Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Appendices/I

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Imprimerie nationale (p. 656-661).

Appendice I.



FLESSELLES.

Il y avait à Amiens, au temps où Roland y fut inspecteur, un groupe de manufacturiers intelligents et hardis, avec lesquels il eut d’étroites relations d’affaires et d’amitié. L’inspecteur, toujours à la recherche de procédés industriels et de métiers nouveaux, trouvait en eux des praticiens prêts aux essais et aux entreprises que ces essais pouvaient suggérer.

Les principaux son Pierre Flesselles, Delamorlière et Martin.

Flesselles et Roland se lièrent dès l’arrivée de celui-ci à Amiens, en 1766[1].

En 1773, nous voyons Flesselles occupé à introduire une industrie nouvelle à Amiens : « L’apprêt anglais était inconnu en France en 1773, lorsque le sieur Price, anglais, apprêteur de Londres, l’apporta à Amiens, où il est encore le seul qui l’exerce ; et c’est, sans doute, le seul en France, si ce n’est le sieur Flesselles, son associé, en train de l’y exercer[2] ».

Voici, d’ailleurs, le long passage ou Roland rappelle les services rendus par Flesselles dans cette branche d’industrie :

… On voit, par ce relevé, qu’il s’est apprêté, dans cet atelier, plus de 20,000 pièces d’étoffes année commune : sur quoi il est à observer que l’apprêt anglais a donné lieu à la fabrication de toutes les Tamises, de tous les Durois, de tous les Sagatis et Malbourrougs, de tous les Châlons et Anacostes abandonnés depuis longtemps ; de beaucoup de Blicourts et de la plupart des Bazins à cotes, des Croisés, etc. ; qu’il a singulièrement concouru à soutenir les objets anciennement connus, même ceux qui n’ont été assujettis qu’à l’apprêt ordinaire, par la raison que cet apprêt-là, même dans cet atelier, se fait avec beaucoup plus de soins et de beaucoup meilleurs cartons qu’il ne se fait et ne peut se faire nulle part. Personne, d’ailleurs, n’est bien instruit en ce genre ; personne n’a de fourneaux, de plaques, de presses, de mécaniques à les ferrer, semblables à celle-ci.

Justice et vérité sont les premiers devoirs de l’homme ; il m’est doux de les remplir surtout lorsque ma reconnaissance, partagée avec le genre humain, ajoute encore à leurs charmes : c’est ce que me font éprouver ces âmes franches, ces hommes à cœurs ouverts qui me rendent sensibles et palpables les plus profonds secrets des Arts qu’ils cultivent, et qui me mettent à même d’en enrichir le public ; c’est dans l’abondance de ce sentiment, dont je suis encore pénétré, que j’écrivis la deuxième note de la première page de l’Art de préparer et d’imprimer les étoffes en laine, publié en 1780 ; note que je rapporterai ici avec d’autant plus de plaisir, qu’elle est, pour la même personne, également applicable à l’Art que je viens de décrire :

« M. Flesselles est celui qui en a le plus étendu la pratique (de l’impression des étoffes en laines). Cet artiste, plein de hardiesse, d’un zèle très actif et d’une confiance sans bornes dans les entreprises, est le seul peut-être qui mette autant et plus d’ardeur à répandre les connaissances utiles et à voir fleurir les Arts mêmes qu’il cultive, qu’à recueillir les justes fruits de ses infatigables travaux. C’est lui qui a rectifié et fixé mes idées sur les procédés de cet Art, et il en a confirmé l’instruction par tous les détails de pratique qu’il m’a mis à portée d’observer. »

On sait si je connais l’influence du commerce sur l’esprit, le caractère et les mœurs des hommes ; je renvoie ceux des lecteurs, qui pourraient l’ignorer, au mot Inspecteur des manufactures et du commerce dans ce Dictionnaire, où j’en donnerai quelques idées ; et je préviens que depuis quarante ans que j’observe les commerçants, depuis trente que, placé au point le plus favorable pour les bien voir, et d’où je les considère sous toutes les faces et dans tous leurs rapports, M. Flesselles, depuis dix-huit ans que je le connais, me présente l’exception la plus confiante, la plus complète, et à la fois la plus honorable, des très générales influences du commerce, aussi nuisibles, aussi destructives, plus dégradantes de l’homme moral, que ne le sont de l’homme physique celles de la peste[3].

Flesselles s’occupa ensuite, avec Martin, un autre manufacturier d’Amiens, son allié, d’introduire en France deux mécaniques à filer le coton, toutes deux d’importation anglaise : Roland collabora avec eux pour les construire et les perfectionner. Voici ce qu’il en dit, au tome II, p. 309-311, de son Dictionnaire :

Dans quelques endroits de cet ouvrage, notamment au traité de la filature, j’ai parlé de deux mécaniques à filer, toutes deux tirées d’Angleterre. L’une, dont j’ignore l’auteur, est en usage dans quelques manufactures à Elbeuf, à Abbeville et ailleurs. À Amiens, sur les dessins que j’en ai fournis, on vient de l’appliquer à la filature du coton. L’autre, de l’invention du sieur Arckright[4], admirée en Angleterre où on l’emploie avec le plus grand succès, est celle qui a été apportée en France par sieur Martin.

On est sur la voie de perfectionner la première, d’après des idées anglaises ; et ce sera encore à M. Martin qu’on devra de nous les avoir transmises. En attendant ces additions, soustractions, variations ou changements ingénieux et utiles, que d’autres peuvent également opérer, pour mettre à portée chacun de le faire, je crois devoir publier cette mécanique telle qu’elle est connue et mise en usage en France…

… L’autre mécanique dont j’ai parlé ci-devant, ou plutôt la suite des mécaniques pour carder le coton, le filer en gros, le filer en fin et le retordre ; celle de l’invention du sieur Arckright, qui a fait une révolution dans les fabriques d’Angleterre, qu’a apportée en France le sieur Martin, que j’ai annoncée et présentée à l’Administration, dont M. Vandermonde a fait le rapport ; mécanique bien désignée de son effet par le nom de filature perpétuelle, dont le fil, toujours parfaitement égal, peut être porté à la plus grande finesse et au degré de tors qu’on veut ; cette mécanique enfin, sur le rapport de gens instruits, a été jugée ce qu’elle est par l’Administration même. — Je ne saurais donner une idée plus positive de ce jugement qu’en transcrivant l’arrêt du conseil, revêtu de lettres patentes enregistrées, rendu en conséquence.


Extrait des Registres du Conseil d’État.

« Sur la requête présentée au Roi en son Conseil, par les sieurs Martin et Flesselles, contenant que les fabriques anglaises de bas, toile et velours de coton, ne doivent la supériorité qu’elles ont sur celles de France qu’à la perfection de la filature opérée par une machine que l’eau fait mouvoir ; que jusqu’à présent cette machine n’avait point été connue en France, et que ce n’est qu’à force de dépenses, de voyages, et même de dangers, que le sieur Martin est enfin parvenu à en découvrir le mécanisme, et d’en avoir les plans ; qu’il est en état d’en établir une pareille en France, et de la perfectionner tant pour la filature du coton que pour celle de la laine ; que cette machine présente des avantages précieux pour tout le royaume, en ce qu’elle tend à perfectionner la qualité des marchandises de manière à entrer en concurrence avec celles d’Angleterre et de l’Inde ; mais qu’il fallait, pour l’établir et l’entretenir, des dépenses au-dessus des facultés des sieurs Martin et Flesselles ; requéraient à ces causes les suppliants qu’il plût à Sa Majesté autoriser l’établissement d’une manufacture de filature continue, fabrique de mousseline, et autres étoffes de coton, sous le titre de Manufacture royale de Poix ; accorder aux suppliants pendant l’espace de douze ans le privilège exclusif pour la construction et l’usage de la machine qu’ils ont introduite en France, et qui a pour objet la filature continue du coton et de la laine, y compris les machines à préparer, carder en ruban, tirer, filer en gros, filer en fin, doubler et retordre en même temps ; ordonner qu’il leur soit payé, à titre de gratification sur les fonds à ce destinés, la somme de trente mille livres ; faire défense à tous particuliers de contrefaire et imiter pendant ledit temps de douze années ladite machine, sous peine de confiscation des machines et filatures, et de cinquante mille livres de dommages et intérêts au profit des suppliants ; ordonner que les engagements qui seront contractés entre lesdits entrepreneurs et leurs ouvriers seront exécutés selon leur forme et teneur ; accorder l’exemption de milice et de logement de gens de guerre aux entrepreneurs, au directeur, et aux quatre principaux ouvriers de ladite manufacture ; et que, sur l’arrêt à intervenir, toutes lettres à ce nécessaires seront expédiées ; vu ladite requête, ouï le rapport du sieur de Calonne, conseiller ordinaire au Conseil royal, contrôleur général des finances. Le Roi, en son Conseil », etc.


Copie de l’arrêt accordé aux sieurs Flesselles, Martin et Lamy, le 18 mai 1784.

Sur la requête, etc., ouï le rapport, etc… Le Roi, en son Conseil, a autorisé et autorise l’établissement d’une manufacture de filature-fabrique de mousseline et autres étoffes en coton ; a accordé et accorde auxdits sieurs Flesselles, Martin et Lamy, pendant l’espace de douze années, un privilège exclusif pour construction et l’usage de la machine qu’ils ont introduite en France, et qui a pour objet la filature du coton et de la laine, y compris les machines à préparer, carder en ruban, tirer, filer en gros, filer en fin, doubler et retordre en même temps ; à la charge toutefois de ne pouvoir, en raison dudit privilège, inquiéter ni rechercher les établissements du même genre qui auraient été formés précédemment, si aucuns se trouvaient ; ordonne qu’il sera payé, à titre de gratification sur les fonds à ce destinés, une somme de 30,000 livres pendant lesdites cinq (sic) années, en cinq payements égaux d’année en année. Fait Sa Majesté défense à tous les particuliers de contrefaire ou imiter pendant ledit espace de douze années ladite machine, sous peine de confiscation des machines et filatures, et de telles autres peines qu’il appartiendra. Accorde aux entrepreneurs, au directeur et aux deux principaux ouvriers de ladite manufacture, l’exemption de milice et celle du logement de gens de guerre pour l’intérieur de l’établissement seulement ; et seront, si besoin est, sur le présent arrêt, toutes lettres expédiées. Fait au Conseil d’État du Roi, tenu à Versailles le 18 mai 1784. Collationné. Signé : Lemaître, avec parafe.

Les lettres patentes ont été obtenues, et sont passées au sceau le neuf juin 1784.

On comprend par là ce que Flesselles venait faire à Paris, en mars-mai 1784, lorsqu’il s’y trouva en même temps que Madame Roland : solliciter pour lui et ses deux associés Martin et Lamy, un privilège royal pour l’exploitation du Mull-Jenny.

Il réussit pleinement, puisqu’il obtint un privilège de douze ans et 30,000 livres de gratification. Seulement, la manufacture, au lieu d’être établie à Poix en Picardie, fut installée à l’Épine, près d’Arpajon, dans un autre domaine du commanditaire, le maréchal de Mouchy. Le passage suivant, écrit par Roland en 1788, donne à ce sujet d’intéressants détails (Dict., t. II, 137) ;

J’ai vu avec étonnement, dans l’ouvrage de M. Carra (intitulé M. de Calonne tout entier, etc. Bruxelles, 1788), une anecdote que je ne puis me dispenser de relever…

…M. Carra dit avoir procuré au gouvernement, en 1785, l’acquisition des fameuses machines anglaises à carder et filer le coton ; il observe qu’il s’était agité durant dix-huit mois pour cet objet ; qu’il avait fait vingt mémoires pour en faire comprendre l’importance au ministère ; que le traité d’acquisition fut fait en sa présence, le 19 octobre 1785, par M. de Calonne, avec les sieurs Miln qui en étaient les inventeurs

Roland, après avoir réfuté les assertions de Carra, ajoute :

Les fameuses mécaniques à carder et filer le coton, par milliers de fils à la fois, l’eau servant de moteur, ont été inventées en Angleterre, par le nommé Arckright, plus de vingt ans avant qu’il ne fût question des sieurs Miln en France. J’ai annoncé l’existence de ces mécaniques au mois de décembre 1782, et l’espoir que j’avais qu’elles nous seraient bientôt apportées en France. Elles le furent en effet, trois mois après, par le sieur Martin ; j’en pris alors connaissance, et je les adressai à l’Administration. Elles furent placées à Paris, où l’on en suivit à loisir toutes les expériences ; le savant M. de Vandermonde en fit le rapport ; et le gouvernement, parfaitement éclairé sur les avantages de leur établissement, et de l’avis de M. de Calonne, devenu contrôleur général, autorisa cet établissement, par un arrêt du Conseil du 18 mai 1784, et des lettres-patentes du 9 juin suivant. L’établissement qui, d’abord, avait dû se faire à Poix, a été formé dans une autre terre du maréchal de Noailles[5], à l’Épine, près d’Arpajon, où il se trouvait une plus grande chute d’eau et plus de facilité dans le local. C’est là qu’il fleurit ; c’est ainsi qu’il s’est élevé, avant les soins de M. Carra, les sollicitations des sieurs Miln et leur traite d’octobre 1786. Si l’arrêt du Conseil et les lettres patentes en conséquence ne prouvaient pas évidemment ce que j’avance, indépendamment de ce que j’en ai publié avant de connaître les prétentions de M. Carra, je citerais, pour garant, M. de Vandermonde, employé à l’examen de ces mécaniques et chargé d’en faire un nouveau rapport en 1783 ; je citerais M. le prince de Poix, qui alla les visiter dans un atelier où elles furent déposées, à Paris, porte Saint-Martin ; tous les Intendants du commerce de ce temps-là, qui allèrent également les voir, ainsi que le contrôleur général, M. de Calonne lui-même ; plusieurs Intendants de province, entre autres M. Bertier, M. d’Agay, M. de Flesselles ; divers conseillers d’État ; des savants, des machinistes, des ouvriers, des inspecteurs, etc…

Toute la Correspondance, aussi bien que ces pages écrites de 1784 à 1788, montre que les relations continuèrent entre Flesselles et RoUnd, même après que ce dernier eût quitté Amiens.

Le 30 septembre 1786, Roland, écrivant à Bosc (coll. Morrison, inédit), le charge de faire passer une lettre à « M. Flesselles, entrepreneur de manufactures, à Amiens ».

En juin 1786, Roland retourne à Amiens pour y voir Flesselles et Delamorlière (ms. 6240. fol. 256-261, lettre de Roland à sa femme).

En 1790, nous trouvons deux lettres de Roland à Bosc (15 mai et 29 août, inédites, coll. Morrison), le priant de faire passer à Flesselles, sous le couvert administratif de M. d’Eu, des billets, avec imprimés et échantillons. Les amis d’Amiens continuaient évidemment à contribuer au Dictionnaire.

La Révolution, à Amiens, fit passer le pouvoir municipal des négociants aux fabricants : Flesselles devint électeur, puis notable et administrateur de l’Hôtel-Dieu (Alm. hist. et géogr. du département de la Somme, 1792, p. 16, 69 et 80). Nous le verrons plus loin administrateur du département.

Il se servit alors de ses relations avec Lanthenas, qu’il avait dû connaître par les Roland, pour se faire soutenir par le Patriote français dans ses luttes contre ses adversaires politiques d’Amiens ; voir Patriote du 4 janvier 1792, article de Lanthenas sur lui : du 24 mars 1792, autre article de Lanthenas sur « P. Flesselles, citoyen d’Amiens », contre Chambosse, receveur du district de cette ville.

Le directoire et le conseil général de la Somme, ayant protesté contre les événements du 20 juin 1792, furent dissous par un décret de la Législative (17 août) et renouvelés par élection (25-28 septembre). Flesselles fit partie du nouveau directoire. Nul doute qu’il n’ait travaillé alors à faire élire Roland député de la Somme (on sait que celui-ci finit par ne pas accepter) et qu’il n’ait été en toute occasion un « Rolandiste » déclaré. Nous voyons du moins, à partir de ce moment et pendant toute la durée de la lutte, Amiens se prononcer pour Roland.

Le 24 novembre, une adresse des citoyens d’Amiens à la Convention exprimait leur confiance dans le ministre de l’Intérieur (Patriote français, du 1er décembre). À la séance de la Convention du 24 mars 1793, André Dumont dénonçait une autre adresse de la Société populaire d’Amiens, réclamant, en treize articles, la création d’une force départementale auprès de l’Assemblée, la poursuite des assassins de septembre, la destitution de la Commune de Paris, etc… en un mot tout le programme de Roland, et enfin le rappel de Roland an ministère. Enfin, après le 31 mai, les membres du Directoire, dans une séance du 10 juin, parurent s’associer à la protestation lancée par huit députés de la Somme contre l’attentat à la représentation nationale. Mais, dès le 14, la Convention, sur le rapport de Jeanbon-Saint-André, décréta leur suspension, leur arrestation et leur comparution à sa barre. Flesselles était du nombre. Devant la Convention, où ils comparurent le 19, leur vaillance ne se soutint pas. Puis le 27, ils vinrent faire amende honorable devant la redoutable Assemblée qui, prenant acte de leur soumission, les renvoya à leurs fonctions (P. V. C., 27 juin). Mais ce fut pour peu de temps : le 2 septembre, Dumont et Lebon, envoyés en mission dans la Somme, rendaient un arrêté par lequel ils dissolvaient l’administration départementale et ordonnaient contre Flesselles et six de ses collègues la destitution, l’arrestation, avec apposition des scellés sur leurs papiers. (Voir le texte de l’arrêté dans Darsy, Amiens et le département de la Somme pendant la Révolution, Amiens, 1878, p. 133.)

Flesselles se cacha d’abord pendant plus de deux mois, puis se livra, mais resta très peu de temps en prison : la liste des personnes emprisonnées à Amiens pendant la Terreur, qu’a publiée M. Daray[6], porte : « Pierre Flesselles, négociant à Amiens, ex-administrateur ; se constitue prisonnier à la Providence le 12 novembre 1793, pour obéir à un arrêté d’André Dumont et de Joseph Lebon, du 2 septembre. — Sorti le 21 ».

Nous le perdons ensuite de vue.

Nous avons, sur Delamorlière, un article des plus intéressants dans la Biographie des hommes célèbres, des savants, des artistes et des littérateurs du département de la Somme (Amiens, 1835-1838, 3 vol. in-8o). En voici un résumé :

Jean-Baptiste-Jacques Delamorlière, né à Amiens, le 11 novembre 1740, fils d’un teinturier. Il fit de bonnes études ; rentré à la maison paternelle à quinze ans (son père étant déjà mort et sa mère remariée), il alla ensuite parcourir, pour s’instruire, les principales villes du Midi. Ayant perdu son beau-père, il prit la direction de la teinturerie, « se livra à l’étude de la chimie, se mit en rapports avec des savants distingués, avec Roland de La Platière… Éclairé par la théorie et la pratique, il agrandit son état et la fortune couronna ses efforts… ».

La Biographie nous apprend, — ce que la Correspondance indique aussi, — qu’il était beau-frère de Flesselles (sans nous faire connaître lequel avait épousé la sœur de l’autre), et qu’il s’était associé à lui « pour l’importation des apprêts anglais qui firent faire un pas de plus à l’industrie d’Amiens… ».

Elle ajoute « qu’il mit des fonds dans l’entreprise fondée à l’Épine, près d’Arpajon, par Jacques-François Martin, son frère utérin, qui, le premier, importa en France les machines perfectionnées d’Arkwright pour la filature continue du coton tors par chaîne… ». (Ici, un renvoi aux passages du Dictionnaire de Roland, que nous avons déjà cités.)

Nous retrouvons le nom de Delamorlière en 1789, parmi les 83 citoyens dévoués qui se constituèrent, le 15 juin, en Société civique pour assurer la subsistance en grains de la ville d’Amiens jusqu’au 1er septembre suivant, c’est-à-dire jusqu’à ce que la récolte de l’année fût effectuée. (Darsy, op. cit., p. 87.)

En 1792, Delamorlière était devenu non seulement notable, comme son beau-frère Flesselles, mais officier municipal : il était, en outre, administrateur de l’hôpital et du bureau de charité ; il était même entré à l’Académie d’Amiens (c’est la première fois, croyons-nous, que cette compagnie aristocratique admettait un teinturier parmi ses membres). — Voir Alm. de la Somme, 1792, p. 69, 73, 80 et 102.

La Biographie parle « du courage héroïque que Delamorlière montra pendant la Révolution », et ajoute qu’il fut incarcéré sous la Terreur. Nous ne trouvons pas entendant son nom sur la liste de M. Darsy.

Il mourut le 25 novembre 1812, laissant dix enfants (sur vingt et un qu’il avait eus de deux mariages).

De Jacques-François Martin, nous ne savons rien de plus que ce qui vient d’être dit à propos de Flesselles et de Delamorlière.

  1. « Depuis dix-huit ans que je le connais », écrit Roland en 1784. (Dict. des manuf., t. I, p. 401)
  2. Ibid, p. 386. On voit, dans ce même endroit, que Price refusa d’ouvrir ses ateliers à Holker. (Cf. Appendice G., §2)
  3. Dict. des manuf., t. I, p. 401 et suiv.
  4. Sic. C’est Arkwright (1732-1792), l’inventeur du Mull-Jenny.
  5. Ou, pour parler exactement, du maréchal de Mouchy, c’est-à-dire de Philippe de Noailles, duc de Mouchy, maréchal de France (1715-1794). Il avait épousé la dernière héritière de la maison d’Arpajon. – Guillotiné le 27 juin 1794.
  6. Les doléances du peuple et les victimes, souvenirs de la Révolution en Picardie, Amiens, 1887, 1 vol. in-8o, p. 136 et suiv.