Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Appendices/F

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Imprimerie nationale (p. 617-624).

Appendice F.



LES INTENDANTS DU COMMERCE.

§ 1er.

Il ne peut être question ici d’esquisser, même sommairement, l’histoire des Intendants du commerce au XVIIIe siècle. Il suffira de marquer ce qu’ils étaient en 1780 et de réunir, sur ceux dont Roland eut à dépendre le plus directement, les renseignements nécessaires.

Institués en 1708, supprimés en 1715, rétablis en 1724, les Intendants du commerce étaient, sous la direction du Contrôleur général des finances, « de véritables chefs de bureau des affaires commerciales »[1]. Depuis la retraite forcée et la mort de Trudaine de Montigny, c’est-à-dire depuis la suppression par Necker de la direction générale du commerce, leur rôle était devenu prépondérant. Un édit du 1er septembre 1777 avait prescrit qu’ils délibéreraient entre eux toutes les affaires et qu’ils s’assembleraient deux fois par semaine en Comité. Il n’y avait plus d’intermédiaire entre eux et le ministre[2]. Ils correspondaient directement avec les Intendants des provinces. Les inspecteurs des manufactures étaient placés sous leurs ordres.

Chacun d’eux avait, dans son département, un certain nombre de généralités, — et en outre, depuis 1744, la surveillance générale d’une des grandes branches de l’industrie française. C’est ainsi que nous voyons Roland, à Amiens, relever de l’Intendant Blondel qui avait la Picardie dans son ressort, et en même temps de l’Intendant Tolozan, parce que celui-ci était spécialement préposé aux « manufactures de bas et autres ouvrages de bonneterie » dans toute la France.

Les charges d’Intendants du commerce, d’abord créées à titre d’offices transmissibles, avaient été transformées, surtout depuis 1777, en commissions révocables. Mais, pour avoir été ramené à la condition de fonctionnaires, les Intendants du commerce n’en étaient pas moins, dans cette organisation de 1777 qui mettait toute l’administration entre leurs mains, singulièrement puissants. Choisis parmi les maîtres des requêtes, touchant 10,000 livres de gages, représentant le ministre, ayant leurs bureaux non pas au Contrôle général, mais dans leurs hôtels même[3], ils dirigeaient comme autant de petits ministères, n’ayant entre eux d’autre lien que les réunions bi-hebdomadaires de leur Comité.

Ils étaient tous à des degrés divers, selon leur tempérament, nettement protectionnistes et nullement disposés à continuer Trudaine et Turgot. Roland ne pouvait donc que leur déplaire non seulement par l’indépendance et l’âpreté de son caractère, mais aussi par sa doctrine et ses tendances.

En 1780, ils étaient au nombre de quatre, et leurs départements étaient établis de la manière suivante (Alm. royal de 1780, p. 202) :

MM. de Montaran, père et fils. — La généralité de Paris, à l’exception de la ville[4], le Roussillon, le Languedoc, la Provence, le Dauphiné, l’Auvergne, les généralités de Montauban et d’Auch, les manufactures de toiles et toileries ».

M. de Cotte. — Le Lyonnais, Forez et Beaujolais, la Bourgogne (duché et comté), la Bresse, les généralités de Limoges et de Tours, le Maine, le Poitou, les généralités de La Rochelle et de Bordeaux, les manufactures de soies.

M. de Tolozan. — La Normandie, la Bretagne, les généralités d’Orléans, de Bourges et de Moulins, les manufactures de bas et autres ouvrages de bonneterie, et la caisse du commerce.

M. Blondel. — La généralité de Soissons, la Picardie et l’Artois, la Flandre, le Hainaut, la Champagne, les Trois Évêchés, la Lorraine et l’Alsace, les papeteries et les tanneries.


§ 2.

Jacques-Marie-Jérôme Michau de Montaran (1701-1782) était Intendant du commerce depuis 1774 et se trouvait par conséquent le doyen du Comité. Il avait été un des adversaires les plus marquants de Gournay. Son fils lui avait été adjoint en 1757, avec survivance.

Jean-Jacques-Maurille Michau de Montaran (1735-17…), d’abord adjoint à son père, lui succéda en 1782. La correspondance des Roland nous le montre courtois et affable, mais aussi hostile que son père aux idées nouvelles. Un édit du 5 juin 1787 (ministère de Brienne) ayant ramené de quatre à une seule (qui fut confiée à Tolozan) les charges d’Intendant du commerce. Montaran cessa ses fonctions. Nous le retrouvons cependant Intendant du commerce en 1789, 1790 et 1791, et travaillant en cette qualité à assurer la subsistance de Paris durant ces années de crise, mais il semble que ce soit à titre d’adjoint à Tolozan (Alm. royal de 1790, p. 234, et Tuetey, I, III, passim). Un pamphlet de 1794, cité par M. Dauban (Les Prisons de Paris sous la Révolution, p. 459), nous apprend que, pendant la Terreur, il était détenu à la Force, et le représente comme « faisant du bien » autour de lui. Nous ne savons pas la date de sa mort.


§ 3.

Jules-François de Cotte (1721-…) avait succédé à Gournay en 1758. Il céda son office à M. de Colonia vers la fin de 1780.

Pierre-Joseph de Colonia (1746-…), successeur de M. de Cotte, ayant été nommé Intendant des finances à la fin de 1783, fut remplacé par

Jean-Baptiste Devin de Gallande (1745-…), nommé Intendant du commerce par commission du 10 jabvier 1784. Il resta en fonctions jusqu’à la suppression de son emploi par l’édit du 5 juin 1787.


§ 4.

M. Tolozan est, de tous les Intendants du commerce, celui dont le nom revient le plus souvent dans la correspondance. Roland dépendait de lui, non pas seulement, ainsi que nous venons de le dire, pour les industries lainières, considérables en Picardie, mais aussi parce que Tolozan, préposé à la Caisse du commerce et aux « commissions des inspecteurs », c’est-à-dire à leurs nominations, à leur avancement, etc. (voir lettres des 21 et 22 mai 1784), tenait véritablement son sort entre ses mains. Il semble d’ailleurs qu’il ait été, de tous les Intendants du commerce à cette époque, le plus capable et le plus homme de gouvernement. (C’est sous son autorité qui l’édit de 1787 concentra toute l’administration du commerce.) Les lettres de 1784 où Madame Roland raconte ses entrevues avec ce chef bourru, mais intelligent et bon, avec « l’ours », pour nous servir de son irrévérencieuse expression, nous laissent sur une impression de sympathie.

Les Tolozan étaient de Lyon, et Roland, lorsqu’il fut transféré dans cette généralité, se trouva en rapports avec le frère de son redoutable chef. Tolozan de Montfort, prévôt des marchands de Lyon. Ces circonstances nous autorisent donc à consacrer à cette famille une notice de quelque étendue.

Le chef de la famille, Antoine Tolozan, né près de Briançon vers 1687, était venu à Lyon « en sabots et avec une pièce de vingt-quatre sols dans sa poche »[5]. Il s’y était enrichi dans le négoce et était arrivé à la noblesse en achetant une charge de Secrétaire du Roi. Quand il mourut, le 19 décembre 1754, il était « écuyer et seigneur de Montfort ». C’est lui qui avait fait bâtir[6] les deux belles maisons qui portent encore aujourd’hui son nom, l’une vis-à-vis le port Saint-Clair, l’autre à la place du Plâtre.

Il eut cinq fils et une fille. La fille « avait épousé un épicier de Lyon, nommé Maindestre, qui demeurait quai Saint-Clair, dans la maison des Tolozan »[7].

Nous ne savons rien du premier et du troisième de ses fils.

Le quatrième, Louis Tolozan de Montfort, né le 29 juin 1726, mort à Oullins le 10 décembre 1811[8], négociant, chevalier, trésorier et receveur général des deniers communs de la ville de Lyon, est le dernier des prévôts des marchands (1785-1789) qu’ait eus cette grande cité[9]. En cette qualité, il était « commandant dans la ville de Lyon en l’absence du gouverneur, M. le duc de Villeroy » (Alm. de Lyon). Il était membre associé de l’Académie de Lyon (1785) et membre de la Société d’agriculture. Le pamphlet de 1790, — bien renseigné. — dit qu’il était devenu « le plus riche commerçant de Lyon. Sa vaste maison, sur le quai Saint-Clair, est qualifiée d’hôtel ». Le libelliste ajoute : « Sa fille a épousé le comte d’Ons-en-Bray… Elle fait la duchesse à Paris… ». Un peu plus loin, il nous apprend qu’elle s’appelait Clémentine de Tolozan, qu’elle habitait rue du Grand-Chantier, au Marais, dans l’hôtel qu’y possédait son père, et il reproduit sur elle une accusation grossière, tirée d’un autre pamphlet du temps, les Étrennes aux grisettes[10].

Le cinquième, Claude Tolozan d’Amarenthe, né le 15 juillet 1728, mort à Lyon en mars 1798, avait été conseiller-rapporteur au tribunal des maréchaux de France, puis était devenu, en 1767, introducteur des ambassadeurs (Hippeau, Paris et Versailles, p. 36). Il avait formé à Paris un riche cabinet de tableaux dont le catalogue a été publié après sa mort. Il habitait aussi l’hôtel de la rue du Grand-Chantier.

Nous avons réservé pour la fin le second fils d’Antoine, l’Intendant du commerce Jean-François Tolozan. Né à Lyon, comme ses frères, baptisé le 1er août 1722, il fit dans cette ville le commencement de sa carrière, d’abord comme Avocat général en la Cour des monnaies (1746), puis, la même année, comme Avocat du Roi en la juridiction des douanes. Laborieux et instruit, il était membre de l’Académie de Lyon (1753). Mais ce théâtre restreint ne suffisait pas à son activité. Il se transporta à Paris et acheta, en 1765, une charge de maître des requêtes. Dans les Almanach royaux, il est appelé tantôt Tolozan, tantôt de Tolozan, mais il semble s’être assez peu soucié de s’anoblir il ne prit pas de nom de terre, comme avaient fait ses frères. Il fut nommé Intendant du commerce par commission, en décembre 1776, et c’est à lui que Necker confia, en 1777, après la mort de Trudaine, le dépôt des papiers qui se trouvaient dans les bureaux de cet administrateur, ce qui semble indiquer tout à la fois que Tolozan était un homme de confiance et qu’il n’était pas dans les errements de Trudaine. Necker lui attribua aussi la Caisse du commerce, ce qui lui assignait dans une certaine mesure un rôle prépondérant entre ses collègues.

En 1780, Tolozan succéda à M. de Cotte comme « rapporteur au tribunal des maréchaux de France », tribunal qui réglait les affaires de point d’honneur « entre les gentilshommes et gens faisant profession des armes », et le pamphlet de Dulaure dit à ce propos que « pour le caractériser et le distinguer de ses frères, on le qualifiait de Tolozan point (ou pas) d’honneur ». (Cf. Mémoires secrets, 21 décembre 1780, 5 avril 1782, 8 août 1783.) Mais les appréciations malveillantes de Dulaure sont contredites par d’autres contemporains (l’abbé Georgel, Mémoires, t. I, p. 533, cité par M. Eugène Lelong, — Nouveau dictionnaire historique de Chaudon et Delandine, 1804, article Tolozan, etc…).

La correspondance des Roland, nous montre les rapports complexes, souvent tendus, entre l’impérieux Intendant et l’indocile inspecteur.

Lorsque Brienne, par l’arrêté du 5 juin 1787, réunit en une seule les quatre Intendances du commerce intérieur, c’est à Tolozan que cette Intendance fut confiée, et M. Eugène Lelong fait remarquer avec raison qu’il eut dès lors « les attributions d’un véritable ministre du commerce ».

C’est en cette qualité qu’il eut à s’occuper, de 1789 à 1791 (avec son ancien collègue, M. de Montaran, qu’on lui avait donné comme adjoint), de l’approvisionnement de Paris en ces temps difficiles. La loi du 22 décembre 1789, sur l’organisation administrative, de la France, avait bien supprimé en principe les Intendants du commerce en même temps que tous les autres (Titre III, article 9), mais une disposition transitoire, d’ailleurs bien nécessaire, portant que « les commissaires départis, Intendants et subdélégués cesseront toutes fonctions aussitôt que les administrations de département seront entrées en fonctions », permettait à Tolozan de rester provisoirement à sa tâche (ce n’est guère qu’au milieu de 1790 que les Intendants de tout ordre disparurent en fait).

Tolozan, bien que supprimé en principe, dirigeait donc encore le service lorsque l’inspecteur de Lyon qui, lui, n’était pas encore supprimé (il ne le fut que par le décret du 27 septembre 1791), lui adressa la lettre suivante (ms. 6243, fol. 115), dont le ton montre assez que les temps sont changés, et que depuis le moment où Madame Roland écrivait à son mari, à propos de Tolozan (août 1787, lettre 277) : « File doux ; point de débats ! », une Révolution était survenue :

M. Tolozan, Intendant du Commerce.
Lyon, le 18 janvier 1790.

Monsieur, quel que soit le motif qui ait fait rendre au Conseil l’arrêt du 29 novembre dernier, qui ordonne l’exécution provisoire d’un tarif du prix des façons, etc… de la fabrique de Lyon, je crois ne pas devoir vous laisser ignorer qu’il n’avait pas été connu ici jusqu’à ces derniers jours qu’on vient de l’afficher ; qu’il porte le trouble dans la fabrique et qu’il tend à la combler de misère.

Beaucoup de fabricants ne faisaient travailler que pour occuper leurs ouvriers ; quelques-uns même entassaient la marchandise, faute de débouché. On avait trouvé si sage l’arrêt du 3 septembre 1786[11] ; il était conforme à tout ce qui se pratique dans tout le royaume, à la raison, à la justice ; on l’avait rendu à la suite d’une émeute ensanglantée et pour en éviter de semblables. Maintenant, on saisit le moment d’une misère affreuse, d’une rumeur non moins dangereuse, et l’on force la plus grande partie des fabricants à mettre bas un plus grand nombre de métiers encore.

Quand la loi du 16 octobre 1791, rendue pour application du décret du 27 septembre précédent, eut supprimé toute l’ancienne administration du commerce, Tolozan fut chargé par le ministre Delessart de la liquidation des affaires de cette administration, et dura ainsi près d’une année encore[12]. Cependant les événements allaient vite : le 23 mars 1792, Roland devenait ministre de l’Intérieur et avait ainsi sous ses ordres l’ancien chef qui l’avait tour à tour rabroué et protégé. Il le laissa en fonctions. Mais lorsque Roland fut redevenu ministre au 10 août, Tolozan offrit, le 17, sa démission, motivée par son âge (il avait 70 ans) et sa santé. Roland l’accepta le lendemain, et confia la suite de la liquidation au fidèle commis de Tolozan, Valioud-Dormenville, dont il n’avait jamais eu qu’à se louer. (Voir la correspondance de 1784.)

M. Eugène Lelong nous apprend que, « à la fin de juin 1793, Tolozan s’était retiré, par ordre du Comité de Sûreté générale, au Plessis-Picquet », et que « il y fut arrêté le 3 frimaire an ii (23 novembre 1793) et incarcéré dans la maison de Port-Libre, rue de la Bourbe ». D’autre part, une pièce du catalogue d’autographes de M. Noël Charavay (décembre 1900) « ordre de traduire à la Force le sieur Tolozan », émanant du Comité de Sûreté générale (signé de David, Lebas, etc…), est datée du 22 germinal an ii (11 avril 1794). Tolozan était-il réincarcéré après avoir été élargi ? ou bien s’agit-il d’un simple transfèrement ? ou enfin ce dernier ordre concerne-t-il un de ses frères, Tolozan d’Amaranthe ou Tolozan de Montfort ?

L’orage passé, Tolozan se retira à Lyon, sa ville natale, et y renoua des relations avec les survivants de l’ancienne bourgeoisie lyonnaise. Delandine, qui l’a connu, dit « qu’il jouit jusqu’à son dernier instant de toute la gaieté de son caractère et de toute la vigueur de son esprit ». C’est de Lyon que Tolozan s’adressa au ministre de l’Intérieur, le 23 thermidor an ix (11 août 1801), pour que sa pension de maître des requêtes lui fût payée sur le pied de 3,000 francs, et le Premier Consul renvoya la réclamation à son collègue Lebrun « pour me faire connaître ce que c’est que cet individu » (Eug. Lelong, Instructions). Il ne s’était pourtant écoulé que quatorze ans depuis cette année 1787 où Tolozan était un des maîtres de l’administration française !

L’ancien Intendant mourut à Lyon le 25 septembre 1802[13]. « Il ne laissait qu’une fortune médiocre » (Dict. de Chaudon et Delandine).

Il avait publié divers écrits relatifs au commerce. Quérard (France littéraire) en signale deux, de 1786 et de 1789. Le Dictionnaire de Delandine en mentionne un autre : Observations sur la réforme de l’ordonnance de 1673 relative aux affaires de commerce, in-4o.

Antoine-Louis Blondel, né à Paris et baptisé le 25 février 1747, conseiller au Parlement en 1765 (à 18 ans !), maître des requêtes avec dispense d’âge en 1775, fut nommé Intendant du commerce par commission en 1776[14]. Il était donc le plus jeune des quatre Intendants, à l’époque où Madame Roland allait les solliciter. Il était aussi, pour elle, le plus habile et le moins sûr ; « le petit chat », c’est le terme qui revient à chaque instant dans la correspondance des Roland. « En 1786, dit M. Eugène Lelong, dont l’Introduction nous fournit toutes ces dates, il fut nommé Intendant des finances, mais continua néanmoins à servir comme Intendant du commerce jusqu’au mois de juin 1787 », c’est-à-dire jusqu’à la suppression de son emploi. « À la suppression des Intendants des finances, en 1791, il passa au ministère de l’Intérieur en qualité de chef de la sixième division, qui comprenait l’agriculture, le commerce et les manufactures. Il était en même temps vice-président du Bureau central de l’administration centrale du commerce, institué le 26 octobre 1791, sur sa proposition, par Delessart, ministre de l’Intérieur, pour remplacer le Bureau du commerce supprimé par le décret du 27 septembre précédent » (ibid. — Voir Alm. royal de 1792, p. 233). On voit que « le petit chat » savait retomber comme il convient. Mais là ne se bornait pas son ambition. En novembre 1790, quand M. de Saint-Priest, ministre de la Maison du Roi, devenu impopulaire, s’apprêtait à se retirer, Blondel visait sa succession, et Brissot dénonçait d’avance cette candidature : « On assure que M. Guignard [de Saint-Priest] quitte et résigne sa place à M. Blondel, Intendant sous le régime désastreux de Calonne, et son ami, et en outre créature de M. Guignard. Quels titres à la confiance du peuple ! Et peut-on gouverner sans confiance ! » (Patriote français du 29 novembre 1790). Et, le surlendemain (1 décembre) : « Deux nominations ont eu lieu, l’une de M. Blondel à la place de M. Guignard. L’opinion publique, prononcée avec force contre cet homme, la dénonciation qui en a été faite par M. Charles Lameth aux Jacobins, et qui sera sans doute répétée par tous les bons citoyens, semblent l’avoir suspendue, et paralysé cet agent de l’ancien despotisme… ».

Blondel ne fut pas ministre, mais resta ministrable. Le 17 juin 1792, quatre jours après que Louis XVI avait renvoyé Roland, Servan et Clavière et cherchait encore un successeur à ce dernier, un de ses anciens ministres, Tarbé, resté un de ses conseillers secrets, lui conseillait de s’adresser « à M. Blondel, ancien maître des requêtes… » (Tuetey, t. IV, no 701). Mais la proposition était déjà éventée, car, dès la veille (16 juin), le Patriote français disait : « On assure que le ministère des contributions publiques a été successivement offert à MM. Blondel, Vergennes, Burté et Gaudin, qui n’ont pas cru devoir l’accepter… ».

Blondel n’en restait pas moins chef de division au ministère de l’Intérieur, où, par un singulier retour des choses, il venait d’avoir eu pour chef, pendant trois mois, — du 23 mars au 13 juin 1792, — cet ancien inspecteur des manufactures qu’il avait jadis si peu ménagé. Mais le 16 août 1792, six jours après que Roland fut rentré en vainqueur au ministère, Blondel donna sa démission. Était-ce parce que son nom figurait, dans des papiers trouvés aux Tuileries, sur une note où la Reine avait inscrit « les gens de sa connaissance », c’est-à-dire les personnes de sa confiance (voir Moniteur du 17 août 1792) ? Il y a, à sa retraite comme à celle de Tolozan à la même date, une raison plus générale ; Roland, durant son premier ministère, n’avait pu remanier ses bureaux, choisir ses collaborateurs dans le parti patriote, attendu que les employés tenaient leurs commissions du Roi. Il avait donc dû les subir et s’en accommoder. Après le 10 août, au contraire, il se fit autoriser aussitôt par l’Assemblée législative à faire, dans son département, « tous les changements convenables ». (Voir l’Avertissement de l’année 1792, p. 405 de ce volume.) Refondant l’organisation du ministère, appelant à lui des « patriotes », il était amené, sans arrière-pensée de rancune personnelle, à se séparer d’hommes qui représentaient le passé. Il avait si peu de ressentiment contre Blondel, qu’il l’utilisa pour une mission patriotique, et, ce qui n’était pas sans courage, l’avoua publiquement pour un de ses agents. Le Moniteur du 18 novembre 1792 publia la lettre que voici :


Le ministère de l’Intérieur au rédacteur du « Moniteur ».

Je vous prie d’insérer dans le premier numéro de votre journal la note suivante :

Le citoyen Blondel est compris dans une liste des réfugiés à Londres, faite par Jean Pelletier et rapportée dans le Courrier des départements du 18 octobre dernier. La vérité est que le citoyen Blondel n’a pas quitté Paris depuis la Révolution jusqu’au 5 septembre dernier, qu’il a été chargé par le pouvoir exécutif d’aller en Angleterre, où il est encore aujourd’hui, pour y remplir une mission importante relative aux subsistances. — Roland.

Nous perdons ensuite Blondel de vue. M. Eugène Lelong conjecture, avec beaucoup de vraisemblance, qu’il n’est autre que ce Blondel (Antoine-Louis), résidant à Seurre (Côte-d’Or) depuis le 14 juillet 1793, à qui les officiers municipaux de cette ville délivrent, le 12 octobre 1793, un certificat de civisme, et qui fut arrêté au début de l’an ii.

  1. Eugène Lelong, Introduction à l’Inventaire analytique des procès-verbaux du Conseil de commerce et du Bureau du commerce (1700-1791), dressé par M. Pierre Bonnassieux et publié par les Archives nationales, Paris, Imprimerie nationale, 1900. Cette magistrale Introduction nous a été d’un précieux secours pour cet Appendice, M. François Dumas, professeur à la Faculté des Lettres de l’Université de Toulouse, auteur de travaux appréciés sur le commerce au XVIIIe siècle, nous a fourni d’autre part d’utiles indications.
  2. Nous négligeons forcément, dans ce résumé si succinct, quelques points accessoires, tels que les rapports des Intendants du commerce avec les commissions consultatives qui, sous le nom de Conseil de commerce et de Bureau du commerce, fonctionnèrent, tantôt successivement, tantôt simultanément, auprès de l’administration centrale.
  3. C’est pour cela que nous voyons Madame Roland, dans ses sollicitations de 1784, courir de la rue de Varennes, chez M. Blondel, à la rue du Grand-Chantier, au Marais, chez M. Tolozan, etc… — Les Intendants allaient bien travailler avec le Contrôleur général, soit à Versailles, soit à l’hôtel Pontchartrain, rue Neuve-des-Petits-Champs, mais ils avaient leurs bureaux chez eux et y donnaient leurs audiences.
  4. Le lieutenant général de police remplissait, pour Paris, en ce qui concerne le commerce et les manufactures, le rôle d’un Intendant du commerce.
  5. Liste des noms des ci-devant ducs, marquis, comtes, barons, … demi-seigneurs et anoblis, Paris, chez Garnéry, l’an second de la Liberté [1790]. n° xix . — Le pamphlet est de Dulaure (voir Biogr. Rabbe et Tuetey, t. II, no 1877). Cf. les détails donnés par M. Marcellin Boudet dans biographie de Dulaure.
  6. Catal. des Lyonnais dignes de mémoire.
  7. Pamphlet précité.
  8. Catal. des Lyonnais.
  9. Voir, sur son rôle à Lyon au début de la Révolution, où il défendit habilement l’ancien régime, le livre de M. Wahl, passim
  10. Ce pamphlet, hardi et cynique, qui fit du bruit en 1790, est attribué par M.  Tuetey (t. I, no 1353), — cf. t. II, Introduction, p. xiii) à Roch Marcandier, secrétaire de Camille Desmoulins.
  11. Il est possible que cet édit se rattachât aux négociations d’où sortit le traité de commerce avec l’Angleterre du 26 septembre 1786 ; Lyon a toujours été pour le libre-échange. Mais il doit, ainsi que Roland va le rappeler lui-même, se rapporter surtout à l’émeute du mois d’août 1786 (voir lettre de Madame Roland du 11 août).
  12. Le 29 janvier 1792, le Patriote français reprochait à Cahier de Gerville, ministre de l’Intérieur, « d’avoir invité M. de Tolozan à surseoir provisoirement à dater les lettres de son département de l’an iv de la Liberté ».
  13. Dict. de Chaudon et Delandine. — La Biographie de Leipzig, qui reproduit ce dictionnaire, dit 15 septembre. – Catal. des Lyonnais etc… — Dumas, Hist. de l’Acad. de Lyon, t. I, p. 287.
  14. Il était le fils d’une amie de Turgot, auquel Condorcet écrivait, peu après sa disgrâce : « J’ai été fort aise que M. Blondel ait eu une commission et qu’il ne perde rien à ce qui vous est arrivé  ». (Corresp. de Condorcet et de Turgot, publiée par M. Charles Henry, 1888, p. 285.)