Lettres de Fadette/Troisième série/01

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Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 1-3).

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Une seule Lumière !


Dans le crépuscule blafard de janvier, la disparition subite du soleil sans chaleur laisse l’âme transie, nostalgique de lumière et de vie chaude !

Cette fin de jour dans l’ombre froide, c’est un peu un avertissement de fin de vie, et pour échapper à l’angoisse que le rappel de la mort fait naître, nos âmes chimériques se réfugient dans l’irréel de leurs rêves ou l’envolé de leurs souvenirs, et pendant que revivent en elle les joies perdues et que se tissent les bonheurs inaccessibles, le noir envahit tout, dehors, où le ciel est sans étoiles, et dedans, où l’on ne distingue plus rien… et quand, soudain, une main bienfaisante fait jaillir de la lumière, c’est avec une impression très complexe de regret et de soulagement que l’on revient des pays d’ombres.

Hier soir, quand une seule fleur de l’électrolier s’illumina, je pensai en voyant les autres éteintes au candélabre d’Isabelle d’Este.

Elle était une grande dame de la Renaissance, riche de tous les dons de l’esprit, de la beauté et de la fortune : entourée d’artistes, de poètes, d’admirateurs fervents, elle fit le tour des gloires humaines et des bonheurs fragiles pour revenir à la seule lumière divine, et le dernier emblème qu’elle adopta fut un candélabre à sept branches toutes éteintes, sauf une qui symbolisait la foi, avec cette inscription : « Unum sufficit in tenebris ».

Et cette lumière unique qui lui suffisait, ce n’était plus celle de Virgile ou de Pétrarque, ni celle de la poésie et des arts, ni même celle de l’amour humain, mais celle de la foi.

« Une seule lumière suffit dans les ténèbres »… Nous le croyons en théorie, mais nous ne vivons pas suivant cette croyance, de là tous nos essais d’éclairage artificiel…

C’est que nous passons dans la vie en regardant sans voir, en entendant sans comprendre : nous ne saisissons pas le sens de la vie, de ses épreuves, de ses joies, de ses amertumes et nous ne cherchons pas le pourquoi profond des volontés divines.

Notre âme taciturne et muette traverse, indolente, les manifestations providentielles faites pour l’éclairer et l’instruire. Hautaine et révoltée dans l’épreuve, elle questionne les desseins de Dieu ; ébranlée et inquiète, elle s’affaisse craintive devant ses menaces, et quand tout va bien, elle s’élance joyeuse, légère, se laisse vivre comme dans une fête, en ne pensant ni aux larmes d’hier ni à l’incertitude de demain.

Et la vie s’en va ainsi, et souvent l’ombre des soirs nous fait l’âme triste et les matins froids nous trouvent dolentes.

« À quoi bon vivre sa vie si on ne la comprend pas ? On se dresse hors du néant comme une montagne, comme un arbre, comme une fleur, où l’on passe entre ses bords comme une tempête ou un orage, mais l’on n’est pas une âme ! »

Toutes les vies pourtant ont un sens profond et une importance dont il faut prendre conscience pour en faire quelque chose de bon… mais je crois bien qu’une seule lumière nous le fera voir et c’est celle qui « suffit à éclairer les ténèbres ». Nous, que le mystère tourmente et si souvent tente, pourquoi n’allumerions-nous pas bien vite dans notre vie le flambeau merveilleux qui les éclairera tous… et ensuite nous attendrons avec douceur : on dit qu’après avoir cru sans voir, l’âme en vient presque à voir ce qu’elle a cru tant les voiles sont transparents.