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Lettres de Fadette/Deuxième série/08

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Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 22-23).

VIII

Discrétion


« Ayant un secret à confier, mais là, un vrai grand secret, le diriez-vous à un homme plutôt qu’à une femme ? » — Je ne le dirais à personne, madame, c’est le seul moyen de le garder. Puisqu’il vient un moment, où vous qui avez tout intérêt à vous taire, éprouvez le vif désir de dire ce secret, assurez-vous bien que le confident ou la confidente auront la même tentation. Il est possible qu’ils y résistent, cela s’est vu ! Mais il est probable qu’ils parleront, avec injonction sévère de ne jamais souffler mot de votre secret. La promesse leur en sera faite, avec autant de sincérité qu’ils en avaient quand vous leur faisiez jurer d’être discrets, mais « la chair est faible » et ce deuxième confident en prendra un à son tour. Et voilà votre secret en route ! Il peut aller très loin et vous revenir par des chemins détournés, au moment où il vous suscitera bien des embarras. Et je ne parle pas des transformations qu’il aura subies !

Quant à comparer la discrétion des hommes à celle des femmes et à me prononcer en faveur des uns ou des autres, je ne voudrais pas le faire : les personnes très discrètes sont rares. J’ai ouï parler d’un homme qui avait fait sa fortune parce qu’il avait toujours su se taire à propos, et je connais une femme si discrète qu’elle s’applique à oublier les secrets qu’on lui confie afin d’échapper à la tentation d’en parler.

Cela prouverait qu’il y a, par-ci par-là, des êtres humains qui ne trahissent jamais la confiance qu’on leur témoigne : l’embarras, c’est qu’ils n’ont rien qui les distingue des autres. Si donc vous avez beaucoup à risquer, défiez-vous de toutes les confidences. Gardez vos propres secrets et n’exigez pas des autres une discrétion que vous pratiquez si difficilement.

Pour moi la discrétion va bien plus loin que de taire ce qu’on lui confie : elle ne révèle pas non plus ce qu’elle a deviné ou ce qu’elle a appris par hasard, et je crois vraiment que cette discrétion suppose trois jolies qualités : la bonté, la délicatesse et la finesse.

Les qualités morales, comme les forces physiques se tiennent ensemble et se font valoir ou se nuisent en s’accentuant les unes les autres. Certes, il serait injuste de prétendre que les bavards sont toujours méchants, et cependant, ils font tant de mal en parlant à tort et à travers, qu’ils sont plus souvent malfaisants que les vrais méchants qui n’essaient de nuire qu’à leurs ennemis.

La discrétion est rare, parce que, loin de la cultiver chez les enfants, on a le tort d’encourager le bavardage, le « rapportage » et la délation. On élève ainsi en serre chaude les commères, les médisants et les vils délateurs.