Lettres de Fadette/Troisième série/37

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Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 101-103).

XXXVII

Mauvaise humeur féminine


Quand un homme témoigne de l’humeur, c’est qu’il en a et il la manifeste ouvertement. Personne ne le tire de son mutisme si c’est un boudeur ; personne n’échappe à ses boutades si c’est un grognon : il critique à tort et à travers, il gronde et tempête et il est franchement détestable avec tout le monde.

L’humeur d’une femme est chose plus compliquée, et elle ressemble aux statues qui rient d’un côté et pleurent de l’autre, car elle se choisit généralement une victime. Supposons une minute que ce soit son mari. Cela s’est déjà vu !

Sombre et maussade en sa présence, elle devient souriante dès qu’il s’éloigne. Pour lui les regards durs, les haussements d’épaules dédaigneux, les airs excédés les soupirs de victime… mais cette pauvre personne accablée se transforme dès qu’il disparaît : gaie, animée, charmante, elle a oublié tous ses maux !

Joue-t-elle donc la comédie ? Il faut bien avouer qu’il y en entre une bonne part, et c’est pourquoi la mauvaise humeur féminine ne m’inspire pas de sympathie. Cette mauvaise humeur n’est pas la suite du chagrin causé par un autre, mais de la rancune qu’elle en conserve et du dépit qu’elle veut lui en témoigner, ou bien, cette mauvaise humeur est tout simplement l’expression d’un vilain caractère.

Je ne cesse pas de m’étonner que la finesse d’une femme ne l’avertisse pas de la gaucherie d’un tel procédé. Croit-elle améliorer ainsi des relations déjà tendues ? Si son prestige diminue, pense-t-elle le rétablir en étant désagréable et revêche ? Ne suit-elle pas plutôt un instinct aveugle sans se demander à quoi il la mène ?

L’entêtement accompagne généralement la mauvaise humeur féminine et rien n’est plus curieux que d’en suivre le développement. Il s’exerce sur la première chose venue. Au hasard de la conversation, elle saisit une occasion de contredire et cela d’une façon péremptoire, absolue, qui, en un clin-d’œil devient agressive et irritante. Écoutez-la, vous ne lui trouverez ni bonne foi, ni bon sens : les raisons n’ont aucune prise sur elle, elle contredit sans s’occuper de vous blesser ; pour vous tenir tête, elle accumule les faussetés et les sottises, elle ne vous concède rien, et elle se résigne à être absurde plutôt que de céder d’une ligne. Si ce n’est pas une sotte, son irritation s’augmente de la confusion de se sentir ridicule et fausse.

Mettons que peu de femmes aillent aussi loin dans leurs entêtements, il n’en reste pas moins vrai que la disposition ordinaire de la femme de mauvaise humeur est de contredire, et aussi, qu’elle peut vous faire visage de bois à la maison et être charmante et gracieuse, cinq minutes après, avec des étrangers.

L’égalité d’humeur est une des très jolies qualités de la femme, et avec elle on trouve presque toujours la simplicité intelligente qui sait reconnaître ses torts et admettre avec indulgence les erreurs des autres.

Les discussions, surtout en famille, ont plus d’inconvénients que d’avantages. Elles ne servent ni à éclairer les autres, ni à s’améliorer soi-même : elles sont irritantes pour ceux qui discutent, fatigantes pour ceux qui écoutent. Alors s’il y a tant à gagner à nous taire, nous pourrions l’essayer plus souvent peut-être ?