Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Appendices/V

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Imprimerie nationale (p. 788-793).

Appendice V.



LES PORTRAITS.

Cet Appendice n’est pas une Iconographie des Roland. Un travail de ce genre comporterait un appareil de gravures, dessins, etc. que n’admet pas la présente publication. Nous voulons seulement réunir quelques données historiques sur ceux de ces portraits dont l’authenticité est certaine, en en mentionnant quelques autres qui ne sont pas indignes de tout examen.

Disons d’abord que les portraits (vrais ou faux) sont très nombreux. Nous en avons compté, tant au Cabinet des estampes qu’à la Bibliothèque de Lyon (fonds Coste) plus de 60 pour Madame Roland, et plus de 40 pour son mari. Mais la plupart des pièces du fonds Coste sont les mêmes que celles des Estampes. En outre, dans chacune de ces collections, plusieurs gravures ne diffèrent entre elles que par les légendes et semblent être des tirages d’une même planche à des époques diverses. Enfin presque toutes sont postérieures à la mort et, par conséquent, ont été faites ou de souvenir ou de fantaisie. Dans ce dernier cas, nous n’avons même pas à nous en occuper.


§ 1er. Portraits de Roland.

Si nous écartons tous les portraits qui semblent avoir été faits d’imagination, an XIXe siècle, par des dessinateurs inventifs pour le compte des éditeurs d’ouvrages sur la Révolution, — si nous écartons également celui de Le Vachez, accompagné d’une vignette fantaisiste de Duplessis-Bertaux, — et si enfin nous rejetons celui de Gabriel, plus fantaisiste encore[1], — il ne reste vraiment que quatre ou cinq portraits, signés de Pasquier (le compatriote et

l’ami de Roland), de Bonneville (gravé par Aug. Saint-Aubin), de Colibert, datant tous de 1792, c’est-à-dire de l’année des deux ministères et de la popularité de Roland, ce qui leur donne un caractère indiscutable d’authenticité, d’autant plus qu’ils ont entre eux un grand caractère de ressemblance[2].

§ 2. Portraits de Madame Roland.

Il y a d’abord, dans l’ordre chronologique, le portrait de Marie Phlipon du Musée Carnavalet, reproduit en tête de l’ouvrage de M. Join-Lambert. Il daterait de 1773 et aurait été gravé par Phlipon. Nous nous bornons à le mentionner, car il ne peut servir ici de point de comparaison avec les autres portraits de 1792 et 1793.

Il importe, en effet, de remarquer tout d’abord que nous ne voyons guère de place, pour des portraits de Madame Roland, entre l’année où elle a quitté Paris (1781) et celle de son retour en 1791. Dans cet intervalle, elle a habité Amiens, puis le Beaujolais, en dehors du monde des artistes, dans une de ces situations modestes, relativement peu aisées, où l’on ne songe guère à se faire peindre. Une toile remarquable, que possède M. Nouvion, conseiller à la Cour d’appel de Nîmes, qu’il attribue à Prud’hon et où il croit reconnaître les traits de Madame Roland, devrait donc, si ces deux hypothèses étaient admises, être datée au plus tôt de 1791. On sait, en effet, que Madame Roland, revenue à Paris cette année-là, du 20 février au 3 septembre, habita la rue Guénégaud, et qu’elle allait souvent avec son mari, Bosc, Lanthenas, etc., au Club des Jacobins, où ses amis d’alors, Pétion, Buzot, Robespierre se faisaient applaudir. Or, il se trouve que Prud’hon, qui d’ailleurs était en Italie de 1784 à 1789, demeura précisément, à son retour, dans la rue Guénégaud[3], et qu’il allait assidûment, lui aussi, écouter Robespierre aux Jacobins. Ces circonstances permettent de croire qu’il aurait pu connaître les Roland. Mais nous ne pouvons que les signaler, sans pousser plus loin un examen qui supposerait admises deux hypothèses préalables[4].

Lorsque Roland devint ministre en mars 1792 et que sa femme organisa les célèbres réceptions du ministère de l’intérieur, si agréablement décrites par Étienne Dumont[5] et par Lemontey[6], les peintres durent s’offrir en foule.

Faut-il compter Heinsius parmi eux ? Le portrait si connu qui est au Musée de Versailles et qui porte la signature Heinsius pinxit, 1792, représente-t-il réellement Madame Roland ? La famille le tient pour apocryphe. Mme Faugère, veuve de l’érudit (petit-neveu de Bosc) qui a rassemblé tant de précieux documents sur les Roland, nous a déclaré également, en 1896, deux ans avant sa mort, que ce portrait était une fausse attribution, et elle s’appuyait pour cela sur une lettre adressée à son mari par M. Eudor" Soulié, le savant conservateur du Musée de Versailles. Malheureusement, nous n’avons pas retrouvé cette lettre dans les papiers légués par Mme Faugère, en 1898, à la Bibliothèque nationale. Ajoutons que, dans aucun des catalogues du Musée de Versailles, tant ceux de M. Eudore Soulié que ceux de MM. de Nolhac et Pératé, ses successeurs, aucun doute n’apparaît sur l’authenticité de l’œuvre. Nous ne pouvons donc que consigner ici l’opinion, si autorisée en l’espèce, et de Mme Faugère et des descendants de Madame Roland. En tout cas, il semble bien que le pinceau du peintre aurait été singulièrement infidéle. Rien ne ressemble moins aux portraits, plus exacts à des degrés divers, dont nous allons parler.


§ 3.

Ce sont d’abord les portraits de Pasquier, de Bonneville et de Fouquet.

Pour établir que celui de Pasquier date de 1792, nous prions le lecteur de nous suivre dans quelques déductions :

Il y a au Cabinet des estampes, deux portraits de Roland, gravès par Pasquier. Au bas du premier est un quatrain à la louange du citoyen ; dans le second, un vers a été ajouté au quatrain : « Et, grand comme Caton, disposa de sa vie ». Ce second tirage est donc postérieur à la mort de Roland. Mais, de cela même, on peut conclure que le premier est antérieur et date, non de 1793, moment où il eût été trop périlleux de représenter et de célébrer Roland, mais de 1792, alors qu’il était ministre et populaire. Nous avons d’ailleurs aux Estampes un portrait de Servan, par Pasquier, avec cette légende : « Pasquier pinx. et sculp. — Joseph Servan, maréchal de camp des armées de France, ministre de la guerre le 10 août 1792. Ingenio et virtute Salus populi », et cette gravure de Servan est identique, par les dimentions, par le procédé de travail, aux deux gravures de Roland. Toutes ont donc été faites en un même temps, à une heure où le public devait rechercher les portraits des ministres patriotes.

Or, les deux gravures de Pasquier, du Cabinet des estampes, qui représentent Madame Roland, sont absolument du même travail que ses portraits de Roland et de Servan, et par conséquent doivent avoir été faites à la même heure, c’est-à-dire en 1792. Il est vrai que le quatrain qui les accompagne[7] indique l’époque de la réaction thermidorienne. Mais ce quatrain aura été ajouté à un second tirage, comme pour Roland.

On peut en dire autant des deux gravures de Bonneville. Dans les états que nous connaissons, il semble bien qu’elles datent aussi de 1795. Mais on peut bien présumer que Bonneville, qui avait fait le portrait de Roland en 1792[8], avait fait aussi, dès la même époque, celui de la femme du ministre.

Enfin le portrait médaillon, « dessiné par Fouquet, gravé par Chrétien, inventeur du physionotrace, cloître Saint-Honoré, à Paris », doit être également de 1792. L’exemplaire qui existe au fonds Coste (n° 14895) et qui porte en légende (avec deux erreurs) « Madame Roland de La Platière, née Marie-Joseph Phlipon, immolée par les factieux le 18 novembre 1793 « est nécessairement d’un tirage postérieur. Mais l’exemplaire que nous avons vu au château de Rosière ne porte pas d’autre légende que les indications du dessinateur et du graveur, et nous savons que le physionotrace était déjà en vogue en 1792. Nous savons aussi que Madame Roland y eut recours (lettre 503, à Lavater, du 15 novembre 1792).

Ces figurations sont donc authentiques. Sont-elles ressemblantes ? On en peut douter, car Madame Roland écrivait, aux premiers jours de septembre 1793 : « Mon portrait a été dessiné plusieurs fois, peint et gravé ; aucune de ces imitations ne donne l’idée de ma personne ». Et elle ajoutait en note : « Le camée de Langlois est la moins mauvaise ». Qu’était donc ce camée de Langlois ?


§ 4. Le Médaillon des Archives.

Nous croyons avoir suffisamment établi, dans notre étude sur « le portrait de Madame Roland aux Archives nationales » (Révolution française du 14 février 1901), que ce camée de Langlois n’est autre que la miniature conservée aux Archives[9]. Nous nous bornerons donc à résumer ici nos conclusions :

Jérôme Langlois, peintre miniaturiste, élève de Vien, s’était fait une spécialité de faire des portraits en « miniatures et en camées », ce terme paraissant désigner alors des médaillons peints par un procédé particulier. Vers la fin de 1792, il avait entrepris une collection de portraits de ce genre. En janvier 1793, il expédiait en quelques séances celui de Dumouriez. C’est en décembre 1792 qu’il dut faire celui de Madame Roland, en plusieurs exemplaires, ce que permettait le procédé dont il faisait usage.

C’est ce portrait que Madame Roland envoyait à Servan, le 25 décembre 1792 (lettre 506), en lui disant : « Je suis bien aise de vous dire qu’après mon mari, ma fille, et une autre personne, vous êtes le seuls à qui je le fasse connaître ».

Cet 'autre personne était certainement Buzot, qui avait, de son côté, donné à Madame Roland son portrait, peint aussi probablement par Langlois[10]. Buzot emporta, dans sa proscription, le médaillon de son amie. M. Vatel a raconté, et nous avons résumé d’après lui, les singulières vicissitudes à la suite desquelles ce médaillon, saisie à Saint-Émilion avec les papiers de Buzot en juin 1794, fut expédié au Comité de salut public et, par suite, se trouve maintenant aux Archives nationales.

L’authenticité de ce portrait nous paraît donc incontestable, et il a pour nous cet intérêt particulier d’être, de l’aveu de Madame Roland, la moins infidèle des images[11].


§ 4. Portraits postérieurs.

Bosc, dans l’Avertissement de la 1er partie de son édition de 1795, annonçait « un portrait de la citoyenne Roland, gravé par l’estimable Pasquier », qui devait paraître avec la 4e partie. Puis, dans l’Avertissement de cette 4e partie, il s’excusait, sur un accident arrivé à la planche, d’être obligé de retarder la livraison de la gravure. Nous ne trouvons pas d’indice que cette livraison ait été faite. En tout cas, la gravure annoncée de Pasquier ne dut être autre que celle dont nous avons parlé plus hauts.

Champagneux, dans son édition de 1800, donna un portrait (B. A. — Nicollet del., — S. C. Gaucher inc., — an viii), en rappelant que la mobilité du visage de Madame Roland avait toujours rendu difficile la tâche des peintres : « quatre artistes habiles ont échoué[12]. La gravure qui accompagne cette édition est un cinquième effort, et qui a été le plus heureux. La ressemblance y est, mais une infinité de choses de détail ont échappé au pinceau. On y trouve sa physionomie, lorsqu’elle était dans une situation tranquille ; mais comme cette physionomie se modifiait en autant de manières que son âme éprouvait d’affections différentes, toutes ces physionomies nous manquent… *.

Le témoignage est important, Champagneux avait vécu dans l’intimité des Roland : il est donc bon juge, et le portrait qui accompagne son édition doit être tenu pur un des plus ressemblants.

Plus tard, en 1827[13], un autre éditeur, Barrière, annonçait en ces termes un autre portrait : « Nous devons au crayon de Mademoiselle Godefroid quelques-uns des traits qui ont aidé la gravure à tracer l’image de Madame Roland. Ce portrait, exécuté d’après un dessin original de la plus parfaite ressemblance, sera publié avec un fac-similé de la tête de vierge que Madame Roland avait dessinée dans sa prison… » (t. II, p. 311).

Mademoiselle Godefroid, fille de la maîtresse de pension qui avait recueilli Eudora Roland à la fin d’octobre 1793, était une artiste distinguée[14]. Mais elle n’avait jamais vu la mère de sa compagne de jeunesse. Aussi ne put-elle travailler, Barrière le dit lui-même, que d’après « un dessin original de la plus parfaite ressemblance ». Quel dessin ? Si on considère que Barrière tenait de Bosc les renseignements divers dont il a enrichi son édition, on sera amené à présumer que c’est Bosc qui lui aura fourni ou promis ce « dessin original ». Nous allons voir, un peu plus loin, ce que ce pouvait être.

Nous croyons d’ailleurs que ce portrait promis par l’éditeur n’a pas été publié. Nous ne l’avons trouvé ni dans l’édition de 1827, ni ailleurs.


§ 5. Le portrait du château de Rosière.

Il existe, au château de Rosière, chez Madame Taillet, un portrait authentique, original, — et une copie du même, portant la mention « copié par Éliza Bosc[15], 1827 ».

Le portrait de Rosière semble donc bien être le « dessin original, de la plus parfaite ressemblance dont Barrière, renseigné par Bosc, priait en 1827, et que Mademoiselle Godefroid devait reproduire.

Il n’est d’ailleurs pas douteux qu’il ne soit ressemblant. La fille, la petite-fille et les arrière-petite-filles de Madame Roland l’ont toujours considéré comme tel.

De quelle époque date-t-il A-t-il été fait du vivant de Madame Roland ou a-t-il été fait, après sa mort, de souvenir ?

D’après Madame Marillier, il aurait été fait en prison, à Sainte-Pélagie, par un compagnon de captivité et aurait été remis par Madame Roland à la fidèle Fleury. Ce peut n’être là qu’une tradition, mais elle trouverait sa confirmation dans un mot de Mentelle. En effet dans cette lettre du 25 mars 1800 à Champagneux, où il se révélait comme ayant été le dernier confident de la prisonnière, Mentelle disait : « C’est à moi qu’elle a confié ses Mémoires, …le portrait de son mari, le sien même que je garde… ». Il se pourrait donc que ce portait, remis à Fleury ou à Mentelle (à ce moment-là, c’était tout un), rendu ensuite à la famille, fut l’original que l’on conserve à Rosière. Mais cette hypothèse sur l’origine de l’œuvre, qu’on l’admette ou qu’on la rejette, ne change rien à l’intérêt qu’offre, au point de vue de l’exactitude, le portrait de Rosière, puisque, depuis trois générations, on l’y tient pour ressemblant.


§ 6. Conclusion.

En résumé, les gravures de Pasquier, de Bonneville et de Fouquet, le médaillon des Archives, la gravure de Nicollet en 1800, l’original conservé au château de Rosière nous paraissent être les représentations les plus authentiques[16] de Madame Roland en 1792 et 1793, c’est-à-dire au temps de la fortune et de l’adversité[17].

  1. Il est au Musée Carnavalet, et a été reproduit par M. Armand Dayol, dans le 14e fascicule, p. 224, de sa publication « La Révolution française ».

    Nous ne nous occupons pas non plus ici d’un portrait de Roland, en 1779, qu’a reproduit M. Join-Lambert (Introduction', p. xxv), et sur lequel nous avons déjà fait quelques réserves dans la Revue critique du 25 mai 1896. Sa date le met en dehors de notre examen.

  2. Ajoutons-y un buste en terre cuite que possède Mme C. Marsillier.
  3. Pierre-Paul Prud’hon, par Charles Clément, p. 64 et 219 de la 3e édition (1866). Il est vrai que Prud’hon, en septembre 1791, avait déjà quitté la rue Guénégaud pour la rue Cadet (Ibid, p. 209).
  4. Notons que Mme Taillet, qui a examiné ce portrait, estime qu’il paraît bien représenter son arrière-grand’mère.
  5. Souvenirs sur Mirabeau, p. 394, etc…, et pas Mme Marie Roger, dans la Notice de son édition des Mémoires (1823).
  6. Cité par M. Dauban, Étude, p. cxxxiv.
  7. J’étais républicaine et j’ai vécu sans crime.
    Ô mes concitoyens, ne plaignez pas mon sort !
    J’étonnais les tyrans dont je fus la victime.
    La femme de Caton devait braver la mort.

  8. Il avait paru, gravé par Aug. Saint-Aubin, dans la Chronique du mois d’octobre 1792.
  9. Vitrine 125, Catalogue sommaire du Musée des Arch. nat., par Jules Guiffrey, p. 95.
  10. Les deux portraits sont identiques de forme, de dimension, de facture.
  11. Il est vrai que c’est celle qui, vu les circonstances où elle avait été faite et les souvenirs qu’elle lui rappelait, devait lui plaire davantage.
  12. Nous avons là le nombre des portraits faits du vivant de Madame Roland.
  13. Dans sa 3e édition des Mémoires. Il avait donné la première en 1820.
  14. Voir sur elle une note de la lettre 556. Ajoutons que, particulièrement liés avec Madame Champagneux, elle a exposé, aux salons de 1831 et 1847, au moins huit portraits des personnes de sa famille. Elle avait donc, si l’on peut s’exprimer ainsi, la tradition domestique, élément précieux.
  15. C’est la fille aînée de Bosc, Floréal, dite Élize, mariée depuis à M. Pilastre de la Brardière, fils du Girondin.
  16. Mentionnons pour mémoire une jolie silhouette de Lavater, représentant Roland, sa femme et leur enfant, qui se trouve aussi à Rosière.
  17. Une américaine, miss Ida Tarbell, qui a écrit le livre le mieux étudié que nous ayons sur Madame Roland (New-York, 1896, a reproduit dans son ouvrage cinq portraits, dont un seul, celui de Rosière, mérite de retenir l’attention.

    On nous a signalé un beau portrait de Madame Roland appartenant à M. Le comte Duchâtel, ancien ambassadeur à Vienne. Mais nous ne voulons parler ici que des portraits sur l’histoire desquels nous avons quelques données.