Lettres de Fadette/Deuxième série/50

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Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 129-131).

L

« Je vous la souhaite bonne et heureuse »


Mes amis,

Je vous arrive aux dernières heures de l’année et je vous tends la main bien amicalement en vous souhaitant, à la canadienne, une bonne et heureuse année ! Mais vous êtes graves, moi aussi, et après notre poignée de mains, nous nous taisons. C’est que je vous ai souhaité l’impossible, croyez-vous ? Vous vous dites que l’année qui s’en va est triste et que l’autre sera peut-être plus triste encore ?

Oui, elle est triste, mais elle est belle aussi ! Il a tenu tant de désintéressement, de bravoure et d’héroïsme dans les jours de ses derniers mois ! La France, qui semblait repliée sur elle-même, s’est levée dans l’épreuve : grande, lumineuse et forte, elle a repris sa place bien haut, bien haut au-dessus de toutes les autres nations ! Et en relevant la tête pour l’admirer et la vénérer, nous avons reçu d’elle une étincelle qui nous a rendus « plus bons » à notre tour.

Le souffle de charité qui a passé sur le Canada est admirable ! Les hommes, malgré les affaires diminuées et la pénurie d’argent, ont donné, donné sans se lasser, à toutes les mains tendues, et Dieu sait s’il y en a eu !

Dans les cœurs endormis, la bonté s’est éveillée, sortant de leur quiète existence les femmes dolentes, donnant du courage à d’autres qui se laissaient mourir de lassitude, secouant les frivoles et les extravagantes, prêtant aux grands cœurs dévoués la force nécessaire pour diriger la bonne volonté des autres, et les œuvres de secours ont surgi si nombreuses, si efficaces que nous pouvons en être fiers.

Non, l’année nouvelle ne sera pas plus triste que celle-ci. Sous ses voiles de deuil, elle laisse entrevoir l’Espérance, la confiance invincible dans la victoire, et nous ne devons pas nous laisser dominer par cette tentation de tristesse toujours destructive d’énergie.

Ne soyons pas tristes, mais soyons sérieux. Nous arrêtant entre ces deux années, dont l’une s’en va avec tant de notre vie, et l’autre arrive avec tant de mystère qui nous concerne, nous verrons plus clairement des vérités auxquelles nous ne pensons pas assez. Et l’une de ces vérités, c’est que nous gaspillons beaucoup de forces morales à regretter l’irréparable, à trop attendre de l’avenir ou à trop le redouter !

C’est une erreur : il y a mieux à faire. Aujourd’hui est devant nous avec ses nécessités, ses devoirs immédiats, notre monotone tâche quotidienne. Au lieu de nous y donner toute, nous vivons dans le passé ou nous rêvons autre chose dans l’avenir, et il ne reste pour le présent qu’un cœur partagé, une activité molle et un malaise général qui ne peuvent produire rien de bon.

Nous savons que nous faisons mal puisque nous nous disons : « Plus tard, j’organiserai autrement ma vie… »

Plus tard ! Quand ? Aujourd’hui est le « plus tard » de l’année dernière… Y avez-vous pensé ? Agir ainsi n’est pas vivre, c’est attendre pour vivre, et c’est bien imprudent, puisque nous ne savons rien… rien du temps qui est à nous.

Nous sommes fous, et c’est parce que nous ne réfléchissons pas assez… Profitons des heures graves de cette fin d’année pour mettre dans notre âme beaucoup de vie. Remplissons-la des vérités qui éclairent et qui fortifient, et donnons ensuite le surplus de notre vaillance et de notre sympathie aux pauvres êtres qui n’en peuvent plus, parce que leur cœur est transi et que leur âme est endormie !