Lettres de Fadette/Cinquième série/57

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Imprimé au « Devoir » (Cinquième sériep. 172-175).

LVII

Simplifier la vie


La difficulté croissante du service, la rareté des servantes et les salaires extravagants qu’elles demandent changeront certainement les conditions de la vie dans notre pays, puisqu’il n’y aura plus que les gens très riches qui se paieront le luxe de domestiques qui travaillent si peu et se font payer des rentes !

Et que feront les jeunes ménages qui s’embarquent dans le mariage avec une si belle audace ? Comment une petite femme délicate, qui élève des enfants, s’en tirera-t-elle à peu près sans aide ? Est-ce possible ?

Nous nous posions ces questions hier, et chacune d’y aller de sa petite solution. — Nous aurons moins d’enfants, dit l’une, par trop simpliste. — Nous vivrons dans notre cuisine et le salon sentira le moisi ! — Nous prendrons nos repas au restaurant. — Enfin, une jeune femme sensée proposa de simplifier notre vie. C’est court, cette phrase, et tout simple, c’est cependant moins facile qu’on ne croit de mettre cette règle en pratique.

Simplifier la vie, c’est retrancher les extravagances et les inutilités qui absorbent l’argent du mari et le temps de la femme sans utilité pour le bien de la famille. Pour arriver à voir en quoi, pour chaque famille, consiste cette simplification, il faut du jugement, de la bonne volonté, et l’entente parfaite de ceux qui consentent à essayer de ce système de simplification.

Au fond, il y a là une question d’éducation, de savoir-faire, l’utilisation intelligente et pratique des activités et du temps, et l’exercice des initiatives personnelles : pas de préjugés, pas d’esprit routinier : apprenons à économiser nos forces et notre temps.

Avec de la méthode, des heures strictement régulières, une activité bien entendue qui ne s’épuise pas sur des détails secondaires, une femme peut faire, sans fatigue, trois fois le travail de celle qui est désordre, agitée et incapable. Parmi les ennemis qui dévorent le temps, je mets au premier rang la mode. C’est un gouffre où sont jetées sans profits beaucoup d’argent et beaucoup de temps. Si tous les six mois, il ne fallait pas modifier robes, manteaux et chapeaux ; si l’on portait ses hardes aussi longtemps qu’elles sont propres et convenables, ce serait certainement un progrès et le triomphe du bon sens. C’était le système des anciennes et il valait mieux que le nôtre. Il ne faudrait qu’un peu de courage pour dédaigner la mode quand elle inspire des absurdités comme de transformer une jolie robe parce qu’elle n’est pas le tout dernier cri.

J’aime beaucoup une jolie maison installée avec confort et élégance, et il se trouve que cette élégance s’arrange très bien avec la simplicité : l’encombrement des bibelots et des objets inutiles est toujours laid, il nuit à l’harmonie et donne du travail. Essayez un peu d’enlever dans chaque pièce ce qui ne sert qu’à conserver la poussière, et vous aurez fait quelque chose pour l’embellissement de votre « chez vous » et pour la diminution du travail.

Ce qui trouble et triple la somme d’ouvrage dans une maison, ce sont les membres de la famille que l’on sert et qui ne rendent pas de services. Que chacun, autant que possible, évite aux autres le travail qu’il peut faire : habituons nos enfants à s’aider, à remettre à leur place les objets dont ils se servent. Que le mari ait moins recours à sa femme pour ce qu’il peut faire lui-même. C’est sans réflexion qu’il lui impose tant de pas inutiles et de petites fatigues qui comptent lorsqu’on en fait l’addition.

Beaucoup de jeunes femmes de nos jours, animées d’excellentes intentions, s’occupent activement d’œuvres de charité qui nécessitent des sorties fréquentes et leur donnent parfois bien des soucis. Elles ont tort : qu’elles laissent ces œuvres à celles qui sont libres et qui n’élèvent pas des enfants. Elles dépensent au dehors des forces dont elles ont besoin à la maison, et nécessairement le gouvernement de leur maison souffre de leur absence et de leur énervement dû à la fatigue.

Pour le moment, leurs devoirs bien compris et bien exécutés suffisent à remplir leur vie. Si elles ont des loisirs qu’elles se reposent, qu’elles se distraient, et qu’elles fassent bénéficier leur mari de leurs heures de liberté.