Lettres de Benjamin Constant à Prosper de Barante/02

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Lettres de Benjamin Constant à Prosper de Barante
Revue des Deux Mondes5e période, tome 34 (p. 528-567).
LETTRES
DE
BENJAMIN CONSTANT
Á
PROSPER DE BARANTE[1]

DERNIERE PARTIE
1809-1830


XVII


Lyon, le 2 juillet 1809.

A Monsieur Prosper de Barante.

Il y a longtems, cher Prosper, que nous ne nous sommes écrit. Je ne sais plus si c’est à vous ou à moi qu’en est la faute. Ce que je sais, c’est que ce n’est pas à mon désir que nous pouvons nous en prendre. Il a été comme il sera toujours, de recevoir de vos nouvelles, le plus souvent possible, car ce m’est un de mes plus grands plaisirs, et qui ne le cède qu’à celui plus grand encore de vous voir.

Mais êtes-vous actuellement en état de prendre intérêt à moi ? Je voudrais vous offrir des consolations sur le nouveau malheur[2] qui vous a frappé. Je sais trop malheureusement que les consolations doivent venir d’elles-mêmes. On les éprouve plus qu’on ne les accepte, et, dans tous les maux de la vie, il n’y a qu’une triste et lente recette, souffrir et attendre. Si pourtant l’idée de vos amis, parmi lesquels, j’ose le dire, vous n’en trouverez aucun qui vous soit plus profondément, plus sincèrement attaché que moi, si cette idée vous est encore douce, vous devez y puiser bien des dédommagemens. Car je ne connais personne qui ait inspiré, à tant de gens et de si bonne heure, autant d’intérêt, d’affection pour son caractère, d’estime pour ses talens.

J’ai beaucoup couru depuis que je ne vous ai vu, et je n’ai eu le tems ni d’écrire, ni de lire, ni même de penser. Je regrette les années qui se précipitent ainsi, souvent douloureuses, toujours inutiles. Peut-être en sauverai-je quelques-unes du naufrage ; peut-être me reposerai-je dans la solitude, et la solitude me rendra-t-elle quelque puissance de travail. Ah ! si enfin j’échappe aux hommes, ils ne me rattraperont pas. Je vivrai pour deux ou trois amis, pour une ou deux affections de diverses natures, pour le passé que j’étudierai, pour l’avenir, s’il peut redevenir un objet d’espérance, mais le présent me sera toujours étranger, et de ma vie je n’aurai rien à faire avec les hommes de mon tems. Si je rentre dans un port quelconque, — il en est quelquefois d’inespérés que le sort nous offre, — si j’y rentre avec mon vaisseau demi-brisé, je plierai les voiles, je m’étendrai sur le sable, et puisse l’orage m’atteindre si je l’affronte de nouveau ! J’ai un besoin de repos qui va jusqu’à la fureur. Il me semble que je pourrai dormir des années entières, et que, si je me réveille, mon penchant sera encore à faire semblant de dormir.

Continuez-vous, je l’espère, votre histoire de la Vendée[3] ? C’est un noble monument de la seule portion honorable de ces vingt dernières années. Avez-vous lu les lettres de Mlle de Lespinasse ? Je suis pour cette lecture comme le spectateur de Judith. Je, pleure, hélas ! pour ce pauvre Holopherne, c’est-à-dire pour M. de Guibert. Mais c’est une attachante lecture, comme description d’une maladie de cœur. C’est en quelque sorte mon roman retourné.

Ecrivez-moi, si vous voulez me faire plaisir, à Genève ou à Coppet, plutôt à Genève, à ce que je pense. Aimez-moi surtout, si vous pouvez. Il me semble que si j’étais là, vous ne pourriez pas faire autrement. Adieu, quant à moi, je vous aimerai toute ma vie.


XVIII


Genève, ce 22 août 1809.

Je suis resté quelque tems sans vous répondre, cher Prosper, assez de tristesse, et des occupations que j’ai appelées à mon secours m’ont pris tout mon tems, ou plutôt je le leur ai donné, pour qu’il ne pesât pas trop sur moi. Mais j’ai su de vos nouvelles par Mme de Staël qui a reçu plusieurs lettres de vous.

Je compte partir pour Paris vers la fin de septembre. N’y viendrez-vous point ? Je ne sais point du tout encore comment je passerai l’hiver ; mais j’ai toujours envie de vous voir, parce que nos réunions, passagères comme tout ce qu’il y a de bon au monde, sont un des grands plaisirs de ma vie.

Je me suis remis à mon Polythéisme, dont j’ai enfin déterminé invariablement le plan, résolu que je suis à ne plus le refondre, parce que je n’en finirais jamais. Je le crois d’ailleurs à peu près le meilleur possible. La totalité de l’ouvrage, à la dernière partie et à l’introduction près, est écrite : ceux à qui j’en ai lu s’étonnent de la quantité de recherches. Je m’étonne, moi, de toutes celles que j’aurais à faire, et je crois que ma conscience littéraire me forcera, quand j’aurai tout rédigé et fait copier, à consacrer encore beaucoup de tems à des lectures et à des extraits que je sens m’être nécessaires.

Si le siècle était tel qu’on pût se répondre de quelques années de retraite non troublée, je n’hésiterais pas à ajourner toute publication jusqu’à l’époque où je ne verrais plus rien à apprendre ni par conséquent rien à corriger. Mais un avenir n’est plus un bien de ce monde ; et l’on a toujours le sentiment que ce qu’on ne fait pas aujourd’hui ne pourra plus se faire demain. Si nous retrouvons dans une autre vie les gens qui ont vécu avant nous, je crois qu’ils nous diront sur ce que l’existence était de leur tems des choses dent nous n’avons aucune idée, car on nous a escamoté la nôtre avant que nous eussions pu en jouir.

Le baron de Voglhs[4] est ici, et sera j’espère d’une grande ressource pour Mme de Staël quand ses autres amis seront obligés de la quitter. Les adieux commencent déjà. Mathieu[5] part demain et Juliette ne restera pas au delà de la semaine prochaine. La vie est si triste que la peine de se quitter ferait, si l’on était sage, renoncer au plaisir de se voir.

Adieu, cher Prosper. Malgré ce que je viens de dire, vous voir est cependant un plaisir auquel je ne veux pas renoncer. Monsieur votre père va vous faire une visite, à ce que j’apprends. Mais je pense que vous ne passerez pas l’hiver entier sans faire une course à Paris.

Je vous embrasse tendrement.


XIX


Coppet, ce 31 mars 1810.

Quoique j’espère vous revoir bientôt, cher Prosper, je ne veux pas attendre jusqu’à ce moment pour répondre à votre bonne lettre du 4. Le renouvellement de notre correspondance m’a été un grand plaisir, et actuellement qu’Anselme n’est plus incommodé[6], je serais tenté de me réjouir de ce que son indisposition a été pour moi l’occasion de rompre un silence qui me pesait chaque jour plus en se prolongeant, et dont cependant la prolongation devenait une nouvelle cause pour moi de retards.

Je me mettrai en route pour Paris vers les premiers jours d’avril, et j’y serai, j’espère, avant le 14, époque à laquelle il faut que j’y sois pour des affaires. Je voudrais bien, et je me flatte que mon désir ne sera pas trompé, je voudrais bien, dis-je, vous y trouver encore. On sait si peu quand on se reverra, dans ce monde, si bizarrement agité et si singulièrement paisible, qu’il n’est pas indifférent de manquer une occasion de se rencontrer.

Ce ne sera pas pour longtemps, à ce que je crains. Vous retournerez vers ce temps-là dans votre ermitage et je ne pense pas que je séjourne non plus d’une manière suivie à Paris. J’ai grande envie et grand besoin d’être à la campagne, et dès que je le pourrai, j’irai revoir les arbres que j’ai plantés, en votre présence, il y a cinq ans, et qui ont grandi pour se désennuyer. Je ne sais si je me mettrai à travailler avec zèle. J’en ai un peu perdu l’habitude, et les motifs qui m’encourageaient au travail jadis ont un peu diminué. Cependant comme c’est encore ce qu’il y a de mieux à faire, à moins qu’on ne veuille faire pis, ce qui est une autre espèce de mieux, je tacherai de m’imaginer que j’y mets de l’intérêt.

Vous me parlez de mon Polythéisme : je l’avais assez avancé l’été dernier. Depuis trois mois, je ne m’en suis plus occupé. J’ai entrepris, par complaisance pour Laborie, je ne sais quels articles dans je ne sais quel Dictionnaire, sur lequel je n’ai plus de données exactes, et il me paraît, par un prospectus que j’ai vu, qu’on a changé sur ce que l’on exige de moi.

Adieu, cher Prosper. J’attends avec impatience la nouvelle édition de votre XVIIIe siècle. Vous n’aviez pas besoin de vos concurrens pour relever ce qu’il y a de beau dans votre ouvrage : mais ils y font ce qu’ils peuvent.

Je vous embrasse mille et mille fois. Je ne vous dis pas de me répondre. Votre lettre ne me trouverait plus ici.


XX


Des Herbages, ce 29 mai 1810.

J’ai été bien longtems sans répondre à votre bonne et aimable lettre, cher Prosper. Mille raisons m’en ont empêché, et il est encore de la nature de ces raisons de faire que je ne vous les détaille pas à présent. Mais je viens de lire votre admirable histoire de la Vendée, et je ne puis tarder à vous en écrire. Vous devez vous trouver heureux d’avoir ainsi consacré les plus glorieux, je dirais presque les seuls glorieux souvenirs de notre longue, sanglante et inutile révolution. Je ne connais rien qui soit d’un intérêt pareil. Nous en causerons mieux encore quand je vous verrai. Qu’il me soit seulement permis de vous dire que dans cette lecture l’estime et l’admiration se partagent entre les héros et l’historien.

Je voudrais que votre exemple pût m’animer et me donner le courage de travailler à quelque entreprise de longue haleine. Mon Polythéisme serait bien ce qu’il faudrait, mais je n’en ai guère le loisir, et indépendamment de mille autres choses, mes articles coupent mon tems et me désespèrent. J’en ai cependant fait quelques-uns, et si je puis avoir cet été quelque repos, je ferai les autres.

Ma campagne me plaît assez, la vie que j’y mène me conviendrait. Mais depuis qu’on a retranché l’avenir de toutes les vies, ce qui plaît a perdu sans que ce qui déplaît soit diminué. On a le sentiment d’être dans une auberge ; si elle est bonne, on s’afflige de la quitter ; si elle est mauvaise, on n’en ressent pas moins les inconvéniens, et l’on a de plus l’idée qu’il ne vaut pas la peine d’y remédier. Je ne connais rien qui ait plus dévoré tous les genres d’intérêts que la manière dont on nous fait vivre. Si elle ne nous démoralise pas entièrement, c’est que nous n’avons plus assez de force même pour l’immoralité. Mais la jeunesse qui arrive au milieu de tout cela, avec ses passions toutes vives et ses organes tout neufs, vous verrez comme elle s’en tirera. La guerre, point d’habitudes, aucun retour sur soi-même, l’insouciance de l’état sauvage, et les moyens de la civilisation, et pardessus tout cela, l’ironie philosophique sans philosophie, c’est une combinaison qui mènera loin l’espèce humaine.


Chaumont, 27 juin.

Vous verrez, cher Prosper, par la date de cette lettre, qu’il y a longtems que je voulais vous écrire. Monsieur votre père ayant passé deux journées ici[7], Anselme se charge de cette lettre commencée il y a si longtems. Mme de Staël me dit que vous vous plaignez de mon silence. Croyez que jamais ce silence ne pourra prouver que je ne vous sois pas profondément et inviolablement attaché. Dispersés que nous sommes, et réduits en poussière, ce n’est plus que par des rapports d’esprit et d’âme que l’on se tient ; et je crois qu’il en existe entre nous. Il faudrait de longues conversations pour tout expliquer : et je ne prévois guère le moment où nous nous rencontrerons. Vous ne paraissez pas songer à une course à Paris. Je serai forcé cet hiver d’en faire une en Allemagne. Qui sait ce qu’ensuite nous deviendrons, ce que deviendra le monde ? J’espère pourtant que, quelque part, de quelque manière nous serons poussés l’un contre l’autre, et nous aurons alors de quoi parler pendant des années. Mme Récamier est ici, fatiguée de sa vie, légère comme un vaisseau trop peu lesté, bonne, charitable, moins dévote que je ne m’y attendais, repoussant la coquetterie avec regret, ou s’y livrant avec scrupule, et n’ayant ni le calme de ses vertus, ni le plaisir de ses fautes.

On me presse pour le dîner qui doit précéder le départ de votre famille. Celle séparation m’afflige pour Mme de S..., à qui elle en annonce tant d’autres bien douloureuses. Adieu, cher Prosper. Croyez que je vous suis tendrement dévoué et pour la vie.

XXI


Paris, ce 8 août 1810.

J’ai reçu ici, mon cher Prosper, votre lettre du 12 juillet, qui m’a été renvoyée de Chaumont. Je vous aurais répondu plus tôt, si je n’avais eu, à mon retour, de petits arrangemens d’affaires à terminer. Je vois avec peine, mais sans surprise, le découragement que respire votre lettre. Tout en m’en affligeant je serais fort embarrassé de vous faire aucune objection contre ce que j’éprouve au moins autant que vous. Je travaille à mes articles[8] dont je n’ai fait encore que douze : et je ne veux m’arrêter que quand j’en aurai fait de trente à quarante. Alors j’aurai assez d’avance pour pouvoir me livrer pendant quelque tems à mon Polythéisme, que j’ai bien perdu de vue.

Je suis arrivé ici au milieu de l’explosion qu’a produite le rapport du jury sur les prix décennaux. C’est merveille que de voir tous ces gens, morts d’ailleurs depuis longtems, et ressuscites en amour-propre. La vanité a rouvert les tombeaux, et a dit aux paralytiques : Lève-toi et crie. Juges, académiciens, auteurs, amis, public, tout est aussi petit et misérable. Ce sont des lamentations les uns sur l’injustice, les autres sur ce qu’on ne respecte pas, disent-ils, le corps où s’était réfugiée la dernière considération personnelle qui existât en France. Ma foi, s’il n’y en avait que là, autant vaut qu’il n’y en ait point. Quand la maison est en cendres, pourquoi cette économie de bouts de chandelles ? Au milieu de toute cette agitation, on s’aperçoit qu’il n’y a rien de réel au fond des âmes. Les juges ne croient pas aux titres qu’ils prétendent avoir au respect ; les auteurs qui réclament, ne croient pas trop non plus au mérite qu’ils s’attribuent. C’est de réminiscence qu’ils font tout cela. Ce sont des ombres qui jouent à la Madame. Quel état ! quelle poussière que le genre humain ! Il y a un physicien nommé La Metterie[9], et ce n’est pas le Lamettrie du Roi de Prusse, lequel La Metterie a fait un livre qui a pour titre : Principes de philosophie naturelle[10] ‘ Dans ce livre il prétend que les espèces dominent tour à tour sur la terre. Je ne sais quelles espèces actuellement détruites y ont occupé le premier rang, avant la race humaine ; et j’ai oublié quelle est celle qui doit nous remplacer : je ne sais si ce n’est pas le lion ou l’orang-outang. Mais je trouve que nous avons tout à fait la mine d’une espèce usée et qui va s’éteindre. Il me semble que cela se voit non seulement intellectuellement mais physiquement. Le mépris de la vie et de la douleur, qui n’est fondé sur aucun principe de dévouement ou d’opinion, me paraît en être un symptôme ; on aime encore le plaisir, mais on ne craint plus guère la douleur. On arrivera à se pétrifier encore davantage. On n’aimera plus le plaisir, et l’espèce s’éteindra.


Chaque peuple à son tour a brillé sur la terre,
Par les lois, par les arts et surtout par la guerre.
Eh bien ! le tour du singe est à la fin venu.


Une personne qui est bien loin d’être éteinte, c’est notre amie de Chaumont. Son talent est plus beau qu’il ne l’a jamais été. Je ne connais rien d’égal à quelques parties et à tout le troisième volume de son ouvrage actuel[11]. J’espère qu’elle l’aura bientôt achevé. C’est un superbe monument du XIXe siècle, le dernier peut-être.

Conçoit-on que Chateaubriand n’ait pas été nommé dans le Rapport ? et qu’ils s’en tirent par un jeu de mots, en disant que le Génie du Christianisme est un livre de théologie ?

Comment ira notre Dictionnaire si vous n’avez encore rien fait ? On m’a assuré qu’on commençait l’impression des A lundi prochain. Je serais bien fâché que les vôtres n’y fussent pas. J’espère que vous êtes un fanfaron de paresse.

Adieu, cher Prosper. Je suppose que vous verrez notre amie avant son départ. Au reste, les circonstances me semblent s’arranger de manière que ce départ sera forcément renvoyé à l’année prochaine. Le livre n’est pas terminé ; viendra la censure, qui sûrement ne sera pas aussi expéditive qu’on le croit[12]. Le tems s’écoulera, l’hiver viendra, et le moment de s’embarquer sera passé. J’éprouve à cette idée un plaisir mêlé d’inquiétude.

Ecrivez-moi bientôt. Je ne puis vous demander un plus grand plaisir


XXII

J’ai été bien longtemps sans vous répondre, cher Prosper, et cela m’étonne. J’ai un tel plaisir à vous écrire et à recevoir de vos lettres que je ne devrais Jamais être coupable d’une telle négligence. L’entreprise que j’ai faite depuis six semaines de mettre en ordre et de faire copier dans quelques volumes tout ce que j’avais écrit depuis que je me suis mis à penser, m’a fort occupé. Elle avait un côté triste, comme le passé l’est toujours. Toutes ces esquisses, commencées et continuées dans des circonstances si différentes, ces manuscrits dépositaires de tant d’espérances qui ont été trompées, et les changemens successifs qu’ils ont subis, changemens qui tous attestent une marche opposée à celle sur laquelle on croyait pouvoir compter, m’ont jeté dans un découragement dont j’ai souvent eu peine à me relever. J’en suis pourtant venu à bout, et comme ce sont toujours nos défauts et nos petitesses qui nous consolent du mal que nous fait la bonne partie de nous-mêmes, parce qu’elle n’est pas à sa place dans ce monde, j’ai eu, au milieu de ma mélancolie, un certain plaisir minutieux à voir l’ordre dans lequel j’avais rangé mes idées, et à suivre chaque jour l’accroissement de ma collection. Elle est à moitié copiée, et arrangée en totalité. Quant à l’usage que j’en ferai, qui peut le prévoir ? Aucun peut-être, et je m’en dédommagerai en pensant qu’un autre tems en héritera ; comme si chaque siècle n’était pas tellement occupé de lui-même, qu’il n’a ni la volonté, ni le loisir de rechercher dans les précédens ce qui n’a pas eu une influence qui s’étende jusqu’à lui. Mais ces appels à la postérité ont été inventés pour consoler les hommes du tems dans lequel ils vivent, et lors même qu’on n’y croit pas, l’idée en fait toujours un certain plaisir.

J’ai passé ces six dernières semaines de suite à la campagne, sauf deux courses, chacune d’un jour, que j’ai faites à Paris, pour me laisser secouer par le bruit de la capitale, et pour donner à mon esprit cette espèce d’ébranlement plus physique que moral, que produit la vue d’une activité à laquelle on ne prend aucune part. J’ai vu les membres du jury, toujours plus désolés de ce qu’on détruit toutes les réputations littéraires, comme si en fait d’opinion on pouvait détruire par la force ce qui n’est pas déjà détruit. Ce qu’il y a de curieux, c’est qu’ils croient ce qu’ils disent et que, de ce qu’on veut les avilir, ils se regardent comme avilis. C’est vraiment une merveilleuse complaisance, et une curieuse époque que celle-ci où on dit aux uns : Je vous fais braves, aux autres : Je vous fais vils, et où chacun répond : Soit fait ainsi que vous l’ordonnez.

Ce que vous dites de l’effet de l’imprimerie et de l’artillerie, l’une pour la force, l’autre pour la pensée, est bien spirituel et peut-être profondément vrai. On chante victoire quand on a trouvé un moyen de plus, comme si les moyens ne servaient pas pour et contre, dans un tems donné. Mais alors, que deviendra l’espèce humaine ? Je ne fais pas cette question seulement sous le rapport intellectuel, sous le rapport de la perfectibilité, enfin sous tous les rapports philosophico-romanesques ; mais je la fais dans toute son étendue et je ne sais trop comment la résoudre. La Chine me paraît bien une assez longue station, et nous nous en approchons à grands pas. Mais pourrons-nous y rester toujours, ou y aura-t-il encore un progrès dans ce sens, qui a cela de remarquable qu’il est pour ainsi dire à la fois anti-physique et anti-moral ? La Chine me paraît la première époque du règne du mécanisme sur le genre humain. Los sens ont commencé, après les sens l’âme. Jusqu’alors il y a la nature et très belle nature dans l’homme. L’expérience a créé l’esprit qui est déjà quelque chose de moins naturel. L’esprit a tué l’âme, et affaibli l’empire des sens. Maintenant l’esprit se tue lui-même. Il ne nous en reste déjà plus que ce qu’il faut pour nous faire attacher plus de prix au repos qu’à tout, ce qui est assez bien raisonné, quand on n’attache de prix à rien. Si vous examinez bien les hommes de cette époque, vous verrez qu’ils ne craignent presque plus la douleur, et c’est peut-être la cause de la bravoure qui est si commune. Ils n’aiment plus la vie. Ils ne s’aiment pour ainsi dire presque plus eux-mêmes. Ils aiment encore le plaisir parce que cela ne tient à rien, n’a ni passé ni avenir, n’exige aucune suite, aucun enchaînement d’idées, rien de durable, rien qui assujettisse ou qui engage au delà du moment. Encore sacrifient-ils le plaisir sans beaucoup de regret. Or, je le demande, que deviendra l’espèce humaine, quand elle ne craindra plus la douleur, ne recherchera plus le plaisir, et n’aimera plus la vie, et cela sans aucun enthousiasme qui tienne lieu de tous ces désirs et de toutes ces craintes ? Elle deviendra une espèce mécanique, qui agira nécessairement d’une manière prévue dans chaque circonstance donnée : et je trouve que ce caractère se fait déjà remarquer. Chacun fait dans chaque circonstance ce que tout le monde ferait dans la même. Peuples, individus, n’importe, on peut mettre les noms dans un sac, tirer au hasard, le nom, l’action et le discours, et être sûr que tout ira de même, la position étant donnée. Ce qu’on veut éviter, ce n’est pas la douleur, ce n’est pas la mort, c’est la fatigue de la lutte, et l’excès de l’affaiblissement moral mène à un résultat pareil à l’extérieur à la résignation religieuse. Le dedans diffère, parce que la résignation est de la vie et que notre disposition est du néant.

Je m’aperçois qu’en voilà bien long en galimatias métaphysique. Je m’en remets à votre esprit que j’estime plus que tous les esprits à moi connus, pour tirer de cette longue et confuse digression quelque chose de net. Si vous y pensez bien, je crois que vous trouverez de la vérité au fond.

J’espère que l’ouvrage sur l’Allemagne va paraître. Aucun obstacle ne s’annonce et la très grande partie est déjà censurée. Il est vrai qu’il n’y a rien qui puisse mériter la moindre observation, et je n’ai jamais vu d’ouvrage aussi purement littéraire.

Adieu, cher Prosper, donnez-moi de vos nouvelles. Actuellement que j’ai fini de mettre en ordre toutes mes œuvres, je ne resterai plus aussi longtemps sans vous répondre. Je voudrais bien que nous nous vissions. Mais je ne serai pas, je crois, à Paris cet hiver. Adieu encore, je vous aime et vous embrasse.


XXllI


Paris, le 3 décembre 1810.

Je ne sais, cher Prosper, quelle impression monsieur votre père et vous aurez reçue de son déplacement si subit et si peu attendu[13], mais j’ai besoin de vous exprimer l’intérêt que je prends à cette nouvelle. Cet intérêt sera partagé par tout Genève. Il s’y joint en moi l’amitié que je vous ai vouée, et mon souvenir de la bienveillance que monsieur votre père m’avait toujours témoignée. Je le regrette aussi pour notre amie, envers laquelle il s’était montré, dans toutes les circonstances, et nommément dans les dernières, si noble et si bon. M. de Montlosier m’assure qu’il doit venir incessamment à Paris, ce qui m’empêche de lui écrire. Mais je vous prie d’être mon interprète à cet égard et de lui porter l’expression du tendre et respectueux attachement que je lui ai voué. Si je suis encore ici à son passage, j’espère le voir et lui en réitérer moi-même les assurances.

Je vous ai écrit deux fois depuis le 25 septembre, date de ma première lettre. Je ne sais à quelle cause attribuer votre long silence. Vous ne m’aviez pas accoutumé à cette rigueur et je m’en plains d’autant plus amèrement.

J’ai reçu, non sans peine, la seconde édition de votre livre. J’ai été bien content des additions que vous y avez faites. Il y a plus d’idées et de justesse d’esprit dans ces 300 pages que dans rien de ce qui a été public dans ces derniers tems.

Je compte partir pour la Suisse sous peu de jours. Je serai pourtant à Paris je pense assez longtems pour pouvoir recevoir votre réponse à cette lettre. J’espérais vous voir cet hiver auprès de monsieur votre père, mais je crains que son éloignement de Genève n’entraîne le vôtre.

Adieu, cher Prosper, je vous suis bien tendrement attaché.


XXIV


Bâle, le 25 mai 1811.

Que de tems il s’est écoulé depuis que nous ne nous sommes écrit, cher Prosper. Ce n’est pas que je n’en aie eu souvent le désir et le besoin. Mais je ne restais à Genève et à Lausanne que d’un jour à l’autre, et je ne savais où vous prier de me répondre. Je ne le sais pas trop encore, car il n’est point décidé si j’irai en Allemagne ou si je retournerai à Paris. Cependant je ne tiens plus au triste silence qui s’est établi entre nous, et je vous demande de me donner un signe de vie en m’adressant votre lettre ici, sous le couvert de MM. Passavant et Faesch qui me la feront parvenir, où que je sois.

Savez-vous un projet qui me séduit fort ? J’ai vendu ma campagne parce qu’elle était inhabitable pour ma femme. J’attends plusieurs circonstances de fortune et autres pour savoir si je ferai une nouvelle acquisition. Cependant je ne crois pas rester longtemps dans cette Westphalie[14] qui a tous les inconvéniens de Paris, et nul de ses avantages. Quand serez-vous à Napoléon-Vendée, combien de tems y resterez-vous ? Pendant que je ferais faire à Paris par mon notaire les recherches nécessaires pour former un nouvel établissement plus convenable à ma situation actuelle que le premier, je serais bien tenté de passer deux mois près de vous. Nous causerions comme il y a bien longtems que je n’ai causé. Je me sentirais encouragé par vous à travailler ; je rapporterais d’Allemagne quelques livres qui me sont très nécessaires, et je finirais peut-être sous vos yeux le Polythéisme auquel vous vous intéressiez autrefois. Tout cela dans l’hypothèse que vous restiez préfet de la Vendée, ce qui peut changer à chaque instant, car il y a une grande probabilité que vous vous rapprocherez, ou plutôt que vous serez rapproché de Paris. Alors voilà tous mes projets de retraite auprès de vous renversés à leur tour.

Notre amie est à Aix, sa situation m’attriste. Je l’ai peu vue cet hiver malgré moi, et, à ce qu’elle a bien voulu me témoigner, malgré elle. Mais on ne peut pas être à demi dans son atmosphère. Elle s’est amusée à Genève. Mais cet amusement n’arrange rien pour son avenir, et je ne vois pas s’approcher pour elle l’époque du calme et de quelque chose de fixe. Elle a de grands projets qu’elle n’exécutera pas et qui ne lui servent qu’à ne rien préparer de plus rapproché et à se laisser ballotter par un vague souvent orageux et presque toujours pénible. Que la vie est difficile à arranger, elle l’est plus en proportion qu’on a plus de facultés. Vous même en savez quelque chose.

La triste certitude que j’ai de n’être pas établi d’ici à trois mois et de vivre dans les auberges ou chez les autres, m’a fait prendre des moyens de travailler à bâtons rompus, il est vrai, partout où je serai. J’espère dans ma route, que je fais lentement, avoir préparé le Polythéisme de manière à pouvoir profiter en arrivant de l’université de Göttingue.

Adieu, cher Prosper, si vous me répondez, vous me ferez un des plaisirs les plus vifs que je puisse goûter dans ma vie.

XXV


Wiesbaden, près Francfort, ce 15 juillet 1811.

Votre lettre que j’ai trouvée à Francfort m’a fait un plaisir extrême, cher Prosper. L’intérêt que je prends à la nouvelle que vous m’annoncez[15] ne peut vous être un objet de doute. Je ne veux pas non plus douter de votre bonheur à venir. Vous êtes tellement fait pour en donner qu’il doit nécessairement vous en revenir quelque chose. Je crois peu à l’influence réciproque des hommes sur le caractère les uns des autres. Je n’ai jamais vu un caractère changer autrement que par la vieillesse ou l’expérience, qui est un genre de vieillesse. Mais je crois beaucoup à l’attachement que vous devez inspirer, beaucoup aussi à votre indulgence pour les petites choses de la vie. J’espère donc pour vous, non pas comme on me l’écrit, que, dans la solitude de Napoléon, vous formerez et façonnerez à vos goûts la personne que vous épousez, mais que vous trouverez du plaisir au plaisir que ses goûts innocens lui donneront, même quand ces goûts ne seraient pas les vôtres. Je ne sais si je me trompe : mais je vous crois, en certaines choses, un peu de ma nature, et quoique beaucoup plus jeune, je n’imagine guère que vous puissiez avoir des jouissances vives pour votre compte seul. Votre regard a creusé trop avant dans toutes les choses : mais vous jouirez du bonheur que vous donnerez et de celui que vous laisserez avoir sous votre protection et sous vos auspices. Le bonheur des autres, surtout celui qui va de lui-même et auquel il ne faut pas travailler, est comme un air frais ou un bain d’eau pure qui caresse agréablement sans pénétrer bien au fond. Cela ne guérit pas les maladies sérieuses de l’âme ; mais cela fait du bien, ou adoucit le mal, en montrant du contentement et du calme, qui ont une contagion bienfaisante comme le mécontentement et l’agitation ont une contagion funeste.

Je suis ici dans un bain, attendant une partie de la famille de ma femme qui doit nous y rejoindre. Il n’y a guère ici que des malades qui y viennent pour se guérir, et des soldats, qui en partent pour aller se faire tuer ; ces derniers sont les plus sûrs de leur fait. Jamais l’Europe n’eut l’air aussi enrégimentée, §i j’additionne ceux que je vois en uniforme ; les recrues qui ont un bonnet de soldat, en attendant qu’ils en aient l’habit ; et les déserteurs qui ont une sorte de froc, comme les capucins, je suis sûr qu’ils forment un nombre quadruple de ceux qui n’ont rien qui tienne comme costume ou comme châtiment à l’état militaire. La conscription, dit-on, est plus sincère ici qu’en France. Comme l’on est arrivé à ceci sans passer par l’égalité, les privilèges qui ont survécu ont fait peser cette obligation d’autant plus lourdement sur les non-privilégiés. Le seul amusement qu’il y ait c’est une assez bonne troupe de comédiens, mais qui ne donne aucune tragédie, mais des drames d’une époque assez reculée du théâtre allemand, c’est-à-dire de ceux qu’on représentait il y a une vingtaine d’années, avant ce qu’on nomme à Genève la nouvelle école, et dont on nous donne la traduction sur les boulevards. Seulement l’Allemand vaut mieux que le Français, et les comédiens allemands, du moins ceux-ci, sont fort supérieurs à nos acteurs du boulevard ou même de la province. Hier on nous a donné un drame le plus comique du monde, quoiqu’il fût destiné à émouvoir. Il était intitulé pièce militaire. En effet, c’était un vieillard condamné à mort pour espionnage dans une île assiégée. Mais le commandant de l’île en nommant un tribunal pour le juger, ne parlait aux juges que de la douceur qu’il y aurait pour eux à l’absoudre. Les juges pleuraient et plusieurs juraient que, fût-il coupable, ils ne le condamneraient pas. Cependant il était condamné. Alors le président du tribunal venait dans la prison pour le faire évader. Le geôlier lui remettait les clefs. Le gouverneur arrivait pour dire aux autres qu’il avait deviné ce qu’ils projetaient et que, pour ne pas les en empêcher, il allait faire une petite absence. Les sentinelles servaient de guide au fugitif. Enfin, c’étaient tous des agneaux en uniforme. Un seul pauvre diable d’officier qui, rencontrant le fugitif dans la rue, croyait qu’on ne l’avait pas condamné pour le laisser échapper, et le ramenait, était traité d’homme abominable, et se mettait à pleurer comme les autres, sur l’horreur de son action. Enfin, pour tout finir, l’innocence de l’accusé était reconnue, devinez comment ? Par une lettre du général ennemi qui, ayant appris qu’on allait le pendre, attestait qu’il n’était pas un espion, et promettait de se retirer et de lever le siège, parce qu’il ne voulait devoir aucun succès à la mort d’un innocent. Tout allait à merveille et on récompensait de plus le commandant, les officiers, les geôliers, tous ceux qui avaient travaillé à l’évasion. Vous conviendrez que c’est un paradis terrestre que cette garnison-là. Ajoutez-y trois femmes qui, ayant toutes trois des droits à une fortune immense, portent chacune dans leur poche la donation qu’elles s’en font réciproquement, deux amoureuses qui se disputent à qui fera épouser son amant à sa rivale, l’une d’entre elles qui se jette à genoux et qui dit à Dieu : « Je ne te demande qu’une grâce, c’est de me faire retrouver celle qui doit me réduire à la mendicité et m’enlever l’homme que j’adore. » Puis le père qui veut mourir pour le fils, le fils pour le père, la mère pour la fille, la fille pour sa mère, son amant et le père de son amant, chaque amoureuse pour sa rivale, un ami pour l’amant et la maîtresse, le commandant de la place pour son major, le domestique pour son maître, et jusqu’au geôlier pour tout le monde. C’est à qui courra le plus vite pour être ruiné et perdu, et pourtant, comme il y a dans ce sacrifice quelque chose qui répond à notre nature, il y a deux ou trois momens où le spectateur est ému, malgré la monotonie, le ridicule et le pathos du style. Mais je jouissais doublement de la pièce (quand je dis jouir, ce n’est peut-être pas le mot propre) en comparant ces commissions militaires couleur de rose, et ce régiment arcadien à d’autres choses qui ne leur ressemblent guère. Je n’ai pas pu dire cette fois : C’est tout comme chez nous.

Je m’aperçois que je vous ai écrit deux énormes pages sur cette comédie, et je m’en repens, mais il est trop tard pour recommencer.

Je compte être à Göttingue dans huit ou dix jours. Je m’y plongerai dans un océan de livres et de travail. Je compte mettre des volumes entre la société allemande de Cassel qui doit être ennuyeuse et la société française de Westphalie qui est pis qu’ennuyeuse, et moi qui ne veux être ni des conquérans ni des conquis. J’ai éprouvé par quelques jours de travail en courant la poste qu’il m’était facile de reprendre à mon ouvrage, au bout de deux heures d’application. Les idées m’en sont si familières qu’elles se saisissent de moi et m’entourent, dès que je ne me laisse pas aller aux distractions ultérieures. Je compte donc employer mon temps de mon mieux, et ne rien souffrir qui m’agite ou me dérange. Ma position est très bonne pour cela. J’ignore tout à fait quand je repartirai. S’il y a sûreté et repos à Göttingue, j’y reste jusqu’à ce que mon ouvrage soit fini, et il en sera bien plus tôt achevé. Je crois que votre mariage changera aussi non seulement vos projets, mais votre situation, et je ne compte plus guère sur notre séjour à Napoléon que je regrette. Cependant il est possible que Göttingue ait des inconvéniens dont je ne puis juger. Alors j’en repars. Je ne sais ce que fera notre amie. Son esprit est indécis, et les obstacles extérieurs transformeront, je crois, cette indécision en immobilité pour quelque temps. C’est peut-être le mieux. Qui peut prévoir dans la vie les suites d’un seul mouvement ? J’ai été fort triste pour elle de l’aventure de Wilhelm[16] dont je ne sais pas les détails et à laquelle je ne conçois rien. Ses lettres pourtant ne sont pas fort tristes, quand on la connaît. Le château, m’écrit-elle, est triste et doux cet été. Elle m’occupe plus qu’elle ne croit, et je parie qu’il en est de même de vous.

Je voudrais bien que vous renvoyassiez Villers à Göttingue, volontairement de sa part, s’entend. Je me fesais une telle fête de l’y trouver que son absence m’a été un vrai désappointement. J’aurais voulu me retracer avec lui nos dîners de 1805. Que de choses se sont passées depuis ce temps, et pour nous et pour les autres ! Comme la vie nous dit : Marche, marche ; on se sent traîné par un bras invisible à travers les cailloux, les torrens, les ronces et quelquefois un peu de pelouse où l’on voudrait en vain s’arrêter. Énigme de ce monde, te devinera-t-on jamais, ou faudra-t-il recommencer à tout apprendre, à tout souffrir, pour recommencer encore et sans cesse à tout souffrir et à tout apprendre pour tout oublier ?

Adieu, cher Prosper, voilà une énorme lettre, surtout comparée aux petites vôtres de trois petits quarts de page. Quand vous me répondrez, adressez, je vous prie, chez le comte de Hardenberg, près Göttingue, Westphalie. Quoique je voyage en escargot, j’y serai arrivé, j’espère, avant que votre réponse y arrive. Je vous aime.et vous embrasse tendrement.


XXVI


Du Hardenberg, ce 11 octobre 1811.

J’ai reçu votre réponse à ma lettre de Francfort, cher Prosper, au moment où je débarquais ici dans une famille à moi toute nouvelle, et j’ai eu beaucoup de devoirs de politesse et d’établissement à remplir. J’ai été ensuite horriblement pressé de mettre mes papiers en ordre, pour profiter de mon séjour à Göttingue, si, comme je l’espère, les dieux de ce monde me permettent de l’y passer tranquillement. Je sortais à peine de ce chaos lorsqu’il m’est parvenu sur notre amie des nouvelles tellement tristes[17] que j’en ai été dans un véritable chagrin. À cette douleur que me causaient les lettres que je recevais d’elle et de ses amis, a succédé un silence, qui, en me livrant à toutes les conjectures que me suggérait mon inquiétude, m’a jeté dans un état plus pénible encore. Ce silence, causé par l’inexactitude des postes, n’a cessé qu’aujourd’hui où j’ai reçu plusieurs lettres à la fois. Ce n’est donc vraiment que d’aujourd’hui que je respire un peu librement. J’entre dans tout ce détail pour vous expliquer comment il s’est fait que je n’ai pas tout de suite répondu à votre si bonne et si amicale lettre. Vous savez trop le bonheur que j’ai à en recevoir pour n’être pas convaincu que, sans d’aussi tristes raisons, je n’aurais pas tellement tardé. Aussi, comme il faut saisir au vol les momens de repos ou de répit que la destinée nous accorde, le premier usage que je fais d’un peu de liberté d’esprit et de soulagement d’âme est de vous écrire. Je ne sais où ma lettre vous trouvera, je l’adresse à tout hasard à Napoléon, d’où je suppose qu’elle vous sera renvoyée si vous êtes à Paris. Je voudrais bien que ma négligence apparente n’eût pas refroidi le mouvement qui vous disposait à m’écrire. C’est me faire un vrai bien, je vous assure. Ma vie ici est assez bien arrangée, quand les inquiétudes ne viennent pas la troubler intérieurement. Je me suis remis avec une ardeur inexprimable à mon Polythéisme. Je l’ai refait tout entier sur un nouveau plan, et à bien des égards, dans des idées nouvelles, car j’ai continué, de la meilleure foi du monde, à me rapprocher, sans le vouloir et parce que les faits et le raisonnement m’y poussaient, des idées religieuses, pour lesquelles vous m’avez déjà vu assez de disposition. Depuis que je suis entré dans cette route, un horizon tout à fait nouveau s’est ouvert devant moi. Cette tendance de l’homme à perfectionner sa religion, en raison de ses lumières, loin d’être une preuve que la religion n’est qu’une chimère, que l’homme façonne à chaque époque suivant sa fantaisie, en est une que la religion est son but et sa destination primitive. Je crois que dans ce sens il y a encore bien des choses à dire qui n’ont jamais été dites. Ce qu’il y a de sûr, c’est que je ne dirai pas un mot qui ne soit ma conviction : et comme c’est graduellement, à mesure que les faits m’y ont comme forcé, que j’ai adopté des idées plus religieuses, cela pourra bien m’arriver encore davantage. Il est impossible, en remontant vers l’origine de quoi que ce soit, de ne pas rencontrer une énigme dont la religion seule est le mot. Il n’y a pas dans le cœur un bon sentiment qui ne perde à être séparé de la religion : et s’il fallait choisir d’un peuple athée ou d’un peuple superstitieux, il n’y aurait pas à hésiter pour ce dernier. Se faire incrédule, parce que des fous ou des méchans ont abusé de la religion, c’est se faire eunuque parce que des libertins ont pris la vérole.

Je voudrais vous parler aussi du pays que j’habite, mais cela n’est pas facile. Il y a quelque chose de très vrai dans ce que vous dites des tristes effets de la bonhomie, et même de la loyauté allemandes. La boue en France n’a été composée que de poussière et de pluie. En conséquence on s’en dépêtre, et, au premier rayon de soleil, la boue redevient poussière. Mais, en Allemagne, l’orage est tombé sur une terre forte et grasse, et on y enfonce jusqu’à mi-jambe. On pardonne à certaines gens beaucoup de choses, parce que leurs paroles sont le contraire de leur conduite, et qu’on entend plus ce qu’ils disent, qu’on ne voit ce qu’ils font. Mais quand les phrases et les actions sont d’accord, c’est beau comme conséquence, mais c’est ennuyeux d’une part et révoltant de l’autre, et la justesse de la logique est un faible dédommagement.

Quand nous reverrons-nous, cher Prosper ? Où nous reverrons-nous ? où causerons-nous à cœur ouvert ? Sera-ce au coin de votre feu, au fond de votre noble Vendée, dans le chef-lieu de la préfecture ? Sera-ce dans ce bizarre Paris, où tout se dit, où rien de ce qui se dit n’influe même sur ceux qui le disent, où les opinions sont d’un côté, les intérêts de l’autre, et où ces deux choses vivent paisiblement, d’une paix qui se fonde sur leur mépris réciproque, dans ce Paris où tout se pardonne, parce qu’on ne croit à rien, où tout s’adoucit, parce qu’on n’estime rien, où il y a de l’humeur, parce qu’il y a de la vanité, et pas de vengeance, puisqu’il n’y a pas de mémoire, et qu’en effet il n’y a rien qui vaille qu’on se souvienne, et que chaque démonstration de la veille est démentie par le lendemain.

N’êtes-vous pas affligé et inquiet de l’accident de Juliette[18] ? J’ai peur qu’il n’ait des suites plus longues qu’elle ne le craint. Elle qui jugeait si bien la situation de notre amie se fait sur la sienne les mêmes illusions qu’elle trouvait si peu raisonnables dans une autre. Les malheureux sont comme les poitrinaires. Si j’avais su où adresser à Juliette l’expression de la part que je prends à ce qui lui arrive, je l’aurais fait. Mais je ne sais pas du tout où elle est, ni comment lui faire parvenir une lettre. Si vous le savez, et que vous lui en écriviez, parlez-lui de moi.

Adieu, cher Prosper. Je donnerais bien des choses pour causer avec vous, ne fût-ce que sur la comète qui devient chaque jour plus brillante, et qui nous menace de sa queue. Si elle approche, nous pourrons bien nous trouver réunis ; mais en si nombreuse et si mauvaise compagnie que nous n’aurons pas le temps de parler. Je crois pourtant que, malgré le nombre, il n’y aura pas d’espions dans ce moment-là.

Je vais me remettre à mon Polythéisme. Vous êtes une partie de mon public. Il se réduit à cinq ou six personnes. C’est assez, et je n’ai pas besoin d’une autre espérance. Ecrivez-moi directement à Göttingue. Mon beau-père quitte sa campagne pour aller à Cassel ; et moi je vais m’établir près de la Bibliothèque. Je vois beaucoup Villers, qui est toujours bon et aimable, mais ni lui ni moi ne sommes ce que nous étions à nos dîners de 1803. C’était un bon temps. Je vous aime et vous embrasse. Songez qu’une lettre est un vrai bonheur.


XXVII


Göttingue, ce 2 décembre 1811.

On dirait, cher Prosper, que vous aviez lu dans mon esprit et dans mon cœur, quand vous m’écriviez votre dernière lettre. Il y a entre nos pensées une étonnante analogie. La seule différence qu’il y aura peut-être entre nous, c’est que le sort, qui m’a repoussé loin de toute carrière active, me permettra d’exprimer ce que nous pensons tous deux avec plus de développemens. Mais mon ouvrage sera bien dans votre sens. J’y ai été conduit par une foule innombrable de faits, envisagés avec d’autant plus d’impartialité que je les ai recueillis dans un sens contraire, et que mes habitudes et la direction de mes idées m’ont même porté longtems à leur faire une sorte de violence pour les plier à l’intention de mon entreprise. Mais comme j’étais de bonne foi, la violence n’y a rien fait. Les preuves ont réagi sur moi, le cœur humain s’est montré ce qu’il est quand le sentiment religieux en est banni, et le sentiment religieux lui-même n’a pu longtemps me satisfaire, impuissant et vague qu’il est, lorsqu’il est abandonné à ses propres forces. J’ai vu l’homme incrédule se précipitant dans la magie. J’ai vu l’homme fatigué de l’incrédulité et ne pouvant mettre à sa place que l’extase, un enthousiasme sans frein, et des exagérations d’autant plus incurables qu’elles partaient du raisonnement, et marchaient méthodiquement à la folie. J’ai vu la raison dans toute sa pompe et dans toute sa faiblesse, le résultat de quatre siècles de méditations n’être d’abord que le chaos, puis une ordonnance fantastique et arbitraire, l’homme parvenant à tout détruire et hors d’état de rien rétablir, et succombant enfin sous tant d’évidences irrésistibles, j’ai vu Dieu rendant à l’homme non seulement la religion, mais la raison même.

Depuis que je me suis franchement avoué ces vérités, je ne sais quelle simplicité merveilleuse s’est répandue sur mon ouvrage. Ma route si incertaine pendant tant d’années, s’est tout à coup présentée à moi, claire et unie. J’ai vu toutes mes idées se ranger dans un ordre que tous mes efforts n’avaient jusqu’alors pu découvrir. J’ai vu les grandes énigmes se résoudre.

La philosophie allemande me sert beaucoup, quoiqu’elle ne marche pas dans une direction parfaitement analogue à la mienne. Elle marche dans le sens dont je me suis écarté, mais qui suit pourtant une ligne parallèle. Ce n’est pas cette étroite et cynique philosophie, qui, dans Voltaire, nous fesait naître entre l’urine et la matière fécale, dans Helvétius ne nous distinguait des chevaux que par les mains, dans Diderot voulait étrangler le dernier prêtre avec les boyaux du dernier roi, et dans Cabanis définissait la pensée une sécrétion du cerveau. C’est une philosophie un peu vague, mais respectant tout ce qui est religieux, retrouvant la religion dans tout ce qui est bon, et s’agitant seulement dans ses tentatives pour généraliser ses idées, et placer la divinité dans tout, afin de parvenir à un résultat plus séduisant par son universalité apparente. Comme détails, cette philosophie est infiniment précieuse. Les Allemands ont une conscience littéraire qui ne leur permet de négliger et de déguiser aucun fait : et leur imagination abonde en rapprochemens, tantôt ingénieux, tantôt touchans. Je suis occupé dans ce moment à l’esquisse de mon dernier livre, la dégénération et la naissance, la mort par la civilisation, la vie redescendant du ciel sur la terre.

J’ai peu de données sur les projets de notre amie. Elle m’écrit, mais ses lettres sont courtes, et ses résolutions incertaines. Ce que vous me dites sur Juliette est triste. Cette crise[19] dans une vie déjà mal arrangée, et qui avance, est un malheur plus grand par ses suites que par ce qu’elle peut en souffrir dans le moment même. Elle ne prépare rien pour l’avenir, et quand tout ce qui pare le présent sera passé, elle aura peut-être à souffrir de l’isolement qu’elle ne prévoit pas assez. Cependant elle a tant de charme et tant de véritable bonté que le sort peut-être sera moins sévère. Elle a plus de dévouement que d’amitié, ce qui est un malheur, mais ce dévouement lui vaudra peut-être des amis qui la consoleront, si elle peut les aimer assez pour être consolée par eux.

Je crois que je passerai ici ou dans les environs non seulement cet hiver mais l’été prochain. Si vous étiez à Napoléon ou dans quelque autre préfecture, vers le commencement de l’automne, il n’y a aucun doute que je n’aille vous y voir. J’aurais sinon fini du moins bien avancé mon ouvrage, et vous me seriez aussi nécessaire que la bibliothèque de Göttingue me l’est à présent.

Répondez-moi le plus tôt que vous pourrez, car vos lettres me font un grand bien. Parlez-moi un peu de vous, vous ne m’en dites pas un mot, et j’en murmure, et croyez à une amitié et à une sympathie inaltérable.


XXVIII


Göttingue, ce 30 janvier 1812.

Que de tems s’est écoulé, cher Prosper, depuis que j’aurais dû répondre à votre dernière lettre ! Je ne sais quel découragement m’avait saisi. Je trouve qu’il y a des momens où l’on évite les conversations ou les correspondances qui rappellent la pensée et mettent l’esprit en mouvement, comme au milieu d’une douleur très profonde, pour un ami qu’on a perdu, on évite de prononcer le nom de celui qu’on regrette. J’ai d’ailleurs eu des courses à faire, et dans un état d’âme où l’occupation unique d’un travail suivi est la seule ressource, et où l’immobilité est nécessaire pour ne pas être privé de cette ressource, et rejeté dans le monde qu’on veut fuir ; les courses, les voyages, les déplacemens ne sont propres qu’à désorganiser et à rendre incapable de quoi que ce soit. Je ne suis à mon aise que quand je suis rentré dans une série d’idées qui ne se mêle en rien au présent. Alors, au bout de quelques heures, je me refais une atmosphère et une société où je respire ; et j’oublie complètement tout ce qui n’est pas cette société de morts qui ont sur nous l’avantage d’avoir vécu d’une vie forte et réelle, tandis que nous sommes des morts qui, comme celui de l’Arioste, n’avons conservé des habitudes vivantes que celle de nous battre, ce qui nous donne l’air du courage, parce que nous risquons bravement une vie que nous n’avons plus.

Je ne sais absolument pas ce que je ferai au printemps. Je voudrais bien vous voir, mais vous serez peut-être si occupé de toutes les. mesures que l’enthousiasme général propose, mais que la prudence administrative régularise, que nous jouirions peu l’un de l’autre. Il est pourtant probable que je ferai une course en France à une époque peu éloignée.

Je n’ai aucune nouvelle directe de notre amie, mais bien des articles de gazette, et des détails par les voyageurs. Simonde a-t-il exécuté son projet, et est-il à Paris pour faire imprimer son cours de littérature ? Il a eu beaucoup de succès à Genève. Mais ce n’est pas une preuve qu’il en aura autant là où le style est plus important que les idées, et où l’on a des doctrines reçues dont il est défendu de s’écarter. On dit que Schlegel donne un cours de littérature à Stockholm. Les rayons du soleil de Coppet brillent encore au Nord et au Midi, mais l’astre même a disparu.

Adieu, cher Prosper, je languis de vous voir. Vous êtes pour moi le représentant d’un meilleur siècle, car aujourd’hui les années sont des siècles, et nous nous rapetissons à pas de géant. Voilà une figure où vous reconnaîtrez l’incohérence tudesque. Je vous embrasse, écrivez-moi.


XXIX


Göttingue, ce 20 mars 1812.

J’ai tardé quelque temps à répondre à votre lettre, cher Prosper. La douleur que m’a causée la perte de mon père, bien qu’annoncée dès longtemps par son âge et par ses infirmités, m’avait jeté dans un état de découragement qui me rendait incapable de toute occupation volontaire. Il y a dans ce genre de perte tant de causes de souffrance, tant de souvenirs qui tous deviennent pénibles, les uns dans un sens, les autres dans le sens opposé, il y a d’ailleurs dans mon âme tant de disposition à l’abattement, que je suis encore bien peu propre à causer avec mes amis. Cependant je tâche de me relever encore de cet éternel et fatigant combat contre la vie, et je vous écris pour recourir à l’espèce de distraction la plus propre à écarter de moi pour quelques momens les pensées qui me poursuivent et qui m’oppressent.

J’ai lu Mme du Deffant[20], triste et sévère lecture, sous une forme frivole et amusante au premier coup d’œil ; mais on est tout surpris, après s’être diverti en la lisant, de voir, dans son propre cœur, le même vide et la même misère dont elle fait une description d’autant plus frappante qu’elle n’y attache pas même une grande importance, et qu’elle paraît presque aussi détachée d’elle-même que des autres. M. Walpole me paraît un homme d’esprit, mais avec des bornes assez étroites et dur d’autant plus inexcusablement que c’est par une faiblesse égoïste que rien ne relève.

Je vais essayer de me remettre à mon Polythéisme que l’état de mon âme m’a obligé d’interrompre depuis quelques semaines. Je ne fais pas de la bibliothèque de Göttingue tout l’usage que je voudrais. J’ai rassemblé tant de matériaux, à diverses, époques et souvent dans des sens différens, suivant les modifications successives de mes opinions, qu’il faut de toute nécessité que je les mette en ordre, avant de profiter des nouvelles richesses qui s’offrent à moi. Il y a des momens où je suis effrayé de l’espèce de chaos qui se renouvelle de tems à autre, lorsque je lève une des écluses, et que deux à trois mille notes viennent se jeter au milieu de ce que j’ai déjà composé. L’expérience me rassure un peu, j’ai vu plus d’une fois quand j’avais rassemblé tous les matériaux, un ordre subit s’y introduire, et tous les fragmens se ranger presque d’eux-mêmes à leur place. Cette entreprise m’a décidé à prolonger mon séjour ici. J’ai fait mon établissement pour tout l’été. C’est beaucoup, dans ce tems, qu’un avenir de six mois, j’admire la force de l’habitude qui fait encore croire à l’avenir. Comme tout sert à la puissance. Comme elle profite de ce qu’elle détruit !

Notre amie a encore éprouvé un chagrin. On lui refuse les passeports si longtems promis pour l’Amérique, et son voyage paraît impossible. J’en suis triste, car elle avait besoin de fixer son imagination sur ce projet, qu’elle n’aurait d’ailleurs exécuté de sa vie.

Juliette est-elle toujours à Châlons ? Je voulais lui écrire, je ne l’ai pas fait. Quand on a beaucoup de peine soi-même, on est peu propre à consoler les autres. A présent, que j’ai tant tardé, je trouve qu’il n’est plus tems. Je voudrais néanmoins savoir de ses nouvelles. Je trouve que nous ressemblons à des fourmis dont on a submergé la fourmilière. On voit de côté et d’autre de pauvres bêtes s’accrochant où elles peuvent, et occupées à se sécher. Mon Dieu ! que le fond de mon âme est abymé !

Hochet me doit une réponse depuis assez longtems. J’ai su de ses nouvelles par Villers qui, ne sachant pas s’il est compris dans le décret sur les Français, au service étranger, s’était adressé à lui pour cette affaire qui le tourmente et l’intéresse beaucoup. Hochet lui a répondu trois lignes qui ne décident rien, et lui a fait ensuite une page et demie sur son bonheur conjugal et paternel. Je me reproche cette plaisanterie, car, dans la même lettre, Hochet dit sur moi mille choses obligeantes.

Villers est en tout dans une situation assez pénible. D’abord il s’ennuie prodigieusement. Il s’est cru beaucoup plus allemand qu’il ne l’est ; et, comme il le dit lui-même, il était fait pour expliquer l’Allemagne aux Français, et il se trouve que c’est à présent aux Allemands qu’il explique la France. Heureusement pour lui, il a toujours vécu avec une excellente mais un peu lourde Allemande, n’ayant de l’esprit qu’en ligne droite, et voyant plus loin que son nez, mais pas à côté, de sorte qu’il a pris l’habitude de n’être compris qu’après s’être commenté lui-même. Avec cela, il s’ennuie, il trouve sa carrière peu convenable pour lui, sa fortune est très réduite et très incertaine, sa santé est mauvaise. Son sentiment auquel il a fait tant de sacrifices et qui lui impose encore une conduite très belle, mais qui n’est plus je crois un plaisir de mouvement, enlace sa vie sans la remplir. Il est mécontent du climat, du genre de vie, de son logement, de sa nourriture, de la conversation, du présent, de l’avenir. Vous ne le reconnaîtriez presque plus et c’est encore une triste preuve de cette fatalité attachée de nos jours à tout ce qui est noble et bon.

Pour moi, cher Prosper, je me trouve ici comme le doge de Gênes à Versailles, toujours plus étonné d’être loin de la France et d’en être loin par ma volonté. Si je puis me remettre au travail, mon séjour ici m’aura été utile, si tant est qu’on puisse appeler utile ce qui ne sert qu’à terminer un livre qui ne trouvera guère de lecteurs. Mais enfin, il est commencé, et même presque achevé, et il m’aura rendu le service d’avoir rempli ma vie. Ce qui entretient encore dans mon âme un sentiment un peu actif, c’est l’espérance et la résolution ferme de passer du temps avec vous, non pas à Paris, où nous jouirions bien peu l’un de l’autre, mais dans la préfecture quelconque que vous occuperez quand je serai au bout de mon pèlerinage. Il me semble que votre conversation rendra de la vie à mon esprit, et que cette longue séparation même nous fournira bien des choses à nous dire. Il y a longtems que j’ai été privé du plaisir de la confiance.

Ce n’est pas que je ne trouve dans mon intérieur tout ce que que la douceur peut offrir de ressources et l’affection de bonheur. Je ne veux pas faire, comme Hochet, un développement pompeux et pathétique des avantages de l’intimité conjugale, bien que j’en jouisse autant que lui.

Adieu, cher Prosper. Excusez mon silence de deux mois qui n’a été causé que par de trop bonnes raisons, et croyez à un attachement qui ne finira qu’avec ma vie.


XXX


Göttingue, 12 juin 1812.

Cher Prosper, je voudrais vous écrire, par pur égoïsme, pour recevoir une lettre de vous : et, cependant, je ne sais que vous dire, non que je n’eusse mille choses à vous dire si nous étions ensemble, mais de si loin, sur le papier, sans qu’aucune réponse m’anime, je ne sais comment trouver en moi quelque chose qui vaille la peine d’être écrit

Vous avez raison : l’Allemagne est triste et pour la raison que vous dites. Le monde réel est de trop peu d’intérêt pour ces hommes qui se sont fait un monde en eux-mêmes. Quand Anaxarque disait en se laissant piler dans un mortier : « Tu u atteins que l’enveloppe d’Anaxarque, » c’était beau. Mais pour les autres, qui n’avaient sous les yeux que l’enveloppe d’Anaxarque, le spectacle était horrible et monotone.

L’absence d’amusement a produit sur moi à Göttingue l’effet que l’excès d’amusement produisait souvent sur moi à Paris. Toutes mes idées sont éparpillées comme des mouches, et je les saisis au vol, comme des mouches qui volent dans une autre direction que moi.

J’ai lu l’article « Saint Augustin » et celui « Bernier » dans notre Biographie. Je vous y aurais reconnu tout de suite, et je me suis retrouvé un moment avec vous. Hélas ! quand ce plaisir me sera-t-il accordé réellement ?

Villers donne un cours de littérature française. Il y met beaucoup d’idées neuves et piquantes, dont quelques-unes ne seraient pas admises sans contestation par la Sorbonne littéraire de Paris. Je n’ai assisté qu’aux premières leçons. Il est à présent dans les troubadours que j’ai toujours détestés. Je n’aime ni notre ancienne poésie, ni notre chevalerie, ni rien de ce qui caractérise nos aïeux. Nous avons toujours été des Gascons, à la fois maniérés et emphatiques, et dans les plus beaux tems de notre histoire, il y a quelque chose qui me refroidit, qui répond mal à l’élan naturel de l’âme. Je trouve que nos héros ne sont pas de chair et d’os ; leur nature n’est pas de l’organisation, mais du mécanisme. Je n’excepte ni Bayard, ni Duguesclin, ni même Henri IV qui n’a pas su pardonner à son ami[21], Saint Louis est le seul être réel que je connaisse dans toute l’histoire française. C’est à la religion qu’il le devait. Elle avait fait de lui un homme, au lieu que les autres me paraissent tous des êtres factices, qui ne vivent pas réellement. C’est peut-être pour cela que nos compatriotes ont toujours eu pour qualité distinctive la bravoure. Ils sentaient qu’en se faisant tuer ils ne fesaient qu’exposer une machine plus ou moins belle à être brisée.

À propos de la Biographie ou pour mieux dire en y revenant, ne trouvez-vous pas qu’on y a inséré bien des phrases de boudoir ? et des articles entiers qui ne peuvent intéresser que des salons, de très bonne compagnie à la vérité, mais qui pourtant ne sont pas une chose historique ni européenne. Six colonnes sur le prince de Beauvau[22], qui n’a de place dans ce Dictionnaire que pour avoir écrit une lettre sur une phrase de cent quatre-vingts mots[23]. Il est vrai que dans ces six colonnes il y a des phrases qui auront fait plaisir à ceux à qui on les aura lues et l’on a jugé l’Europe sur la coterie. Ceci entre nous. Je ne voudrais pas désobliger l’auteur[24] que j’aime et que j’estime. D’ailleurs la postérité n’est pas dupe. Elle élaguera tout cela.

Avez-vous des projets pour cet hiver ? Le passerez-vous dans votre solitude administrative, ou ferez-vous une visite à ce Paris qui ressemble à l’Elysée de l’Iliade ? Pour moi, j’ignore tout à fait ce que je ferai. Je ne sais si mes facultés et mon ardeur pour l’étude reviendront. Depuis huit jours, tout a disparu de ma tête, et je m’attends comme un étranger.

Adieu, cher Prosper. Voilà une sotte lettre. Mais j’espère obtenir de vous quelques mots, qui me feront un vif plaisir, et je serai sûrement mieux disposé ; dans ce cas, vous aurez une lettre moins sotte. Ne regardez celle-ci que comme un prétexte pour vous dire que je vous aime et un hameçon pour en accrocher une de vous.


XXXI


Göttingue, ce 21 juillet 1812.

Nos vœux se rencontrent, comme nos esprits, mon cher Prosper. C’est un de mes désirs les plus vifs que de vous voir un peu de suite et librement, et pour cet effet je souhaite que ce soit à Napoléon plutôt qu’à Paris. Si vos arrangemens le permettent donc, je prendrai le tems où vous y serez, pour vous y faire une visite. Voici à peu près la marche que je compte suivre, à moins de quelque événement que je ne prévois pas. Je reste ici jusqu’à la fin de septembre. J’irai d’ici à Weimar, où je séjournerai plus ou moins longtems, et de Weimar je me rendrai en Suisse, où j’ai des affaires. Il faut que je sois à Paris vers la fin de février, et je ne crois pas pouvoir devancer cette époque. J’aurai besoin, pour mettre en ordre tout ce que mon absence a laissé s’arriérer, d’environ un mois. Ce serait donc à la fin de mars, ou dans le courant d’avril, que je serai à votre disposition. Voyez jusqu’à quel point cela cadre avec vos projets, et donnez-m’en avis, car j’espère que notre correspondance ne souffrira pas d’interruption jusqu’alors. Adressez votre réponse ici. Elle me parviendra avant mon départ, et les lettres qui arriveraient après me seront soigneusement renvoyées.

J’ignore où notre amie est dans ce moment[25], où elle sera dans un mois. Je ne reçois rien d’elle depuis assez longtems. Son silence a commencé au moment où je m’attendais à recevoir des détails qu’elle m’avait annoncés sur sa position, sur laquelle elle ne pouvait encore former aucun jugement fixe. Je ne suis point sûr que mes lettres lui parviennent. Il est très possible que les siennes ne m’arrivent pas. Tout est obscur, noir, et sans terme.

Le travail me sort quelquefois de mon abattement, et c’est la seule chose qui me rende de la force. Dès que je ne puis pas travailler, toute force me quitte : et c’est ce qui m’arrive assez fréquemment. L’excès même dans lequel je cherche une distraction rend la durée de mon travail impossible. Je suis contraint de l’interrompre tous les cinq ou six jours, et l’absence de toute société dans cette ville où tout le monde vit pour travailler fait que le désœuvrement fatigue plus qu’il ne délasse. Cependant j’avance à grands pas, et j’ai appris à me regarder comme une machine souffrante, mais qui, tout en souffrant, se remonte. Je m’attends donc, et je me retrouve. Mais il ne reste de moi que mon livre. L’individuel est fini, et quand j’aurai achevé de dire ce que je crois noble et bon, je ne crois pas que je trouve autre chose à faire dans ce monde. Je suis loin au reste de toucher à ce moment. Les idées se multiplient, et leur nombre devient effrayant. Vous m’aiderez à ranger ce chaos et vous marquerez à la mer ses bornes.

Vous me dites que vous avez peur de perdre vos facultés et de tomber enfin dans la dégradation commune. Je vous en crois bien loin et je crois la chute impossible. Mais voulez-vous une recette sûre pour que la contagion ne vous gagne pas ? J’en ai fait usage et je continue à en faire usage depuis que ma vie changée m’a jeté au milieu de beaucoup de sociétés diverses, de petites villes de courtisans, et d’autres espèces de cette nature. Cette recette est de ne parler sur rien de ce qui tient à aucune des idées qu’on ne veut pas étouffer en soi. La conversation des gens médiocres souille ces idées sans qu’on s’en aperçoive. Cette conversation relâche comme les bains tièdes, et il n’y a de moyen de s’en garantir que de mettre à l’abri ce qu’on ne veut qui soit relâché. Je traverse donc la vie avec mon trésor d’idées que je crois bonnes et fières, sans qu’elles entrent jamais en contact. J’ajoute à cela d’y penser exprès en parlant d’autre chose. Cela ne donne pas beaucoup de suite à mes discours. Mais qu’importe ? Ils valent bien ceux qui les écoutent. J’ai quelquefois une sorte de satisfaction à porter ainsi en moi ce que personne ne peut atteindre, et quand je cause, je suis comme ce sorcier qui avait créé un fantôme contre lequel son ennemi se battait, et qui riait de la méprise. Je ne reparlerai du fond de moi-même, cher Prosper, que quand nous nous reverrons.

Il y a du vrai dans ce que vous dites du factice. Sans doute il y a toujours sous le factice du réel, qui met en mouvement ce factice. Mais je distingue pourtant entre deux classes d’êtres, et vous aussi, puisque vous convenez que les anciens étaient différens de nous. Que ce soit l’individualité qui crée le factice est parfaitement juste. Aussi les anciens sont-ils d’autant moins factices qu’ils sont moins individuels. Hésiode l’est plus qu’Homère. Aussi y a-t-il du factice dans Hésiode, tandis qu’il n’y en a point dans l’Iliade, ni dans l’Odyssée. On ne voit pas d’individualité dans Sophocle. C’est une grande et belle couleur nationale : ainsi tout est nature dans Sophocle. Euripide est tout individuel, mais tout est factice dans Euripide. Le factice vient donc, comme vous dites, de l’individuel oppose’ ; au général. C’est un but partiel qui n’est pas d’accord avec le grand but. C’est le mouvement de chaque vague qui tournoie en suivant le cours du fleuve. Cela est si vrai qu’un fleuve où toutes les petites vagues auraient un mouvement marqué à elles ne serait pas à beaucoup près si imposant, ne nous paraîtrait pas aussi naturel que celui dont la surface uniforme porterait toute notre attention sur son cours rapide. Voilà de la métaphysique en échange de la vôtre, cher Prosper, mais vous la comprendrez mieux que tous nos professeurs allemands.

A propos de professeur, il faut que je vous raconte un trait de désintéressement ou plutôt d’insouciance sur la fortune qui m’a fort frappé. Le célèbre Heyne[26], qui vient de mourir, il y a huit jours, après cinquante ans de travaux utiles et une très belle carrière, a cru toute la fortune de sa femme anéantie par des mesures financières qui viennent d’être prises ici. Il en a été assez affligé, parce que ces choses-là affligent toujours, et il son est plaint à ses connaissances. Tout d’un coup il s’est trouvé que sa femme n’avait pas un sol placé sur l’Etat, que tout son bien était ailleurs, et qu’elle ne perd rien, de sorte qu’il est prouvé que ce vieux savant ignorait jusqu’à la nature de sa fortune et n’en jugeait que par ouï-dire sans avoir jamais pris la peine de s’en informer. C’était un objet de 120 000 francs. Nos savans français sont plus avisés.

Adieu, cher Prosper. Si je m’en croyais, je causerais encore, car je ne vois jamais de raison de finir avec vous ni de commencer avec les autres. Mais il y a un terme à tout. Je vous embrasse et vous prie de me répondre bientôt.


XXXII


Göttingue, août 1812.

J’ai voulu attendre pour vous répondre, cher Prosper, que je susse quelque chose de mon retour et de notre réunion, sur laquelle vous me montrez des doutes, qu’heureusement je ne partage pas. Il est certain que, depuis que j’ai mis toute ma vie dans un ouvrage, dont les progrès sont pour moi une occupation animée, qui m’empêche de regarder ce qui se passe autour de moi, je supporte sans peine une demeure, où je suis privé d’ailleurs de tous les agrémens que j’avais l’habitude de croire nécessaires et même de ceux que vous supposez les remplacer. Car quand vous me parlez de la conversation d’hommes instruits, et plongés dans une existence idéale, on voit bien que vous ne connaissez pas Göttingue. Il y a de ces hommes sans doute, mais leur existence est tellement idéale, qu’ils ne la communiquent point. Ils ne causent jamais d’aucune idée. Quand ils se réunissent, ce qui est rare, c’est pour oublier tout ce qui les occupe, comme Malebranche montait à cheval sur un bâton. Ils ne parlent de rien : ce qu’ils appellent la société, c’est le silence dans le repos, ce qui la distingue de leur solitude, qui est le silence dans l’action. Malgré cela, comme je le disais tout à l’heure, il est certain que mon ouvrage, qui m’a mis dans la même catégorie qu’eux, en me donnant un objet de pensée dont je ne parle jamais, me fait supporter cette vie complètement solitaire et sans communication quelconque. Mais je n’en fixe pas moins dans ma tête une époque où elle finira, et où je retrouverai le petit, très petit nombre d’hommes avec lesquels la parole est encore possible. Or vous savez que vous êtes au premier rang de ces hommes, ou plutôt il n’en est aucun que je puisse placer à côté de vous. Ce n’est donc pas un simple projet que je forme, une rencontre agréable que j’aime à espérer vaguement, c’est une affaire importante pour moi que de vous revoir ; mais vous dire quand, à quelques mois près, est encore difficile. J’ai des affaires ici qui ne finissent point, et tant que ma véritable affaire ne sera pas finie, je ne presserai pas celles qui me servent de prétexte raisonnable, sans lequel je n’aurai pas, avec mon caractère, la fermeté de rester ici. Car d’après ce que je vous dis de Göttingue, vous sentez que pour une femme c’est un insupportable séjour, et je ne pourrais condamner la mienne à cet ennui s’il ne s’agissait pas d’une grande partie de sa fortune. De toutes manières, mon établissement dans les environs ne passera pas cet hiver. Il est même déjà convenu que nous partirons cet automne. Mais je compte sur nos débiteurs, et dans ce genre ils ne m’ont pas encore manqué. Il y a donc une possibilité que je vous revoie vers le mois de novembre. Il y a une probabilité que ce ne sera qu’au mois de mars ou d’avril. Je ne ferai que traverser la Suisse. Il y a un château désert dont je ne pourrais supporter la vue ni même le voisinage. Quelques politesses à quelques parens et je partirai pour Paris, et, si vous êtes à Nantes[27], j’irai le plus tôt que je le pourrai à Nantes. Vous me paraissez préférer que nous nous voyions là, et je le préfère aussi de beaucoup. Nous serons plus libres, et nous causerons autant que nous pourrons le souhaiter.

Si je ne pars qu’au printems, je crois que je rapporterai tout mon Polythéisme achevé. Je l’ai cru fini plus d’une fois, et je me suis toujours aperçu qu’il ne l’était pas encore. Cependant pour tout autre il le serait. Mais je suis consciencieux dans les détails, et quelquefois un détail influe sur l’ensemble. J’ai eu surtout beaucoup à refaire au commencement. C’était toujours ce qui m’effrayait, parce que, commencé dans un sens assez différent, il tournait le des au but auquel la dernière partie allait. J’ai retourné cette partie de mon armée et tout marche ensemble. J’aurai fièrement à élaguer, car sur beaucoup d’objets j’ai tout recueilli pour avoir le choix. C’est surtout sous ce rapport que des conseils me seront utiles. Ah ! si notre amie...

Je ne fais pas entrer dans mes projets les événemens qui peuvent tout bouleverser, parce qu’ils ne se laissent ni calculer ni éviter. Il faut les attendre. Peut-être ne viendront-ils point Si j’avais cessé de travailler, lorsqu’il y avait dix à parier contre un que je n’achèverais pas, je serais encore à faire le tout. Je ne m’occupe donc en rien de ce qui ne dépend pas de moi, et jusqu’à présent je m’en trouve bien. L’incertitude sur la vie en elle-même est telle que les autres incertitudes qui peuvent s’y joindre n’y ajoutent guère.

Que dites-vous de l’Institut ? Il y a des gens qui ont l’air de s’affliger sérieusement de la déconsidération dans laquelle il tombe. Ils me paraissent presque aussi fous que ceux qui causent cette déconsidération en s’en emparant, ou même beaucoup plus, car enfin, tant que les déjeuners ne coûteront pas 1 500 livres de rente, il y aura gain à arriver à l’Institut par les déjeuners. La dégradation va vite du cœur aux extrémités. J’en ai le petit plaisir d’un prophète.

Je viens de lire un vieux ouvrage mythologique de Rabaut Saint-Étienne qui m’a amusé, en me reportant aux temps de la coterie encyclopédique. Ce sont des complimens à tous les confrères alors vivans qui tous sont morts aujourd’hui, de sorte que c’est la poussière flattant la poussière (quand nos vivans se flattent, c’est la boue flattant la boue), ce sont des complimens amenés de si loin qu’ils en sont comiques. Par exemple, il veut flatter Saint-Lambert, et, à propos d’une dissertation assez pédantesque sur le langage du peuple primitif, il dit en note : si l’on veut avoir une idée du langage harmonieux figuré de ce peuple, il faut lire, etc., et il cite seize ou vingt vers de boudoir tirés des Quatre parties du Jour. Voilà ce que j’appelle de l’érudition élégante.

Adieu, cher Prosper. Savez-vous, soit dit sans reproche, que vos lettres sont cruellement courtes. Quand je les reçois, et que je me réjouis de causer quelques instans avec vous, j’ai un vrai chagrin de ne trouver que quelques lignes. Ecrivez-moi pourtant, longuement, si vous pouvez, brièvement, s’il le faut, mais écrivez-moi.


XXXIII


Göttingen, ce 23 septembre (1812).

Le tems est sombre, les arbres perdent leurs feuilles, voilà donc l’été passé, tout aussi vite que s’il y avait du bonheur, du repos, de l’avenir. Je n’ai jamais autant senti la rapidité de la vie. Peut-être l’uniformité de la mienne y contribue-t-elle. Chaque jour se ressemble, chaque heure est aujourd’hui ce que la même heure était hier ; et le tems s’enfuit, sans qu’excepté par mon ouvrage qui avance, je puisse mettre une marque à aucun moment pour le distinguer de ceux qui l’ont précédé ou de ceux qui vont le suivre. J’ai une sorte d’ivresse de solitude, qui a un singulier effet sur mes idées. Je n’ai pas au monde un intérêt commun avec qui que ce soit. Je ne parle pas de l’intérieur, où les intérêts ne font qu’un quand ils existent. Mais comme je n’en ai point, je ne puis en partager, et j’empêche seulement, sans le vouloir, que ceux qui tiennent à moi n’en aient. Je ne m’occupe en rien de fortune, parce que ce que j’ai suffit, s’il me reste, et que je ne puis rien faire pour avoir plus de sûreté de le conserver. L’agitation que je vois au dehors pour des places et des avantages positifs m’est si étrangère que je commence à ne la plus comprendre. Le fracas des empires qui se choquent n’est qu’un bruit incommode. L’avenir, il n’y en a plus. Le présent est imperceptible. C’est ainsi, je suppose, qu’existeraient les ombres d’Homère, si son Elysée avait existé. Encore les guerriers y polissaient-ils leurs armes, et les chasseurs y couraient- ils après des ombres d’animaux. Je suis quelquefois effrayé de mon immobilité. Je ne souffre ni ne jouis, et je me tâte quelquefois pour savoir si je vis encore. J’ai l’air de vivre par politesse, comme j’ôte mon chapeau dans la rue aux gens qui me saluent et que je ne connais pas.

A quoi bon toute cette description ? Pourquoi charger la poste de ce néant, et pourquoi vous le faire lire ? C’est que j’espère revivre jusqu’à un certain point avec vous, cher Prosper, si nous sommes dans votre retraite. Nos souvenirs nous rendront une chaleur momentanée comme la flamme de votre cheminée colorera nos visages d’une couleur qui ne viendra pas de nous.

Vous me dites de bien belles choses sur ce que je sais et sur ce que vous ne savez pas, à ce que vous prétendez. Je sens trop que vos éloges ne sont pas fondés. Je tire un assez bon parti du peu que je sais ou que j’apprends. Mais je vois des lacunes énormes que je ne remplirai jamais, et je saute de l’une à l’autre comme les chasseurs de chamois. Pour bien faire mon livre, il faudrait dix années d’études, et les questions sont si nombreuses que pour les approfondir toutes, il faudrait tant de volumes que je ne trouverais pas de lecteurs. En trouverai-je même à présent ? C’est ce que je ne puis deviner. Croyez-vous qu’en France il y ait cent personnes qui lisent trois volumes, quoique ces trois volumes contiennent de quoi en faire soixante ? J’ai écrit, il y a six semaines, six pages à Hochet, qui m’avait fait des questions avec une aimable apparence de curiosité. Je ne suis pas sûr que ces six pages n’aient pas été beaucoup trop longues pour lui. Quand je vois la disposition universelle, je me demande où est l’espèce humaine que j’ai connue ou plutôt qu’on m’avait promise. Je ne retrouve pas trace de ce que j’imaginais constituer l’homme, et j’écris pour une race qui n’est plus ; car la postérité, à moins d’un déluge, vaudra moins encore que nous. Vous et une autre personne exceptés, je suis seul de ma nature sur cette terre bouleversée. Tant que cette autre personne vivra, je ne serai pourtant pas seul. Ma pensée se rattache à la sienne. Mes pages sont des lettres que je lui écris. Je sens ce qu’elle aimera à lire et je dis :


Sine me liber ibis in urbem.

Mes projets sont toujours ce que je vous ai mandé. Je tournerai, d’ici au mois de février, dans le rayon le plus voisin que je pourrai de la bibliothèque d’ici, et à cette époque je traverserai la Suisse et j’irai à Paris pour aller de là à Napoléon, qui est un but, pour moi, bien plus agréable. J’aurai fini l’ordonnance de mon Polythéisme, dont les distributions sont enfin dans un ordre qui me plaît et dans un ordre immuable. Vous jugerez si toutes les idées étrangères sont assez francisées pour se montrer parmi nos compatriotes. Je ne parle que de la forme : car le fond est intransmissible au public français. C’est de la rosée sur des pierres. La superficie est mouillée, le fond reste sec.

N’êtes-vous pas frappé de la différence qui existe entre notre nation et toutes les autres ? Je le suis toujours davantage : et les lettres qu’on publie achèvent de me confirmer dans cette impression. c’est surtout la forme qui est remarquable. Le fond est requis. Mais dans la forme il y a une certaine ignorance, avec une certaine légèreté, une grâce de convention, quelque chose de cavalier et en même tems un ton de garnison, une admiration pour la mécanique de la vie, pour l’abatage des forêts plus que pour les vieux chênes, pour les canaux et non pour les fleuves, un mépris pour la barbarie antérieure à la civilisation et une satisfaction de la postérieure : tout cet ensemble est unique, à moins que la Chine n’ait passé par là, ce qui est assez mon idée comme je crois la vôtre. Tout ce que je dis est embrouillé parce que j’écris à la hâte, et qu’aussi je ne trouve pas nécessaire d’être par trop clair.

Adieu, cher Prosper, depuis que ma lettre est commencée, je gèle. Le froid est survenu subitement. Il paraît que nous aurons un vilain automne après un infâme été. Je ne veux pas faire de feu, parce que les poêles sont trop chauds, de sorte que j’ai peine à remuer les doigts pour vous dire que je vous aime. Écrivez-moi toujours ici, quoique je ne sache où j’irai. On m’enverra vos lettres.


XXXIV


Göttingue, 7 avril (1813).

Je me hâte de répondre à votre lettre, cher Prosper, parce qu’on ne sait pas pendant combien de temps encore, si la moitié des bruits qui courent sont vrais, mes lettres pourront se transporter jusqu’à vous. Nous sommes déjà coupés d’une partie de l’Europe. Il y a des villes à trente lieues de nous dont nous ne pouvons avoir aucunes nouvelles, et Göttingue s’insularise chaque jour davantage. Des affaires et mon Polythéisme, et Villers m’y retiennent ; sans mes affaires, je n’aurais aucun motif raisonnable dans l’acception commune du mot, pour y rester ; sans mon Polythéisme, je n’y resterais pas, quelles que fussent mes affaires. Et sans Villers, je n’aurais pas la force d’y rester, même pour mon ouvrage, parce que sa conversation est le seul délassement que je puisse trouver ici. Mais cette triple combinaison me fait demeurer, quand bien des gens se sauvent. Il est vrai qu’ils mettent à eux un grand intérêt, et que je n’ai pas ce bonheur. Je ne puis guère craindre un avenir dont j’espère si peu : et les chances de la vie ne m’effrayent pas, parce que je n’en vois aucune de bonne. La seule chose pour laquelle j’aie et j’acquière chaque jour une invincible répugnance, c’est l’agitation. Je resterais, je crois, dans un hôpital de pestiférés, plutôt que d’en sortir en courant : et je vois sans inquiétude venir le moment où toute sortie d’ici sera impossible, parce que cela finira le bourdonnement d’irrésolution qui fait autour de mes oreilles un bruit monotone et fatigant. Mais après avoir pris la plume pour que ma lettre vous parvienne encore, je songe à ce que je mettrai dans cette lettre, et je ne le vois guère. Vous parler éternellement de mon ouvrage, m’ennuyerait plus que vous. Je ne pourrais vous en rien dire qui vous en donnât une idée moins vague que celle qui peut vous en être restée. Il faudra vous le lire, quand il sera fait, mais je me fatiguerais et vous fatiguerais en vain, si je voulais en traiter par lettre. Vous parler des affaires publiques, ne conviendrait ni à moi qui suis éloigné de tout ce qui y a rapport, ni à vous qui marchez à grands pas et brillamment dans la carrière administrative. Vous dire quelque chose sur notre amie, je le voudrais bien, mais je ne sais rien que de très vague. Toute communication est interrompue depuis longtemps, et la communication qui existait n’était point sans gêne. Sa situation extérieure est brillante, comme partout. Elle paraît heureuse, comme partout, à ceux qui ne la connaissent pas. Elle s’agite et souffre sûrement, comme partout et comme toujours. De tems en tems, à d’assez longs intervalles, je rêve d’elle et ces rêves mettent dans ma vie, pour plusieurs heures après que le réveil est venu, un mouvement inusité, comme quand nos soldats passaient auprès d’un grand feu, à Smolensk ou sur la Beresina. Du reste, ma vie est calme, assez douce quand je travaille, mais pesante et désorganisée quand je ne travaille pas. Le monde m’est étranger, je n’ai plus d’identité qu’avec quelques idées. Quand je les interromps et que la chaîne s’en brise, je ne suis plus qu’une poussière inquiète et souffrante.

Je viens de lire la correspondance d’Horace Walpole en anglais, non pas ses lettres à Mme du Deffant, mais à ses amis et sur Mme du Deffant, et sur la France. J’ai pris beaucoup meilleure opinion : il y a, dans sa conduite et dans ses lettres, de la droiture, de la noblesse et beaucoup d’esprit. Ses jugemens sur notre Révolution m’auraient bien scandalisé autrefois. Je les signerais aujourd’hui, ainsi que ceux sur notre nation en général. C’est une lecture toujours intéressante que celle d’une correspondance qui dure près de cinquante ans. On voit tant d’espérances qui n’ont pas de suite, sans que celui qui les avait conçues en soit plus malheureux, tant de projets dont les uns échouent sans que celui qui les avait formés s’en trouve plus mal, et dont les plus fâcheux d’ordinaire sont ceux qui réussissent, qu’on se calme sur soi-même, et qu’on finit par voir que le mieux est de gagner la fin de la vie sans trop de douleurs.

Adieu, cher Prosper. Je désire que ma lettre vous parvienne, et je vous supplie d’en risquer une en réponse, le plus tôt que vous pourrez. Nous ne disons rien qui ne puisse être lu par le monde entier et le moment de notre réunion devient trop incertain pour que vos lettres ne me soient pas nécessaires.

Au moment où je finis cette lettre, j’en reçois une de Hochet qui m’annonce les couches de Mme de Barante. Je vous en félicite de tout mon cœur. C’est un bonheur qu’une telle inquiétude de moins et parmi les chances de la vie, les relations de père et de fille sont peut-être l’une de celles qui promettent le plus de bonheur.


XXXV


(Paris, 1814.]

Mon cher Prosper,

Je suis tout honteux : une affaire qui m’a pris à sept heures du matin et qui a duré jusqu’à présent m’a non seulement fait oublier votre invitation, mais forcé tellement à parler, que je suis hors d’état de lire. Comme il n’est pas juste de vous avoir fait attendre pour rien, je vous envoie le roman[28] en vous priant de ne le communiquer à personne, c’est-à-dire de ne le mettre entre les mains de personne, mais seulement de le lire aux personnes à qui vous vouliez que je le lusse. Je vous demande de m’indiquer un moment où je puisse être présenté à Mme de Barante puisque j’en perds l’occasion ce matin.


XXXVI


Paris, 18 octobre 1830[29].

Vous êtes venu chez moi hier, mon cher Prosper. J’ai été désolé de ce qu’on ne vous a pas laissé entrer. Ma santé a été si mauvaise que je me suis souvent trouvé incapable de soutenir une heure de conversation. Je suis mieux à présent et peut-être ferai-je de nouveau un bail de deux ou trois ans avec la vie[30]. Il y a des choses assez curieuses pour qu’on veuille en voir, je ne dis pas la fin, mais la suite. Je ne sortirai pas encore de toute la semaine et ma porte sera toujours ouverte. Si donc vous avez un moment à perdre, causer avec vous me fera un plaisir extrême. Mille sincères amitiés.


BENJAMIN CONSTANT.

  1. Voyez la Revue du 15 juillet.
  2. M. de Barante venait de perdre deux de ses frères : Amable, mort le 10 mars à Saint-Cyr ; Charles, officier de chasseurs à cheval, tué le 8 mai, au passage de la Piave.
  3. M. de Barante composait les Mémoires de Mme de La Rochejaquelein.
  4. Le baron de Voghts, conseiller d’État du roi de Danemark, économiste dont les écrits traitaient surtout de questions de bienfaisance et d’assistance.
  5. Mathieu de Montmorency.
  6. Anselme de Barante, mal remis de ses terribles blessures d’EyIau, revenait de la campagne d’Espagne en fort médiocre état.
  7. Mme de Staël s’était mise en route, dans les premiers jours de mars, pour Chaumont-sur-Loire d’où elle comptait se rendre un peu plus tard en Amérique, puis en Angleterre.
  8. M. Benjamin Constant collaborait, ainsi que M. de Barante, à la Biographie Universelle éditée par Michaud frères.
  9. Jean-Claude de La Métherie, médecin, naturaliste et physicien (1743-1817), professeur-adjoint des Sciences naturelles au Collège de France.
  10. Genève, 1778.
  11. De l’Allemagne.
  12. Les éditeurs, de par le décret impérial 1810, devaient soumettre avant l’impression, chaque manuscrit à la censure. L’autorisation donnée, l’ouvrage n’était pas, pour cela, garanti contre l’interdiction, qui pouvait toujours être prononcée. L’éditeur de-Mme de Staël soumit à la censure l’œuvre qui lui avait été confiée, puis, sans attendre une décision que Mme de Staël et lui préjugeaient favorable, il en avait commencé la composition. Le 23 septembre, Mme de Staël corrigeait sa dernière épreuve, et, deux jours plus tard, avant tout avis de la censure, on apprenait que le magasin de Nicole venait d’être fermé par la police, et cinq mille exemplaires de l’Allemagne confisqués. Mme de Staël recevait, en même temps, l’ordre de quitter la France, dans les vingt-quatre heures, pour les États-Unis ou Coppet. La saison ne permettait point un départ pour l’Amérique, Mme de Staël dut rentrer à Coppet. Le manuscrit de l’Allemagne put échapper à la destruction prescrite. M. le baron de Corbigny, préfet du Loir-et-Cher, s’étant contenté d’une mauvaise copie, remise pendant que l’on déposait, en lieu sûr, le manuscrit, ce procédé courtois lui coûta sa préfecture.
  13. Le préfet du Léman avait reçu l’ordre de faire poser les scellés sur tous les papiers qui se trouveraient à Coppet, mais il s’était contenté d’une déclaration écrite de Mme de Staël, par laquelle elle s’engageait à ne faire imprimer ni publier, dans aucun pays du Continent, le livre De l’Allemagne. Ce dernier ménagement pour Mme de Staël entraîna tout de suite la révocation de M. de Barante, déjà suspect de par ses relations avec Coppet. Puis, d’autres griefs encore existaient contre lui : « MM. de Bassano et de Montalivet, écrit Prosper de Barante dans ses Souvenirs, me mirent au courant de ces griefs. L’administration de mon père était irréprochable, mais sans influence sur les Genevois ; ils ne devenaient pas Français, Genève restait un canton suisse et conservait les mêmes opinions, la même indépendance d’esprit et de conversation ; les exilés y recevaient un accueil sympathique : L’Empereur s’était, du reste, déjà plaint à mon père d’avoir laissé subsister un article du traité par lequel la République de Genève, en consentant à sa réunion avec la République Française, réservait à la municipalité de cette ville l’instruction publique, les institutions religieuses et de charité. Il lui avait répondu qu’il se croyait obligé de respecter les termes d’un traité consenti par le gouvernement français, et que, de plus, l’abolition de cette clause serait un surcroit de dépense. »
  14. Benjamin Constant était sur le point de se rendre en Allemagne, dans la famille de sa femme, au château de Hardenberg près de Göttingen.
  15. M. de Barante épousait Mme de Houdetot.
  16. Mme de Staël, à son retour d’Aix-les-Bains, apprit à Genève, par le préfet Capelle, que la frontière française lui était interdite et que Guillaume Schlegel devait quitter non-seulement Genève mais aussi Coppet situé sur le territoire suisse.
  17. C’était maintenant dans les amis qui venaient encore la voir à Coppet que le gouvernement impérial frappait Mme de Staël. Il internait Mathieu de Montmorency dans une ville du centre et envoyait Mme Récamier à Châlons-sur-Marne. Adrien de Montmorency, Elzéar de Sabran voyaient leurs lettres interceptées, et n’échappaient pas aux menaces. Coppet même devenait une prison. Tenter d’en sortir décidait une arrestation. Le préfet parlait déjà de placer un poste à la porte du château. Causer ainsi le malheur des plus courageux dévouemens fut la plus cruelle épreuve subie par Mme de Staël. Elle en manifestait un affreux désespoir.
  18. Le séjour forcé de Châlons-sur-Marne.
  19. Auguste de Staël, alors âgé de 21 ans, se montrait des plus attentifs pour Mme Récamier qui semblait fort goûter ces hommages, sans que son impeccabilité en fut toutefois ébranlée.
  20. Les lettres de la marquise du Deffand à Horace Walpole de 1766 à 1780 et à Voltaire de 1759 à 1775, venaient d’être publiées à Londres en 1810 par miss Berry
  21. Charles de Gontaut duc de Biron (1562-1602).
  22. Charles-Just, prince de Beauvau, maréchal de France, 1720-1793. Nommé membre de l’Académie française en 1771.
  23. Lettre à l’abbé Desfontaines sur une phrase, « la seconde » de cent quatre-vingts mots d’un discours de l’abbé Hardion, à la réception de M. de Mairan à l’Académie française, 1745. Paris.
  24. Le marquis de Lally-Tollendal.
  25. Mme de Staël s’était évadée de Coppet, le 23 mai 1812, pour se rendre à Vienne. L’espionnage, dont elle y fut bientôt l’objet, l’engagea à partir pour Moscou. Après avoir séjourné quelque temps à Saint-Pétersbourg, elle gagna Stockholm, puis arriva à Londres en juin 1813.
  26. Christian-Gottlob Heyne, philologue et archéologue allemand (1729-1812).
  27. M. de Barante donnait souvent rendez-vous à Nantes aux amis qui désiraient le rencontrer. Nantes était moins éloignée de Paris que Napoléon-Vendée, le voyage plus facile et les routes, surtout, bien meilleures. Il devait s’y installer officiellement quelques mois après ; le 12 mars 1813, M. de Barante fut nommé préfet de la Loire-Inférieure.
  28. Adolphe.
  29. De 1815 à 1830 les relations de M. de Barante avec M. Benjamin Constant étaient devenues beaucoup moins intimes. M. Constant s’était laissé accaparer par un groupe politique et social fort différent de celui où ils avaient vécu et pensé côte à côte sous l’Empire. Cependant, en dépit de toutes les aigreurs que ses nouvelles accointances avaient pu lui inspirer contre ses anciens amis, ceux-ci ne perdaient point le souvenir du Benjamin Constant d’autrefois et surent fort délicatement le lui témoigner au début du gouvernement de Juillet.
  30. Benjamin Constant mourut quelques jours après, le 10 décembre 1830.