Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Appendices/R

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Imprimerie nationale (p. 753-766).

Appendice R.



BUZOT.

§ 1er

Nous n’avons ni à raconter la vie de Buzot, ni à retracer son rôle à la Constituante et à la Convention. Nous devons simplement chercher ce qu’il fut pour Madame Roland, à partir de quel moment, et aussi dans quelle mesure cet amour a dirigé l’intransigeant Girondin.

François-Nicolas-Léonard Buzot, né à Évreux, le 1er mars 1760[1], fils d’un procureur au bailliage, fut d’abord avocat dans sa ville natale. Marié, le 28 avril 1784, à sa cousine, Marie-Anne-Victoire Baudry[2] qui lui apporta une modeste aisance, probablement égale à la sienne, il ne songeait guère à un rôle politique lorsqu’il fut élu, le 27 mars 1789 député du Tiers du bailliage d’Évreux aux États généraux ; il commença par refuser « pour raison de santé » et n’accepta « qu’après beaucoup d’instances » (Vatel, II, 283).

Il emmena sa femme à Paris ; ils s’installèrent à l’hôtel Bouillon, quai Malaquais, 19[3].

Ses premières relations, à l’Assemblée, paraissent avoir été avec Pétion[4], qui, avocat à Chartres, avait sans doute déjà avec lui des rapports de voisinage et d’affaire. Pétion dut l’aboucher de bonne heure avec Brissot.

Timide et ardent, modeste et résolu, il se placa, dès la première heure, a l’extrême gauche de l’Assemblée. Aussi, malgré son remarquable talent oratoire, ne fut-il porté au bureau, comme secrétaire, que le 16 août 1790, après plus d’une année.


§ 2.

Les Roland arrivèrent à Paris et s’établirent à l’hôtel Britannique, rue Guénégaud, le 20 février 1791. Brissot leur amena ses amis, et le salon de Madame Roland devint bientôt le lien où l’on se réunit, quatre fois la semaine, après la séance de l’Assemblée et avant celle des Jacobins. Buzot dut y être introduit par Pétion. Toutefois ce n’est qu’au bout de deux mois, le 28 avril, que son nom se rencontre dans la Correspondance.

Ce nom apparaît ensuite bien des fois (lettres 432, 433, 435, 437, 439, 442, 457), surtout après la fuite de Varennes. Devant le péril commun, en présence d’une royauté qui s’effondrait et d’une Assemblée qui semblait reculer devant les conséquences de son œuvre, le petit groupe des députés de l’extrême gauche se resserrait de plus en plus, dans une communion d’appréhensions et d’audace. « Il n’y avait plus qu’un petit nombre d’hommes inébranlables qui osaient combattre pour les principes, et, sur la fin, il se réduisit presque à Buzot, Pétion et Robespierre » (Mém., I, 58). Ce nouveau triumvirat, pour appliquer à ces trois hommes l’expression chère à Madame Roland, avait été comme consacré par les électeurs parisiens, le 19 juin, lorsqu’ils constituèrent le Tribunal criminel du département[5]. Aussi les trois noms reviennent-ils ensemble, à chaque instant, sous la plume de Madame Roland.

Elle a bien marqué elle-même, dans ses Mémoires, écrits deux ans après et alors qu’elle aimait Buzot, la place qu’il occupait dès lors dans le groupe : « Pétion, Buzot, Robespierre faisaient le fond de ce petit comité, avec Brissot et Clavière…[6] » — « Je l’avais distingué, dans ce petit comité, par le grand sens de ses avis et cette manière bien prononcée qui appartient à l’homme juste[7]. » Elle écrivait déjà, le 28 avril 1791 : « le sage Buzot ». Pétion était trop vain. Robespierre trop personnel. C’est pour sa gravité et son désintéressement qu’elle distingua Buzot[8].


§ 3.

Les relations avaient pris d’ailleurs un caractère d’intimité entre les Roland et les Buzot. « Il ne logeait pas fort loin de nous[9]. Il avait une femme qui ne paraissait point à son niveau[10], mais qui était honnête, et nous nous vîmes fréquemment (Mém., I, 66). » — « Lors de l’Assemblée constituante, au temps de la révision [juillet-août 1791], j’étais un jour chez la femme de Buzot, lorsqu’il revint de l’Assemblée fort tard, amenant Pétion pour dîner » (Mém., I, 139.) Enfin, quand, après l’affaire du Champs-de-Mars, on craint que Robespierre ne soit arrêté, c’est chez Buzot, au milieu de la nuit, que Roland et sa femme vont demander conseil et appui pour le député d’Arras menacé. (Ibid, I, 65.)

Lorsque Madame Roland retourna en Beaujolais, elle écrivait de Villefranche, le lendemain de son arrivée, à son mari, demeuré pour quelques jours à Paris : « Je m’étais promis d’écrire à Mme  Buzot par ce même courrier, elle ne saurait imaginer ma sensibilité aux témoignages d’intérêt qu’elle a bien voulu me donner ; je l’ai quittée avec une sorte de précipitation, parce qu’il fallait s’arracher, mais jamais ce moment-là ne sortira de mon cœur. Dis-lui, ainsi qu’à son digne époux, combien ils nous sont chers : tu peux parler pour nous deux, puisque tu les aimes autant que je fais » (lettre 460, du 9 septembre 1791).

Évidemment, Madame Roland ne ressentait alors pour Buzot qu’une amitié confiante. Plus tard, quand ce sentiment aura changé de nature, elle se tiendra, vis-à-vis de la femme de son ami, dans une réserve que ce changement explique : « Je ne suis allée qu’une fois chez sa femme depuis leur arrivée à Paris pour la Convention » (Mém., I, 49.)

§ 4.

Tandis que Madame Roland rentrait en Beaujolais (8 septembre 1791). Buzot, de son côté, retournait à Évreux, le 21 octobre (Vatel, II, 330). L’Assemblée constituante n’était plus, et il avait préféré à ses fonctions de vice-président du tribunal criminel de Paris celles de président du tribunal criminel d’Évreux.

Il y demeura jusqu’au moment où, ayant été élu, le 2 septembre 1792, député de l’Eure à la Convention, il vint prêter serment et prendre séance (20 septembre). Il resta donc plus d’une année éloigné de Madame Roland. Quand à la revit, Roland était pour la seconde fois ministre de l’intérieur. Mais si par le fait même de cette séparation, la liaison n’avait pu changer encore de caractère, du moins une correspondance suivie l’avait-elle resserrée et fortifiée. « Nous restâmes, dit Madame Roland en parlant de cette période, en correspondance avec Buzot et Robespierre ; elle fut plus suivie avec le premier ; il régnait entre nous plus d’analogie, une plus grande base à l’amitié et un fond autrement riche pur l’entretenir… » (Mém., I, 66.) Qu’est devenue cette correspondance de 1791 à 1792 ? Nous dirons plus loin pour quelles raisons nous la croyons perdue à jamais. Mais il semble que nous puissions nous en faire une idée par les lettres à Bancal des Issarts : d’abord, un échange d’impressions sur les événements du jour, entremêlées aux nouvelles du ménage ; puis, en mars 1792, les lettres triomphantes annonçant l’entrée au ministère ; du 13 juin au 10 août, les ressentiments contre la Cour, enfin, en septembre, les cris d’indignation contre les massacres des prisons et la tyrannie de Paris (cf. lettres 494-499), l’appel aux nouveaux députés pour arriver promptement mettre à la raison la « folle Commune ». Un mot de Duroy est significatif. Duroy était du même département que Buzot ; en septembre 1792, ils venaient d’être élus ensemble à la Convention ; Buzot lui montra une de ces lettres, et Duroy s’en souvint le 13 juin 1793, dans la séance où Buzot fut décrété d’accusation : « L’incivisme manqué de Buzot, dit-il, date du 13 septembre [1792] ; à cette époque, il reçut une lettre de la femme Roland (on rit) ; il m’en donna lecture ; la femme Roland se plaignait de ce que la Commune révolutionnaire de Paris avait lancé un mandat d’arrêt contre le vertueux Roland… Elle exposait les dangers que courait son mari et disait que le seul moyen de le sauver était de le faire nommer député à la Convention. À partir de ce moment, Buzot s’était déclaré contre la ville de Pari… ». (Compte rendu du Moniteur du 15 juin.)


§ 5.

Duroy disait vrai. C’est le 21 septembre que la Convention tint sa première séance, et, dès le 24, Buzot demandait et faisait voter, à la presque unanimité, trois résolutions : l’une réclamant un rapport sur l’état de la République et de la capitale ; l’autre, un projet de loi contre les provocateurs au meurtre et à l’assassinat ; la troisième, un projet pour mettre à la disposition de l’Assemblée une force publique, prise dans les quatre-vingt-trois départements. Cinq jours après, dans la séance du 29 septembre, où l’on discuta si les ministres du Dix août seraient invités à rester en fonctions, Buzot se déclara ardemment en faveur de Roland : « Malgré les murmures, les calomnies, les mandats d’arrêt, je suis fier de le dire, Roland est mon ami, je le reconnais pour un homme de bien, tous les départements le reconnaissent comme moi… ».

Madame Roland, dans un passage de ses Mémoires (I, 66) que nous avons cité plus haut, en parlant de l’amitié établie entre Buzot et elle dès 1791, ajoutait : « Elle est devenue intime, inaltérable ; je dirai ailleurs comment elle relation s’est resserrée ». Elle a dû le dire, en effet, dans ces cahiers, aujourd’hui perdus, qu’elle écrivait en octobre 1793, sous le titre Dernier supplémnnt adressé nommément à Jany, et qu’elle appelait ses « Confessions » (lettres 550, 553). Mais déjà nous le voyons ici. C’est à Buzot évidemment, dès qu’il se jette ainsi dans la lutte, que va sa confiance. Déjà environnée par la tourmente, elle regarde autour d’elle, cherche ses amis de 1791. Robespierre ? Il est devenu un ennemi : « Nous sommes sous le couteau de Robespierre et de Marat » (à Bancal, 5 septembre 1792). Pétion ? Elle connaît sa légèreté vaniteuse et compromettante. Brissot ? Mais ce n’est pas lui, médiocre orateur, qui s’élancera à la tribune pour repousser les assauts de la Montagne. Les venimeuses attaques de Camille Desmoulins ont d’ailleurs bien entamé son autorité sur l’assemblée. Bancal des Issarts ? L’homme est on ordinaire[11], sans compter qu’elle a ses raisons, tout en lui gardant une franche amitié, de le tenir à distance. Buzot seul pense entièrement comme Roland et elle ; seul il combat pour eux avec un désintéressement absolu. Ainsi la confiance, l’admiration, la reconnaissance, tout l’enveloppe, tout pénètre rapidement son cœur. Dès le mois d’octobre, les combats intérieurs commencent ; nous le voyons par un de ces aveux indirects épars dans les Mémoires : « J’étais alors au mois d’octobre [1792], écrit-elle à propos d’un petit fait qu’elle vient de relater ; je n’ambitionnais que de conserver mon âme pure et de voir la gloire de mon mari intacte » . (II, 134.) Notons bien la nuance. Aimer Buzot, rester pure et servir la gloire de Roland, tout son programme est là. L’échafaud lui permit d’y rester fidèle.

Les billets écrits à Lanthenas dans les derniers mois de 1792[12] nous font entrevoir, par échappées, le douloureux drame. Nous avons déjà dit que Lanthenas, silencieusement épris de Madame Roland, mais sachant bien qu’il n’avait rien à attendre, n’avait pris ombrage ni de Bosc, ni de Bancal, pour des raisons très diverses. Mais, quand vint Buzot, la jalousie, exaspérée par une divergence politique très réelle, le rendit perspicace. Son tort fut alors de ne savoir ni comprendre, ni se résigner, ni se taire. De là, des explications irritées, de fiers aveux : «’Eussiez-vous mille fois raison, l’empire que j’ai reconnu est établi et je ne puis plus m’y soustraire… ». « Soyez tranquille sur le soin que je puis prendre de ma vertu : elle ne dépend ni de vous, ni de personne, pas plus que mon estime ne dépend de votre jugement, ni mes affections de votre volonté… », etc., etc.

À la veille de sa mort, le ressentiment de Madame Roland contre Lanthenas durait encore et se traduisait en jugements cruels : « Lanthenas, apparemment comme le vulgaire, content de ce qu’il a lorsque d’autres n’obtiennent pas davantage, s’aperçut que je ne demeurais point insensible, en devint malheureux et jaloux… Il s’éloigna, imaginant le pis[13]. Il prétendit se mettre contre le côté droit, dont il blâmait les passions[14], et le côte gauche, dont il ne pouvait approuver les excès… » (Mémoires, II, 247.)

Elle écrivait cela dans le courant d’octobre 1793[15]. Quelques jours après, elle dit encore, dans une lettre à Mentelle, en parlant de Lanthenas : « Ce sont des espèces d’avortons qui, ne sont pas faits pour les passions, qui ne sauraient en inspirer, mais qui deviennent capables de fureur et surtout de lâcheté à l’égard de ceux qu’ils croient être plus heureux » (Lettre 533.)

D’ailleurs, trop fière pour rien cacher, même à Roland, elle s’était expliquée avec lui en un entretien dont elle nous rend compte dans une page des Mémoires (II, 244), écrite vers la même époque :

« J’honore, je chéris mon mari comme une fille sensible adore un père vertueux à qui elle sacrifierait même son amour. Mais j’ai trouvé l’homme qui pouvait être cet amour, et, demeurant fidèle à mes devoirs, mon ingénuité n’a pas su cacher les sentiments que je leur soumettais. Mon mari excessivement sensible, et d’affection et d’amour-propres, n’a pu supporter la moindre altération dans son empire ; son imagination s’est noircie, sa jalousie m’a irrité ; le bonheur a fui loin de nous ; il m’adorait, je m’immolais à lui, et nous étions malheureux. »

À quel moment eut lieu cet étrange entretien ? Nous ne pouvons faire là-dessus que des conjectures (voir plus haut, p. 460). Ce qui nous parait probable, c’est que Roland, lorsqu’il quitta le ministère à la fin de janvier 1793, savait à quoi s’en tenir. Dans les billets qu’il écrivait à Bosc peu de jours après (voir ci-dessus, p. 680), parlant des menaces dont il était entouré, il ajoutait : « et c’est là le moindre de mes chagrins… ».

L’explication entre le mari et sa femme avait-elle été spontanée ou bien amenée par quelque indiscrétion de Lanthenas ? Il semble qu’il faille écarter cette dernière hypothèse. En février 1793 (voir plus haut, p. 704-705), Roland en est encore à ne pouvoir comprendre l’éloignement de son ancien ami ou à n’y voir d’autre cause que le dissentiment politique. Donc Lanthenas ne lui avait rien dit. Mais il avait été moins réservé avec d’autres, comme nous l’allons voir.

Si toutes ces déductions paraissent fondées, on arrive à la conclusion générale que voici : c’est dans les trois mois qui suivirent le jour on Buzot et Madame Roland se retrouvèrent après un an de séparation, c’est-à-dire entre la fin de septembre et la fin de décembre 1792[16], que leur amitié de 1791 se transforma en un amour ardent et stoïque, au-dessus des vulgaires défaillances. Autant nous ne voyons pas trace de ce sentiment en 1791, autant, à l’époque que nous marquons, tout nous montre qu’il a impétueusement surgi. « On vit ici dix ans en vingt-quatre heures », écrivait déjà Madame Roland dans les premiers mois de son retour à Paris (lettre 441), comme si elle prévoyait dès lors les orages qui allaient emporter le reste de sa vie.


§ 6.

Lanthenas, avons-nous dit, n’avait pas parlé à Roland. Mais il s’était plaint à d’autres, nous le savons par Madame Roland elle-même : il avait « manifesté son mécontentement à des tiers » (lettre 515). À qui ? probablement à ses deux amis intimes Bancal et Bosc. Entre les mains de ces deux hommes si honnêtes, si délicats, le secret était en sûreté. Aussi est-il curieux de voir combien les attaques des clubs et des journaux, déchaînés contre la femme du ministre, même après qu’il se fut retiré, portent à faux. Buzot avait été pourtant, entre tous les Girondins[17], un des hôtes les plus assidus de l’Hôtel du ministère ; plus que tous les autres, il avouait Roland et combattait à la tribune[18]. Et néammoins, quand on dénonce « le boudoir de Madame Roland », les dîners du ministère, l’influence exercée dans le parti droit de l’Assemblée et dans la presse par « la Pénélope du vieux Roland », le nom de Buzot n’apparaît que rarement et presque toujours d’une manière incidente. Le plus souvent c’est Louvet, c’est Gorsas, — les journalistes du parti droit, cible tout indiquée pour ceux du camp opposé, – c’est Brissot (!), — c’est Lanthenas, mais surtout c’est Barbaroux qu’on met en cause. Une seule fois, du moins à note connaissance, Hébert vise Buzot expressément[19]. Mais la note dominante, c’est ce même Hébert qui la donne dans un de ses plus odieux articles : « Que vais-je devenir, — fait-il dire, dans son numéro du 20 juin, à la prisonnière de l’Abbaye, — si mon cher Buzot, si l’ami Gorsas, si mon petit Louvet, si le favori de mon cœur, le divin Barbaroux, n’allument la guerre civile dans les départements ?[20] »

Ce n’étaient là que des insultes en l’air. Mais une indiscrétion plus grave avait été commise. Camille Desmoulins, mieux renseigné qu’Hébert, va nous l’apprendre :

Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1793, le Comité de défense générale de la Convention, ne pouvant plus douter de la trahison de Dumouriez, avait ordonné vingt-six arrestations parmi les amis et familiers du général, et, ému sans doute d’une accusation récente de Danton[21], avait prescrit l’apposition des scellés sur les papiers de Roland[22]. Les Girondins, alors aussi nombreux que les Montagnards dans le Comité, croyaient faire preuve par là d’impartialité. Quant aux Montagnards, ils espéraient certainement procurer ainsi des armes contre leurs adversaires. Camille Desmoulins le dit nettement dans sons son cruel pamphlet de l’Histoire des Brisontins[23] :

« Combien d’autres découvertes curieuses on eût fait dans la levée des scellés, si, lorsque nous avons arrêté leur apposition au Comité des Vingt-cinq, on n’eût pas vu s’écouler l’instant d’après une foule de députés[24] qui ont couru mettre l’alarme au logis, rue de La Harpe, de manière que M. et Madame Roland ont eu plus de six heures d’avance pour évacuer le secrétaire. »

On sait qu’on ne trouva, lorsque les scellés furent levés après le 7 avril, rien qui apprit autre chose que ce que tout le monde savait de reste, les rapports étroits de Roland avec Brissot et le parti de la Gironde. Ce n’était pas ce que certains espéraient, Camille Desmoulin en fait l’aveu :

« Jérôme Pétion disait confidemment à Danton, au sujet de cette apposition de scellés : « Ce qui attriste ce pauvre Roland, c’est qu’on y verra ses chagrins domestiques et combien le cocuage semblait amer au vieillard et altérait la sérénité de cette grande âme ». Nous n’avons point trouvé ces monuments de sa douleur…[25] ».

Ici tous les mots portent. Remplaçons les termes grossiers par d’autres plus séants, nous avons presque le passage, des Mémoires (II, 244) cité plus haut. Camille sait que Roland a des « chagrins domestiques », et il le sait par Danton, qui le tient de Pétion, auquel le vieillard s’était sans doute imprudemment confié. Et c’est dans les soucis patriotiques de cette nuit du 31 mars, où il siège Comité à côté de Danton, que Pétion livre à un adversaire les misères (probablement les confidences) d’un vieil ami ! Les confidences sont d’ailleurs restées incomplètes, car Camille ignore le nom de l’homme aimé et regrette de n’avoir pu le découvrir.

§ 7.

Durant ces mois d’avril et de mai, tandis que Buzot livrait, avec un courage sans espoir, ses derniers combats à l’Assemblée, et que Roland s’acharnait à demander à la Convention l’apurement de ses comptes, la vie devait être morne dans cet intérieur d’où avaient disparu (l’estime seule survivant) toute l’intimité, toute la confiance de treize années. Dans cette détresse morale, Roland et sa femme ne songeaient plus qu’à aller chercher au Clos la paix et l’oubli. Le 29 avril, Roland, sollicitant pour la sixième fois l’apurement de ses comptes, écrit au Président de la Convention (Mém., II, 405) : « Je supplie la Convention de me permettre, en attendant, d’aller respirer un air propre à me rétablir, et dans un lieu où je puisse vaquer à mes propres affaires, après m’être autant occupé des affaires publique… ». La lettre fut renvoyée, le 3 mai, au Comité de l’examen des comptes. Une septième, une huitième lettre restèrent également sans résultat. Alors Madame Roland se décida à partir seule, avec sa fille. Le passage des Mimoires où elle parle de ce projet (I, 6-7) est très significatif : « Je me préparais [à la fin de mai 1793] à faire viser à la municipalité des passeports au moyen desquels je devais me rendre avec ma fille à la campagne, où m’appelaient nos affaires domestiques, ma santé, et beaucoup de bonnes raisons. Je calculais, entre autres, combien il serait plus facile à Roland seul de se soustraire à la poursuite de ses ennemis, s’ils en venaient aux derniers excès, qu’il ne le serait à sa petite famille réunie, etc… ». Et ici, elle ajoute en note : » Ce n’était pas ma plus forte raison ; car, ennuyée du train des choses, je ne craignais rien pour moi… Mais une autre raison, que j’écrirai peut-êre un jour et qui est toute personnelle[26], me décidait au départ… ».

Bosc, en 1795, avait imprimé sans commentaires ce passage et cette note révélatrice. Champagneux, en 1800, ne pouvant supprimer la note, crut devoir l’expliquer, en termes qui ne pouvaient qu’éveiller un peu plus la curiosité des lecteurs : « Je connais le motif dont veut parler la Ce Roland. Elle me l’avait confié ; mais le temps de le publier n’est pas encore venu. La malveillance s’en emparerait : ce siècle est trop corrompu pour croire aux efforts de vertu dont la Ce Roland donna alors des preuves, d’autant plus faites pour être admirées qu’elles n’eurent aucune publicité et qu’elles se concentrèrent absolument dans l’intérieur de sa maison ».

Tout est bien clair aujourd’hui. Madame Roland voulait fuir celui qu’elle aimait.

Les passeports venaient de lui être délivrés par sa section et elle devait aller, le 31 mai, les faire viser à la municipalité, quand l’insurrection éclata. Le soir de ce jour-là, Roland, poursuivi par un mandat d’arrêt de la Commune insurrectionnelle, parvenait à s’échapper ; le lendemain matin, Madame Roland était écrouée à l’Abbaye. Quant à Buzot, décrété d’arrestation le 2 juin, il s’évada de Paris ce jour-là même pour se rendre à Évreux. Ils ne devaient plus se revoir.

§ 8.

Installée dans sa prison, Madame Roland commence ses Mémoires et, dès les premières pages, apparaît la double préoccupation qui l’obsède : « Je me reprochai presque d’être paisible, en songeant à l’inquiétude de ceux qui m’étaient attachés et, me représentant les angoisses de tel ou tel, je sentis un serrement de cœur inexprimable ». (I, 33.) Tel ou tel ? Buzot ou Roland ? L’un et l’autre, car son âme se partage entre eux.

Vers le 20 juin, elle savait que Roland était parvenu à Rouen, où il avait trouvé un asile chez ses vieilles amies, les demoiselles Malortie, et que Buzot, après être arrivé le 4 à Évreux, qu’il avait insurgé contre la Convention, en était reparti vers le 10, pour aller à Caen poursuivre le même dessein[27]. Le 22 juin, elle reçoit enfin deux lettres de lui, apportées par la bonne Mme  Goussard, femme d’un compatriote et ami de Brissot et de Pétion[28], et elle lui répond par la même intermédiaire. Voilà donc déjà une confidente du secret. Barbaroux, qui s’est évadé de Paris le 12, qui a rejoint le 15 Buzot à Caen, va aussi être un des dépositaires. Le jour même de son arrivée à Caen, il écrit à Perret pour s’informer de Madame Roland et ajoute : « Je te remets ci-joint une lettre que nous écrivons à cette estimable citoyenne ; je n’ai pas besoin de te dire que toi seul peu remplir cette importante commission… » On sent que la lettre a été écrite sous les yeus de Buzot, qui n’a pu rien cacher à son compagnon d’armes[29]. Pétion aussi, par les mains duquel passeront les lettres écrites de Caen par Buzot et Barbaroux, ne pourra rien ignorer[30], d’autant plus qu’il a déjà eu les confidences de Roland. De même pour Vallée, qui apporte à Sainte-Pélagie, le 5 juillet, deux lettres de Buzot (voir lettre 540), ainsi que pour Louvet, dont la femme, allant et venant de Paris à Caen, va servir à son tour d’intermédiaire pour la correspondance. Il y fait d’ailleurs, dans ses Mémoires (éd. Aulard, I, 220), une allusion bien directe : « Pauvre Buzot ! il emportait au fond du cœur des chagrins bien amers, que je connais seul, et que je ne dois jamais révéler ». Si on y ajoute Jérôme Letellier, l’ami d’Évreux auquel Buzot, avant de partir pour Caen, avait laissé ses papiers intimes, et le grave Champagneux auquel Madame Roland dut nécessairement se confier alors, puisque c’est par lui qu’elle travaillait à désarmer le ressentiment de Roland contre Buzot, — si l’on n’oublie d’ailleurs ni Bosc, ni Lanthenas, ni l’humble sœur Agathe (voir lettre 542), ni Mentelle, le dernier confident, on trouve au moins dix personnes qui surent le secret. Mais la fidélité des une était à toute épreuve, et la mort des autres, moins d’une année après, garantit leur silence. C’est ainsi que, durant plus de soixante-dix ans (1793-1864), la curiosité des historiens, entrevoyant, dans les aveux voilés des Mémoires, une « tardive et déchirante passion de cœur »[31] mais ne sachant pour qui, s’égara entre Servan[32], Bancal des Issarts, et surtout Barbaroux. C’est la publication des Lettres à Buzot, en 1864, qui vint enfin révéler le noble et touchant secret.

Pendant quinze jours, du 22 juin au 7 juillet, Madame Roland put ainsi, par l’intermédiaire de Mme Goussard et de sa sœur, correspondre avec Buzot. Mais, à cette date, la correspondance s’interrompt ; les intermédiaires disparaissent les uns après les autres ; Mme Goussard est allée rejoindre les Pétion en Normandie ; de Perret, dont les papiers ont été saisis le 12 juillet, est décrété d’arrestation le 14. D’ailleurs, le 13, jour où Charlotte Corday assassinait Marat, la défaite de Brécourt avait rejeté sur Caen Ire avant-gardes de la petite armée girondine, et toutes les communications étaient devenues impossibles. Vallée, enfin, est décrété d’arrestation le 30 juillet, Champagneux, le 4 août.


§ 14.

À ce moment-là, Buzot, à Caen, Roland, à Rouen, cherchaient, chacun de son côté, des moyens de faire évader la prisonnière. Déjà, dans sa lettre à de Perret du 15 juin, Barbaroux avait laissé entrevoir ce dessein. Roland, d’autre part, avait envoyé « de trente lieues » (probablement d’Amiens) « une personne » (Henriette Cannet) « qu’il avait chargée de tout tenter » pour cette entreprise. Nous n’avons pas à narrer ici par le détail ces projets d’évasion[33] ; il suffit de dire que Madame Roland les écarta tous. Elle ne voulait compromettre personne, et d’ailleurs elle prétendait continuer à servir la gloire de Roland en restant prisonnière. Mais sa raison la plus forte, qu’elle confesse et proclame dans ses lettres à Buzot, c’est que sa captivité lui procure, dans les combats qui déchiraient son âme, une liberté morale qu’elle n’avait pas trouvée ailleurs. Fuir ? mais où aller ? auprès de Buzot ? L’honneur le lui défendait. Près de Roland ? Elle aurait trop souffert. La prison lui permettait de penser à l’un en honorant l’autre. C’est la pensée qui la poursuivait depuis le mois d’octobre 1792 : « Conserver mon âme pure et voir la gloire de mon mari intacte ».

Buzot quitta Caen le 28 juillet avec ses compagnons d’infortune, pour se réfugier en Bretagne, aux environs de Quimper. C’est là qu’il reçut cette étrange lettre du 31 août, qui jette un jour si douloureux sur les souffrances morales qui dévoraient Roland dans sa retraite de Rouen, et qu’il faut commenter, pour la bien comprendre, par un important passage des Mémoires[34], et surtout par les confidences faites à Mentelle en octobre (lettre 551). Roland malade, vieilli, aigri, ne retrouvait d’énergie que pour écrire, lui aussi, des Mémoires où il se proposait de livrer Buzot « à l’exécration publique ! » La prisonnière, qui avait le moyen de correspondre secrètement avec lui, finit cependant par obtenir qu’il les jetât au feu. Si on se reporte à un curieux passage des Lettres d’Italie (t. VI, lettre 39) que Roland écrivait en 1777, on comprendra combien il était peu de son siècle sur l’article de la fidélité conjugale : « On pourra porter le désespoir dans le cœur d’un honnête homme !… On pourra lui arracher l’objet de son tendre culte, de ses adorations et de son amour pour ne semer qu’amertume et poison sur le reste de ses jours !… » Bien que Madame Roland eût le droit d’écrire, en s’adressant à Buzot dans ses Dernière pensées (Mém., t. II, p. 267) ; » Toi que la plus terrible des passions n’empêcha pas de respecter mes barrières de la vertu… », le vieillard n’en souffrait pas moins, même du sacrifice qu’on lui faisait si orgueilleusement : « Il m’adorait, je m’immolais à lui, et nous étions malheureux ».

Cependant Madame Roland, d’août à octobre, d’une plume infatigable, continuant, recommençant, complétant ses Mémoires », suivait par la pensée son ami fugitif, d’abord en Bretagne, puis, — après qu’il se fut embarqué (20 septembre) pour Bordeaux, — dans les campagnes de la Gironde, où il errait à l’aventure. Nous ne pouvons que renvoyer aux nombreux passages[35] où elle fait tantôt des allusions plus ou motus voilées à la passion tardive qui remplissait son âme, tantôt des aveux formels dans lesquels il ne manque que le nom de Buzot.

Elle savait longtemps espéré que Buzot se déciderait à passer aux États-Unis (voir lettre du 31 août). Lorsqu’elle sut, par Mme Louvet revenue à Paris après l’embarquement des proscrits, qu’ils avaient préféré courir les risques d’une dernière lutte, ses appréhensions furent grandes. Dans les journaux qui pénétraient dans sa prison, elle pouvait lire les lettres où les représentants en mission rendaient compte de leurs recherches actives pour mettre la main sur les fugitifs. C’est ainsi que, dans la séance de la Convention du 15 octobre, Barère avait lu une lettre d’Ysabeau, datée du 8, annonçant l’arrestation à Bordeaux de Duchastel, de Marchena, de Riouffe, et ajoutant : « Nous avons la preuve authentique que presque tous les députés fugitifs du Calvados et de la Vendée sont à Bordeaux ou dons les environ » (Moniteur du 16 octobre.) Le même jour, le Journal de Paris[36] insérait une lettre où on lisait : « Nous avons la certitude que Guadet, Pétion, Buzot, Louvet, Grangeneuve, Girey-Dupré, Félix Wimpfen et plusieurs autres conspirateurs sont encore en ce moment soit à Bordeaux, soit dans les environs ». Cette anxiété de la prisonnière perce dans un endroit de sa Réponse au rapport d’Amar (Mém., I, 312), et surtout dans sa dernière lettre à Bosc (lettre 555) : « J’ai cru que les fugitifs étaient aussi arrêtés… ». Aussitôt après l’exécution des Vingt-et-un (30 octobre), le procès de Madame Roland avait commencé. Le 1er et le 3 novembre, elle subissait deux interrogatoires, dont elle a elle-même écrit les compte rendu (Mém., I, 317-323), et dont le texte officiel a été publié, d’abord par Champagneux (III, 396-405) d’après la minute des Archives, puis, sur le texte de Champagneux, par M. Faugère (I, 406-415). Mais le texte de ces deux éditeurs n’est par partout conforme à celui des Archives[37] ; Champagneux a fait quelques modifications, dont une est à relever.

Le juge David avait fait une question perfide et outrageante :

« …Interrogée si, parmi les dénommés à nos précédents interrogats[38], il n’en est pas avec lesquels elle a eu des relations plus intimes et plus particulières qu’avec d’autres,

« À répondu que Roland et elles étaient liés, depuis l’Assemblée constituante, avec Brissot, Pétion et Buzot.

« Demandé itérativement à la répondante si, particulièrement et distinctement de Roland, son mari, elle n’a pas eu de relations particulières avec aucun des ci-devant dénommés.

« À répondu qu’elle les avait connus avec Roland, et par Roland, et, les connaissant, elle a eu pour eux le degré d’estime et d’attachement que chacun d’eux lui a paru mériter. »

Champagneux, pour faire disparaître l’insulte révélatrice, a imprimé « particulièrement et distinctement avec son mari », ce qui n’est pas le texte et n’a aucun sens.

C’est à des questions de ce genre que faisait allusion un de ses compagnons de captivité, Riouffe, lorsqu’il écrivait[39], en 1795, qu’on lui avait fait « des questions outrageantes pour son honneur ».

Nous croyons inutile de faire remarquer la fierté habile des réponses. L’accusée ne songe pas à désavouer Buzot ; mais elle lui adjoint Brissot et Pétion, en leur accordant à tous « le degré d’estime et d’attachement que chacun d’eux lui a paru mériter ».

Une circonstance du second interrogatoire doit être aussi relevée :

Interrogée de nous nommer les personnes qu’elle nous a dit, par sa réponse au précédent interrogat [sur la correspondance de de Perret avec les réfugiés du Calvados], être les amis d’elle et de de Perret.

« A dit que c’était particulièrement Barbaroux. »

Pour mesurer tout ce que la question avait de captieux et tout ce que la réponse a d’évasif, il faut rappeler qu’on venait de représenter à Madame Roland, parmi les pièces à charge, une lettre à elle adressée par de Perret, vers la fin de juin 1793 (voir ci-dessus, p. 489), où il y avait : « J’ai gardé plusieurs jours trois lettres que Bar… et Bu… m’avaient adressées pour vous ». Il fallait donc qu’à la question du juge elle répondit « Barbaroux » ou « Buzot ». Elle n’hésite pas : Barbaroux est celui des deux qui est le plus désigné par les documents saisis ; ses lettres du 13 et du 15 juin à de Perret sont là ; quoi quelle réponde, il n’en sera pas compromis davantage. C’est donc lui qu’elle nommera, au risque de donner corps à la calomnie, afin de pouvoir laisser dans l’ombre l’homme véritablement aimé.

Elle semble avoir réussi à détourner les soupçons sur Barbaroux. C’est lui surtout qui est visé dans le jugement du 8 novembre[40] qui envoya Madame Roland à l’échafaud.


§ 16.

On ne trouva rien, dans les dépouilles de Madame Roland, qui pût mettre sur la voie de son secret. Depuis plusieurs jours, elle avait fait remettre à Mentelle, avec ses derniers « cahiers » et ses derniers souvenirs, le portrait de Buzot, « this dear picture », qu’elle s’était fait apporter à Sainte-Pélagie[41].

C’est dans le souterrain de la maison Bouquey, à Saint-Émilion, où il vivait caché depuis un mois avec Louvet, Guadet, Pétion, Barbaroux, Salles et Valady, que Buzot apprit, le 13 novembre, au moment où les malheureux allaient se disperser de nouveau, la mort de son amie. Son désespoir fut extrême. Il en fut comme anéanti durant quelques jours[42]. « Elle n’est plus, — écrivait-il à son ami Letellier, à Évreux[43], — elle n’est plus, mon ami ! Les scélérats l’ont assassinée ! Jugez s’il me reste quelque chose à regretter sur la terre ! Quand vous apprendrez ma mort, vous brûlerez ses lettres. Je ne sais pourquoi je désire que vous gardiez pour vous seul un portrait. Vous nous étiez également cher à tous les deux… » Quelques mois plus tard, en terminant ses Mémoires (écrits en partie chez Mme  Bouquey, en partie dans le réduit du perruquier Troquart, où il trouva un asile à partir du 20 janvier 1794), Buzot ajoutait encore : « Un bon ami que j’ai à Êvreux [Letellier] a dans ses mains un manuscrit précieux[44], que je le prie de remettre dans deux ou trois ans à la jeune fille de la personne qui en était l’auteur, si moi je ne suis plus. Les lettres qu’il possède encore, il faudra les jeter aux flammes, dans ce cas seulement ; et je lui fais présent du portrait, comme gage éternel de mon amitié pour lui ».

Madame Roland, dans ses Dernières pensées, adressant à Buzot un suprême adieu, lui disait : « Reste encore ici-bas, s’il est un asile ouvert à l’honnêteté ; demeure, pour accuser l’injustice qui l’a proscrit. Mais si l’infortune opiniâtre attache à tes pas quelque ennemi, ne souffre point qu’une main mercenaire se lève sur toi, meurs libre comme tu sus vivre, et que ce généreux courage qui fait ma justification l’achève par ton dernier acte ».

Buzoy se donna la mort, aux environs de Saint-Émilion, en pleine campagne, entre le 19 et le 26 juin 1794[45].

Son portrait, que Madame Roland avait avec elle dans sa prison, derrière lequel elle avait écrit une notice, et qu’elle avait remis à Mentelle aux derniers jours d’octobre 1793, est aujourd’hui à la Bibliothèque municipale de Versailles.

  1. Ou du moins baptisé ce jour-là (Vatel, II, 160).
  2. Dauban, Mémoires de Buzot, 1866, Introduction, p. vii.
  3. C’est dans ce même hôtel qu’habita Mme  Sand, en 1834, à son retour de Venise.
  4. Dans la célèbre séance du 23 juin 1789, après la déclaration du Roi.
  5. Pétion, président ; Buzot, vice-président ; Robespierre, accusateur public.
  6. Ms. 4697.
  7. Mém., I, 65-66.
  8. cf. Mém., I, 288 : « Une probité sévère et une prudence prématurée ».
  9. Nous avons déjà remarqué combien ces voisinages, dans le Paris d’alors, contribuaient aux relations.
  10. Faut-il ajouter qu’elle était laide et un peu contrefaite ? (Vatel, III, 583 ; Dauban, loc. cit., lvii).
  11. Cf. la parole orgueilleuse des Mémoires (I, 113) : « Jalouse… de me défendre de toute affection qui n’eût point été à la hauteur de ma destinée ».
  12. Lettres 308 à 318. Elles ne sont pas datées. Mais les indices que nous avons signalés dans nos notes permettent de les placer à cette époque. Au 20 janvier 1793, Madame Roland n’écrit plus que « Monsieur » (lettre 520) à celui que d’abord, au début des explications, en octobre ou novembre, elle appelait encore « mon frère ». (Lettre 509.)
  13. C’est nous qui soulignons.
  14. Ici, le double soulignement est dans le manuscrit.
  15. Voir notre « Étude critique sur les manuscrits de Madame Roland », Révolution française, mars et avril 1897.
  16. Cf. lettre à Buzot, du 6 juillet 1793 : « En vérité, à l’exception de quelques moments bien chers, le temps le plus doux pour moi, depuis six mois, est celui de cette retraite [sa prison] » Les six mois nous portent au commencement de janvier. Cela concorde.

    Nous établirons, dans l’Appendice V, que le portrait que Madame Roland envoya à Servan, le 25 décembre 1792, en lui disant : « Après mon mari, ma fille, et une autre personne, vous êtes le seul à qui je le fasse connaître », était probablement une réplique de la miniature qu’elle venait de faire faire au peintre Langlois, pour l’échanger avec celle de Buzot. Ici encore, nous avons une date.

  17. « Buzot… venait fréquemment à l’Hôtel de l’Intérieur. » (Mém., I, 49.) Il importe, en effet, de distinguer, parmi les hommes qu’on réunit sous la dénomination de Girondins, ceux qui étaient « Rolandistes », « Brissotins », et ceux qui, comme Vergniaud et beaucoup d’autres, n’allaient pas chez Madame Roland. (V. Aulard, Hist. politique de la Révol. française, p. 410.)
  18. Madame Roland continua-t-elle, après que son mari eut quitté le ministère à la fin de janvier 1793, à avoir une action sur le parti girondin ? En particulier, a-t-elle contribué à faire échouer la tentative de rapprochement des deux partis en mars 1793 ? Pour notre compte, nous ne voyons pas que son influence ait survécu à la retraite de son mari. Assurément, les amis particuliers, Buzot, Barbaroux, Louvet, etc… continuaient à fréquenter l’humble logis de la rue de la Harpe. Assurément aussi, Madame Roland suivait avec passion ses amis dans leurs luttes suprêmes. Mais d’action directe, nous n’en trouvons pas trace. Quand le 31 mai arriva, elle s’apprêtait à partir pour le Clos.
  19. N° 204 du Père Duchesne, cité par M. Dauban, Études, p. clxv
  20. N° 248, du Père Duchène, Étude, p. ccx
  21. Le 27 mars, à la Convention, Danton avait affirmé que Dumouriez lui avait montré une lettre de Roland disant : « Il faut vous liguer avec nous pour écraser ce parti de Paris et surtout ce Danton ». Roland, le même jour, avait envoyé une lettre de protestation, qui n’est pas d’ailleurs une dénégation formelle.
  22. Aulard, Salut public, t. II, P. 592.
  23. Paru dans la seconde quinzaint de mai. Œuvres de Camille Desmoulins, éd. Claretie, t. I, p. 339.
  24. Barbaroux, Buzot, Gensonné, Guadet, Isnard, Lasource, Pétion, Vergniaud, etc… faisaient partie du Comité, en même temps que Danton, Camille Desmoulins, Fabre d’Églantine, Robespierre, etc…
  25. Hist. des Brissontins, p. 338.
  26. Ceci est écrit en juin ; Madame Roland n’est pas encore décidée à tout dire. En octobre, son parti est pris : Elle écrira ses « Confessions », sans y « rien celer » ; elle dira « tout, tout, absolument tout ». (Lettre 550.) Mais elle n’eut pas le temps.
  27. Boivin-Champeaux, Notices historiques sur la Révolution dans le département de l’Eure, t. II, p. 1-12.
  28. Cf. sur Mme  Goussard, Mémoires, I, 203.
  29. Cf. la tradition recueillie par M. Dauban, Mémoires de Buzot, Pétion, Barbaroux, p. 492.
  30. M. Dauban, op. cit., p. 124 et 157, l’établit par des rapprochements qui nous semblent concluants.
  31. Sainte-Beuve, Introd. aux Lettres à Bancal.
  32. C’est Dumouriez qui, dans ses Mémoires (éd. Didot, 1848, p. 339), représenta, le premier, Servan comme amoureux de Madame Roland. Il semble que ce fût la légende des adversaires de mai-juin 1792. Nous avons sous les yeux un exemplaire des Mémoires (éd. de Bosc), annoté par Calvet, un membre obscur de la droite de la Législative. À propos d’un des passages relatifs à Servan, il a écrit en marge : « Chacun sait que Servan était l’ami de la maison dans toute la force du terme ». On prononçait cependant tout basn dans les familles des Girondins, le nom de Buzot (Voir Sainte-Beuve, Nouveaux lundi, t. VIII, p. 209, 215). Ajoutons M. Granier de Cassagnac (Histoire des Girondins, que la passion politique rendait clairvoyant.
  33. Voir, là-dessus, Mémoires, t. I, p. 180, 328, et t. II, 248 ; lettres des 3 et 6 juillet ; Champagneux, Disc. prélim., xlvi-xlvii ; cf. le récit d’Henriette dans l’Introduction de M. Breuil aux Lettres aux demoiselles Cannet, 1841, t. I, p. xxiv, et une note manuscrite de Bosc, ms. 9533, fol. 242.
  34. T. II, p. 244 : « Son imagination s’est noircie, sa jalousie m’a irrité… Si j’étais libre, je suivrais partout ses pas pour adoucir ses chagrins et consoler sa vieillesse ; une âme comme la mienne ne laisse point ses sacrifices imparfaits. Mais Roland s’aigrit à l’idée d’un sacrifice. »
  35. T. I, p. 135-136 ; t. II, p. 36, 39, 44, 64, 91-92, 94, 103, 113, 134, 135-136, 142, 172, 177, 182, 219, 234, 244, 246-247, 257, 264. Il ne faut pas perdre de vue que ces passages ont, plus d’une fois, besoin d’être commentés par les lettres à Mentelle, et qu’ils sont comme le prélude de la confession plus complère que Madame Roland préparait en octobre et que nous n’avons plus.
  36. Cité par Vatel, Charlotte Corday et les Girondins, t. III, p. 692.
  37. Arch. nat., W 294, dossier 227.
  38. Les éditeurs ont imprimé interrogatoires ; ce qui est contraire au texte et constitue d’ailleurs un non-sens, puisque ce interrogatoire est le premier.
  39. Mémoires d’un détenu, p. 56 de la 2e édition. — Il se peut cependant que ces mots « distinctement de son mari » visent simplement ce fait, que les relations étaient postérieures à la disparition de Roland. Mais le soin même avec lequel, dans son propre compte rendu, elle glisse sur ce genre de questions, confirme ce que, après Riouffe, nous croyons y voir.
  40. Arch. nat., dossier déjà cité. — Mémoires, t. I, p. 420 et suiv. — Dans toutes les pièces du dossier des Archives, — dénonciation du 1er juin devant le Comité révolutionnaire de la section du Panthéon, – déposition faite le 7 novembre par l’odieuse Mlle  Mignot, – déposition du fidèle domestique Louis Lecocq, — le nom de Buzot n’apparait jamais que comme perdu au milieu des autres.
  41. Voir lettres 540 et 551, et l’Appendice suivant (Mentelle).
  42. J. Guadet, p. 20 de la Vie de Buzot, en tête de l’édition de 1823 des Mémoires de Buzot ; — Le même Saint-Émilion, son histoire et ses monuments, édition de 1863, p. 171-174.
  43. Bibl. nat., nouv. A. fr., ms. 1730. Ce manuscrit renferme, outre cette lettre à Letellier, les cinq lettres de Madame Roland à Buzot de juin et juillet 1793, les Mémoires de Buzot, ceux de Pétion, une partie de ceux de Louvet. C’est évidemment le dépôt constitué par les proscrits, à diverse reprises, entre les mains de leur généreuse hôtesse et saisi en juin 1794. M. Vatel a raconté (t. III) comment, après bien des aventures, il est parvenu jusqu’à nous.

    La lettre à Letellier, écrite sous le coup de la lugubre nouvelle, devait lui être transmise quand on trouverait une occasion sûre, qui ne s’offrit pas.

    Le portrait était la miniature qui se trouve actuellement aux Archives nationales. Elle devait être transmise avec la lettre, et fut saisie comme elle en juin 1794, et transmise au Comité de salut public (voir Appendice V).

  44. Le Voyage en Suisse de Madame Roland. (Voir lettres 281 et 297).

    Letellier, auquel toutes ces recommandations ne purent être transmises, aurait été d’ailleurs hors d’état de les exécuter. Il avait été incarcéré dès le 30 septembre. Il se tua dans sa prison le 3 janvier 1794. On peut seulement présumer que, de lui-même, lorsqu’il se sentit menacé, il avait dû brûler les lettres de Madame Roland dont il était le dépositaire, et cela suffit pour expliquer que nous n’ayons plus la correspondance de 1791 avec Buzot (pour ne parler que de celle-là).

  45. De long mois de silencieuse douleur avaient alors ramené Buzot au sentiment de ce qu’il devait à sa femme. Au cours de ses Mémoires, il lui adresse de touchants adieux (éd. Dauban, p. 101-102). Au suprême moment, quand il lui faut quitter son dernier asile, il lui écrit une lettre émouvante, que son hôte, Troquart, devait faire parvenir, et qu’il remit à Louvet en 1795 (Dauban, ibid, p. 511).