Lettres de Fadette/Deuxième série/26

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Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 67-69).

XXVI

Étoiles filantes


La soirée est douce et claire : des myriades d’étoiles se détachent sur le ciel, bleu malgré la nuit, et elles dansent à nos pieds sur les vagues frissonnantes de lumière du fleuve qui sommeille. Au loin on aperçoit le gros œil du phare qui s’ouvre et se ferme régulièrement, et tout près, trois yachts glissent et leurs voiles blanches ont des reploiements d’ailes.

Le silence nous enveloppe et nous pénètre, soudain, une étoile, en une longue fusée d’or, décrit un sillon lumineux, et paraît tomber dans l’eau, et la voix aiguë d’une fillette crie : « Oh ! l’étoile s’est décrochée ! l’as-tu vue, ma tante ? »

Une voix grave répond : « Ça, ma fille, c’est une étoile filante… quand on fait un souhait à leur passage, on l’obtient toujours ! »

La petite personne a-t-elle souhaité des poupées merveilleuses, et en rêvera-t-elle cette nuit ?

Il se peut, car nous qui sommes de très grandes personnes, nous attendons les yeux fixés sur le ciel, qu’une autre étoile file dans l’espace, et je suis sûre que chacun formule intérieurement le souhait « toujours exaucé », a dit la vieille dame !

Mais il ne tombe plus d’étoiles, et nous rêvons aux éblouissements éphémères, véritables étoiles filantes qui laissèrent dans nos vies des traînées lumineuses si tôt absorbées par le noir, le grand noir de la vie.

Mais, éternels enfants que nous sommes, après une étoile décrochée et disparue, nous en cherchions une autre, et les chimères vivantes remplaçaient les chimères mortes. Et rien ne nous corrigera… nous voulons oublier, si peu que ce soit, la vie plate et si lassante parfois !

Et alors nous berçons nos âmes fatiguées aux contes bleus, aux formes illusoires, aux émotions fugitives, et nous sommes heureux, si nous échappons quelquefois à la monotonie toujours prête à nous rouler dans ses plis sombres.

Est-ce un bien, est-ce un mal ? Qu’importe ! La louange ou le blâme ne serviraient de rien, car nous n’avons pas le choix. Nous sommes ainsi faits : avides de rêves et victimes faciles du mensonge.

Depuis la pauvre Ève chimérique et vaine, tous les humains ont été trompés par les apparences parce que la réalité ne leur suffisait pas.

Et les étoiles qui tombent en s’éteignant ne ressemblent-elles pas lamentablement aux âmes déçues qui s’engloutissent dans le néant de leurs rêves, quand la force qui les retenait fixées dans leur ciel les a soudainement et nonchalamment laissées tomber dans le vide !