Lettres de Fadette/Deuxième série/01

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I

S’aimer soi-même


On nous a dit et répété bien souvent que nous nous aimions trop et nous l’avons cru. C’est pourtant une grande erreur, et notre tort, c’est, au contraire, de ne pas nous aimer suffisamment et assez bien. Dans notre égoïsme nous aimons notre paresse, nos aises, nos idées fausses, ce qui n’est pas du tout nous aimer.

Et pourtant le commandement divin, « aimez votre prochain comme vous-même », nous fait une loi de cet amour de nous-mêmes et nous le comprenons si peu que nous ignorons totalement son absence en nous.

Ces réflexions me sont venues, hier, en voyant nombre de gorges délicates exposées aux rudesses d’un grand vent du nord.

S’aimer, n’est-ce pas se vouloir du bien, souhaiter pour soi toutes les perfections physiques et morales, travailler à acquérir celles qui nous manquent et à conserver celles que nous possédons ?

Or, qui a le souci réel de rendre parfaits, — au moins d’une perfection relative, — son corps et son âme ?

Les femmes, malgré leur incontestable vanité, gâtent leur beauté à plaisir : elles brûlent et teignent leurs cheveux, elles maquillent leur peau, elles ne soignent pas leurs mains, elles gaspillent leurs yeux, elles déforment leur taille, et, ce qui est plus grave, pour des satisfactions de paresse, de gourmandise et de vanité, elles compromettent sérieusement leur santé. La plupart seront surprises de constater que ce que j’écris est vrai, elles n’y ont jamais pensé !

Si dans l’ordre physique nous nous négligeons ainsi, que dire de l’insouciance phénoménale que nous apportons à l’embellissement de notre esprit et de notre âme ?

Si nous nous aimions, nous comprendrions que notre premier devoir est de donner toute notre valeur. Et comment, sinon en faisant disparaître nos tares et en développant nos qualités ?

C’est, hélas, le moindre de nos soucis : nous nous contentons de cacher les premières et de simuler les secondes et cela nous satisfait. Pour la plupart, paraître est tout : nous préférons un beau chapeau à une belle chevelure, et pourvu que nous ayons l’apparence des vertus prisées dans notre milieu, le fond de notre âme nous importe bien peu.

Pourquoi, si ce n’est que nous ne nous aimons pas ?

Quelle révolution morale s’accomplirait dans le monde, si, résolument, pratiquement, chacun de nous se mettait à s’aimer de la bonne manière, en se voulant parfait et en travaillant à le devenir physiquement, intellectuellement et moralement. C’est pour le coup que l’ennui serait banni de la terre, car nous serions très occupés ! Il n’y aurait plus de vies vides et stériles si nous savions bien nous aimer et aimer les autres de la même façon ! En nous efforçant d’acquérir sans cesse des beautés nouvelles, nous ne deviendrions, cependant, ni vaniteux ni suffisants, parce que nous nous sentirions toujours bien inférieurs à notre idéal.

Même au point de vue physique, l’aspiration à la vraie beauté tuerait la vanité… Quelle jolie femme, se comparant aux modèles de la statuaire grecque, ne deviendrait pas modeste ?

En attendant cette ère de perfectionnement que j’appelle de tous mes vœux, je supplie les jeunes imprudentes de veiller sur leur santé et de ne pas compromettre la solidité de leurs poumons par des décolletages imprudents pendant la mauvaise saison.