Lettres de Fadette/Cinquième série/39

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Imprimé au « Devoir » (Cinquième sériep. 118-121).

XXXIX

Le petit brin de confiance


Septembre dévide trop rapidement son ruban de journées capricieuses aux ciels indécis où roulent des nuées d’orage sur des étendues bleues.

Les montagnes sont éblouissantes : toute la gamme du rose au rouge des érables se marie aux ors des ormes, aux bronzes des chênes, aux verts des épinettes et des sapins. Les arbres sont touffus comme en été et il n’y a que les grands vents pour leur arracher quelques feuilles.

Le jour, tout est lumière et splendeur, mais les soirées sont tristes malgré le nombre et la clarté des étoiles. Les montagnes se dressent sombres et tragiques au-dessus du petit lac profond et les feuilles, peureuses, frissonnent dans le vent, dont les longues plaintes montent et descendent lamentablement. Ce grand silence des soirs où, seul, le vent élève la voix, est très impressionnant. Dès neuf heures, la dernière lumière du village s’éteint ; vous avez l’impression de veiller seule dans la nuit et la tristesse douce, celle que vous aimez, veille avec vous ; elle est venue, chargée du souvenir de toutes les beautés que vous possédiez et qui vous ont été enlevées, comme les feuilles d’automne, dans toute leur grâce attachante.

Aimons le silence et la tristesse des soirs solitaires, ils sont bienfaisants pourvu que s’y mêle le "petit brin de confiance” dont parle si joliment Madame de Sévigné.

Ce joli brin de confiance, ne nous le laissons jamais enlever : gardons-le jusqu’au seuil de la porte qui s’ouvrira pour nous sur l’autre monde où tous nos espoirs seront réasisés.

Il faut nous en fleurir, afin que les autres, le voyant si vivant et robuste, même dans la tempête, même dans le frimas, nous demandent où, eux aussi, pourraient le cueillir. C’est en le leur expliquant que nous devenons pour eux une bénédiction. Ceux qui allaient se désespérer voient leur erreur, ceux qui s’absorbaient en des regrets stériles relèvent la tête et entendent les voix de la vie qui leur crient d’agir et de marcher courageusement.

Nous passons parfois près des pauvres êtres qui détournent la tête pour ne pas voir notre beau brin de confiance. Amers et méprisants : « Ils n’ont pas souffert, disent-ils, ceux qui continuent à espérer et à sourire, mais nous, nous que la vie accable, ne saurions que faire de cette chimérique confiance ! »

Ils sont les plus à plaindre, mais ils ne sont pas méprisables. Ils croient tout perdu, mais comme jamais rien n’est vraiment perdu, il faut, bien doucement, ramener l’espérance dans leur cœur, leur donner, presque malgré eux, notre brin de confiance, le leur épingler sur la poitrine, les aimer, leur rendre la vie un peu plus douce, afin qu’ils se reprennent à l’aimer, puisque quand même, il faut vivre !

Ayons tous confiance, non seulement dans la vie mais ayons confiance dans le mystère qui nous trouble et nous déconcerte. Comme ils sont inutiles nos éternels pourquoi auxquels rien ne répond ! Nous comprendrons plus tard… notre curiosité nous dispose à la révolte et c’est elle surtout qui nous rend malheureux.

Il est tellement plus simple d’accepter ce qui nous vient, sans amertume, sans récriminations, comme nous acceptons les variations de temps, avec la certitude que tout est bien, même ce qui nous fait mal et que des bénédictions miraculeuses sortiront de nos larmes.

Si nous pouvions croire profondément que « le palais et l’étable, le poêle du pauvre et le lit du malade, tout est situé sous le même ciel, purifié et gardé par la même Puissance infinie. »