Lettres de Fadette/Quatrième série/52

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Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 147-149).

LII

Commérages et Bavardages


Petite ville, grand village ou petit village, c’est tout un quand on les considère au point de vue commérages et bavardages.

Ceux qui, un peu à l’écart, peuvent suivre le chemin d’une parole et le roman d’une supposition sont surpris, malgré l’habitude qu’ils en ont, de tout le tapage qui peut s’élever à propos de rien et à propos de tout.

C’est que, dans les centres étroits, on attache une importance extrême aux petites choses, de telle sorte qu’un événement grave est moins discuté que les détails qui l’accompagnent ou en relèvent.

Les silencieux qui sont aussi les spectateurs, parmi toutes les histoires qui courent, bouillonnent et s’évaporent, peuvent se croire au cinéma : ils regardent, passer des instantanés dont la plupart sont insignifiants, mais il leur arrive de voir des tableaux typiques d’où ils peuvent tirer tout un petit bagage de philosophie utile.

Je ne crois pas qu’on bavarde beaucoup plus dans la petite ville que dans la grande, mais les histoires, au lieu de circuler dans des cercles restreints font le grand tour de l’endroit : elles entrent de porte en porte, et elles ressortent agrémentées de détails nouveaux. Elles subissent de telles transformations, que ceux qui les premiers les ont lancées à la volée, les reconnaissent à peine, quand, au cours de leurs évolutions, elles repassent devant leur porte.

Dans la grande ville, la vie individuelle est plus secrète, mieux protégée contre la curiosité… on ne sait pas toujours le nom de ses voisins, en ville. Dans la petite ville, chaque fenêtre a ses yeux grands ou vert-s sur les gestes, les démarches et les rencontres de tous et de chacun. Revenez-vous de l’église ? Qui est l’étanger qui entre chez vous ? Où votre domestique porte-t-il ce panier, et que peut-il bien contenir ? Etc., etc., etc.

La patience la mieux exercée cède quelquefois devant l’absurdité des suppositions et des commentaires de cette police cancanière.

La malice cependant n’est pas souvent le facteur principal de cette démangeaison de parler, et en face des résultats désastreux de leurs bavardages, certaines bonnes âmes sont désolées et protestent de l’innocence de leurs intentions, et je crois à leur sincérité qui égale leur inconséquence.

C’est un spectacle curieux de voir toute une population occupée du même petit scandale, du même accident, de la même histoire plaisante : dans les salons, les bureaux, les parloirs, les ateliers, les magasins vous tombez sur le sujet du jour que tout le monde raconte avec ses petits bouts d’allonge.

Après trente-six heures, il survient autre chose qui se discute avec la même effervescence. Et de janvier à décembre, les potins vivent et meurent mais rarement sans laisser de traces. On a connaissance de rares accalmies pendant lesquelles, hélas ! il ne se passe rien. Rien… on interroge, on regarde, on flaire, rien…

Imaginez de quel élan éperdu l’on se jette sur le premier indice d’une nouvelle possible. C’est pendant ces mortes-saisons, peut-être, que l’on combine les mariages : les vraisemblables deviennent probables dès qu’une personne d’imagination a accolé deux noms. Du probable au certain, il n’y a qu’un pas, vous savez, et de là à fixer la date de la bénédiction, un tout petit bond que l’on fait allègrement, à l’ahurissement des deux intéressés, qui ne peuvent que rire de l’invention sans pouvoir remercier l’inventeur qui s’appelle « tout le monde ». Chacun y a mis son mot, sa remarque, un clignement d’yeux, un sourire entendu, et les coupables sont insaisissables. C’est un peu ennuyeux, paraît-il, mais l’on s’y fait, comme à la poussière et à la pluie.