Lettres de Fadette/Cinquième série/01

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Imprimé au « Devoir » (Cinquième sériep. 3-5).

I

Les âmes qui se fanent


Nous voudrions croire que ce n’est pas l’automne encore, mais que de fuites d’oiseaux et quelles plaintes dans le vent, le soir, quand les feuilles sont mordues par le froid !

Et sans le vouloir nous reprenons notre âme d’automne qu’alanguissent les ciels gris et les fins brouillards. Entre le regret des verdures lumineuses dans les coulées d’ombre verte et l’imprécise inquiétude qui accompagne tous les déplacements, nos âmes s’amollissent et caressent leur tristesse.

Défions-nous, il y a un danger, là.

Les femmes courageuses réagissent contre l’ambiance énervante : elles font de grands nettoyages de maison, elles reprennent contact avec la vie courante et renouent leurs relations mondaines et charitables. Peu à peu le regret de la liberté estivale, le souvenir des grands espaces et de l’air parfumé des bois et des grèves perdent leur vivacité, il n’en reste plus qu’un plaisir réconfortant et elles continuent leur vie réelle qui ne peut être ni un rêve ni un plaisir !

Celles-là sont les sages, il faut les envier et les imiter. Mais il y a les autres dont les âmes s’appesantissent au contact des premiers frôlements de l’automne, et qui, insouciantes, laissent tristement passer les journées vides et les soirées froides.

À celles-là je veux rappeler que les pauvres aussi voient avec angoisse revenir la mauvaise saison. Pour eux, c’est le froid des maisons mal closes et peu chauffées, c’est la faim et les maladies des petits peu vêtus et mal nourris. Ils ont peur et ils sont inquiets, non de l’inquiétude vague dans laquelle se complaisent les personnes inactives et rêveuses, mais d’une crainte poignante de la réalité déjà vécue et endurée, les années passées.

Pensons plus à eux et moins à nous ! Ils ne sont pas des personnages imaginaires, mais des êtres humains qui vivent près de nous privés du nécessaire et nous pouvons et nous devons les aider puisque nous avons plus que le nécessaire.

C’est très bien de nous joindre aux organisations charitables par lesquelles nous atteignons les malades, les sans abri, les enfants abandonnés ou souffrants, mais ô vous, qui vous ennuyez, faites un peu plus ! Toutes, nous devrions nous faire une clientèle de pauvres à nous, à qui nous offrirons plus que nos secours matériels. Nous leur donnerons un peu du sourire de notre joie, un peu du courage de notre force, un peu du Dieu de notre piété, nous leur donnerons enfin du meilleur de notre cœur qui consolera et éclairera leurs âmes délaissées et déçues.

J’ai reçu hier une lettre d’une lectrice inconnue de l’Ouest lointain : elle me demandait un mot aidant pour les âmes faibles, mal entourées et qui se «« fanent. »» Comme c’est trouvé cette expression ! On voit la fleur encore belle dont la tige molle s’abandonne, dont les pétales se froissent. C’est de l’eau pure à la racine qui va la redresser et lui rendre sa beauté. Mais dites-moi, quelle est l’eau vivifiante et forte qui ranime une âme de femme si ce n’est l’amour, le sentiment généreux et profond qui, s’accrochant au ciel, la tient debout sur la terre au milieu de ceux avec qui elle vit, de ses devoirs, de ses épreuves, de sa vie active et féconde ?

Non, les anges ne vous ont pas abandonnée et vous n’êtes pas seule regardant votre âme fragile et triste. Ce sont eux qui ont gardé votre rêve et qui vous chuchotent que les fleurs et les âmes négligées dépérissent ; ce sont eux qui vous disent que la vie est grande et qu’il ne faut pas la vivre mesquinement en reculant devant les devoirs difficiles, en partageant ce qui doit être donné tout entier à ceux qui y ont droit. Écoutez les anges, mon amie, et quand vous aurez rempli votre âme de leurs suggestions vous n’aurez plus de tristesse à la regarder !