousins, l’abbé, t’embrassent de tout leur cœur ; ton neveu de B. est très gentil, mais colère comme un dindon. Camille est désolée quand il se met en fureur, mais elle ne le gâte pas et ne lui cède jamais.

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Kermadio, 1870, 10 mai.

Cher enfant….. j’ai de bonnes nouvelles de Livet ; on attend les vacances avec une grande impatience ; en attendant, on s’amuse…..je ne sais trop à quoi ni avec qui, mais on est assez nombreux [29] ; Henri est très gai et ils font des parties de promenades…..J’aspire aussi après les bien-heureuses vacances qui te sont bien nécessaires pour reposer ta tête, développer tes membres et te donner des forces pour la suite de tes études. Ce n’est pas tout que de vouloir travailler, il faut encore pouvoir ; et avec des maux de tête il n’est pas possible de bien travailler ; dis-moi où en sont tes maux de tête et s’ils t’ont arrêté dans les compositions. — Armand a eu un grand chagrin avant-hier ; Léonore, sa bonne, qui l’a élevé dès l’âge d’un an, a dû partir pour retourner chez sa mère qui la demandait depuis deux ans ; elle était désolée de quitter Armand, et le pauvre Armand sanglotait comme un malheureux. Ta tante Henriette l’a

changé de chambre pour le distraire….. ton oncle Gaston

lui donne (à Armand), pour sa première communion, un beau bureau à compartiments et tiroirs, dont il est enchanté d’avance ; moi, je lui donne une montre. As-tu donné la tienne à arranger ?… Si tu l’as perdue, dis-le-moi pour que je te la remplace pour les vacances ; il te faut une montre [30]. Adieu, mon cher petit Jacques ; je t’aime et je t’embrasse bien tendrement. Tout le monde ici te remercie de ton souvenir et t’embrasse, surtout Armand, Henriette et Camille. Ton oncle Gaston est à Hennebont, à huit lieues d’ici, pour prêcher une retraite de première communion ; il reviendra dimanche. Je vais très bien.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 20 mai 1871.


Mon cher petit Jacques chéri, il me semble qu’il y a longtemps que je ne t’ai écrit ; j’ai eu beaucoup à écrire à ton oncle Edgar et pour lui, au sujet de la location de Ponsal, charmant château à 5 kilomètres d’Auray, que ton oncle veut louer pour trois mois. Il a fallu le meubler de tout ce qui est nécessaire pour l’habiter ; et comme Auray n’offre pas les facilités de Paris, il a fallu bien des pourparlers avant d’arriver à avoir le nécessaire. Ton oncle arrive dans dix à quinze jours avec ta tante,-les enfants, le gouverneur, M. et. Mme R. et sept domestiques. Armand et Henriette se font une fête de l’arrivée des enfants ; Valentine fera sa première communion avec Armand, sous la direction de ton oncle Gaston ; ce sera le 29 juin, jour de la Saint-Pierre à la paroisse de Plumeret (celle de Kermadio), que tu connais. Avant cette première communion, ton oncle ira aux Nouettes, faire faire celle de Marie-Thérèse ; il y restera un peu plus de quinze jours. J’ai de bonnes nouvelles de Livet ; tout le monde va bien ; les B. et les la C. en sont partis cette semaine pour aller je ne sais plus à quelle terre des la C. — Il fait un temps superbe et chaud ; as-tu pu aller pêcher et as-tu pris du poisson ? Camille part dans dix jours, à mon grand regret ; ta tante Nathalie prendra sa place avec Madeleine, Gaston et probablement Louis toujours malade, et qui ne pourra sans doute pas rentrer au collège de Toulouse avant les vacances. Adieu, mon bon cher petit Jacquot chéri, je t’embrasse bien tendrement. Je vais très bien. Tout le monde ici t’embrasse, Armand surtout qui a pour toi une affection profonde.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 15 mai 1871.

Mon enfant, je reçois ta lettre, il y a une heure….. Tu porteras un glorieux uniforme dans le rôle que tu dois remplir. Je ne doute pas que tu mènes tes hommes au feu avec l’entrain de vrais zouaves. Je suis désolée de ne pas te voir jouer le 6 juin ; tu me donneras des nouvelles de la représentation. Ton rôle est-il agréable à jouer ? Est-il long ? Armand voudrait bien s’engager dans ta compagnie, mais il lui faudrait, vu son jeune âge, la permission de ses parents ; il ne l’aura pas. Je te remercie de me rassurer sur ton mal de tête ; me voici tranquille sur ta santé. Le pauvre Louis de Malaret est désolé de ne pas pouvoir rentrer au collège… le médecin lui ordonne pour le mois de juillet les eaux de Cauterets….. À Ponsal, il y a un parc et des bois magnifiques, avec un bras de mer qui serpente dedans ; il doit y avoir une quantité de gibier et une chasse superbe, avec un garde excellent. Adieu, mon cher, très cher enfant, je t’aime et je t’embrasse bien tendrement. Tout le monde ici te remercie de ton souvenir et t’embrasse bien affectueusement.

Grand’mère de Ségur.

Camille part le 1er.


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Kermadio, 5 juin 1871.

Cher enfant, je reçois ce matin une lettre de maman qui me dit que ton père compte te faire passer encore l’année prochaine à Poitiers, d’abord à cause de l’air corrompu, pestilentiel de Paris rempli de cadavres mal enterrés et de sang dont la terre est imbibée. De plus, il y a encore 50 à 60 mille communeux disséminés dans les faubourgs de Paris et tout disposés à recommencer les massacres et les pillages. Les pauvres bons Pères restants seront certainement massacrés ; ces démons de communeux et d’impies n’ont aucun sentiment humain ; ils tuent pour tuer ; ils pillent et brûlent pour ruiner et détruire ; tu juges dans quelle inquiétude nous serions de te savoir dans ce repaire de diables incarnés. Je vais très bien ; ma pauvre Camille part jeudi avec son petit Paul… Pauvre Louis ! il y a six mois qu’il est souffrant, qu’il tousse, qu’il maigrit, qu’il s’affaiblit. Prie pour lui, cher enfant, afin que le bon Dieu le sauve. C’est demain 6 que tu joues ton rôle de zouave ; donne-moi des nouvelles de la représentation ; il ne fera pas trop chaud ; ici, il fait très froid depuis trois jours. Adieu, mon cher petit Jacques.

Grand’mère de Ségur.

Ton, oncle Gaston m’écrit qu’Henri est grand comme Pierre, et Marie-Thérèse aussi grande qu’Henriette Fresneau.


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Kermadio, 25 juin 1871.

J’ai reçu ta lettre hier, cher enfant, et je m’empresse de t’envoyer aujourd’hui les 5 francs que tu me demandes ; je les multiplie par 5, ce qui fait 23, que je t’envoie pour récompenser la modestie de ta demande…..

Je te remercie, cher enfant, des détails que tu me donnes sur la comédie et sur la procession. Je trouve que cette dernière a duré bien longtemps ; c’est trop fatigant. Armand et Valentine entrent en retraite aujourd’hui dimanche ; c’est ton oncle Gaston qui la prêche. La première communion aura lieu jeudi, jour de la Saint-Pierre. Valentine vient tous les jours à Kermadio pour suivre l’instruction préparatoire que fait ton oncle Gaston. J’ai communiqué à ton oncle la juste impatience des élèves pour la promenade accordée par ton oncle avec l’autorisation du Père Recteur. Ton oncle va écrire aujourd’hui à l’effet de rappeler au Révérend Père sa promesse, et vous aurez votre promenade au premier beau jour. Toute la réunion d’oncles, tantes, cousins, cousines te remercient de ton aimable souvenir et te rendent tes baisers et tes amitiés. Valentine et Loulou sont bien fâchés de ne pas t’avoir en vacances à Ponsal ou à Kermadio…..

Le petit Gaston, en péchant des crabes hier,, est tombé dans la vase jusqu’au genou ; il a dû changer de tout ; cette vase noire collait et puait ; on s’est moqué de lui, mais on ne l’a pas grondé. Louis est à Malaret, attendant le moment d’y aller avec son père ; il voudrait bien y être déjà. Adieu, mon cher bon petit Jacques, je t’embrasse bien tendrement. Pierre va trois fois par semaine à Sainte-Anne, chez un professeur qui le prépare à passer son examen de bachelier ; il se promène beaucoup avec Élisabeth et rit toute la journée, tant il est content d’être ici. Adieu, cher petit bien-aimé, je t’embrasse de tout mon cœur.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 2 juillet 1871.

Cher enfant, je n’oublierai pas tes coquillages et autres choses que tu as laissées à ma garde ; elles sont en première ligne pour être emballées, ainsi que ta canne achetée à Auray. Armand et Valentine ont fait leur première communion jeudi 29, très bien, avec beaucoup de recueillement ; il y avait deux cent quarante enfants, filles et garçons, de première communion ou renouvelants ; et puis tous les parents, ce qui a fait durer la cérémonie assez longtemps ; c’est ton oncle Gaston qui a dit la messe et qui a donné la sainte communion ; il avait prêché la retraite du dimanche au jeudi.

Valentine et Loulou (Louis) s’amusent beaucoup à Ponsal ; ils ont un jeune abbé excellent ; il leur donne des leçons très intéressantes et leur fait faire de jolies promenades dans les bois qui sont superbes, et parcourus par des petits bras de mer serpentant entre des rochers très élevés, où se trouvent aussi des sources formant cascades en tombant dans la mer ; on escalade très facilement les rochers qui vont gagner la mer. Il paraît que c’est très amusant de se promener au milieu de tous ces bois, montagnes, rochers, cascades, ruisseaux, etc. Nous les voyons souvent ; ils viennent à Kermadio à pied ou en voiture, et les nôtres en font autant pour Ponsal. Ta tante de Malaret est avec nous depuis dix jours avec Gaston ; il est grand comme une perche et s’amuse beaucoup avec Armand ; ils pèchent des crabes, mais on oublie toujours de les servir à table et on les mange à l’office, ce qui est fort ennuyeux. Adieu, mon petit chéri ; je suis bien aise de t’avoir envoyé trop d’argent, comme tu dis ; cela fait qu’il t’en restera pour ton voyage aux vacances, et que si tu as faim en route tu pour- ras acheter aux buffets de quoi boire et manger. Si tu as encore ta gourde, tu feras bien de l’emporter pleine, car il fera chaud et tu seras bien aise de t’humecter la gorge. Je suis en train de combiner mon voyage avec le tien, si ton

père ne vient pas te chercher…..

Adieu,cher enfant, je vais bien, ainsi que ton oncle et toute la famille. Pierre travaille ferme pour passer son examen dans les premiers jours d’août à Rennes. Il a un excellent professeur de Sainte-Anne. Je t’embrasse tendrement. Armand est enchanté de ta lettre ; il te répondra aujour- d’hui ou demain. Toutes les compositions des prix vont vous fatiguer tous. Dieu veuille qu’il ne fasse pas trop chaud ; jusqu’ici il a fait très frais et très vilain. Je suis contente que X. te fasse sortir.

Grand’mère de Ségur.

En relisant ma lettre, j’ai effacé cinq ou six qui inutiles et même désagréables. Pardonne les ratures.


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Kermadio, 1871, 17 juillet.

Cher enfant, tu as dû recevoir ces jours-ci une lettre d’Armand ; depuis sa lettre, il a pu, grâce à la chaleur, prendre des bains de mer ; il apprend à nager et en quatre leçons il a fait des progrès si rapides qu’il peut nager seul (avec le baigneur à ses côtés) J’espace de quelques mètres. Gaston commence aussi, après avoir eu une peur affreuse les deux premières leçons. Depuis deux jours, il fait une chaleur affreuse ; j’en gémis pour toi : Poitiers est brûlant ; les compositions doivent être des heures de supplice ; j’espère qu’elles tirent à leur fin…..

Adieu, mon très cher enfant, je t’embrasse bien tendre ment, en attendant notre heureuse réunion, s’il plaît à Dieu. Ton oncle Gaston part le 26 pour Paris ; il viendra aux Nouettes le 8 ou 10 août. Tout le monde t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Livet, 1871, 8 octobre.


Cher enfant de mon cœur, nous avons eu de tes nouvelles et de celles de Paul par ton père, hier samedi ; elles sont excellentes ; je vois que Paul n’a pas été empêtré, ni trop affligé, et qu’il a pris goût à la vie de collège. Je pense que ton père aura pensé à parler au R. P. A. du déjeuner du matin pour que vous ayez café ou viande. Nous allons bien. Le lendemain de ton départ, comme un fait exprès, le temps a été superbe ; ces jours-ci, il est passable ; les P. père et fils chassent à mort, mais ils ne tuent personne. Ton beau brocard a encore été chassé, paraît-il, mais sans succès…..

Votre départ, et surtout le tien, laisse un vide, une torpeur dans toute la maison. Ton oncle Gaston doit t’avoir vu jeudi ou vendredi ; il me donnera de vos nouvelles aujourd’hui, j’espère. Dis à Paul que je lui écrirai après-demain ; je serai à Paris mercredi pour dîner, et à Poitiers lundi pour dîner ; je verrai si je peux vous embrasser après votre dîner ; si je ne suis pas trop fatiguée j’irai, sinon, ce sera pour le lendemain midi et demi….. Je t’embrasse bien tendrement, bien cher petit chéri, ainsi que Paul.

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 10 octobre 1871.

Mon cher petit Jacques chéri, je suis arrivée très heureusement et sans trop de fatigue, après avoir couché à Bordeaux. Figure-toi qu’à l’hôtel, que je trouvais si excellent, on m’a fait tout payer fort cher ; ainsi tu ne croirais pas que notre déjeuner de mardi a coûté 40 fr., et tu sais que nous n’avons eu que des choses fort simples et en quantité modérée. En revenant à Poitiers, je crois que j’essaierai d’un autre. Je me porte très bien ; j’ai vu Louis en descendant de wagon ; ta tante de Malaret, qui m’attendait à la gare, m’a menée tout de suite au collège ; le père V… (Recteur), qui est très bon, a permis que Louis restât avec nous pendant la promenade et jusqu’à l’étude ou la classe. Louis a beaucoup demandé de tes nouvelles et voudrait bien te voir ; il est très grand, un peu plus grand que toi ; il est très content au collège ; il a été cinquième (thème latin), après une interruption d’étude de cinq mois à cause de sa santé. Les eaux de Cauterets lui ont fait beaucoup de bien…..

Malaret est charmant et a de partout une vue admirable d’une étendue de plus de 25 kilomètres, avec les Pyrénées au bout de l’horizon. Embrasse bien mon petit Paul pour moi et donne-lui de mes nouvelles [31]. Il n’y a pas de gibier à Malaret ; quelques lapins et quelques cailles. Toi, tu ne t’y plairais pas beaucoup ; mais il y a beaucoup de voisinage très agréable ; des jeunes gens partout. Gaston commence à monter à cheval ; son père l’accompagne en tenant par une longe le cheval de Gaston ; ils trottent et galopent pendant une bonne heure ; ton oncle est très complaisant pour ses enfants ; il les accompagne et les mène à cheval ou en voiture quand ils veulent. Adieu, mon petit chéri, je t’embrasse bien tendrement avec Paul. Dis-moi comment vous êtes tous les deux. Ta tante, ton oncle, Camille, Madeleine et Gaston t’embrassent et conservent de toi un excellent souvenir.

Grand’mère de Ségur.

Ne m’affranchis pas tes 1ettres : Malaret, par Verfeil (Haute-Garonne).


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Malaret, 1871, novembre.

Cher enfant…, maman m’écrit que Paul s’est mis au travail et qu’elle espère le voir marcher sur tes traces ; le pauvre garçon a dû se faire punir plus d’une fois. Et comment est-il avec ses camarades ? est-il aimé et en bon accord avec eux ? Tu lui donneras de mes nouvelles ; j’ai attrapé un rhume affreux par ces temps de brouillard et de glace ; mais il commence à diminuer ; le pauvre Louis (de Malaret) vient d’avoir un accès de croup suffocant ; les Pères ont été fort effrayés, ne l’ayant jamais vu dans cet état ; on croyait à chaque instant qu’il allait mourir ; on lui a mis des sinapismes qui l’ont soulagé et, dans la matinée, le croup était passé, et il a pu se lever ; mais il a été deux jours à l’infirmerie. Gaston est quelquefois en révolte vis-à-vis de l’abbé X. son précepteur, et il est alors condamné à ne pas monter à cheval et à faire un pensum ; cela arrive au moins une fois par semaine. Le mariage d’Élisabeth aura lieu mercredi prochain à Sainte-Anne.C’est ton oncle Gaston qui fera le mariage ; tes oncles Anatole et Edgar sont les témoins d’Élisabeth ; le général de Charette (à moins qu’il ne soit malade) et un oncle de Jean de Moussac seront les siens… Tout Malaret t’embrasse, et moi plus fort et plus tendrement que les autres. Adieu, mon petit chéri, embrasse bien Paul pour moi…


Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 1871, 5 décembre.

Mon cher et bon petit Jacques, je te remercie de ta lettre, et je suis bien contente que Paul travaille mieux, et j’espère qu’il fera comme toi qui es, dans peu de mois, arrivé à tenir la tête de ta division. Louis de Malaret, qui a commencé par être dans les derniers, a conquis maintenant les meilleures notes et les premières places ; il est rarement au-des- sous de troisième et quatrième ; ses notes sont presque toujours A.-A., ou du moins A. Il va très bien depuis son dernier accès de croup ; c’est aujourd’hui son jour de sortie… Les petits d’A. ont un gouverneur très drôle : sourd comme un pot ; disloqué de tous ses membres ; aux trois quarts fou, en tout ce qui ne regarde pas l’éducation ; ayant une femme folle furieuse qu’on a été obligé d’enfermer dans une maison de fous à Toulouse ; jouant avec ses élèves comme un enfant, malgré ses cinquante ans. Les enfants l’aiment beaucoup et lui obéissent, ce qui est étonnant ; il est vrai qu’ils ont une mère très sévère et qui ne les quitte presque pas. Je t’envoie une lettre du petit Armand qui me donne des détails sur la noce d’Élisabeth…

Tu sais que j’ai un horrible rhume depuis une quinzaine de jours, depuis hier je vais beaucoup mieux ; j’ai bien dormi cette nuit et je ne tousse plus. Il fait de plus en plus froid ; il gèle toutes les nuits ; je crains que Paul et toi vous n’ayez des engelures ; si vous avez perdu vos gants fourrés, écris-le-moi ; je vous en ferai envoyer par le Petit-Saint-Thomas. Louis a encore grandi ; il a grossi, il a bonne mine, il est gai, il parle comme une pie, il mange comme un affamé ; à déjeuner, après un grand plat de saucisses au riz, il a mangé deux membres d’un grand chapon truffé, avec une tapée de truffes excellentes, des légumes, du sert,dessert, du thé. Le froid ayant rendu la promenade désagréable, ils sont dans leur chambre à découper des images en feuilles, à peindre les costumes et à coller dans un album les différents costumes militaires de tous les pays. L’abbé et ta tante Nathalie les aident à classer tout cela, Camille et Madeleine viennent de partir pour aller passer huit jours chez leur cousine Madame de Saint-M. On va faire des chasses à courre avec une meute de trente à quarante chiens ; les dames suivent à cheval ; Camille et Madeleine montent très bien à cheval et comptent s’amuser beaucoup. Ton oncle de Malaret ira les rejoindre après-demain. J’ai de bonnes nouvelles de maman et de Livet… Adieu, mon cher petit ; donne des nouvelles à Paul ; lis-lui ce qui peut l’intéresser et embrasse-le bien pour moi. Je t’embrasse à ton tour, mon cher petit, aussi tendrement que je t’aime. Henri est-il à Poitiers ? Peux-tu sortir chez lui ? Dis-lui bien des amitiés, ainsi qu’à Thérèse. Adieu, chéri. Tout le monde d’ici t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 1871, 15 décembre.

Cher enfant, je sais que tu avais de fortes engelures aux mains ; depuis dix jours il fait un tel froid qu’elles doivent être bien augmentées et que tes pauvres pieds doivent être dans le même état que tes mains. Et comme c’est triste pour moi de te savoir souffrant ainsi du froid sans pouvoir te soulager ! Si j’étais à Poitiers, je t’aurais eu des gants de toutes les façons et des chaussures qui t’auraient un peu préservé du froid. L’hiver est terrible ; de tous côtés on parle de gens morts de froid sur les routes ; et personne à Poitiers qui s’occupe de toi, qui puisse ou veuille me donner de tes nouvelles et de celles du pauvre Paul qui débute au collège par une année des plus rigoureuses. A-t-il aussi des engelures, le pauvre enfant ? J’espère qu’on vous écrit de Livet.

L’institutrice, Mlle B., est, dit-on, douce comme un ange, très gaie, très instruite. J’espère qu’elle sera bonne et aimable pour toi et pour Paul ; ce n’est qu’à cette condition qu’elle peut me plaire. Dis-moi si Paul désire que je lui écrive ou s’il aime autant avoir de mes nouvelles par toi… Tu dois avoir reçu, il y a au moins dix jours, un paquet de chez Hachette contenant six exemplaires de mon dernier livre : Après la pluie le beau temps ; si tu ne Tas pas reçu, demande-le au R. Père Préfet ; c’est lui, je crois, qui vous remet lettres et paquets. Tu en donneras à qui tu voudras. Louis aura décidément trois jours pour le jour de l’an ; il est enchanté. Adieu, mon cher petit chéri, je t’aime toujours de plus en plus et je m’afflige bien souvent de ton isolement à Poitiers. Je ne te verrai qu’à mon retour de Malaret qui sera probablement retardé, car ton oncle m’engage à ne pas venir à Paris qui est dans un état continuel d’effervescence ; une émeute peut éclater d’un jour à l’autre et si la Commune et les pétroleurs devenaient les maîtres, on massacrerait et on pillerait partout ; tes oncles pourraient s’échapper ; mais moi vieille femme qui ne puis courir ni presque marcher, je serais bien certainement prise par ces bandits. Je resterai donc à Malaret jusqu’à Pâques ; je viendrai alors vous chercher pour vous mener jusqu’à Livet, et je passerai ces huit ou dix jours avec vous. Adieu donc, mon cher bon enfant, je t’embrasse bien tendrement avec le pauvre Paul…

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 1871, 29 décembre.

Merci, mon bon petit Jacques, de ta seconde lettre qui m’a un peu rassurée en me donnant la presque certitude que papa vous ferait revenir à Livet [32] ; j’espère que vous y êtes depuis hier matin ; j’avais écrit à X. et j’attends des nouvelles de votre départ ; peut-être prolongera-t-on le congé à cause de la contagion ou plutôt l’épidémie… Je vous souhaite à tous la bonne année, heureuse pour l’âme, pour le cœur et pour le corps. Je te remercie, cher enfant, des souhaits que tu fais pour moi et je te les rends avec usure. Je vais bien ; mon doigt seul me rappelle la fragilité de la chair humaine ; pourtant il va mieux et tu vois que mon écriture est plus régulière. Embrasse bien tous pour moi ; j’embrasse avec toi, bien tendrement, le jeune Paul. Je crains que vous n’ayez été gelés en route ; il a fait bien froid ces deux jours derniers et vous n’aviez pas de couverture de voyage ; et ton manteau est si court et si étroit ! Adieu, mon petit chéri ; que le bon Dieu te bénisse avec tous les tiens.

N’oublie pas d’écrire à ton oncle Gaston pour le jour de l’an ; il représente le chef de ta famille maternelle, comme ton oncle Victor est le chef de ta famille paternelle.

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 10 février 1872.

Cher enfant, je crains que tu ne sois pas sorti mercredi, car ni toi ni ton oncle [33] vous ne m’avez écrit un mot. Je t’envoie pour ta fête un billet de 25 francs ci-inclus ; tu auras 15 ans le 15 ; j’y ajoute pour 2 francs de timbres. Tu ne sortiras plus qu’à Pâques, et je ne te verrai pas ; je crois qu’en quittant Montmorillon je ferai une pointe à Paris pour te voir et j’irai en Bretagne, après t’avoir vu deux fois, dimanche et mercredi… Louis va bien aujourd’hui ; il n’a pas eu de fièvre cette nuit ; hier, il a travaillé une partie de la journée avec Gaston et l’abbé à clouer des lattes en losanges autour d’un bosquet qu’ils garniront de vigne ; dans deux ans, ils auront du beau raisin et ils se rafraîchiront dans l’été assis sur les bancs de leurs bosquets [34], au milieu de leur jardin ; ils y ont planté beaucoup de groseilliers, de fraisiers et des quenouilles. Tu auras 18 ou 19 ans quand ces plantations seront en plein rapport, et tu pourras venir goûter de leurs fruits à Malaret qui est charmant, dans un pays magnifique et bien cultivé ; la vue de Malaret est superbe, bornée au midi et à l’ouest par la chaîne des Pyrénées qui en sont à seize ou dix-huit lieues ; la chasse y est pauvre, quelques rares lièvres et lapins, pas de chevreuils, encore moins de cerfs et de sangliers, peu de bois par conséquent ; Louis se contente de cailles et perdrix qu’il manque, de lapins auxquels il ne fait de mal que la frayeur du coup de fusil. En revanche, il y a des truffes en abondance qu’on chasse avec des chiens truffiers ; si tu étais ici, tu guiderais cette chasse très amusante. Adieu, mon cher enfant ; je suis triste que tu n’aies pas pu profiter de la dernière sortie pour voir oncles, cousins et cousines, voiries ruines de Taris à demi reconstruites et déblayées, excepté les Tuileries auxquelles on n’a pas touché, je crois, non plus qu’à Saint-Cloud. Adieu, mon cher enfant, je t’embrasse bien, bien tendrement ; que le bon Dieu te bénisse. On m’a écrit que tu avais été troisième pour ta première composition ; beau début et qui promet. Tout le monde t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.

As-tu reçu tes cinq exemplaires de mon livre, dont trois reliés pour un lot et pour la bibliothèque ?


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Malaret, 14 mars 1872.

Cher enfant, d’après les projets de ton oncle Gaston, je compte partir le lundi ou le mercredi de la Quasimodo, pour vous voir à votre retour des vacances de Pâques… J’ai eu des nouvelles de ta sortie de mars par ton oncle Gaston, et par Marie-Thérèse : ton oncle m’écrit que tu commences à avoir des favoris et des moustaches ; avec quelle impatience j’attends l’heureux jour où je pourrai te voir et t’embrasser ; je passerai les vacances à Livet, à moins que les communeux ne fassent une nouvelle tentative de massacre et d’incendie général ; mais j’espère que le bon Dieu nous épargnera ces horreurs et nous rendra la paix et le bonheur….. Louis est désolé de n’avoir ni moustaches, ni favoris ; il envie beaucoup ton bonheur. Marie-Thérèse m’écrit que tu es, selon ta vieille habitude, toujours premier, deuxième ou troisième. Comme tu as vite rattrapé tes forts camarades ! Donne à Paul la petite lettre ci-jointe, et tâches de me donner de vos nouvelles d’ici à la semaine sainte…..Adieu, cher, très cher enfant ; je t’embrasse bien tendrement ainsi que Paul.

Grand’mère de Ségur.

Louis te fait demander ce que tu as fait pour avoir des moustaches et des favoris afin qu’il fasse comme toi.


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6 mai 1872, Paris.

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Je regrette beaucoup, chers enfants, d’avoir dû vous quitter, mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Un jour viendra, je l’espère, où je ne vous quitterai plus jamais ; il faut pour cela que nous vivions tous saintement et pas comme les pétroleux, les communards et autres gens riches et pauvres, rois, princes et ouvriers. Adieu, mon enfant chéri, je t’embrasse bien tendrement avec le petit Paul….. ton oncle s’absentera souvent dans les environs de Paris, mais il s’arrangera pour vous recevoir les jours de sortie. J’ai laissé chez l’abbé les livres que vous lisez, Quentin Durward et Ivanhoë pour toi, cher enfant, et les trois volumes des Enfants du capitaine Grant pour Paul. Adieu, que le bon Dieu vous bénisse. Ton oncle voudrait bien engager le Père S. à dîner chez lui ; mais les Jésuites ne dînent jamais en ville, excepté dans les Congrégations religieuses, ou dans une occasion extraordinaire ; mais quand il ira te voir, il demandera le Père S. et il sera très content de le voir, car il l’aime beaucoup et il est content que tu sois sous sa direction…..

Comme je le connais un peu par ton oncle et par toi-même, je me permets de lui présenter mes respects et de te recommander à son affection. Si l’Académie te donne trop à faire et prend sur tes récréations, donne ta démission ; trop de travail rend malade et empêche à la longue de faire un bon travail profitable.

Donner sa démission est honorable quand on a pour motif le désir et la volonté de bien faire sa classe et qu’on sent l’impossibilité d’y ajouter le travail de l’Académie. Ce qui est honteux et humiliant, c’est d’être renvoyé pour paresse et incapacité, mais cela ne t’arrivera jamais, à toi.

Cinq heures. — Je viens de commander tes décorations [35] : celle des officiers généraux sera de soixante centimes, celle des simples soldats de vingt centimes….. C’est Methol qui paiera. Quant à l’écharpe [36], il faut chercher au Petit-Saint Thomas ; j’y vais avant dîner ; je verrai ce qu’il y a à faire. Adieu, adieu, mon petit chéri, je»t’embrasse et te bénis.

Pas d’écharpe ; il faut la faire faire dans une maison où on travaille pour le militaire. Vois cela avec Méthol dimanche.


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Kermadio, samedi 11 mai 1872.

Cher enfant, tu dois voir Méthol, qui m’a promis d’aller te voir, te porter la grande théorie militaire et ce dont tu pourrais avoir besoin…… J’ai trouvé Armand (fils) très

grandi et très gentil ; il a bondi de joie quand il a su que tu pourrais venir aux vacances…

Armand est un peu embarrassé de sa meute de six chiens recueillis par lui, condamnés au bannissement ou à la mort par ton oncle et ta tante et qu’il aime tendrement ; il y a un terrier, un chien de berger, un chien de garde, un roquet, de toutes les espèces, et un chien de chasse demi-bouledogue, quart d’arrêt, etc. Le pauvre Armand court dans les environs pour chercher à la placer ailleurs que dans la tomber mais personne n’en veut, et d’ailleurs si quelqu’un les acceptait, les chiens reviendraient toujours, et Armand est dans l’inquiétude perpétuelle de crainte que l’arrêt de mort ne soit enfin exécuté. Henriette est très grande : elle et J. sont de la même taille comme du même âge ; leurs caractères offrent beaucoup 4e ressemblances, sauf qu’Henriette est douce comme un agneau, et qu’elle a toutes les qualités d’une jeune vertu.

Adieu, mon cher enfant, je t’embrasse bien tendrement. Armand et Henriette qui sont sur mou épaule t’embrassent avec tendresse et vigueur. Embrasse pour moi le petit Paul. Adieu, on part.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 18 mai 1872.


Mon cher petit Jacques, j’ai eu de tes nouvelles par le bon Méthol ; je sais que vous allez bien tous les deux, que les exercices militaires t’intéressent beaucoup, que tu possèdes ta grande théorie militaire, ton écharpe de généralissime et que tes cocardes militaires sont commandées oranges, de violettes qu’elles devaient être, je crois ; enfin que tout va bien et que le général de Pitray est content.

C’est dommage que Paul ne puisse avoir un intérêt du même genre dans sa division. Le grand saint Louis de Gonzague qui la dirige était trop doux, trop bon pour aimer la guerre et les combats, tandis que saint Ignace, votre chef à vous, était un guerrier renommé par son talent et sa bravoure ; il faut donc que Paul attende trois ou quatre ans pour sortir de la vie civile avant d’entrer dans le tourbillon militaire ; tu seras passé au grade le plus élevé, maréchal de France, pour marcher côte à côte de ton ancêtre le maréchal de Ségur ; tu le pourras encore quand le Comte de Chambord sera revenu prendre sa place sur le trône de France et conquérir toute l’Europe civilisée, et chrétienne catholique. Ce sera un bon moment quand tu rentreras dans la capitale renouvelée, à la droite du Roi, à la tête de l’armée victorieuse. Je te demande, pour ce beau jour, un bon souvenir dans tes prières, de ta grand’mère, décédée en te bénissant et qui ne te perdra jamais de vue. En attendant, je cherche à m’organiser une jolie demeure près du pont d’Auray, à droite en allant à la ville [37] ; c’est au bord de la mer ; une jolie maison au milieu d’une jolie prairie descendant à la mer avec un joli bois pour enceinte, un beau jardin et une allée de grands arbres qui mène de la maison à la grille donnant sur la route : j’aurais un bateau qui vous mènerait dans cinq minutes à Kermadio en face de ma prairie. Je crois que ce sera amusant pour vous. La chasse d’été y est agréable. Armand tue des bécasses de mer, des lapins, des pies, des corbeaux, etc. Embrasse bien pour moi Paul ; je lui écrirai très prochainement ; je vais très bien…..

Grand’mère de Ségur.


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27 mai, lundi, 1872, Kermadio. Auray (Morbihan).

….. J’ai reçu ta lettre,[cher enfant ; je t’en remercie d’autant plus que je sais comme tu as peu de temps à ta disposition ; si je pouvais t’envoyer une dose de temps de liberté, tu en aurais, de deux heures à deux jours ou deux semaines, selon tes désirs ; mais le temps est une marchandise trop rare et trop mal employée pour que le bon Dieu nous en laisse la disposition. Hier matin nous avons eu un horrible accident à la gare de Sainte-Anne ; un pauvre employé a eu les deux bras coupés par une locomotive au moment où il traversait la voie malgré la défense du chef de gare qui voyait bien qu’il n’avait pas le temps de traverser. Le pauvre homme est mort deux ou trois heures après, dans la gare même ; il était à ce poste depuis huit jours et sa femme arrivait le soir même avec son bagage pour s’y établir ; elle était dans la gare quand le malheur est arrivé. Cette station porte malheur ; celui-ci, c’est le troisième depuis trois ans. J’avais appris la mort de la pauvre Mme P. par ta maman ; je plains bien ses enfants livrés sans défense à un père brutal et insouciant ; la pauvre Léonie surtout me fait pitié…..Je t’avais parlé d’une jolie propriété à l’entrée d’Auray que j’avais envie d’acheter, mais j’y ai renoncé d’après le désir de ton oncle Gaston… Louis de Lamoignon est rentré au petit Stanislas l’avant-veille du départ de ses parents pour Kermadio ; ils sont ici depuis samedi ; Armand est désolé que tu ne viennes pas. Valentine est charmante ; elle t’embrasse ainsi qu’Armand. Adieu, mon bon petit chéri, je t’embrasse bien tendrement…..Je t’embrasse encore.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 18 juin 1872.

Mon cher petit Jacques, je ne t’ai pas écrit ces jours-ci, parce que j’avais la tête ébranlée par une petite attaque comme il y a trois ans, mais très légère ; la tête n’a plus rien, les jambes seules ont encore perdu de leur solidité et je marche avec une canne qui est bien réellement mon bâton de vieillesse : dans trois semaines j’aurai 73 ans ; un vrai Mathusalem, mais non hélas ! pour la sagesse. Tu sais que les Anatole de Ségur sont ici depuis quinze jours, pas à Kermadio où il n’y a pas de place, mais au Sablène, jolie petite propriété au bord de la mer, à l’entrée d’Auray, loin de Kermadio comme Livet du Saussay. Pierre est toujours ici ; il est enchanté. Adieu, mon cher bon petit Jacques, je t’aime et je t’embrasse bien tendrement. A revoir, au premier jour de vacances jusqu’au jour de rentrée. J’embrasse bien mon petit Paul. Il faut que je lui écrive pourtant à lui directement ; je le ferai dans trois ou quatre jours…

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 1872, 26 juin.

Cher enfant, je t’envoie une drôle de petite lettre de Gaston de Malaret ; il raconte un combat en champ clos qui a eu lieu entre Louis de Malaret et un camarade chez les Pères Jésuites de Toulouse ; cet événement a augmenté le désir de Gaston d’entrer au collège avec son frère qu’il aime beaucoup. Je crois qu’il y entrera après les vacances….. Ton oncle Gaston sera revenu à Paris pour la sortie de mercredi 3 juillet. Méthol se prépare à vous aller chercher à 6heures du matin… Il fait presque toujours si froid que je crains pour vos bains froids qui seront impossibles ; le vent est toujours glacial ; ici Armand n’a pu prendre que deux bains de mer. Henri et Pierre en prennent chez eux en grelottant ; ils [38] ont loué une propriété qui est tout au bord de la mer au bas du Lock. La maison est séparée de la mer par une grande corbeille de fleurs. Ils ont un établissement de bains très bien installé ; leurs prés vont jusqu’au pont d’Auray, et à droite de la maison, ils vont par des allées couvertes jusqu’au Lock. Pierre a une perbesuperbechambre au rez-de-chaussée, près du salon ; les autres sont en haut. Ils sont tous enchantés. Quel dommage que tu ne puisses pas venir passer ici une quinzaine aux vacances ! Tu ne trouverais plus Valentine qui va à Méry avec ton oncle et ta tante pour les vacances, avec Louis (dit Loulou encore cette année) ; elle est bien bonne, douce et gentille ; Armand l’aime beaucoup. Tout le monde va bien ; moi aussi ; je t’embrasse bien tendrement, cher enfant. Le jour de ta sortie, achète des verres d’eau [39] avec Methol, car il va faire peut-être très chaud en juillet. J’embrasse bien mon petit Paul ; remets-lui la lettre ci- jointe…

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 18 juillet 1872.

Cher petit chéri, je voulais t’écrire depuis dimanche pour t’annoncer ma prochaine arrivée ; j’en ai été empêchée par de grands déjeuners, par une volumineuse correspondance et par… une horrible paresse qui m’a portée à lire au lieu d’écrire. J’ai l’intention de partir d’ici le jour de Saint-Loup… J’ai fait l’autre jour un plaisir extrême à Armand ; je lui ai fait venir de Paris un charmant fusil à deux coups bien à sa taille, à sa couche, et excellent, paraît-il, avec canon de Saint-Étienne et ciselé très élégamment. Il sautait de joie ; mais l’élan a été arrêté par sa mère qui a jugé, dans sa grande inexpérience féminine, qu’un fusil à deux coups était dangereux ; et elle lui a défendu de s’en servir avant l’âge de quinze ans. Il a été consterné, le pauvre garçon ; mais tout ce qu’on a pu dire à ta tante n’y a rien fait ; le fusil est resté au clou et y restera jusqu’à ce que l’accès d’entêtement soit passé. Dieu veuille que ce soit bientôt et que le supplice du pauvre Armand soit abrégé. Pierre, Henri, Jean, Henriette et Marie-Thérèse doivent demain jouer la comédie en honneur de ma naissance et de celle de ton oncle Edgar, 19 juillet. Je ne connais pas la pièce ; elle s’appelle l’Affaire de la rue de Lourcine. On ne nous permet pas d’assister aux répétitions, mais Élisabeth nous a dit que Pierre jouait parfaitement, Jean bien, Henriette assez bien, et Henri et Marie-Thérèse horriblement ; ils sont comme des termes, ne bougent ni pieds ni pattes, bredouillent bas et incompréhensiblement. On espère qu’à force d’être repris, bafoués, bousculés, ils parleront plus intelligiblement et moins bas et feront les mouvements les plus indispensables pour qu’on voie qu’ils sont de vraies créatures humaines bien vivantes [40]. Jeté rendrai compte de l’exécution. — J’espère qu’aujourd’hui vous avez eu une sortie de faveur ; Méthol me l’écrira demain. Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement, ainsi que le petit Paul.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 21 juillet 1872.

Cher enfant, notre comédie a été jouée parfaitement avant-hier, jour de ma naissance (73 ans) et de celle de ton oncle Egar (47 ans). Pierre et Jean ont joué comme des comédiens finis, avec un entrain, une gaieté charmante. Henri, Marie-Thérèse et Henriette ont joué parfaitement. Après le thé, les gâteaux et les rafraîchissements, on s’est dispersé ; il n’y avait d’invités que les quatre Chant… et le maître d’école qui donne à Armand des leçons de breton. — Il fait bien chaud depuis deux jours ; aujourd’hui 32 degrés. "Vous devez souffrir de la chaleur, pauvres enfants. Avec quel bonheur je vous emmènerai le 5 ou le 6 ! Adieu, enfant chéri, je t’embrasse tendrement, avec le petit Paul. À dimanche.

Grand’mère de Ségur.


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Kermadio, 21 juillet 1872.

Cher petit chéri, je ne partirai pas pour Livet sans toi…. J’écris à ton oncle pour qu’il conjure l’orage qui a fondu sur toi. Ne recommence jamais l’imprudence d’emporter au collège un livre amusant. Walter Scott n’a jamais fait de mauvais livres,mais il est trop intéressant pour ne pas faire tort aux études………. Quant au fusil, si tu veux, je t’en aurai un charmant et excellent avec canon de Saint-Étienne, un fusil soigné à deux coups comme j’en ai donné à Armand et comme je comptais t’en donner un quand je t’en avais parlé. Je vais voir si je peux l’avoir pour mon départ, avec 100 cartouches de la fabrique de Lorient qui est un des meilleurs arsenaux de la marine. Réponds-moi tout de suite un mot. Ton oncle [41] trouve le fusil d’Armand charmant et excellent ; il ne m’a coûté que 180 fr. à l’arsenal, avec 50 cartouches, chemise de laine et crochet pour retirer les cartouches. Si j’avais su d’avance que tu désirais un fusil et que ton père ne t’en avait pas donné, comme je le croyais, [42], je l’aurais déjà dans ma chambre, prêt à partir pour rejoindre son jeune maitre…..Ici nous croyons tous que tu ne pourras pas avoir de prix, à cause des quatre ou cinq mois de retard pour ta rentrée à Vaugirard, et du mois complet de manque de travail à cause de l’épidémie de Poitiers [43]. Ainsi, personne ne s’étonnera que tu n’en aies pas ; le contraire serait étonnant et admirable. Il fait très chaud ici depuis quelques jours, 33 degrés, mais aujourd’hui ; l’air se rafraîchit. Les bains de mer remontent Pierre, Henri, Marie-Thérèse, Armand, Henriette, etc.

Il y a eu ces jours-ci deux accidents deux jours de suite ; deux pauvres petits garçons de dix et quatorze ans qui se sont noyés en se baignant sans savoir nager. Tous les ans, il y a ici des malheurs de ce genre, parce qu’il y a près des ponts des tourbillons, et partout de la vase au lieu de gravier ; un des petits garçons a enfoncé petit à petit dans la vase, tandis que ses camarades se sauvaient effrayés, au lieu d’appeler au secours ; on l’a retrouvé à la marée basse, mort depuis trois ou quatre heures. Adieu, mon cher bon petit, je t’embrasse bien tendrement, ainsi que Paul. J’irai vous voir dimanche 4 pour arranger notre départ, et emporter ce que je pourrai de paquets.


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Kermadio, 24 juillet 1872.

Mon cher petit Jacques, réponds-moi oui ou non, si tu veux un fusil tout pareil à celui d’Armand ; j’en ai commandé un et si par hasard il n’était pas prêt quand je tirai, Armand t’enverrait le sien et reprendrait l’autre quand il serait prêt et aurait ses cartouches. Comme sa mère lui a défendu de s’en servir avant 15 ans, il n’y perdra rien, et il est heureux, vraiment heureux de te faire plaisir ; je le ferai donc emballer dès que j’aurai ta réponse. Je t’envoie une enveloppe toute préparée ; tu n’as qu’à mettre : je veux bien, ou je ne veux pas ; ou bien oui ou non : alors, si c’est non, je te ferai envoyer à Livet l’autre, quand il sera fait ; mais ce sera un port de plus à payer. Je te garantis le fusil excellent et solide. Adieu, mon cher petit, je t’embrasse tendrement ; à bientôt.

Grand’mère de Ségur.


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Livet, 1872 ,12 octobre.

Cher petit Jacques, je pars après-demain…. j’irai vous voir mercredi…. Je suis bien impatiente de savoir si tu as un bon surveillant, si le méchant R. est parti et si le Père A. te malmène moins. — Le lendemain de ton départ, l’abbé est allé déjeuner chez le curé de Ray ; il a si bien flâné qu’au jour tombant il s’est trouvé à Laigle, n’osant pas revenir seul et ayant, manqué le train. Il est parvenu à trouver un compagnon de bonne volonté, M. X., professeur au collège de Laigle, et ils sont arrivés à 8 h. du soir, demi-morts de peur, de fatigue et de faim. L’abbé prétend que la route est un coupe-gorge, parce que les chiens aboyaient après eux et qu’ils ont vu une femme assise sur le bord du fossé de la grande route, près d’un gros chien noir et tenant un bâton à la main : ils ont pensé qu’elle comptait les assommer et les dépouiller. L’abbé était incroyable de

poltronnerie ; son compagnon n’était guère plus brave On
Collège Saint-Joseph.
Collège Saint-Joseph.
Collège Saint-Joseph.
les a fait bien dîner, boire vins et café, après quoi on les a

fait coucher encore tremblants des dangers qu’ils avaient courus. Nous nous sommes tous moqués d’eux, et surtout du chef de file, l’abbé ; tes sœurs riaient à se tordre. Pendant ce temps, l’institutrice de tes sœurs était à Saint-Hilaire chez Mlle S., attendant la voiture sans avoir écrit, et sans rien faire dire ; elle a couché chez Mlle S., et n’est arrivée que le lendemain (hier) à pied, tremblante de fatigue, de froid et d’effroi ; tout va bien aujourd’hui ; personne de mort ni de peur, ni de fatigue. Maman va bien, ainsi que le petit Louis qui a fait une excellente nuit… Tes petites affaires sont transportées dans ton bureau, dans la chambre de Paul, pour que personne n’y touche. Adieu, mon cher petit chéri, je t’embrasse bien tendrement, ainsi que Paul ; à revoir mercredi. Tout le monde t’embrasse.

Grand’mère de Ségur.


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Livet, 1872, 14 octobre.

Cher enfant, un accident de voiture a retardé mon départ jusqu’à demain ; au moment où nous partions pour gagner le train de 1 h. 20 (express), la carriole qui portait nos bagages et sur laquelle était Saint-Jean avec Rossignol qui menait, a été jetée de côté et Saint-Jean lancé à droite de la route ; la carriole lui ayant passé sur les jambes, il est resté sur l’herbe, ne pouvant pas se relever. Brière a arrêté la voiture où j’étais avec Honorine et l’abbé ; lui et l’abbé ont couru à Saint-Jean ; Charles est accouru et à trois ils l’ont porté presque sans connaissance à la maison, dans la chambre de l’abbé ; de tous côtés on criait, on courait, le croyant mort. Maman n’était pas sur le perron, heureusement [44] ; tous criaient : Il est mort ! il est mort ! Quand elle est arrivée, on lui a tout de suite dit qu’il vivait et qu’il n’avait rien de cassé ni de démis, et que les jambes étaient seulement très contusionnées et écorchées. Au bout d’une heure il s’est remis, mais ne pouvant pas se tenir sur ses jambes, il n’était pas possible de partir ; l’heure du train était passée. J’ai envoyé une dépêche télégraphique à ton oncle qui m’aurait attendu et je me suis arrangée pour demain. On a envoyé chercher M. Bouyer, qui va venir avant dîner ; mais je ne pense pas qu’il trouve rien de grave, car il remue et ploie les jambes et les pieds : donc il n’a rien de cassé, mais il sera une quinzaine de jours avant de pouvoir marcher. Je laisse donc ce pauvre Saint-Jean chez maman qui a été excellente pour lui ; elle l’a frotté longtemps avec de l’huile de millepertuis, ce qui l’a beaucoup soulagé ; il souffre moins et se trouve plus calme ; on l’a couché dans la chambre de l’abbé, où il est mieux qu’en haut et plus facile à soigner. S’il est mieux demain, je partirai donc demain avec Honorine et j’irai vous voir mercredi sans faute si je ne viens pas, c’est qu’il est en danger (ce que je ne crois pas) et je t’écrirai demain….. Adieu, enfant chéri, je t’embrasse tendrement avec le cœur joyeux de vos excellents surveillants. Je pense à toi bien souvent. Ton furet est mort ; il n’a pas reparu. Brière te remercie de ton bon souvenir, Saint-Jean aussi… Le petit Louis va bien et maman aussi ; il dort bien et maman aussi. Brière compte avoir un nouveau furet plus gros. Je t’apporterai le livre de ton oncle Philipe [45] quand j’irai te voir. Adieu, chéri : communique ma lettre à Paul que j’embrasse bien. Il fait beau, mais très froid.

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 18 novembre 1872.

Cher enfant…. je t’annonce avec plaisir que ton oncle m’a arrêté un appartement… il est au premier, très clair, avec une chambre à vous donner à côté du salon ; vous pourrez y déposer tous vos effets et y coucher en cas de besoin ; je ne l’ai que du mois d’avril malheureusement, mais j’y passerai deux mois avec vous. Ce sera un grand bonheur pour moi. Quand tu m’écriras, parle-moi de tes places et de celles de Paul. Louis et Gaston travaillent bien avec leur gouverneur ; ton oncle de Malaret travaille dans leur chambre d’étude pour les surveiller comme un Père surveillant, car ils ont besoin d’être gardés à vue, surtout Louis qui aime peu le travail et n’en comprend pas bien la nécessité ni l’utilité ; il a surtout l’horreur du grec, et c’est là-dessus qu’on le pousse principalement, pour réparer le temps perdu [46]. Gaston est plus studieux et il apprend plus facilement… Ils font cuire des marrons et des pommes de terre pendant leurs trois récréations d’une heure et demie chacune, dans un four qu’ils ont construit dans le parc et dont ils s’amusent comme des babys (lisez bébés)….. J’ai reçu de bonnes nouvelles de Livet…. Le petit Louis est gros, énorme ; il rit beaucoup, dort peu et tète énormément. Tout le monde l’aime beaucoup….. Françoise le porte très bien et voudrait toujours l’avoir. Adieu, mon bien cher enfant ; je vais très bien ; je marche mieux ; je viens de me promener pendant une heure sans fatigue…..Je t’embrasse comme je t’aime, de tout mon cœur ; je voudrais ne jamais te quitter et je suis presque toujours éloignée de toi ; remets à Paul le petit mot ci-joint. Louis chasse jeudi et dimanche ; il tue pas mal de lapins et de lièvres ; il n’y a que cela ici.

Grand’mère de Ségur.


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Lettre manuscrite Lettre manuscrite


Malaret, 80 novembre 1872.

Cher enfant chéri, j’ai voulu t’écrire tous ces jours-ci, mais j’en ai été empêchée par mille petites occupations accidentelles, jointes à une correspondance plus active à cause du malheur de la pauvre Élisabeth…..Son superbe garçon est mort peu de minutes après sa naissance ; elle et Jean ont été tellement désolés qu’on a eu des craintes sérieuses pour la vie d’Élisabeth ; heureusement que sa foi et sa résignation lui ont fait comprendre que la grâce du baptême que l’enfant a pu recevoir était une grâce plus grande que n’aurait pu être une vie même très chrétienne, et dont le but (le salut éternel) était atteint dès sa naissance avant que le péché ait souillé sa petite âme innocente.

Elle a donc fini par surmonter sa douleur et sa santé s’est remise de cette dure secousse. Ton oncle Gaston était à Montmorillon pendant ce temps ; il est de retour à Paris, un peu fatigué de la retraite qu’il a prêchée et de ses nombreuses confessions entremêlées de consolations qu’il donnait à Élisabeth, à Jean, à ta tante Henriette et même au vieux M. de M. qui avait ardemment désiré un petit-fils. C’est ton oncle qui te fera sortir mercredi ler décembre…

Si on ne vous envoie pas exactement votre chocolat….. tu y passeras pour leur dire que s’ils ne sont pas exacts, je les changerai contre Sen…, et s’ils te répondent impoliment, tu leur diras qu’ils ne vous en envoient plus, tu en commanderas chez Sen….. et tu me l’écriras. Louis et Gaston travaillent admirablement depuis un jeudi de retenue, et un système de retenues d’un quart d’heure, d’une demi-heure, d’une heure même, pouvant se racheter par des exemptions ; depuis ce nouveau code pénal, il n’y a plus que des bonnes notes, toutes les leçons sont apprises et la résistance a disparu. Tous les soirs, Louis joue aux échecs avec M. l’abbé pendant une bonne heure et demie. Hier pour la première fois Louis a gagné deux parties ; il était enchanté et il espère continuer. Gaston va se coucher à 8 heures et dort jusqu’au lendemain matin 6 heures 1/2. Tu me demandes, cher enfant, quels sont les mois que je passerai à Paris ; je n’aurai mon appartement [47] que le 15 avril ; j’arriverai donc après votre retour des vacances de Pâques et je resterai près de vous jusqu’au 15 ou 20 juin, après quoi j’irai à Kermadio. Je vais très bien….. Je t’embrasse de tout mon cœur, mon très cher enfant, ainsi que Paul. J’ai été enchantée de ta première place de narration française ; c’est une belle preuve de ton travail assidu. Le Père A. doit être content. Saint-Jean te présente ses respects ; il va très bien et ne se ressent plus de son accident qui aurait pu être si grave. Adieu, mon chéri.

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 21 décembre 1873.

Cher enfant chéri….. je te remercie bien de ta dernière aimable lettre ; je regrette vivement de ne pas pouvoir assister à la séance où tu liras ton allégorie en vers latins ; je n’y aurais rien compris, mais j’aurais vu ta bonne et gentille figure, j’aurais entendu ta voix, douceurs qui me sont refusées cette année encore. Je me ferai représenter par mon sac d’oranges, gâteaux et bonbons ; ce sera nia consolation de ne pouvoir jouir de ta présence. Je vais bien et Louis est guéri de son abcès ; il a encore de la peine à écrire, mais il travaille très bien, ainsi que Gaston ; ils ont fait plus de progrès en deux mois avec leur abbé, qu’ils n’en auraient fait en six au collège, où Louis se négligeait et était par conséquent négligé par ses professeurs. Je trouve ta place de quatorzième très bonne en allemand que tu ne fais que commencer. En vacances, tu pourras t’avancer avec MUoB. la jeune,qui remplace sa sœur aînée, partie pour soigner son père très malade. Adieu,mon cher petit de plus en plus bien-aimé.Maman t’aime bien….. elle m’a écrit dernièrement qu’elle te considérait non seulement comme son enfant chéri, mais comme un ami digne de toute sa confiance et qu’elle pourra consulter dans les difficultés de la vie. Le bon Dieu récompense ta piété, ta sagesse, tes efforts pour bien faire en toutes choses, et ta tendresse fraternelle. Maman est très touchée aussi de ton affection pour ton petit frère. Ta tante m’écrit qu’il est gentil à croquer, superbe et intelligent pour son âge. Adieu, mon très cher enfant, je t’embrasse bien tendrement comme je t’aime. Embrasse Paul pour moi…..

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 4 janvier 1873.

Mon bon petit Jacques, merci mille fois de ton aimable souvenir du jour de l’an ; j’espérais avoir par Méthol des nouvelles de ta sortie, mais personne ne m’en adonné….. Le récit de la séance m’a fort intéressée ; les éloges du Père de G. vous reviennent de droit, ouvriers habiles, intelligents et diligents, qui avez mis votre division sur un pied si honorable. Tu ne m’as pas dit si tu avais lu toi-même ta pièce de vers latins et si tu as eu des bravos de l’auditoire….. J’ai enfin reçu une gentille lettre de Paul, très bien écrite…..Je lui réponds aujourd’hui. Mon bon petit Jacques, merci mille fois de ton aimable souvenir du jour de l’an….. Ta bonne m’a écrit, elle me dit que Loulou t’aime tant, que chaque fois qu’elle appelle : Jacques ! il rit aux éclats et bat des mains. Si c’est vrai, c’est un enfant merveilleux ; il lira à un an et pourra apprendre le latin à trois ans, le grec à cinq et passer son examen de bachelier à huit, en même temps que Paul. Adieu, mon excellent enfant ; je te quitte pour écrire les vingt-trois réponses qui me restent à rédiger. Louis et Gaston ont eu pour le jour de l’an huit enfants de chœur à goûter ; ils étaient tous enchantés ; ils ont mangé force gâteaux et bonbons et ont joué dehors jusqu’à la nuit ; il faisait doux et superbe. Je t’embrasse bien tendrement, mon cher petit bien-aimé. Tout le monde t’embrasse et désire te voir. Saint-Jean te présente ses respects.

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 1873,22 janvier.

Cher enfant, je n’ai pas encore répondu à ta lettre qui me raconte ta sortie et ta scène comique avec le ouistiti du Jardin des Plantes qui nous a tous fait rire ; Louis et Gaston sont désolés de n’avoir pas pu assister au désespoir et à la rage de ton petit ennemi. Ce serait amusant d’avoir un ouistiti dans l’appartement, bien plus amusant que des oiseaux ou des chiens. En fait de bêtes, les lapins de Louis et de Gaston ne périssent plus ; on devait les vendre au marché d’hier à Verfeil, mais le temps a été si affreux qu’il n’est venu personne et qu’on ne les y a pas portés. Certainement il n’a pas fait plus mauvais pendant les quarante jours du déluge. Dis-moi dans ta première lettre si toi et Paul vous avez des engelures ; moi j’en ai aux mains, surtout à la main gauche ; le vernis les empêche d’augmenter et ôte toute douleur, démangeaison et chaleur ; mais l’engelure reste gonflée sous le vernis ; c’est laid, mais du moins on ne souffre pas. Gaston a failli, il y a trois jours, se couper le bout du nez ; en coupant une grosse tranche de pain, le couteau lui a tourné dans la main et lui a fait une grande entaille dans le nez ; le sang a jailli avec abondance ; on m’a appelée au secours et voyant que le sang ne s’arrêtait pas, j’ai donné de l’hyperchlorate de fer, qui a arrêté le sang immédiatement ; mais ce que je craignais est arrivé ; ta tante de Malaret, dans sa hâte d’arrêter l’écoulement, en a versé à flots sur le bout du nez, qui est devenu noir comme un charbon ; quand je l’ai revu, son nez m’a effrayé, j’ai cru qu’il resterait ainsi [48] : le bout du nez traversé par une entaille et le reste noir comme de l’ébène. J’avais une peur affreuse que l’hyper- chlorure n’ait teint le nez d’une manière indélébile, ce pauvre nez si bien fait ; je n’ai heureusement témoigné mes craintes à personne et dès le lendemain elles se sont calmées, car le nez se nettoie de jour en jour et reprend une couleur naturelle à partir du haut ; mais l’entaille laissera une marque certainement….. Adieu, cher enfant, je te quitte en t’embrassant tendrement….. Je vais bien. Il fait un temps de déluge depuis trois jours ; c’est bien ennuyeux pour vous tous. Comment va la toux de Paul ?


Malaret, 1873, 12 février.

Merci, mon Jacques chéri, de ta bonne, longue, intéressante lettre, qui me donne des nouvelles de ta sortie du mois ; samedi prochain tu auras 16 ans et ne pouvant être près de toi, je t’envoie un souvenir de 25 fr. pour me représenter… Je suis bien contente, cher enfant, de te voir prendre un intérêt réel à tes études devenues sérieuses ; Louis en est là aussi depuis qu’il a un précepteur bon, juste et sachant intéresser la leçon ; je crois qu’il pourra te rattraper, car il s’applique à son travail, et son précepteur M. L., qui est professeur de seconde et rhétorique depuis l’âge de 18 ans, se fait fort de lui faire passer son examen de bachelier dans deux ans. Vous le passerez probablement en même temps. Je te félicite, cher ami, de ta correspondance suivie avec maman… Cela me prouve combien tu as gagné dans le cœur de maman ; depuis des années, j’attends qu’on rende justice à tes excellentes et aimables qualités de cœur et d’esprit ; t’y voilà enfin arrivé et j’en éprouve un vrai bonheur, car je sens si bien ce que tu vaux et ce que tu es et as toujours été, que je ressens tes succès et l’affection que tu inspires comme pour ma propre personne. — Nous avons un temps horrible depuis deux ou trois jours et un froid de janvier ; tout est blanc de neige et les mares sont gelées. Je crains pour tes engelures qu’elles ne soient recommencées. Tu devrais acheter une paire de gants de castor ou de laine tricotés… Adieu, mon cher bon enfant, je t’aime et te bénis de tout mon cœur.

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 7 mars 1873.

Cher enfant, Méthol m’a appris que dans un examen tu avais été quatrième sur 40. Jeanne m’écrit de son côté que tu avais été deuxième en grec ; elle t’admire avec tout Livet et le voisinage ; ils ont raison, mon enfant, parce que tu es un rare et charmant élève et que je me sens heureuse d’avoir un petit-fils comme toi. Bientôt, je te rejoindrai à Paris ; mon grand regret sera de ne pas t’y voir en arrivant ; mais je te saurai heureux à Livet avec tous les tiens, et ce sera ma grande et vraie consolation, à laquelle j’ajouterai le bon-? heur de tes oncles et surtout celui de ton oncle Gaston de me revoir après une si longue absence. J’ai reçu de très bonnes nouvelles de Bretagne ; Armand est enchanté d’avoir retrouvé son cher M. C, avec lequel il continue à chasser les jeudis et dimanches ; ils ne tuent rien, mais ils tirent et ils s’amusent tout de même. Pourtant, l’autre jour, M. C. a tué un canard sauvage ; il a été dans un tel ravissement qu’il a voulu s’élancer dans la mer pour le prendre ; heureusement qu’on s’est précipité sur lui et qu’on a envoyé un chien pour rapporter le canard. Tes cousins de Malaret sont toujours enchantés de leur précepteur ; il est excellent pour eux et il leur fait faire de grands progrès… Tu as su que ton arrière-grand-oncle, le fils du maréchal de Ségur ton grand-père, est mort à 93 ans ; et aussi ton oncle Edouard d’Aguesseau, le fils du sénateur, ton grand-oncle. Adieu, mon cher enfant chéri, je t’embrasse bien tendrement…….

Grand’mère de Ségur.


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Malaret, 1873, 20 mars.

Mon bon petit Jacques, je t’envoie avec plaisir ce que tu m’as demandé ; tu trouveras dans l’enveloppe de cette lettre 25 fr. au lieu de 10 fr. Chaque fois que tu auras besoin d’ar- gent, demande-le-moi ; je te remercie de t’être adressé à moi et je te demande de continuer ; c’est pour moi une petite compensation de ton absence, que de pouvoir venir à ton aide quand tu as besoin de mon secours. Je suis enchantée de te voir à ton retour des vacances de Pâques… Je vais bien et j’attends avec une vive impatience le jour où je t’embrasserai……. Tes cousins de Malaret sont en train de démolir leurs trois palais de lapins ; on leur vole leurs lapins : ces derniers six mois, ils en ont retiré 1 fr. 50 de profit net ; sur 19 jeunes, il y en a eu 18 de soi-disant morts, c’est-à-dire mangés par les voisins. Pour ne pas recommencer des soins si peu profitables, ils ont renoncé aux lapins. Louis fait de grands progrès depuis que M. L. leur gouverneur leur a donné l’amour du travail ; il a fait avant-hier sans fautes une version de baccalauréat ; dans un ou deux ans, il pourra passer son examen, à peu près en même temps que toi ; après quoi il travaillera pour Saint-Cyr. Voilà le projet. J’ai de bonnes nouvelles de Paul par ta tante Lydie qui va les quitter bientôt pour retourner en Russie…..Moi, je pars le 1er avril pour Montmorillon, passer trois semaines avec Élisabeth….. Adieu, mon petit chéri, je t’aime et t’embrasse bien tendrement ; que le bon Dieu te bénisse.

Grand’mère de Ségur.


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Montmorillon, 1873, 4 avril.

Cher bon petit Jacques, j’ai reçu ta lettre le jour.de mon départ de Malaret. Je te remercie de ton offre aimable de revenir deux jours plus tôt pour me voir chez moi ; mais je repousse ce sacrifice trop grand pour la brièveté de tes vacances de Pâques. Viens seulement le dernier jour pour dîner avec moi et coucher chez moi ; le lendemain matin je te ramènerai au collège à 7 h. du matin s’il le faut, à 6 h. même si c’est nécessaire ; mais je serais désolée de te priver de deux jours de vacances et de réunions de famille. Je compte sur toi pour me donner des nouvelles détaillées du pauvre petit Paul… Maman me dit qu’il lui faudrait les eaux. S’il en a besoin, elle doit savoir que je suis prête à payer tout ce qui sera nécessaire à sa santé, et que s’il lui faut mille ou deux mille francs pour prendre des eaux…. ils sont tout prêts à passer de ma bourse dans celle de maman. Quand tu seras à Livet, parle-lui dans ce sens ; je serais heureuse de contribuer à la guérison du pauvre petit Paul. C’est à toi que je confie la négociation de cette affaire très utile à la santé et peut-être à la vie de ton frère [49]. J’attends avec une grande impatience le moment de te revoir et de causer avec toi. Louis et Gaston de Malaret ont été très fâchés de mon départ ; c’est lundi de la Passion que je les ai quittés, eux partant, avec dix enfants de chœur pour faire la quête des œufs pour l’église dans toutes les maisons de la paroisse ; ils en ont eu huit douzaines ce jour-là et douze douzaines le lendemain ; ils les vendent dans les maisons riches (pour l’église) ; on leur donne à boire et à manger partout, et ils rentrent fatigués, mais enchantés les deux jours. Adieu, cher enfant, je t’embrasse bien tendrement. Quand tu déjeuneras chez moi, tu retrouveras ton pain grec avec ton café au lait. Adieu, mon chéri…..Que Dieu te bénisse, et te conserve bon et sage et aimable comme tu es maintenant et depuis longtemps.

Grand’mère de Ségur.


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Montmorillon, 8 avril 1878.

Cher enfant bien-aimé, merci de ta lettre ; dans quatre jours tu seras bien près de ton départ pour Livet, et pendant huit jours tu auras du repos et du bonheur ; j’en jouirai avec toi. Je te demande quelques lignes sur Paul… on Tamis dans une classe trop forte, je le crains, et sa tête a trop travaillé pour arriver à de bonnes places… le pauvre enfant ! Je te réitère ma demande de ne pas quitter Livet trop tôt pour moi. Je serai contente de la moindre part de ton temps qui ne te fera pas trop sacrifier d’heures de ton séjour à Livet. Je te verrai à Paris le plus souvent possible jusqu’aux vacances, car je ne compte pas aller à Kermadio cette année ; je te verrai tant que je pourrai. Adieu, mon petit chéri, je t’embrasse de tout mon cœur et je te mets sous la protection spéciale du bon Dieu, de la sainte Vierge et du saint Père Olivaint.

Grand’mère de Ségur.


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Paris, 1873, mercredi 25 juin.

Cher enfant… fais-moi dire comment tu te trouves depuis dimanche, si tu as été à l’infirmerie, si tu as dormi ton content (ou comptant)… etc. Je profite d’un jour de visite pour l’envoyer l’intelligent Adolphe, auquel tu diras verbalement ce que je puis faire pour toi ; Adolphe se souviendra de tout. Adieu, chéri ; je t’embrasse ; j’irai te voir vendredi.


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Paris, 1873, 14 décembre [50].

Cher enfant, je continue a aller bien, sans toutefois pouvoir marcher assez bien pour descendre l’escalier, monter ton perron et faire les mouvements nécessaires pour monter et descendre de voiture… Demain matin, ton oncle Gaston part pour aller passer cinq jours à Beauvais pour y prêcher une retraite. Dès son retour, il ira, vendredi probablement, à Vaugirard voir le Père Recteur et toi. Ta tante de Malaret aurait été te voir, si elle n’avait craint de t’empêcher de patiner, plaisir qui n’a qu’un temps, que tu aimes tant et qu’une journée de dégel peut t’enlever. La semaine prochaine, celle d’après celle-ci, ta tante Fresneau vient passer la semaine à Paris avec ta cousine Henriette ; elle ira te voir certainement. Adieu, cher, très cher enfant, je t’embrasse bien tendrement et je suis désolée de ne pouvoir aller t’embrasser à Vaugirard.

Grand’mère de Ségur.


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22 décembre, mercredi, 1873.

Voici ton livre, cher enfant. On te porte aussi les certificats de confession de ton oncle ; j’espère que j’ai fait toutes vos petites commissions. Les cravates, les tralonges arriveront dimanche. Tout le monde va bien, moi compris. Ta cousine Albertine de Mérode, qui était religieuse au Sacré-Cœur, est morte hier de la poitrine comme ta tante Sabine. Son frère Xavier, camérier du Pape, était arrivé depuis huit jours ; elle est morte dans ses bras. Heureuse mort, sainte comme sa courte vie. Quand tu communieras, fais une petite prière pour elle, car les plus saints peuvent avoir quelques fautes légères à expier. Adieu, chéri, je t’embrasse, je te bénis et je te verrai dimanche ; embrasse Paul. Ton oncle t’embrasse.

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Paris, 11 janvier 1874.

Cher enfant, je t’écris un mot par Saint-Jean pour te dire que je vais bien, que je prends des forces, que je commence à me passer de canne pour marcher. J’attends le temps plus doux pour sortir ; en attendant, tu diras à Saint-Jean si tu as besoin de quelque chose. Tout le monde va bien dans la famille. Rien de nouveau de Livet, où ils vont tous bien, je pense. Je t’embrasse tendrement, mon très cher enfant ; que le bon Dieu et la sainte Vierge veillent sur toi.

Grand’mère de Ségur.

Moins d’un mois après cette lettre, la dernière ! le 9 février suivant, « grand’mère » mourait.




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POITIERS. — SOC. FRANÇ. d’IMPR. ET LIBR. (OUDIN ET Cie.)


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  1. Le cocher.
  2. La femme de chambre.
  3. Fresneau.
  4. Il était question, pour Jacques, d’entrer au collège.
  5. Son frère.
  6. Fresneau, sa cousine germaine.
  7. De Malaret.
  8. De Malaret.
  9. WS : Versailes -> Versailles
  10. La saint Louis. Il s’appelait Louis-Gaston.
  11. Le pauvre enfant avait fait une cbute terrible dont il avait failli mourir !
  12. Gaston.
  13. L’écriture de cette lettre est très altérée; ma pauvre mère venait d’avoir une violente attaque.
  14. Le valet de chambre de ma mère.
  15. Livet n’ayant pas de chapelle alors, mon frère ne pouvait y venir.
  16. WS typo : promedes -> promenades
  17. WS typo : Bornadeaux -> Bordeaux
  18. Deux de mes enfants venaient d’avoir cette maladie.
  19. Pour voyager.
  20. Resté à Livet, car il était maire de son village.
  21. Le cocher de mon frère.
  22. Valet de chambre de mon frère Anatole.
  23. Hélas ! ils y sont revenus.
  24. Riche propriétaire du pays.
  25. Son second domestique.
  26. Les communards.
  27. Jacques, ramené par mon frère Gaston à Poitiers, n’avait pu être reconduit que 48 heures après la rentrée réglementaire.
  28. Le garde d’alors à Livet.
  29. Une partie de la famille de mon mari était venue se réfugier là pour fuir la Commune.
  30. Le cher enfant l’a toujours précieusement conservée pendant sa vie. Elle est à son cher Paul, à présent.
  31. Il était avec Jacques au collège de Poitiers.
  32. Pour les vacances du jour de l’an.
  33. Gaston ; Jacques était réinstallé Vaugirard.
  34. Ma mère met là un petit dessin à la plume, de ce bosquet.
  35. Pour un simulacre de guerre dans laquelle Jacques était général en chef.
  36. De général
  37. Cette idée n’a pas eu de suite.
  38. Leurs parents.
  39. Morceaux de sucre préparés au citron à l’avance, etc., fondant instantanément dans l’eau.
  40. Ils jouent délicieusement la comédie à présent. Il est curieux d’apprendre cette inexpérience dans les répétitons, après avoir cons- taté leur jeu charmant d’aujourd’hui.
  41. Edgar probablement, chasseur distingué.
  42. Jacques avait déjà un petit fusil à un coup.
  43. Épidémie de fièvre typhoïde qui nous avait décidés à remettre Jacques à Vaugirard, ainsi que Paul.
  44. On craignait une émotion pour moi, car je nourrissais Louis alors.
  45. De Ségur.
  46. Il avait été longtemps malade.
  47. Le nouveau, rue Casimir-Périer.
  48. Un croquis est joint à la lettre.
  49. Tout en étant reconnaissants à ma mère de sa pensée affectueuse, nous avons décliné absolument son offre. — Les soins à la maison ont pu suffire pour obtenir la guérison de notre cher malade.
  50. À partir de cette lettre-ci, l’écriture de ma mère est très altérée.