Lettres de Jules Laforgue/005

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Lettres. — I (1881-1882)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome IVp. 23-24).
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V

À CHARLES EPHRUSSI

[Paris, 28 novembre 1881.]
Lundi 11 h. du soir.
Cher Monsieur Ephrussi,

Monsieur votre frère vous a sans doute dit, en vous transmettant mes adieux, que j’étais venu aujourd’hui vers midi 1/2. J’ai trouvé votre petit billet. Mais, comptant partir ce soir à 9 h., il m’était matériellement impossible de me trouver 77 rue d’Amsterdam à 3 h., chez Manet.

Et voilà que je n’ai pu partir ce soir à cause de retards. Mais je pars demain matin à 7 h, et j’arriverai le soir à 10 h.[1]. J’arriverai donc le mardi indiqué et tout est sauvé.

Je pars donc demain matin. C’est fini. Il me semble que ce chemin de fer va m’emporter dans un grand rêve. Le cœur me battra un peu. Mais, au fond, je me laisse aller ; car je crois que tout est écrit, que tout est marqué d’avance.

Il était écrit que je vous rencontrerais dans la vie ; il était écrit que j’irais à Coblentz ; et la façon dont je me tirerais de tout cela est écrite depuis l’éternité.

Je ne vous en serai pas moins reconnaissant toute ma vie de tout ce que vous avez fait pour moi.

Je vous serre la main, et je vous écrirai aussitôt arrivé.

Jules Laforgue.

  1. À Coblentz, où se trouvait alors l’impératrice et sa cour comme d’ordinaire à cette époque de l’année, avant de regagner Berlin pour les premiers jours de décembre.