Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Lettres/1781

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Imprimerie nationale (p. 21-97).
ANNÉE 1781.


Avertissement.

Nous avons vu que Roland, envoyé en mission à Sens, était revenu passer auprès de sa femme les fêtes du 1er  janvier 1781. Dès le 3, il retourne à Sens ; le 19, il est déjà revenu à Paris[1]. À la fin de janvier, il a regagné, après un an d’absence, sa résidence d’Amiens, mais seul ; il a envoyé sa femme à Rouen et à Dieppe, en partie pour qu’elle fasse connaissance avec les amis bien chers qu’il avait dans ces deux villes, en partie aussi pour qu’elle surveille l’édition de ses Lettres d’Italie, qui s’imprimaient alors à Dieppe.

On trouvera à l’appendice D d’abondants détails sur ces amis de Rouen et de Dieppe, les frères Cousin, Baillière, Justamont, et les demoiselles Malortie. C’est chez celles-ci que descendit Madame Roland, dans cette maison de la rue aux Ours, où, douze ans plus tard, elles devaient cacher Roland proscrit par la Commune de Paris. C’est là qu’il lui écrit d’Amiens, les 3, 6, 11 et 18 février (ms. 6240, fol. 100-101, 84-85, 86-87, 88-89), en lui parlant de la société où il vivait et où elle était attendue ; « … On a de grands projets sur toi ; cependant les femmes te craignent terriblement ; encore cela vaut-il mieux que le contraire… Ménage-toi bien et songe que j’aurai beaucoup de plaisir de le[2] voir courir par ci par là… Je soupai jeudi dernier, chez tes amies. Que de questions et de babil !… Je vais fréquemment chez ma voisine [Mme  d’Eu] ; on t’y attend ; on y parle souvent de toi, on t’y redoute ; je dis que tu es une bonne enfant, etc… Ménage ta santé, conserve le populo, aime-moi ; le reste ira comme il pourra… J’arrange ta chambre de mon mieux ; je ne saurais t’exprimer combien je désire que tu sois passablement bien dans ton appartement. L’idée de t’y voir à ton aise et contente m’occupe singulièrement… » il termine en annonçant qu’il ira la chercher le 21.

Ici, la correspondance s’interrompt pour plusieurs mois ; Madame Roland est installée à Amiens et son mari ne la quitte guère que pour de courtes tournées de service. Du 15 février au 15 novembre, nous n’avons que deux lettres (21 mai et 25 juillet).

Nous avons rassemblé, dans l’Appendice E, tous les renseignements qui peuvent faire connaître le milieu d’Amiens où la jeune femme se trouvait transportée. Bornons-nous donc ici à quelques traits essentiels : peu de relations avec les autorités de la province et de la ville ; Roland vivait en termes assez froids avec l’intendant, M. d’Agay, et en hostilité presque constante avec les officiers municipaux, c’est-à-dire avec la haute bourgeoise amiénoise. Mais sa femme retrouvait là ses amies, Henriette et Sophie Cannet ; lui, de son côté, avait à Amiens des parents. Mme  de Chuignes, qu’il appelle sa tante (sans que nous ayons pu établir le lien), Mme  Decourt, et d’autres vieilles dames, qui, dans les lettres, sont appelées « les mères », « les bonnes mères », les « grands-parents ». Mais il y avait surtout des amis personnels, M. de Bray de Flesselles, avocat du Roi au Bureau des finances ; M. d’Eu de Perthes, directeur général des fermes « pour les traites, les gabelles et le tabac », grand amateur de livres, botaniste passionné ; M. Devins des Ervilles, receveur général des fermes pour les traites et gabelles, l’attentif honnête et discret de Mme  d’Eu ; M. d’Hervillez, médecin de l’Hôpital militaire, membre de l’Académie d’Amiens, professeur d’un cours public de chimie. Puis des manufacturiers, des fabricants, Flesselles, Delamorlière, qui s’intéressaient aux travaux de Roland et à ses luttes contre les marchands, les négociants, maîtres de la municipalité, et maîtres jaloux. La plupart de ces noms reviendront bien souvent dans la Correspondance.

La maison préparée par Roland pour sa femme, en face du logis de M. d’Eu, était sise rue du Collège et attenante au cloître Saint-Denis, qui servait alors de cimetière (voir Appendice E).

C’est là que Madame Roland passa plus de trois années, de février 1781 à août 1784, sortant peu, tout entière « à son ménage et à son herbier », s’occupant de son petit jardin, allant herboriser avec son mari et M. d’Eu dans les fossés du rempart, suivant les offices par bienséance à l’église du Collège, voisine de son logis, et entretenant avec Roland, quand il était en tournées ou retenu à Paris par ses affaires, une correspondance presque quotidienne.

Le 4 octobre 1781, elle donna naissance à une fille, qui fut baptisée le lendemain, non à l’église du Collège (l’ancienne église des Jésuites, qui n’était qu’une chapelle), mais à Saint-Michel, l’église paroissiale[3] ; l’enfant fut nommée Marie-Thérèse-Eudora ; son oncle, le chanoine Dominique Roland, et sa grand’mère, Thérèse Bessye de Montozan, furent ses parrain et marraine par procuration.

La jeune mère était à peine convalescente que Roland partait d’Amiens, le lundi 12 novembre à dix heures du soir[4], pour arriver à Paris le lendemain soir à 7 heures. Vingt et une heures pour faire trente lieues, par les « nouvelles diligences ! » Il allait s’y occuper de bien des choses (publication des Lettres d’Italie, affaires d’administration, etc.), mais il y allait aussi pour demander des lettres de noblesse. L’histoire est curieuse et sera contée en détail (Appendice J).

La malade ayant fait une rechute, l’inspecteur rentra précipitamment à Amiens au commencement de décembre et, lorsqu’il y eut du mieux, repartit pour Paris le 23. Ces précisions sont nécessaires pour bien suivre la Correspondance.
9

À ROLAND, À SENS[5].]
Mercredi [3 janvier 1781, – de Paris].

In Parigi, la matina del mercoledi tre J… [déchirure du papier].

Quanto temo, mio bene, che tu sia raffreddato ! Sei partito con sembienza già d’esserlo. Non posso dire quel ch’io soffro nel pensare che sci male e lontano. M’ai lasciato mestissima, ed a ciò concorreva’I mio stato ; da poco che fui andato, ho creduto svenire, mi sentiva debolissima e col cuore ammalato. Ho bevuto acqua calda col zucchero, non ho mangiato che la sera, un pochissimo, e vado bene attualmente. Non era niente ch’una digestione cattiva ; l’ultima notte, tranquilla assai, a rimesso tutto nell’ordine. Non pigliar inquietudine, dolce amico, non ti ascondo niente ; sono bene adesso, non mi fa tormento che l’incertezza dell’essore tuo. Il mio lavoro non fù ieri grande, ho fatto quattro lettere, due ad Amiens, una al rio mio’I canonico[6], al quale dico qualche cosa dell’atto ad avere del notajo ; l’altra a l’abbate di Villafranca[7]. [Ho] veduto nella mattina quel Benedetto ch’avea l’altro giorno recato la lettera dal nostro fratello ; glielo detto con dolcezza, ma chiaramente pure, questo ch’io pensava dal suo poco di cura. Fece’I suo possibile ad escusarsi, ciarlò gran tempo d’una cosa, poi d’una altra ; non è un dottore, benchè sia professore ; credo ch’avrà preso di me idea buona.

Non ho ricevuto nuove alcune, ma la sera è venuto signor Moutard[8] a visitare in ceremonia, facendo scusa di non aver ancora inviato gli esemplari di cui alcuna parte non avea, dicea egli, potuto ragunare, ma promettendolo di mandarli venerdi. Ho fatto l’osservazione che sappi : ha rammentato et detto si. Mi scordava del signor Miot ch’è venuto anche a vederci ; la sua moglie è raffreddata ; anderò a vederla ; ma non sarà subito. Uscirò oggi solamente per aspirar dolcemente l’aria al giardino del Rè ; sono un poco debole.

I libri sono recati dal sg. Visse[9] ; furono quà dopo la mia lettera chiudata (sic). Idol mio, caro consorte, sogno a te, pensi a me che t’amo si teneramente. Il mio fratello[10] mi prega d’offerirti mille cose et mille ch’indovinerai.

Addio, non sono da troppo buon’ora uscita dal letto ; voglio inviarti quel bolletto (sic).

Felice egli ! Ti vederà ; ed io…

Bario ti di cuore, aspetto frettolosa le tue nuove ; o dio ! come è lungo’l tempo che senza te se ne va !

Sig. di Villers[11] è nella grande città ; grave, austero sempre, non ha solamente detto la sua dimora al suo amico che fu alla di lui incontra.

Non rassomigli’a te, te sensibile, aperto, amando. O ! che sei anche amato ! Addio, son tutta di te, baroncelto !


10

À ROLAND, À AMIENS[12].
28 janvier, – de Rouen.

Je m’empresse, mon cher et bon ami, de te donner de mes nouvelles le plus tôt qu’il m’est possible, j’attends des tiennes avec une vive impatience et je désire qu’elles soient aussi bonnes que celles que j’ai à te communiquer. Je suis arrivée bien portante, quoique un peu fatiguée, mais beaucoup moins cependant qu’il n’aurait semblé que je dusse l’être et que tu crois peut-être que je l’aie été. La voiture m’a paru beaucoup plus douce que celle qui nous ramena de Lyon ; elle était remplie de gens honnêtes, et de bonnes gens, qui ont été aussi complaisants, aussi attentifs et obligeants qu’il soit possible ; le grand air et l’agitation ont singulièrement diminué la fréquence des petits accidents qui m’avaient incommodée précédemment. J’ai trouvé au bureau les deux amies qui m’attendaient depuis plus d’une heure avec l’empressement que tu leur connais pour tout ce qui t’intéresse et qui m’ont accueillie avec une satisfaction qui n’a rien d’équivoque. M. Baillière[13] s’est rencontré à l’arrivée, ainsi que M. Justamont[14], avec lesquels nous avons passé la soirée. On a demandé de tes nouvelles comme tu peux le penser, et l’on souhaiterait beaucoup que tu fusses aussi dans ce pays, dont je ne te dirai rien parce que je ne l’ai guère vu, et parce que les personnes ou les choses dont j’ai à t’entretenir nous importent davantage. En s’informant de toi on m’a beaucoup parlé de tes Lettres d’Italie[15], et ce qu’on a laissé échapper à ce sujet ne me parait pas sans conséquence ; je ne sais par quelle voie il se serait répandu des exemplaires de ces lettres, mais je crois évident qu’il en est sorti quelques-uns ; on m’a demandé pourquoi cet ouvrage n’était pas encore publié, on s’est étonné qu’il ne parût pas encore, on a témoigné de l’impatience et l’on a dit assez clairement, ou du moins il m’a paru résulter des expressions que l’on employait, que si tu tardais beaucoup encore à les publier, tu pourrais bien te trouver prévenu par quelques gens expéditifs dont la contrefaction te préparerait un mécompte fort désagréable à tous égards. J’ai été frappée de ceci parce que je sens mieux que personne les raisons de regretter un pareil événement. Je n’ai rien appris de plus positif, mais j’ai trouvé qu’il y en avait assez pour me hâter de t’avertir, afin que tu fasses ce que tu jugeras être le plus convenable.

L’Anglais[16] est disposé à contribuer de tout son pouvoir à l’étude que je me propose de faire de sa langue ; nous devons nous en occuper les soirs, temps auquel il vient ordinairement dans cette maison. J’observais aujourd’hui à l’une de ces demoiselles quelles étaient mes intentions sur l’emploi de son temps en ma faveur et l’espérance que j’avais qu’elles me donneraient le moyen de le reconnaître avec le ménagement et l’honnêteté dus à un homme de mérite qui n’était point fait pour enseigner au même titre que tant d’autres ; on m’a répondu à ce sujet d’une manière qui ne me satisfait pas entièrement, mais enfin je trouverai bien quelque moyen ; j’ai parlé aussi de l’heure, que je jugeais être celle de la société pour ces dames, plutôt que celle de l’étude pour moi ; on m’a dit que l’Anglais n’avait plus que celle-là dont il pût disposer. Je ferai de mon mieux, je travaillerai beaucoup seule le matin dans mon appartement, qui est à mon regret celui de l’aînée dont le déplacement me fâche beaucoup, et je tâcherai de ne point perdre de temps.

Je suis chargée de mille et mille amitiés pour toi. On a trouvé fort plaisante ta lettre de change dont j’étais la marchandise, et on l’accepte de grand cœur.

Je t’aime et t’embrasse bien tendrement ; écris-moi, ménage-toi et souviens-toi pour cela de moi qui m’inquiète de tes embarras et qui souffre de ne point les partager.

P. S. Depuis ma lettre écrite et fermée, j’ai revu M. Justamont. Je l’ai mis de nouveau sur le chapitre d’hier ; il m’a assurée qu’indépendamment des exemplaires de tes lettres envoyés à MM. les Intendants du commerce et dans ta famille, il y en avait dans d’autres mains, et que certainement on ferait une édition si la tienne tardait à paraître. Fais tes diligences et agis d’après cela.

J’ai la tête un peu fatiguée et j’ai grand besoin de t’écrire à loisir dans l’effusion de mon cœur. Adieu, je t’embrasse de nouveau et suis toute à toi.


11

À ROLAND, À AMIENS[17].

28(f) janvier 1781. – de Rouen.

Tu as su, mon bon ami, mon heureuse arrivée dans cette ville, et j’ai pu, sans inconvénient, attendre que la fatigue et l’étourdissement du voyage commençassent à se dissiper pour m’entretenir avec toi. Mieux que je n’aurais espéré l’être en arrivant, quant à la santé, je n’étais pas encore aussi bien qu’il aurait été possible, et c’est à présent seulement que je suis en droit de te donner à cet égard toutes les assurances nécessaires à ta satisfaction. Aussi je ne me donne pas le temps de recevoir ta lettre, dont j’ai cependant le plus grand besoin, pour te faire part de ce qui me concerne.

Il serait inutile de te dire avec quels soins obligeants et tendres nos amies cherchent à me procurer tout ce qui peut m’être agréable, si je ne te le disais beaucoup moins pour rendre témoignage à leur amitié pour toi, qui t’est si bien connue, que pour le plaisir de l’exprimer ce qui me touche si vivement.

Je les trouve sensibles autant que mon cœur pouvait le désirer, te connaissant et t’aimant, comme il me plaît que te connaissent et t’aiment ceux avec qui je suis, singulièrement attentives et me laissant avec cela une liberté qui complète tout l’agrément dont on peut jouir chez elles.

Il y a trop peu de temps encore que je suis ici pour avoir déjà sorti ; d’ailleurs je suis beaucoup plus pressée de jouir paisiblement des charmes de l’amitié que de parcourir la ville pour examiner ce que je trouverai bien le moment de voir.

Nous avons presque tous les soirs MM. Baillière, Justamont, et quelques autres personnes ; il a été question de toi, on s’est informé de tes nouvelles avec le plus vif empressement et l’on m’a demandé, à plusieurs fois, avec chaleur, quand on verrait paraître les Lettres d’Italie, de Suisse, etc. Après diverses questions relatives à ce sujet, on m’a dit, comme un avis qui me parait important et me donne de l’inquiétude, qu’on connaissait une personne qui se proposait d’en faire une édition, persuadée que la tienne ne serait pas sitôt publiée. Je fus surprise, comme tu peux le penser ; je questionnai, à mon tour, et ne pus rien voir autre, sinon qu’il s’est répandu quelques exemplaires de ton ouvrage, indépendamment de ceux que tu avais remis à MM. les Intendants du commerce et envoyés à ta famille.

Comment et par qui cela s’est-il fait ? Je n’y entends rien et n’en sais pas un mot, mais le fait me parait évident et demande de ta part la plus grande diligence. Je me hâte de te le communiquer afin que tu puisses agir comme tu le jugeras convenable.

J’ai peu travaillé encore : il faut s’établir dans un endroit avant de pouvoir donner un ordre bien entendu à ses occupations ; j’ai goûté du felice far niente ; mais je vais sérieusement me mettre à l’anglais. M. Justamont m’a trouvée un peu plus avancée qu’il n’imaginait que j’étais : il m’avait donné des cahiers de premières leçons et il a été tout étonné de me voir expliquer couramment des lettres, assez faciles, qu’il avait apportées.

Mon séjour dans cette ville n’est pas trop un secret : tu as été reconnu, en me conduisant à la voiture, par un de ceux qui allaient y monter, et qui vit bien qui j’étais ; mais une de nos amies, à laquelle on en parlait, a dit nettement que je voulais garder l’incognito et ne point faire ni recevoir de visites pendant quelque temps. Ainsi ma tranquillité, mes petites études ne seront interrompues que lorsqu’il me plaira.

J’ai écrit à Mlle Desportes ; le fidèle Achate aura, par ce moyen, des nouvelles assez promptes ; mais je n’ai pu y joindre des tiennes. Je les attends bien impatiemment et j’ai grande envie de te savoir un peu délivré des tracas que je voudrais partager.

Les voyageurs grecs[18] sont à Rome ; on dit que le mariage de la fille d’Aristote est rompu, ce qui ne plaira pas à ce philosophe ; on dit encore mille petites nouvelles dont nous causerons une autre fois. Adieu, mon cher et digne ami, mio dolce sposo, t’abbraccio di cuore.
12


À ROLAND, À AMIENS[19]
8 février 1781. – de Rouen.

Eh bien ! mon tendre ami, tu es toujours au milieu des tracas ; tandis que bien tranquille chez les amies que tu m’as données, je suis environnée de personnes qui s’empressent à me témoigner l’intérêt le plus flatteur, seul, éloigné de moi, tu te livres dans le jour à des soins peu relatifs à tes goûts ; puis, seul encore au moment de la retraite, tu vas chercher tristement un repos nécessaire, que les douces caresses de l’amitié ne t’ont pas préparé. Tiens, mon ami, dépêche-toi de terminer les arrangements indispensables et reviens promptement nous réunir ; tout ce que ma situation peut avoir d’agréable à tout autre égard me rappelle trop vivement que la tienne est différente, et cette idée m’est un tourment. J’ai reçu ta petite lettre avec bien de l’émotion ; tu étais encore inquiet, je le craignais assez ; j’espère que le second courrier t’aura tranquillisé. J’attends présentement d’autres nouvelles aussi avidement que les premières ; peut-être arriveront-elles aujourd’hui, et je tarderai de fermer mon paquet pour y répondre.

J’ai eu, lundi au soir, des nouvelles de Dieppe[20], par M. l’abbé Burgot[21], que je n’ai pas vu, mais qui remit en bas, en descendant de la voiture, deux exemplaires des cinq vol. de tes Lettres, et un cahier du 7e vol. de l’Histoire de la Grèce ; comme cet abbé avait dit qu’il reviendrait me voir, j’ai attendu sa visite avant de répondre aux lettres qui étaient contenues dans le paquet. Il n’est point encore venu, et je vais écrire, parce que je ne crois pas devoir mettre plus de délai à témoigner ma sensibilité aux instances remplies d’amitié que me font Mr , Mme  Despréaux et M. Cousin qui ont écrit tous trois. Je ne puis répondre cependant à la question principale jusqu’à ce que tu m’aies donné des errements, mais il est facile de rejeter l’indécision sur quelques affaires et de répondre aux honnêtetés. La lettre du frère est aussi singulière, aussi plaisante que lui-même ; beaucoup de petits vers italiens, d’épigrammes sur le petit bétail, de français italianisé, des compliments, etc. ; il demande s’il peut continuer de travailler à la partie de la musique du 6e vol. dont la moitié est déjà composée ; de là, des caractères en souffrance et un peu d’ennui de l’imprimeur ; enfin, il prie qu’on ne renvoie plus le manuscrit sans en avoir daté les lettres, pour éviter tout malentendu. Je n’ai pas compris grand’chose à ceci, je te le donne pour en tirer meilleur parti. Platon et sa femme me pressent d’aller les voir, t’en prient, etc. ; ils m’engagent à déterminer une de nos amies à venir avec moi ; ils ont écrit en même temps à l’aînée ; la proposition ne leur a pas déplu ; la cadette principalement a témoigné tant d’envie de la partie, au cas qu’elle eût lieu, que l’autre lui a cédé la place. Tu m’écriras ce que j’ai de mieux à faire et s’il ne serait pas convenable que je me chargeasse, délicatement, des frais du voyage[22] ; je te jette cette idée comme elle me vient, sans la réfléchir.

M. Le Monnier[23] est venu l’un de ces soirs ; je l’ai trouvé d’une figure heureuse, mais annonçant peu d’activité ; nous avons causé longtemps, je lui crois l’ouïe un peu dure ; il doit me remettre au premier jour les vues de Rome, je m’arrangerai alors pour lui rembourser ses dépenses. J’ai le projet d’aller demain chez Mlle  Maleuvre, que je n’ai point encore vue : je ne suis sortie que pour la messe et pour voir, hier matin, tout près d’ici une bibliothèque assez intéressante pour les gravures et les éditions rares, chez un particulier où m’a conduite M. Baillière, avec une des amies ; M. Baillière te dit beaucoup de choses, désire extrêmement te voir ; il vient souvent et paraît aimer assez notre petit cercle. M. Justamont me fait travailler ; nous lisons tous les soirs, bien mais non beaucoup, car il faut le temps de prendre le thé, de causer, de se reposer ; les Anglais font tout à l’aise. Trois fois la semaine à midi, il me donne leçon de grammaire ; les amies prennent intérêt aux leçons, elles tâchent de ne point les manquer : toutes deux ont commencé autrefois et ne seraient pas fâchées qu’il leur en restât quelque chose. J’ai des livres anglais plus que je n’en peux lire ; je n’ai pas trouvé le moment de jeter les yeux sur ceux que j’ai apportés, ni même sur notre italien ; la tâche d’anglais que j’ai à faire et les petites choses de société remplissent mes journées à me les faire trouver bien rapides, si je ne sentais continuellement que tu me manques. Mr  Baillière m’a donné le petit ouvrage qu’il t’avait promis ; c’est une traduction de l’anglais d’une description du mangostan et du fruit à pain ; il sait aussi l’italien, de même que M. Justamont ; mais je crois que, pour ceci, ni l’un, ni l’autre ne sont guère plus grands docteurs que moi. À propos de docteur, je n’ai point encore peigné celui de Sorbonne[24] ; j’attends un heureux matin et j’ai souvent le cœur faible en me levant. As-tu reçu des nouvelles de Villefranche ? j’en ai du souci. Mlle  Desportes m’a répondu bien amicalement, bien tendrement ; elle avait vu deux fois le fidèle Achate, qui avait été d’abord lui donner des nouvelles de notre départ absolu, puis chercher s’il en trouverait de notre arrivée.

Je n’ai point encore rendu de visite à Mme  d’Ornay, parce que j’ai voulu laisser passer le jour d’un dîner dont sera (aujourd’hui) une de nos amies. M. Group[25] été malade à Rome, je ne sais même s’il est bien rétabli ; Mme  d’Ornay l’ignore, elle attend les deux voyageurs avant Pâques.

Je demeure tout le jour dans ma chambre où l’on vient déjeuner et me voir de temps en temps ; mais c’est toujours en haut le lieu de l’assemblée du soir ; la cadette aime singulièrement à s’y tenir ; l’aînée voulait que je ne me déplaçasse point ; j’ai cru qu’il était mieux de me rendre où l’autre se plaisait d’être. Je te vois dans tous les coins et j’ai bien de l’impatience de t’y embrasser.

As-tu été dans la famille Cannet ? Tu voudras bien dire beaucoup de choses pour moi là, et où l’on te parle de ma petite personne. Écris-moi, mon bon ami ; je t’adresse directement, car il m’ennuierait que ma lettre fût longtemps a te parvenir ; j’aime mieux en retarder l’envoi pour répondre à celle que j’attends et qu’elle te soit expédiée ensuite sans retardement. Tout le monde t’aime et me parle de toi sur ce ton ; je le trouve bien juste et j’en sais bon gré, pour eux, à ceux qui font ainsi, car tu n’en vaudrais pas moins s’ils ne le disaient et ils prouveraient seulement alors qu’ils n’auraient pas de sens commun ; mais ils ont beau te connaître et t’aimer, ils ne sauraient le faire aussi bien que moi. Mio dolce amico, scrivi mi, dimmi che m’ami sempre, che sogni a me ; dimmi tutto questo che tu senti, e sarò contenta. Addio ; t’abbraccio teneramente ed aspetto le tue nuove come il mio ristoro.

Le même jour à midi. On a envoyé à la poste pour ma satisfaction ; j’étais si pressée d’avoir ta lettre ! c’était une envie de femme grosse et puis encore d’une femme… tu sais ? Je me suis enfermée pour te lire ; je t’ai lu, relu, puis lu encore ; puis pleuré. Dieu sait ! Je ne saurais tenir ma plume : je baise ta lettre ! tu l’as touchée, cette feuille où ton cœur se peint, ce cœur si tendre, si honnête, où je me réfugie, où seul je me plais d’exister. Peux-tu présenter au mien des tableaux plus touchants ! Mais pourquoi m’offrir un moment affreux ? Tu es cruel à force de tendresse, tu me navres et m’enivres à la fois… Je suis enchantée que tu aies reçu des nouvelles de la famille ; dis, exprime tout ce que tu sais que je sens pour elle. Non, mon ami, je n’aurais pas cru qu’il fallût tant d’esprit pour cela ; mais comme j’en voyais assez dans notre communauté dont tu faisais les fonds, sans qu’il en arrivât ce que d’autres font si bien, je commençais à soupçonner qu’il fallait au moins bien de l’adresse.

On me douillette au point de m’empêcher d’ouvrir les fenêtres ou de porter ma table, de peur que j’étendisse trop les bras. Va, le charme d’augmenter nos liens et nos jouissances, de te donner un gage de ma tendresse, de voir imiter tes vertus, est le seul qui me touche ; je l’empoisonnerais si je cherchais à le regarder comme un dédommagement futur de ce que j’estimerais irréparable et déchirant.

Je songeais ce matin à M. Hoffmann[26] ; ce n’est pas une petite augmentation d’embarras. Ménage-toi, toi-même ; on me ménage assez. Je t’embrasse et vais te relire en attendant une autre réponse. Mlle  Aimée m’a beaucoup parlé du docteur sur le ton que tu peux imaginer ; elle ne se gêne point, mais je m’observe un peu.

13


À ROLAND, À AMIENS[27]
13 février 1781, au soir, – de Rouen.

Viens toujours, mon tendre ami, viens à moi quand tu n’es pas satisfait ; qui partagera mieux tes mécontentements ? Qui pourra, j’ose le dire, les adoucir plus efficacement, si le plus vif intérêt et la plus grande tendresse sont les meilleurs moyens pour cela ? Tu ne me dis rien de ta santé : elle souffrait, sans doute, quelque altération ; hâte-toi de m’en donner d’autres nouvelles. Je m’attendais bien à cette dernière lettre : je l’envoyai chercher de bonne heure à la poste, afin d’en prendre connaissance avant de conclure les arrangements que j’avais pris sur celle d’hier. Je te dirai d’abord, afin de répondre à ton empressement, que je pars jeudi matin 15, pour Dieppe, avec la seconde de nos amies et que je serai de retour lundi. Cette marche ne dérange rien à la tienne et je suis bien aise, dans tous les cas, d’être de retour ici avant toi, de m’y retrouver toute établie, toute reposée à ton arrivée. Si j’avais consulté le plaisir d’être avec nos deux amies dans la confiance et la liberté, comme j’y suis, si j’avais eu égard à ma paresse naturelle, au mauvais temps, etc., je ne me serai pas déplacée ; mais je suis près de Dieppe, on m’invite à m’y transporter avec beaucoup d’instances, j’ai bien des petites choses à dire à M. Despréaux qui ne feraient qu’un médiocre effet par écrit. Il m’annonça les deux exemplaires des cinq premiers volumes et je n’ai trouvé que les quatre premiers de chacun. Je lui ai mandé cette erreur, je n’en ai pas de réponse ; l’abbé qui remit le paquet en passant n’est point revenu ; je voudrais m’assurer si, dans un cas extrême, tu ne serais pas libre de faire passer ton édition à l’étranger ; je pars, je demeurerai le temps nécessaire et je reviendrai aussi promptement que les voitures publiques me le permettront, lundi, comme je te l’ai déjà dit. L’anglais, auquel je ne puis compter avoir donné que huit jours de travail, souffrira un peu de cette absence ; mais il est impossible de tout accorder. Ces demoiselles ont été singulièrement affectées de la rapidité du temps : je leur avais bien dit que je ne croyais pas rester au delà du mois ; mais elles ne pouvaient imaginer que la fin en fut si prochaine : elles me croient à peine établie chez elles. Je leur dois le témoignage que ces expressions ne sont pas des lèvres et que les jours m’ont paru à moi-même couler très vite, à tout autre égard qu’au tien. Mais tu me manques, l’idée de ta situation me peine et je suis pressée de te rejoindre ; viens donc, sitôt que tu le jugeras convenable ; arrange-toi seulement pour t’arrêter ici quelques jours de plus ; de cette manière, tu nous contenteras tous.

Je puis difficilement déterminer une préférence pour les voitures, parce que je ne connais pas les chaises de la Messagerie, qui vont en deux jours, et que j’ignore si elles sont plus douces que la poste qui, d’un autre côté, va bien plus vite ; j’en ai parlé à ces demoiselles, qui aimeraient mieux la poste, en supposant le choix d’une chaise douce ; elle me plairait aussi, parce qu’elle laisse plus de temps ; ainsi tu la prendras, à moins que tu ne juges différemment des voitures de la Messagerie dont tu peux t’informer ; tu trouveras ici une place pour la chaise de poste, si tu viens par cette voie ; ne serait-ce pas quelqu’une de tes connaissances qui te prêterait une chaise ? je l’imagine au moins, et le contraire me paraîtrait bien dispendieux.

Tu as raison, mon bon ami, de tout ce que tu me dis de Mlle  Maleuvre[28] ; mais, en supposant que mon malaise et ma paresse se soient autorisés des observations de nos amies sur certains jours où elles ont pensé que ma visite dérangerait cette respectable fille, que j’étais résolue d’aller voir, crois-tu que je ne m’en sois pas déjà repentie et que le reproche de mon cœur ne soit pas suffisant ? Le tien m’a vivement touchée ; mais je t’avais prévenu. Au reste, je pense que cette honnête personne n’a rien trouvé chez moi qui ne lui retraçât ton estime et tes égards ; va, lorsqu’elle n’y aurait pas des droits particuliers, le titre d’infortunée suffirait pour obtenir les miens.

Il n’y a pas eu un beau jour depuis que je suis dans cette ville ; souvent les pluies étaient très fortes et les ouragans violents ; je n’ai été qu’une fois un peu loin : c’est-à-dire, sur le pont, à la Bourse et dans les environs, le jour que je fus voir Mlle  Maleuvre. Dimanche, nous avons été à Saint-Ouen ; j’ai passé devant la porte de M. Descamp[29] et mes souvenirs y ont fait hommage en secret.

Je ne pense pas qu’il faille répondre bien promptement à la petite lettre du frère : tu lui diras tout ce que tu voudras pour moi ; quoi qu’il en soit de son pouls, pour me servir de ton expression, j’aime à voir qu’il ne craigne point que tu le juges. J’ai envoyé ta lettre à M. de Couronne[30], après l’avoir lue avec beaucoup de plaisir ; je suis sûre que le docteur se mordra les lèvres en la lisant, et qu’il tâchera d’y trouver de quoi appuyer son jugement sur la sensibilité, la fierté de ton âme, ton style décisif ; et ce sera faute de pis ; mais ses efforts seront ceux d’un enfant dépité, et je crois que M. de Couronne y comprendra quelque chose. Cette lettre prépare admirablement le dénouement et reviendra à leur esprit dans l’occasion. J’ai mis, l’autre jour, assez adroitement M. Baillière sur le compte de ces deux amis ; il juge bien le docteur, et conséquemment n’en fait pas trop d’estime ; c’est un phrasier (ce sont ses termes) qui ne fera jamais que des projets ridiculement vantés par M. de Couronne, son aveugle admirateur, qui ne fait pas preuve de discernement en l’exaltant aussi haut. Il ajouta que l’abbé serait fort heureux de mourir avant le secrétaire, pour avoir un bel éloge académique : et vice versa. Cela n’est-il pas plaisant ? Je n’ai rien dit de M. d’Ambourney, parce que j’ai su qu’il était lié fort étroitement avec M. Baillière. Nos amies prétendent que celui-ci vient plus souvent depuis que je suis chez elles. On désirerait extrêmement être assuré du jour de ton arrivée parce qu’on, voudrait réunir quelques amis et qu’il faut s’y prendre de loin pour inviter son monde dans un temps où chacun est engagé. J’ai répondu ce que je devais à ce projet, auquel on met beaucoup d’intérêt. Je t’écris le soir, parce qu’il m’arrive souvent de vomir en m’éveillant et que cela ne me dispose pas heureusement à rien faire de bien. J’avais fait depuis peu une Épître au docteur ; je l’ai trouvée plate, elle est au feu sans rémission, J’ai toujours besoin de manger, et il m’est très pénible d’en faire les frais, parce que tout me dégoûte ; je suis comme les oiseaux qui recommencent à chaque instant, et je n’en prends guère plus qu’eux à la fois. M. Groam[31], sa matière électrique et ses ouvrages ne sont pas connus de M. Justamont, qui te dit d’ailleurs mille choses honnêtes. Nous n’avons fait encore que repasser les premiers principes et lire un peu ensemble ; je lis beaucoup dans mon particulier ; j’ai d’aujourd’hui un ouvrage plus difficile que les précédents ; nous nous mettrions incessamment à la poésie, si je ne m’absentais pas. Je fais de mon mieux, je n’en sais guère par comparaison à ce qui me reste à apprendre ; mais je serai fort en état de travailler seule.

M. d’Ornay vient de m’interrompre, c’est pour la seconde visite ; je lui en rendrai une demain, afin de ne point m’en aller sans lui faire cette honnêteté ; mais, en vérité, les jours fuient comme l’ombre, à peine a-t-on le temps de se reconnaître.

M. Le Monnier est revenu l’un de ces soirs ; il ne m’a point apporté les vues, parce qu’il attend quelqu’un à qui il a promis de les montrer ; il m’en a fait des excuses que j’ai agréées aussi honnêtement qu’elles étaient présentées.

Écris-moi, mon ami, que je trouve ta lettre en arrivant ici. Je t’aime et t’embrasse bien tendrement. J’entends notre maître d’anglais : je dis notre, car les amies veulent apprendre aussi. Addio, idol mio, sia contento ; aspetto una lettera che ti faccia vedere ad io più lieto ; non sai quanto mi fa il essere tuo mesto ! Venga dalla tua arnica che t’apre il suo seno ; addio !

Je t’écrirai un mot en arrivant à Dieppe, pour t’informer du voyage. Mille choses à tes voisins, etc.
14

À ROLAND, À AMIENS[32]
15 février au soir, jeudi [1781], — de Dieppe.

Nous sommes parties ce matin, mon tendre ami, par un temps affreux, qui est devenu un peu plus supportable avant midi. La voiture m’a causé un peu de malaise, sans ajouter beaucoup à mes indispositions ; j’éprouve même que le grand air et le mouvement me sont assez salutaires. J’ai bien dîné, je ne me sens point trop fatiguée, tout ira bien. Nous avons trouvé toute la famille, frères, femmes, enfants, cousines, etc., qui venaient à notre rencontre avec l’empressement et la bonne amitié que tu leur connais pour toi ; nous avons mangé tous ensemble et nous sommes allés voir la mer, qui était assez agitée ; ce spectacle imposant frappe et attache à la fois très vivement ; je l’ai considéré avec intérêt malgré le vent et la pluie qui étaient considérables ; et j’ai vu sur la jetée, avec un plaisir d’une autre espèce, le fils de ce fameux brave homme dont il a tant été question. Tu peux penser que nous nous sommes beaucoup entretenus de toi, et de la part des amis particulièrement avec une vénération, une sensibilité également grandes. M. Despréaux, touché de plusieurs de tes lettres, s’est excusé des disgrâces survenues dans l’affaire de l’impression, d’une manière détaillée que je te rendrai mieux de bouche que par écrit. J’ai été chez Dubuc[33], qui me paraît un personnage fort simple, ignorant même les lois de la librairie ; il te livrerait ton édition, si tu voulais la prendre ; je crois même qu’il lui ferait plaisir de s’en débarrasser. Peut-être, dans le cas de la publication, s’exposerait-il aux réprimandes, vu l’état des choses ; mais il ne s’en doute pas et serait homme, je crois, à imprimer le reste sans grande façon, malgré la défense de M. Houard[34], s’il recevait un ordre de toi. Mais, ce que j’y vois de clair, c’est que tu peux faire retirer l’édition, dans le cas où ce parti te semblerait convenable. J’ai rempli tes intentions sur tous les chefs en exprimant ce que tu penses, et je n’ai obtenu que ces réponses d’ami qui crut faire de son mieux, qui sent ce que tu fais pour lui et qui désire de toi justice pour ses intentions, et faveur pour lui-même. Je viens d’essuyer une scène terrible, à force d’être vive et pressante, pour rester avec eux plus longtemps ; ils m’ont attendrie, mais j’ai tenu bon, parce que je t’ai mandé mes résolutions sur lesquelles tu auras pris sans doute tes arrangements, et que d’ailleurs, par égard pour l’aînée des amies, qui est absolument seule, je pense ne devoir pas tarder davantage. On me charge des plus tendres témoignages d’attachement pour toi ; nous soupons ce soir chez le frère[35], à qui j’ai trouvé un air de sensibilité, même de douceur, que je n’attendais pas ; il ne m’a quittée, ainsi que l’autre, que pour me laisser écrire. Sa femme a un mal de genoux, reste d’une chute ; tout ce monde voudrait te voir et s’en exprime les larmes aux yeux. Ô mon ami, combien l’on t’aime ! et qu’ils ont raison ! Va, leurs cœurs sont pleins de toi ; qu’est-ce que toute cette tendresse auprès de celle de ta tendre amie ? Adieu, je t’embrasse mille fois.


15

À PANCOUCKE[36]
17 mars 1781 – d’Amiens.

J’espérais recevoir, Monsieur, durant l’absence de M. de La Platière, l’expédition que vous aviez promis de lui faire il y a déjà plus d’un mois. Obligé par ses affaires de quitter cette ville pour quelques jours, il m’a témoigné, plus d’une fois avant son départ, son étonnement de ne point recevoir votre envoi annoncé, la persuasion où il était qu’il me parviendrait pendant son absence, et le dessein qu’il avait que je vous en écrivisse, s’il n’arrivait rien de votre part. Assez occupé d’ailleurs par différents objets, qu’il avait mis de côté pour se livrer à celui qui vous regarde, M. de La Platière ne peut rester plus longtemps dans l’incertitude à cet égard. Privé de l’exemplaire de l’Encyclopédie qu’il pouvait autrefois se procurer ici, ne recevant pas celui que vous devez lui fournir, il n’a rien commencé de relatif au projet de travail formé avec vous ; trois mois sont déjà perdus, autant de retard à compter sur les parties qu’il devait vous fournir, en supposant qu’actuellement vous le mettiez à même de s’en occuper. Beaucoup de choses de goût le sollicitent d’un autre côté, et, si vous tardez encore à lui faciliter une décision en faveur de votre entreprise, vous ne devez plus compter sur sa coopération.

Je suis, Monsieur, avec des sentiments très distingués,

Votre très humble servante,
Phl. de la Platière.

16

À ROLAND, [EN VOYAGE][37]
21 mai 1782, – d’Amiens.

Il est douteux que tu reçoives cette lettre, je le sais, mon tendre ami ; mais il m’est doux de te l’écrire et de penser que peut-être tu la recevras avec plaisir ; je dis peut-être quant à la réception ; car je crois l’autre aussi certain pour toi que je le sens de tout ce qui me vient de ta part. Où es-tu dans ce moment ? Tu es encore bien loin de revenir ! Jamais l’empire de l’habitude ne s’est uni plus fortement à l’effet d’un attachement profond, qu’il ne l’est actuellement chez moi pour me rendre ton absence pénible. Je ne vis réellement qu’à demi, et, sans l’espérance du bien que pourra te faire ce voyage, jointe à l’idée de sa nécessité, je soutiendrais impatiemment ma situation. J’ai reçu hier une lettre de Dieppe, à mon retour de la messe, trop tard pour y répondre par le même courrier ; je viens de le faire à M. Cousin, qui te fait une longue narrée sur ce qu’il doit faire ou ne pas faire ; je crois lui avoir écrit suivant tes intentions, en convenant qu’il pouvait mettre ses Observations sur la musique, sur Métastase, Chiari et Goldoni, en apostille à la lettre de Venise, comme d’un Vénitien amateur, afin de ne pas faire de suspension ni de couture dans ta lettre ; mais en le priant, sur toute chose, de mettre de la précision et ne rien insérer autre, prose ou vers, dans tout le reste de l’ouvrage[38]. J’écris au frère[39] par les bureaux[40] pour lui envoyer des affiches qu’il demande ; il désire aussi un volume de mathématiques, je ne sais trop ce que c’est, tu feras cette expédition à ton retour ; je lui mande tout ce que je sais de son ouvrage ; j’ajoute des recommandations de veiller sur le frère dont la prolixité m’effraye toujours et à qui j’ai tenu la bride courte autant qu’il m’a été possible. On voulait réponse subite, parce que l’impression va son train : j’ai dit pourtant que, si l’on pouvait envoyer les additions avant, ce serait encore mieux.

J’écris à M. Lanthenas, qui m’a envoyé des échantillons : il dit qu’il viendra nous voir dans le mois d’août.

M. d’E…[41] est venu hier avec sa femme qui m’a l’air de s’accrocher à lui dans l’absence del cicisbeo[42] ; aujourd’hui le mari m’a envoyé un joli bouquet.

Je n’ai pas encore travaillé à quoi que ce soit de notre besogne ; je tracasse, et je veux en finir de ces arrangements avant de commencer rien autre. Il a fait un orage affreux samedi, j’ai calculé que tu étais alors dans la forêt de Compiègne, et, s’il y grêlait comme ici, tu devais être en effet aussi mal à l’aise que je l’étais moi-même par cette crainte. Visite de l’intendance, etc.[43], que je n’ai point reçue, comme tu peux le penser ; nulle nouvelle des grands-parents[44] ni des jeunes mariés[45] ; lettre du curé qui m’annonce les regrets de la bonne fille et son impossibilité de quitter ses parents ; du reste, rien d’important à aucun égard.

Ménage-toi bien, mon cher et bon ami ; sais-tu combien je pense à toi ; comme je te désire ? Va, dans ton absence, solitude et travail sont les seules choses que je puisse goûter. Tous ces visages qui ne disent rien m’impatientent ; et j’aime mieux, comme je l’écrivais tout à l’heure, tuer les chenilles de mon jardin que de dire des riens en société. Adieu, je te presse sur mon cœur.

17
[À ROLAND, EN TOURNÉE[46].]
25 juillet 1781. — d’Amiens.

Tu mériterais bien d’être embrassé de bon cœur pour m’avoir donné si promptement de tes nouvelles ; mais le moyen pour une femme grosse d’embrasser un homme à cheval ? Il ne lui reste plus qu’à rêver qu’elle est mieux à son aise, et questo l’ho fatto io. Ton petit en a tressailli cinq à six fois, à me donner des coups de poing ; c’est un effronté lutin comme son père.

Tu sauras qu’il est aujourd’hui mercredi ; je me souviens parfaitement ne devoir envoyer une lettre que demain : mais j’ai grande envie de causer avec toi ; j’ai pourtant songé qu’en ne satisfaisant point cette envie, le poupon en serait peut-être marqué, et qu’alors nous aurions le plaisir de voir la couleur d’une envie de cette espèce. Comme ma curiosité n’est pas extrême, j’abandonne la connaissance de cette singularité et je vais mon train. Pour te rendre un compte fidèle de ma conduite, je te dirai que dimanche a été entièrement consacré à mon ménage et à mon herbier : c’est assez en dire et tu me vois déjà remuer tour à tour des chemises et des fleurs, des haricots et des chaussettes. J’ai reçu une longue et pressante invitation des grands parents d’aller le lendemain manger de la tarte en l’honneur de Ste  Madeleine, patronne de Mlle  Decourt, puis de souper, etc… J’ai accepté pour une partie, et le lundi après avoir gentiment travaillé le matin, j’ai dit un bonjour à M. d’Eu, j’ai fait une visite à Mme  de Bray[47] et je me suis rendue chez les mères. Il y avait grand monde, les Cannet et mille autres ; j’ai fait ma partie pour la tarte et la causerie, puis, laissant jouer les amateurs, je suis rentrée sans rémission à sept heures et demie. On m’a obligeamment grondée, mais, avec tout, il m’a bien paru qu’on était reconnaissant de ce que j’avais bien voulu me déplacer même pour deux heures.

Parlons d’autre chose.

Il m’est venu, le 23, une lettre bien honnête de M. Tillet[48]. Il dit sommairement que, sans avoir jugé que tu étais éloigné, etc., il avait cru entrevoir que, tenant au fond de la chose et la défendant avec beaucoup d’énergie, tu ne te prêterais aux changements, etc., que par égard pour l’Académie. Mais que, ne tenant point à l’Introduction, il ne s’agissait plus d’un changement d’expressions qui, effectivement, pourrait ne contenter personne et que la discussion tombait totalement. Suivent des choses honnêtes et des assurances d’attachement. Aucune autre explication sur le comment cela se fera, ni sur l’Académie, ni sur les commissaires ; rien au monde que ce que je viens d’exprimer. Mon premier mouvement, je l’avoue, a été d’un peu de regret d’avoir lâché la bride à ces messieurs qui me paraissent évidemment avoir été fort embarrassés par tes réponses ; mais, en y réfléchissant, je crois qu’ils doivent l’être encore plus que ce bon M. Tillet ne semble le soupçonner, et je ne suis pas si fâchée : car, à tout prendre et en fournissant les pièces, tu seras en état de faire preuve à la fois d’une persuasion, d’une énergie, d’une modération qui ne se le cèdent point entre elles ; ainsi benissimo : attendons les autres, dont je n’ai toujours pas le moindre vent.

M. Hoffmann t’a écrit des remercîments, en t’envoyant une assignation à son ordre pour tes déboursés ; comme je n’ai pas besoin d’argent et que la nature du papier ne souffre pas du délai, je l’ai serré sans en faire usage.

Ce pauvre Boulay[49], fabricant de bas à Caen, t’a adressé deux lettres pressantes sur les difficultés qu’on lui fait ; je ne sais pas si tu peux te mêler de ses affaires, mais, comme il me paraissait fort en peine, je lui ai écrit que tu étais absent, que mon premier soin serait de te remettre ses lettres à ton retour et que tu le servirais si le bien public et les devoirs de ta place te le permettaient.

J’ai aussi fait un petit billet d’honnêteté, comme de ta part, à M. L’Apostole[50], en lui disant que tu m’en avais chargée, étant, par ton voyage, empêché d’aller le voir. Je viens d’écrire longuement à Mlle  de la Belouze[51] ; j’ai été interrompue par M. Duperron[52], qui m’a fort ennuyée ; il était venu me prier de remettre tels et tels volumes de l’Encyclopédie et du Dictionnaire à l’homme qu’il enverrait ; je lui ai dit que je me réglerais sur ce qu’il me ferait remettre, pour lui rendre autre chose ; il n’a pas paru trop flatté, et m’a prié d’observer qu’une partie du C étant dans le deuxième volume du Dictionnaire qu’il gardait, et devant faire marcher en même temps ce qui concernait cette lettre, il avait besoin des volumes C correspondants de l’Encyclopédie, et qu’il les désirait pour continuer son travail ; comme cette raison a l’air plausible et que je n’aurais pu la réfuter que par la recommandation que tu m’avais faite et que j’ai pensé ne pas devoir dire, j’ai donné les volumes.

Ledit sieur m’a dit encore que les gardes-marchands ne venaient toujours point au bureau, qu’ils disaient n’y avoir que faire quand l’Inspecteur ne s’y tenait pas, et que c’était à lui, payé pour cela, d’y être[53]. — M. Blondel[54] t’a écrit, en réponse à ta lettre du 27 juin, dans laquelle tu avais annoncé les réclamations des merciers-drapiers sur la réunion du Bureau de contrôle avec celui des fabricants ; il te charge de les prévenir que l’intention du Conseil est que l’exécution des règlements soit maintenue, et qu’en conséquence il ne doit exister qu’un bureau composé de fabricants et de marchands.

J’ai revu lundi, avec M. d’Eu, nos échantillons de plantes aquatiques, et je lui ai remis les listes qu’il m’a demandées pour les arranger ; je suis bien aise de lui laisser faire ce qu’il pourra, ce qu’il saura ; après quoi, j’ordonnerai le tout dans notre mémoire. Je l’ai fini, à l’exception : 1° de cette addition botanique ; 2° de la liste des auteurs et des ouvrages ; le commencement que tu en as fait est si bien abrégé, que je n’ai pas l’esprit d’en tirer parti sans feuilleter de nouveau. C’est a quoi je vais me mettre en continuant les deux journaux de Physique et d’Économie. Nous aurons bien à relire, je crois, et quelques corrections à faire avant le mis au net ; mais les grandes parties sont liées et l’ensemble sera bon, à ce que j’espère. Vous avez fait d’excellentes choses, mon cher maître, et le certain air scientifique dans les discussions chimiques ou minéralogiques n’y figure pas mal.

J’oubliais de te dire que lundi encore M. Renard[55], le professeur, est venu t’amener un monsieur, de Lille, avec lequel il voulait te faire faire connaissance, ou, pour dire comme lui, auquel il souhaitait procurer la tienne. C’est un gendre de M. Houzey[56], qui paraît avoir du goût et quelques connaissances : il a passé six mois en Italie ; il a vu avec enthousiasme tableaux, statues, ruines, médailles ; il s’est trouvé en pays de connaissance au milieu de ton cabinet ; les Piranèse, les autres gravures, les soufres, etc., lui paraissent familiers ; on a demandé à voir tes laves, tes marbres ; j’ai conduit, j’ai montré ; tous les objets d’histoire naturelle ont intéressé ; ce personnage, honnête et doux, dit être lié avec M. Romey de Lille[57] ; il venait de voir M. L’Apostole qui lui avait promis une petite collection de tourbes ; de celles que tu fournis, peut-être ; j’en ai dît quelque chose. Enfin on a été très fâché de ne pas te rencontrer : partie remise pour un autre voyage ; M. Renard a dit beaucoup de choses de toi, très bonnes et bien vues : tu me parais placé convenablement dans son estime.

Je vais laisser mon paquet ouvert jusqu’à demain à l’heure du courrier : peut-être aurai-je à te dire des nouvelles.

Dors en paix ; ta cave va bien, ta maison n’est pas brûlée, et tu sais bien que ta femme, sans avoir sa barque pleine, ne prend pas de passagers[58]. Mes filles vont leur train : ce n’est pas sans peine ; la petite Marie[59], avec son air doucet, n’a pas grand jugement et ne vaut pas toujours mieux qu’une autre. Soit peur ou sorte de finesse, elle à comme voulu tâter le terrain. J’ai montré la porte, toute ouverte, quiconque aurait la moindre idée de sortir, et moi comme très pressée de me défaire de celle qui en aurait la plus légère envie. Ma foi, peur est venue tout de bon : elle fait de son mieux aujourd’hui. Adieu, loup-loup, reviens bien vite ; il m’ennuie fort de ne pas te voir.

J’ai écrit à M. Flesselles[60] des questions de ma façon sur une partie que je trouve absolument incomplète : c’est l’emploi des cendres pour engrais. Il faut bien dire : quelle est la meilleure cendre de tourbe pour cet objet ; eu quelle quantité à peu près on doit l’employer relativement aux différentes qualités de terres ; comment et dans quel temps ; quels sont les abus de cet usage, s’il y en a ; comment on pourrait mieux faire ; quels sont et quels pourraient être les résultats ? Je n’ai rien reçu de Rollot[61] ; rien de Rouen : c’est inconcevable ; M. de Vin est venu ce soir causer politique ; il demande expressément d’être nommé dans ma lettre comme un de ceux qui t’aiment beaucoup et te disent mille choses. M. d’Eu est venu ensuite, j’ai demandé notre liste pour demain ; je cherche comme une perdue dans ces journaux ou je ne trouve guère. Le rondinelle hanno fatto dei piccoli che susurrano ; io, non posso bisbigliare, perché sono sola. Aspetto ti, rivien frettolosamente al dolce nido ove mesta la tua compagna ti brama, Vade al letto, idol mio, colla cara sembiama tua in petto.

Enfin, nouvelles de Rouen : les deux amies pensent et parlent comme écrivait la cadette[62].

M. Justamont est content : il trouve dans la réponse toute la force et la modération possibles ; MM. Baillière et Le Monnier en sont parfaitement satisfaits ; M. Just. doit apprendre l’effet qu’elle aura produit dans la famille de M. H.[63], il nous en fera part. Il désirerait que tu publiasses tes réponses à l’Académie, il a la plus grande impatience de les voir. Les amies les attendent aussi, et demandent encore une douzaine de brochures pour lesquelles elles ont des places toutes prêtes. J’ai envie de m’informer du jour du départ d’une voiture pour Rouen, et d’en faire l’expédition, à laquelle je joindrai la copie des épîtres académiques. Zenon[64] a fait des merveilles ; on dit beaucoup de choses d’Aristote, qui trouve cela fort bien.

Je reçois une lettre de M. Fougeroux[65], qui répond comme tu lui as écrit ; sans parler de l’autre affaire, il t’abandonne l’article en question et avait chargé Panckoucke[66] de t’en écrire : cause du retardement de sa réponse. Des millions de choses de M. Just., enchanté des lettres d’Italie, ayant fait l’envoi à son frère et travaillant de son côté.

Reviens donc, mon ami, je t’embrasse et t’aime comme tu sais.

18
[À ROLAND, À PARIS[67].]
Jeudi, 15 novembre 1781, — [d’Amiens.]

Tu es arrivé sans doute, mon cher et bon ami[68] ; j’attends de tes nouvelles avec impatience, comme le restaurant le plus nécessaire dans ton absence ; je t’ai renvoyé une lettre arrivée sous contre-seing et qui n’avait pas la petite marque ; j’en ai reçu une de M. Hoffmann qui t’écrit de Paris, où il est rue Poissonnière, maison de M. Le Prince. Une affaire de conséquence l’amène dans cette capitale, il n’est question de rien moins que de toute sa fortune : procès avec son intendant, etc. Il désire beaucoup de te voir et te prie de le faire avertir si tu vas dans cette ville ; il te parle de sa mécanique à filer dont il est assez content. Je crois, d’après cet exposé, pouvoir me dispenser de t’envoyer son épître ; j’ai dessein de t’en faire passer quelques-une pour Villefranche, et je ne veux pas grossir le paquet inutilement.

M. Du perron est venu te demander, ainsi qu’un espèce de commis je crois, de M. d’Antin[69] ; on leur a dit que tu étais sorti, ainsi que nous en étions convenus. Je suis fort en peine de ta santé, je crains le rhume, cet air humide, les tracas de Paris, que sais-je ? Je crains tout, quand je ne te vois pas. J’espère au moins que tu peux te chauffer ; c’est devenu pour moi chose bien difficile ; il fait un temps affreux, et ce vilain vent qui rabat la fumée dans toutes nos cheminées. Je ne sais où mettre mon poussin[70], j’ai éteint le feu de ma chambre afin de pouvoir y respirer ; tu sais comment on est dans ton cabinet en pareille circonstance ; j’y viens pourtant sécher mes paillassons et dégeler mes pieds. Au milieu de ces petites misères, notre petite va très bien ; c’est ma consolation. Elle ne rit pas mieux que tu ne l’as vu rire, mais elle le fait plus souvent en me fixant, et je veux imaginer que c’est mieux qu’une grimace.

M. Cannet[71] a débarrassé M. d’Eu avant-hier, et Mme  d’Eu est accouchée hier à midi d’une fille ; son mari en est tout honteux, elle en a de l’humeur ; je n’ai jamais rien vu de si grotesque. Je suis sortie ce matin pour les aller voir, et j’ai été fort étonnée de me sentir fatiguée de cette course. Bon Dieu ! combien une nouvelle accouchée qu’on trouve seule, sans enfant, me paraît bizarre ! La pauvre enfant suçait ses doigts et buvait du lait de vache, dans une chambre éloignée de sa mère, en attendant la mercenaire qui devait l’allaiter. Le père était fort empressé de faire faire la cérémonie du baptême, pour expédier au village cette petite créature.

Tiens, mon ami, ce n’est pas ma faute ; mais je les estime tous les deux encore un peu moins depuis que j’ai été témoin de leur indifférence. Le mari était venu me voir mardi ; je lui avais appris ton départ et la raison du silence qu’il m’a paru très bien sentir. Ses promesses m’ont fait croire que je pourrais t’envoyer incessamment la petite botanique, mais son nouvel embarras va lui fournir des excuses.

Je lis Winckelmann et M. de Paw[72] ; je voudrais bien faire quelque chose qui te fût utile, mais je travaille peu. Mon ménage a été merveilleusement ces jours-ci, parce que j’ai tenu la bride courte ; mais je rôde dans la maison jusqu’à midi, et ce train, excellent pour cet objet, ne favorise pas le travail du cabinet. Je n’ai pas eu une nuit bien bonne depuis ton départ ; tu m’occupes toujours vivement, et, malgré moi, avec une teinte de tristesse quand tu es éloigné. Cependant je me porte bien, mon estomac se tire toujours d’affaire à ravir et mon lait ne m’incommode plus. Addio, carissimo amico, finque domani, T’abbraccio téneramente.


Samedi

Je reçois enfin de tes nouvelles[73], et je vois avec attendrissement et chagrin que tu es déjà inquiet ; l’heure de la poste s’est passée hier avant que j’eusse préparé mon paquet. Joséphine[74] est prise d’une fluxion sur les yeux dont elle n’a plus l’usage par cette incommodité ; j’ai fait venir Ancelin[75], qui a hésité de la saigner pour raison ; bains de pied, bouillon de veau, etc. ; il faut que Marguerite[76] aille au dehors, que je sois à l’enfant et à la malade. Heureusement les maux de cette espèce ne sont pas de longue durée. Je t’ai encore renvoyé précipitamment une lettre hier matin. M. Duperron est revenu deux fois ; à la première, je ferai dire que tu es absent. M. Price[77] est venu aussi ; il m’a parlé en dernier lieu ; désirant savoir le moment de ton départ pour Paris, je lui ai appris que tu y étais : il doit m’apporter un paquet à te faire passer.

Je t’écris pour ainsi dire sur mon genou, encore dans la fumée et tourmentée de ma pauvre petite qui, depuis hier au soir, a des coliques fréquentes. L’heure presse, ma malade pleure comme un enfant et ne prend pas ainsi le chemin de guérir ses yeux. Je me sens assez leste aujourd’hui ; ta lettre m’a rafraîchi le sang. Mille choses à M. Lanthenas ; paix et courage à tous deux, au milieu des tracas de la ville. Les difficultés me paraissent s’accumuler pour l’affaire en question[78] ; tu es bon et sage pour faire ce qui convient le mieux. Rappelle-moi à Mlle de la B[elouze] ; je t’enverrai une lettre pour elle à la première fois, et ce sera bientôt.

Adieu, bonjour, devine et reçois tout ce que je sens et voudrais te dire.


19

À M. ROLAND DE LA PLATIÈRE, À VILLEFRANCHE[79].
…novembre 1781, — d’Amiens.

Eh bien ! mon cher frère, ce n’est qu’une fille !… Je vous en fais mes excuses très humbles, mais de plus habiles que moi ne s’y entendent pas mieux, comme vous le voyez ; et si notre ami s’y est trompé, comment vouliez-vous que je le devinasse ? Au reste, je vous promets bien que cette petite nièce vous aimera tant, que vous lui pardonnerez d’avoir mis le nez dans ce monde où l’on croyait qu’elle n’avait que faire. Dans cette assurance et avec promesse de mieux faire à l’avenir, j’espère que vous m’accorderez la paix ; je me hâte de vous la demander, car je vous crois bien et dûment fâché ; je sais de quel œil vous voyez la drogue, et comme ceux qui la vendent savent mieux que personne le peu qu’elle vaut, je conviens qu’elle est embarrassante. Je crois avoir rempli toutes les conditions d’une bonne confession ; ne parlons donc plus de la chose, si ce n’est pour les accessoires.

J’ai été sensible plus que je ne saurais dire à l’inquiétude que vous nous avez témoignée ; je recueille ces marques d’amitié avec un charme inexprimable, elles pénètrent mon cœur et me rendent délicieux les liens qui m’attachent à vous. Dans la retraite de notre paisible ménage nous ignorons le besoin des distractions et de la société commune ; mais les sentiments qui nous animent nous rendent d’autant plus chers ceux de nos parents qui savent les partager. Indifférents aux personnages qui nous environnent, au point de ne les voir que pour éviter la singularité, nous tenons à cent lieues de nous avec une affection et une complaisance qui ne peuvent se comparer que l’une à l’autre. Nous aimons en solitaires : peu d’objets, mais avec transport. C’est, je crois, où doivent en venir toutes les âmes honnêtes qui ont de l’énergie. Amenée depuis longtemps à cette disposition, comment ne se serait-elle pas fortifiée avec ceux qui présentent à mon estime des sujets tels que je les désirais pour l’appliquer justement, et dont je sens toujours mieux la rareté à mesure que les comparaisons se multiplient ? C’est d’après eux que j’espère voir un jour le petit tiers qui s’élève à nos côtés apprécier les hommes et les choses, et juger combien peu, en nombre, les uns et des autres méritent de l’affecter ; en choisissant ainsi ses modèles, je ne craindrai pas qu’il prodigue ses sentiments à des objets indignes. Mais, en me livrant à ces idées, peut-être détourné-je trop les yeux de l’incertitude et la fragilité de l’existence d’un être si jeune et si faible ; cette réflexion me serre le cœur parfois et jette une gaze sur mes jouissances précoces. Pauvre humanité ! La crainte environne toujours le plaisir, même dès l’instant qu’il vient de naître.

Je m’aperçois que je vais philosopher tristement ; ce serait bien étrange en vous écrivant, mon cher frère, si de vous écrire ne me rappelait la distance où vous êtes. Celle où je suis de mon bon ami peut contribuer encore à diminuer ma gaieté. Nous sommes séparés depuis plusieurs jours et pour quelque temps ; il est à Paris, occupé de diverses affaires et particulièrement de celle pour laquelle vous nous envoyâtes le mémoire signé[80]. Nécessité, raisons me font approuver l’absence ; rien ne me fait m’habituer à elle, pas même la petite fille qui me donne à remplir des fonctions si chères. Elle requiert mes soins à ce moment, et je vous quitte pour lui faire sucer avec le lait le tendre attachement que je vous ai voué pour jamais ; cette idée ajouterait à mon zèle, s’il pouvait être augmenté ; mais certainement elle accroît mon plaisir. Adieu, cher frère ; recevez mes embrassements.


20

[À ROLAND, À PARIS[81]]
Dimanche au soir [18 novembre 1781, — d’Amiens.]

J’ai eu tant d’humeur ce matin que je suis tout étonnée de me trouver sans fiel ; l’aigre Joséphine m’avait aigrie moi-même plus que je crois ne l’avoir encore été : elle en est aux gémissements, et je suis prête à pardonner. Je t’ai écrit à midi pour oublier ces tracasseries, mais je t’en entretenais ; je viens de trouver cela si dégoûtant, que je le jette au feu.

Tu trouveras ceci bien griffonné, je n’ai qu’une main de libre et je n’y regarde que de côté, ma petite est sur mes genoux, où il faut la garder la moitié du jour. Elle tient le sein deux heures de suite en faisant de petits sommeils qu’elle interrompt pour sucer. Si on l’ôte, elle pleure et mange ses poings. Je suis obligée, dans une même séance, de la porter alternativement aux deux côtés, parce qu’elle vient à bout de les épuiser, ou à peu près. Elle prend étonnamment et elle en rend bien la moitié ; j’en ai conclu que la fable d’Eve n’était pas si bête et que la gourmandise était véritablement un péché originel. Vous autres, philosophes, qui n’y croyez guère, qui nous dites que tous les vices sont nés dans la société, par le développement des passions qu’elle excite et par l’opposition des intérêts, apprenez-moi pourquoi cet enfant de six semaines, dont l’imagination ne peut rien dire encore, dont les sens paisibles et réglés ne doivent avoir d’autre maître que le besoin, passe déjà les bornes de celui-ci ? On nous peint l’homme dans l’état de nature, docile à ses impressions, mais uniquement guidé par elle, s’arrêtant constamment après le besoin satisfait, et je vois mon petit nouveau-né prendre le lait avec l’avidité et l’excès de la gourmandise ? Vous me direz que les passions des pères agissent sans doute sur les principes constitutifs des enfants, et vous vous tirerez d’affaire par cette influence, comme jadis les astrologues par celle des astres ; moi, je crois bonnement que les uns ni les autres ne voient bien clair dans tout cela. Au reste, messieurs du Musée, qui savent tant de choses, nous éclaireront sans doute un jour sur cet objet. En vérité, je n’ai jamais rien imaginé de si ridicule que cette assemblée, ni de si plaisant que le récit de leur habileté à créer des petits chiens ; honneur aux abbés pour les talents prolifiques[82] ! Tu apprendras sans doute comment on fait des garçons, car les faiseurs d’espèces doivent s’entendre aux genres. Cependant, si je ne dois être de rien là-dedans, je ne vois pas trop pourquoi j’en parle ; passons donc à autre chose. Je me suis amusée, comme tu le verras, à fabriquer la Lettre académique[83] ; les vers en sont médiocres, je le sais fort bien ; mais, pour les faire meilleurs, il aurait fallu, suer, et, en bonne nourrice, j’ai craint d’échauffer mon lait. J’ai songé à l’Épître royale[84] ; je n’ai point encore su trouver un début qui me satisfasse. Dans le vrai, je suis trop distraite depuis quelques jours, ou plutôt trop interrompue, pour faire quelque travail de conséquence. J’espère avoir plus de tranquillité la semaine prochaine ; ma malade se lève, le temps s’éclaircit, mon feu brûle, tu m’as écrit, tu m’écriras, voilà des biens sans nombre.

Mais, à propos de ces derniers, les plus chers à mon cœur, je soupçonne que ta lettre d’hier, datée du 16, n’est pas la seule, la première que tu m’aies écrite ; je ne raisonne pas trop ce soupçon, mais enfin je l’ai, et il me tourmente ; n’aurais-je pas aperçu la marque de convention sur une lettre que je t’ai renvoyée[85] et qui m’arriva avec celle de M. Hoffmann ? Comment ce signe me serait-il échappé ? Aurais-tu oublié de le mettre ? Je ne sais,… Mais tu me parles si peu de toi dans ta lettre, que je sens, mieux encore que je ne juge, qu’elle n’est pas la première depuis ton départ. J’en attends une autre impatiemment ; fais-la plus détaillée sur ta personne. Ton camarade, dis-tu, a bien soin de toi, je le crois ; mais ses soins sont-ils efficaces ? n’as-tu pas de rhume ? Tu dois en attraper à courir comme un diable. M. Duperron étant venu quatre ou cinq fois, sans vouloir me parler, quoiqu’on lui eût dit que j’y étais, j’ai fait savoir à la dernière que tu étais absent ; il est monté. Son objet était de t’instruire qu’il avait délivré un certificat pour des pièces de Beauvais qui n’avaient pas le plomb de fabrique, mais qui étaient revêtues de celui du fabricant et de celui de contrôle. Il a jugé devoir le faire, d’après ce que tu lui as dit pour les pièces d’Amiens qui seraient dans ce cas. Rien de nouveau d’ailleurs, sinon qu’il montre de l’ardeur à s’instruire, qu’il en parle du moins, et qu’il trouve quelques difficultés à tirer des ouvriers tout ce qu’il voudrait savoir. Je crois bien, en effet, qu’il n’a pas toute l’adresse nécessaire pour cela. D’Ollier[86] est venu, je ne l’ai pas vu. M. Flesselles a pris la peine de passer, mais inutilement, parce qu’étant au milieu de mes tracas, j’avais donné ordre de me faire invisible, sans songer à l’excepter.

M. Price m’a envoyé un paquet cacheté et recacheté, que j’ai défait pour diminuer les enveloppes ; je vois que c’est son plan d’assurance, écrit en anglais ; je n’imagine pas ce qu’il prétend que tu en fasses ; mais enfin, comme il me prie de nouveau par un billet moitié français de te l’envoyer, je remplis ses intentions. Il m’a fait lire, l’autre jour, une lettre anglaise du sr Goffaux[87], qui lui parle très vaguement d’un certain comte qu’il veut employer auprès du Conseil, je crois, pour obtenir un emplacement, etc… Je ne sais si j’entends mal la langue, mais celle du sr Goffaux me paraît être d’un donneur de paroles en l’air.

J’ai retourné voir ma voisine[88] ; toujours fraîche et bien portante comme les gens sans souci, elle se dispose à recevoir dans trois jours ses visites d’apparat ; elle n’aura sûrement pas la mienne alors. J’ai vu chez elle le Docteur[89], Mme  Dmgin[90] et les mères, de Bray. M. de Vin remplit toujours la cicisbeatura per maraviglia. Il m’a demandé où tu logeais, sous quel couvert on pouvait t’écrire, se montrant fort empressé de le faire, et, selon moi, faisant en cela comme lorsqu’il débite des nouvelles ; je lui ai répondu très fidèlement et j’ai ajouté l’offre de lui épargner la peine d’une seconde enveloppe, s’il voulait me faire passer ses missives. Comme je ne l’ai vu que chez la dame, et une seule fois, je n’ai pu lui demander i suoi fiachi[91] ; mais je lui ai renvoyé le coussin et j’ai fait l’emplette d’un semblable.

Mme  de Chuignes[92] est de retour ; elle nous l’a fait dire hier par le clerc, avec des compliments, etc. Je n’ai pu ravoir encore le rabat, ni des instructions des demoiselles Cannet[93], dont la mère est incommodée : le temps amènera tout. Je ne sais si je t’ai dit que j’avais écrit à Crespy[94], le soir même de ton départ ; j’étais triste ; j’ai trouvé de la douceur à m’entretenir avec ce bon frère qui t’aime et m’est cher d’autant. Je désirerais bien que tu allasses voir l’Esculape ; j’ai hâte de savoir ce qu’il te dira et ce qu’il conviendrait de faire. Tu verras sans doute bientôt celui de Longpont[95], j’entends le frère ; tu lui diras pour moi tout ce que tu sais que je voudrais lui exprimer. Tu auras aussi je pense, donné de tes nouvelles à M. Hoffmann ; je suis bien aise que tu le trouves à Paris ; il est un de ces hommes qu’on aime à rencontrer et avec qui tu peux causer agréablement.

Scrivi-mi, amico ; ho bisogno delle tue care nuove, ne ho bisogno spesso, spesso ; ma pure, come vai per questo assai lontano dalla tua stanza, ritardi, piuttosto che d’affaticarti, ove che ’l fratello vi anda qualche volta per te. Ti rammenti il primo impiego ch’aveamo fatto insieme dell’ italiano ? Questa rimembranza me lo farà sempre coltivare con compiacenza ; me ne servo per dirizzarti i miei pensieri.

J’oubliais de te parler d’un certain Troussier[96], chapelier, rue Plan-chemibray, au bas du Pont Notre-Dame, qui s’est annoncé pour faire des chapeaux plus fins que ceux de castor, avec une nouvelle matière dont le travail est difficile. MM. de l’Académie ont donné un rapport où ils en font beaucoup d’éloges. Il est aussi question d’une nouvelle méthode dans la composition des castors et demi-castors.


21

[À ROLAND, À PARIS[97].]
Mardi au soir, 20 novembre 1781, — [d’Amiens.]

Tu sais trop bien, mon ami, la peine que peut me faire celle que tu ressens, pour que je t’entretienne de mon chagrin et de mes regrets de toutes tes inquiétudes. Tu as reçu présentement de mes nouvelles et tu auras vu dans leur retard la suite d’une seule erreur, du renvoi de ta 1re lettre. Je la pressentais, et je ne saurais dire comment j’ai pu la commettre, puisque tu n’avais point oublié le signe convenu ; mon impatience me l’a fait bien payer ; mais c’est trop de tes tourments ; je donnerai tant pour les racheter ! fout-il que j’aie ajouté à ceux que te causaient mille contrariétés !

Les tracasseries de M. Tolozan[98] ne m’étonnent pas, quoiqu’elles m’agacent assez ; elles sont une suite naturelle de son humeur taquine et brouillonne ; je parierais qu’il a aussi voulu laver la tête à Hr [Holker] ; il faut bien qu’il gronde, pour être et pour paraître faire quelque chose. Au reste, j’augurerais aisément du jugement des autres Intendants par le sien, en suivant la règle des contraires ; principalement sur le travail et les Académies. Sa sortie à ce sujet me semble aussi pitoyable et risible que l’admiration de MM. du Musée pour leur propre excellence. Pour lui faire pièce, il faut encore augmenter la kyrielle du nom de Berlin.

Je t’envoie ce que j’ai fait à cette occasion. Je crois que les faiseurs d’épîtres ne trouveraient pas les mots de Sire, V. Majesté, etc., assez souvent ramenés, mais je crois aussi que ces faiseurs ne sont pas des modèles ; que tu dois parler en homme qui sent sa dignité, que tu le peux à un prince philosophe, et que, si je me trompe à l’égard de ce dernier, c’est tant pis pour lui[99].

Il ne serait vraiment pas à propos de répandre à ce moment les brochures ; sans doute, il y faudra voir à deux fois avant de le faire, même plus tard. Je suis en peine de savoir le résultat de ta conférence avec M. de Montaran[100] ; tout ceci me porte plus que jamais au projet de la retraite ; elle me présente une tranquillité dont je suis avide de te voir jouir. J’aurai du plaisir à te considérer, ayant fourni avec distinction une carrière laborieuse, planter là ministres, affaires, places, Académies, sots et sottises, et te rire d’eux tous, en faisant faire tes vendanges. Mais, comme tu le dis fort bien, il ne faut pas perdre la tête, et je ne vois rien dans tout cela pour l’égarer. Le pis est que Mlle  de la Bl. [Belouze] ne puisse t’aider[101] ; c’est une ressource de moins qui augmente beaucoup les difficultés : tu es fait pour être toujours dans le cas de l’audaces fortuna juvat. Au milieu de ces misères, je compte pour un plaisir sensible la délivrance de la permission[102], et le sentiment des disgrâces ne diminue pas pour moi celui de cette jouissance. Il faut pourtant s’attendre encore à la petite guerre : friponries des libraires, insolences des journalistes, critiques de toutes les sortes, que sais-je encore ?… Mais tout cela n’est pas effrayant, et je compte bien que nous nous eu moquerons plus d’une fois en tisonnant notre feu.

Je t’envoie une lettre de Caen qui me paraît du bonhomme que tu as travaillé à soustraire aux caprices de l’Inspecteur[103]. J’en ai reçu une de Beaune, des marchands de vin de ce pays, qui t’envoient leur tarif, et m’ont fait payer 14 s. l’offre de leurs services dont nous n’avons pas besoin. J’étais tentée de la leur renvoyer.

On a apporté de chez M. Cermont[104] le plan, en vue d’oiseau, d’une mécanique à filer, avec l’application ; s’il faut te la faire passer, ainsi qu’une autre petite explication dont tu as déjà la planche, tu m’en avertiras. Le sr Gillet[105] est venu, mais, n’ayant rien d’important à te communiquer (a-t-il dit, en bas), il s’est proposé de repasser ; je lui ferai savoir alors ton absence. M. Duperron est venu aussi aujourd’hui s’informer aux filles si tu étais de retour ; une autre fois, je lui dirai, si je le vois, que tu es à Paris, car il te croit à la campagne. J’ai vu hier au soir M. Flesselles ; nous avons causé bonnement assez longtemps ; il m’a parlé du savon à M. Hr. [Holker] ; il le trouvait terrible et déjà l’avait fait voir à M. Price, qui le jugeait de même, quoique tous les faits lui en aient paru très exacts. J’ai écrit ce matin un billet au premier, pour lui dire mille choses de ta part et le prier de garder son livret sans le montrer à personne.

Il fait un froid pénétrant et un brouillard affreux ; j’ai été voir ma voisine, parce que ce temps-là rendant les visites rares, la mienne en aura paru meilleure et que je voulais qu’elle fût bien sentie, pour me dispenser d’en faire d’autres les jours qui vont suivre ; attendu qu’elle en recevra de cérémonie et que l’heure de ne pas les rencontrer me serait incommode. Je ne suis encore sortie que pour cet objet ; je vais bien empaquetée, en vraie nourrice. Je ne vois point son mari ; j’aurais été aujourd’hui dans son cabinet lui rappeler ses promesses, mais il dînait dehors et n’était pas rentré.

M. de Vin a été de fête avec tous les Câse[106] de l’univers ; il en est un peu moins assidu près de la dame ; juge s’il a pu me venir voir.

Le père de mon nourrisson m’a fait une belle lettre pour m’intéresser à ses malheurs  ; il désirerait une place quelconque, enfin un meilleur sort que celui qu’il a et qui, sans contredit, est bien triste. Sa femme est venue me voir ; je lui ai dit que je serais charmée de lui rendre service, mais que ta place ne te donnait la disposition d’aucun emploi, que j’ignorais de quoi son mari était capable, ce qu’il voulait et ce qu’il pourrait être ; et que, par-dessus tout, je ne connaissais personne qui pût le placer comme elle l’entendait. Elle m’a priée de permettre qu’il vînt me parler, ce que j’ai accordé de grand cœur ; car encore faut-il du moins écouter les malheureux, si l’on ne peut leur faire tout le bien dont ils auraient besoin ; c’est une douceur que d’être plaint, de voir qu’on intéresse, et je procurerai celle-là avec toute la vivacité que me donne le regret de ne pouvoir mieux. Cette bonne femme m’a paru estimer beaucoup ce que nous avions fait pour elle, et les excuses ont été prodiguées sur la liberté qu’elle prenait, etc.

Je ne t’ai pas écrit ce matin, parce que j’ai encore une lettre en route que tu recevras demain, et que j’attends le paquet annoncé pour t’en donner nouvelles dans celui-ci. Si tu avais passé dans les bureaux dimanche, tu y aurais trouvé ma première. J’aurais pu mettre ici à la poste la lettre à Mlle  de la B. [Belouze], car je pense bien que tu ne la lui remettras pas toi-même ; mais tu la verras et tu la déposeras à son couvent comme tu l’entendras.

Ta petite me regarde écrire, elle élève le sourcil comme toi, et elle a déjà au front des plis en travers. Je n’ai presque plus de douleur en lui donnant à téter, et, ce que je n’aurais pas cru, je sens de l’augmentation dans le plaisir de le faire ; je la prends toujours sur moi avec un tressaillement d’aise, en voyant son empressement et son air de santé : c’est une fête pour nous deux. Ancelin, consulté sur la cause des vents de cet enfant, lui a tâté tes mains, qu’il a trouvées un peu froides ; voilà, m’a-t-il dit en docteur, ce qui peut les occasionner : le froid des extrémités durcit les fibres, s’oppose au développement, fait refluer les humeurs au centre et y cause des désordres ; voyez, par l’exemple des animaux toujours cachés sous leur mère, combien la nature indique le besoin de chaleur pour faciliter l’accroissement. Nous avons disserté pendant une heure, ce qui n’est pas difficile, car on peut faire des raisonnements à perte de vue sur les principes et les généralités ; mais appliquons à la pratique et traçons exactement ce qu’il faut faire. Ici mon docteur s’est un peu brouillé, car il estime fort important de laisser aux mains toute la liberté de leurs mouvements ; il trouvait l’expédient de petites enveloppes de toile ; j’ai objecté l’inconvénient de laisser sucer du linge, ce qui arriverait parce que l’enfant porte souvent les doigts à sa bouche. Le raisonneur courait toujours aux grands mots, pour éviter l’embarras de donner des règles sûres que je lui demandais, et j’ai conclu qu’il fallait aller mon train, laisser l’enfant jouer ses mains découvertes dans ma chambre, dont j’ai soin de rendre l’air assez doux.

Tu penses bien que cette consultation n’a été faite que par occasion, lorsque j’ai envoyé chercher le chirurgien pour Joséphine ; car, tant que je verrai ma fille bien prendre, bien digérer, bien profiter, je ne m’inquiéterai guère de l’entendre beaucoup péter, chose très permise à son âge.

Voilà une causerie de ménage ; en vérité, cela vaut bien autre chose ; tu as eu du noir, mon ami ? Et je n’étais pas là pour t’ouvrir mon cœur et t’y présenter l’asile de l’amitié ! Je contribuais à ta tristesse ; cette idée me serre et m’arrache des larmes. Si j’avais imaginé que, m’ayant écrit le vendredi, tu ne fisses pas chercher la réponse le dimanche, je t’aurais écris directement ; car les bureaux causent à mes lettres un retardement que n’éprouvent pas les tiennes : mais il est inutile de revenir sur le passé ; j’attends avec empressement une lettre où tu m’exprimes ta tranquillité, et qui nous mette au courant l’un et l’autre. Adieu, pour ce soir, cher et bon ami, je t’embrasse tendrement.


Samedi.

Je reçois le paquet renvoyé, les quittances qui l’accompagnent et que je viens de signer. J’ai lu tes plaintes trop justes et je me promets bien d’avoir de meilleurs yeux. Il m’arrive une lettre de Rouen. Je l’ai décachetée, pressée que j’étais de savoir ce que te mandait de ce pays une main inconnue (n’avais-je pas déjà peur !). Il me paraît que c’est quelque entrepreneur, conduit par la jalousie du métier, et dont, à ci titre, le témoignage n’est pas d’un grand poids ; d’autant qu’il ne raisonne pas à merveille ; mais enfin, c’est quelqu’un qui voit l’injustice et qui connaît le charlatan, peut-être aussi mieux par sa place que s’il était à toute autre.

Tu es donc bien choyé par le fidèle Achate ? Je reconnais là mon frère et sa bonne amitié, et je lui confirme par toi les titres de l’une de l’autre. Adieu, mes amis, pace e coraggio ; tu en as bien besoin pour ta part, mon bon ami ; mais j’espère bien aussi ne plus troubler l’une ni exercer l’autre par aucune erreur comme la dernière. Écris-moi dans un meilleur jour et que je te sache plus content. Reçois mes embrassements, en attendant ceux de ta fille. Tout va bien au logis.


22

[À ROLAND, À PARIS[107].]
Vendredi, 23 [novembre 1781], 10 heures du soir, — [d’Amiens.]

Si je m’étais permis aujourd’hui de juger des choses par ce que je souhaitais, j’aurais été surprise de n’avoir pas de tes nouvelles ; mais il est tout simple que tu attendes la réponse au dernier paquet, avant de rien expédier de nouveau, et, sur ce pied-là, je n’aurai de lettre que dimanche. J’attendrai cette époque pour t’envoyer ce que j’écris, afin de nous mettre à jour. Ce délai me paraît sans inconvénient, puisque tes inquiétudes doivent être calmées, que je n’ai rien à t’apprendre de neuf, et qu’enfin, autrement, je ne pourrais gagner qu’un jour.

Je viens causer avec toi après mon souper pour adoucir mon veuvage, en atténuant autant qu’il est possible la distance qui nous sépare par la communication de ce que je sens ; je me transporte à tes côtés, je te vois, tu m’entends, et je laisse mes idées, mes expressions, le silence même se succéder doucement avec le charme et la liberté de la confiance. Notre petite repose, je ne suis pas loin d’elle, j’entends son souffle léger annoncer par son égalité la paix de son sommeil, sa situation influe sur la mienne et porte le calme dans mes sens. Combien elle m’occupe et m’attache déjà ! J’épie ses progrès, bien peu sensibles encore ; je crois pourtant être sûre qu’elle m’a ri : c’était ce matin ; je chantais après l’avoir allaitée, en la tenant sur mes genoux ; je chantais avec complaisance, imaginant que les inflexions de ma voix pouvaient disposer ses organes aux impressions dont je me servirai un jour pour remuer son âme ; elle marquait de l’attention, ses yeux se sont fixés, sa bouche m’a souri ; elle faisait un petit bruit d’aise, en élevant ses mains ; je l’ai baisée avec transport et j’ai pleuré de ce que tu n’étais pas là. Reviens, mon ami, au sein de ton ménage ; je n’ai pas de bonheur sans toi, et bientôt ta fille te caressera. Bon Dieu ! pour combien de temps encore te voilà loin de nous !

Je trouve les heures rapides parce que l’occupation les remplit, mais les journées sont pesantes et là somme de celles à passer jusqu’à ton retour me semble une éternité. Le pis est que je te sais accablé d’affaires, courant beaucoup et trouvant, comme il est ordinaire, plus de contrariétés que de satisfaction dans ton chemin. Heureusement tu retrouves l’ami au gîte, et c’est là que j’aime à te considérer, jouissant de quelque repos et cultivant avec franchise le sentiment consolateur qui fait oublier les misères de la société.

Avez-vous le loisir de sortir quelquefois ensemble, de visiter des cabinets, etc. ? On a annoncé dans les papiers une vente de tableaux dont plusieurs des plus grands maîtres des trois écoles. Amasses-tu toujours des catalogues et vois-tu l’abbé Desh-ssy [Deshoussayes][108] ? Ces deux sortes de choses me reviennent à la fois, elles ont entre elle plus d’un rapport, et notre bibliographe ne ressemble pas mal à un catalogue parlant. À propos d’êtres parlants, M. de Vin est venu me voir hier tout exprès pour m’apprendre nos succès en Amérique et la victoire remportée sur Mylord Cornwallis ; en arrivant, il m’a saluée de cette nouvelle, et j’ai été obligée d’essuyer une longue dissertation politique qui n’a fini qu’avec sa visite. Je ne conçois pas l’intérêt qu’un particulier tel que lui peut mettre à ces affaires des rois qui ne se battent pas pour nous, et son existence m’est toujours aussi étrange qu’ennuyeuse. M. d’Eu est invisible ; je crois qu’il n’ose se montrer sans la Botanique et qu’il ne trouve pas le courage d’en finir. Ce soir M. Flesselles est venu passer quelques instants avec moi ; il doit partir lundi ou mardi pour Ostende ; il ira à Bruges, et reviendra peut-être par Dunkerque, Calais et Boulogne où il verrait MM. Delporte[109]. Il nous rapportera d’Ostende ces grammaires anglaises tant demandées sans doute arrivées et qui définitivement ne valent rien, suivant la décision du maître. En songeant à ce maître, as-tu des nouvelles des amies et par elles de la traduction[110] ? il est bon actuellement que celle-ci aille son train. Je te dirai, à ce sujet, qu’en lisant Winckelman j’ai cru te trouver en contradiction avec lui, et que j’en ai été d’autant plus fâchée qu’il est question d’une chose de tact, et que d’ailleurs, plein de cet auteur, tu le cites et le loues fréquemment. Il dit, en parlant d’un groupe auquel on a donné le nom de Papirius et de sa mère, que ce nom a induit Dubos[111] en erreur, qu’il trouve dans la physionomie du jeune homme un sourire malin dont, à la vérité, il n’y a aucun trait. Winckelman ajoute que ce groupe représente plutôt Phèdre et Hippolyte ; que ce dernier montre sur son visage la consternation où le jette la déclaration d’amour d’une mère ; que Menelaüs est le maître qui a fait cet ouvrage et que les artistes grecs prenaient leurs sujets dans leur propre mythologie ou roman héroïque, etc. Toi, après avoir décrit les beautés que renferme le Muséum du Capitole, et celles que présentent plusieurs Ville, tu dis : « Je reviens au groupe de l’Amour et Psyché pour vous parler de celui de Papirius et de sa mère, qui en est proche. L’avide curiosité est peinte, etc… » Est-ce du même groupe dont Winckelman a prétendu relever la fausse dénomination que tu parles ainsi ? J’en ai quelque doute, parce que cet auteur le place dans la vigne Ludovisi ; et que toi, sans désigner sa place, tu porterais à croire qu’il est au Muséum. D’un autre côté, y aurait-il deux groupes semblables ? Je n’en crois rien, puisque, dans l’un et l’autre avis, il ne s’agit que d’un seul qui a donné lieu à l’erreur. Que faire ? Ce sera un gâteau dans la gueule de Cerbère. Je fais des recherches dans cet auteur, et je prends plus que moins ; mais tu as déjà fait une si bonne moisson, qu’il ne me reste guère à glaner.

Ne néglige pas l’Esculape ; as-tu songé au coussin de paille d’avoine ? Il serait de saison. Je me suis mise aussi au déjeuner de cacao et je m’en trouve bien ; mais l’altération qui m’incommodait dans le courant du jour et même la nuit ne s’apaisant pas par l’usage de l’orgeat, je viens de quitter le vin à mes repas et de choisir la petite bière comme unique boisson. Je la crois rafraîchissante et bonne pour le lait, en considération duquel j’évite toute crudité et tout acide ; j’ai toujours une faim dévorante et beaucoup de chaleur dans les entrailles.

Je n’habite que ma chambre depuis ton départ ; j’ai par ce moyen l’œil continuellement sur la petite, et c’est un grand bien, car celle qui la soigne a besoin d’être veillée de très près. Te souvient-il combien de fois il nous est arrivé, en mettant nous-mêmes l’enfant au berceau, de ne pouvoir l’y faire rester ? Il criait, et nous croyions toujours que c’était la colique. On appelait la bonne, elle prenait l’enfant, qui finissait ordinairement par s’apaiser assez promptement. Ces cris étaient l’effet du besoin, déjà contracté par l’habitude, d’être endormi par un petit mouvement doux et presque imperceptible qu’elle lui donnait en le tenant sur les bras ou, lors même qu’il était couché, en passant la main sous lui. La découverte de cette manœuvre m’a outrée ; j’ai parlé net, on a pleuré, on a trouvé que je mettais aisément le marché à la main, l’on a promis de n’y plus retourner. Il m’a fallu avoir le courage, durant deux ou trois jours, de laisser l’enfant crier, chaque fois que je le faisais coucher, un quart d’heure, plus ou moins. On ne peut se fier pour rien sur cette gent mercenaire ; l’attachement qu’elle vous témoigne n’est que machinal, s’il n’est un jeu ; et cette partie de l’espèce que j’aimais à voir d’un bon œil, parce qu’il est dans un état de souffrance, ne vaut rien non plus que l’autre.


Samedi, 24.

Il m’est arrivé une lettre d’Abbeville que je t’enverrai ; j’en ai reçu une de Rouen que Mlle  Mal[euvre] t’adresse pour témoigner la part qu’elle prend à ta paternité ; du moins, c’est l’honnête prétexte qu’elle emploie pour avoir occasion de nous conter ses embarras. Sa nièce est reçue maîtresse ; mais elle a souffert un déménagement et doit en faire encore un autre, parce qu’il faut être en boutique, et qu’elle n’en avait pas encore trouvé. Je crois qu’il serait bon d’ajouter un louis à ce que tu comptes lui envoyer ; je puis faire cela sur la dépense du mois prochain.

Il est venu de Quiry[112] un certain Lucas, foulon ; il m’a conté beaucoup de choses concernant les bureaux, les marques, etc., auxquelles je n’ai rien compris durant un quart d’heure ; enfin j’ai tiré au clair que les fabricants de ce canton n’étaient pas contents qu’il marquât leurs pièces, et qu’ils s’autorisaient de l’exemple de ceux de Tricot[113] qui ne marquent toujours point. Si tu trouves que cela signifie quelque chose, tant mieux ; je te rends cela comme un écho, en t’épargnant bien du verbiage.

La femme Laumont[114] est arrivée m’annoncer son mari pour demain, avec le dessin demandé ; je tirerai de lui les explications que je pourrai, je les mettrai par écrit et, si tu en avais besoin, je te les ferais passer. Quant aux essais de la mécanique à carder, ils ne sont point faits, m’a-t-elle dit, parce qu’il ne voudrait pas acheter de cardes neuves, et que les vieilles qu’on lui avait données sont par trop usées.

Certaines marchandises arrêtées à Reims comme portant de faux plombs d’Amiens avaient été renvoyées ; sur le rapport des gardes qui les examinèrent et les jugèrent faux, M. Duperron dit à ces gardes qu’ils eussent à faire leur certificat en conséquence. Cela fait, expédié à Reims, le marchand auquel sont les pièces a représenté que les plombs d’Amiens étaient tels en 1767. Les gardes, interrogés de nouveau, ne paraissent pas trop sûrs ; ils ont dit à M. Duperron qu’il les avait forcés de dresser un certificat, etc. Cette affaire déjà ancienne est en instance en attendant ton retour. Je te l’expose comme M. Duperron vient de me la conter ; mais j’imagine que tu en as déjà connaissance.

J’ai été voir Mme  d’Eu qui a gagné un petit accès de fièvre, je crois, pour s’être levée malgré les restes d’une fluxion ; elle n’en convient pas, et je n’ai point envie de la contredire ; cela m’importe peu. Son mari, très enrhumé, fort occupé d’affaires et de remuements dans sa partie, est un peu honteux de tant tarder à remplir ses promesses ; il promet toujours : nous verrons la fin.

M. de Vin me donnera une soixantaine de bouteilles ; c’est peu, mais je m’en aiderai.

Je n’ai pu ravoir encore le rabat, ni faire par conséquent aucune expérience ; les demelles Cnt [Cannet] m’ont écrit, ne pouvant venir, que la fille à laquelle on avait prétendu donner le secret savait que l’apprêt se faisait avec de l’indigo et de la gomme, fondus dans de l’eau et appliqués avec un pinceau ; que son embarras avait été en mettant les rabats tremper, parce que l’ancienne teinture s’était alors étendue sur les bords d’où il lui avait été impossible de l’ôter ensuite parfaitement ; de sorte que le rabat, bien d’ailleurs, n’était pas mettable. Il suivrait de ce récit que le secret consisterait à prémunir les bords dans le nettoyage, et il paraîtrait que la bonne femme nous l’a caché[115].

Il y a du changement dans le Ministère[116] ; l’administration du commerce s’en ressentira-t-elle ? Vois-tu ou prévois-tu quelque chose là-dedans qui puisse t’intéresser ? Ne verras-tu pas M. de Machy[117], M. Pasquier[118] ? N’oublie pas d’examiner le soufroir ; tu me le décriras, et j’en ferai faire un petit pour mon usage.

On trouve quelquefois d’occasion à Paris des morceaux de tapisserie de haute ou basse lice, déjà vieille, mais bonne à faire tapis et à bon marché. Si tu en trouvais, ce serait excellent pour le temps où nous mettrons notre petite se traîner a quatre pieds.

Adieu, mon bon ami, jusqu’à demain, l’heure du courrier.


Dimanche, 11 heures.

Enfin, il arrive ce courrier, maudit quand je l’attends, et que j’embrasserais quand il vient[119]. Je monte au cabinet pour faite mon paquet, on range ma chambre ; Laumont arrive, je le prie d’attendre et conséquemment je ne t’en dirai pas long. La grande affaire est ta santé ; sois docile aux lois de l’Esculape ; prends le temps nécessaire pour te purger et pour faire enfin tout ce qu’il trouvera bon. On ne peut pas raisonner avec ces docteurs ; il faut bien suivre leur volonté. S’il remplit sa promesse, argent et temps ne sont rien ; peut-être jugera-t-il meilleur de te traiter à Paris, en personne, plus longtemps que tu n’avais dessein de l’y arrêter ; et à cet égard, comme au reste, résignation et docilité.

Tu as présentement quittances et lettres ; j’ai reçu toutes les tiennes et notre correspondance prend le bon train.

La résolution de l’abbé Desh[oussayes][120] est digne de lui ; je n’imagine pas d’expressions qui rendent mieux ce que j’en pense et ce qui en est réellement.

Vous voyez, Monsieur, que les gens du Musée ne sont pas de l’autre monde. Comment cela serait-il ? diras-tu, à moins qu’ils ne fussent les mauvais anges. Pourtant, je suis un peu raccommodée avec eux ; tant il est vrai que la politesse est une belle chose !… M. Menelle [Mentelle][121] me paraît figurer là convenablement ; je veux dire que ce théâtre lui convient. Pour toi, c’est un spectacle auquel autant vaut assister qu’à un autre.

Notre Achate est donc bien rêveur[122] ; cela ne m’étonne pas ; dis-lui bien des choses pour moi.

Je voudrais causer plus longtemps, mais je songe que je ressemble à ces donneurs d’audience qui débitent gravement des balivernes pendant qu’on les attend, en respectant leurs conférences qu’on suppose de grande conséquence. Je t’embrasse à tort à travers, en attendant mieux.

23

[À ROLAND, À PARIS[123].]
Mardi. 27 novembre 1781, après-midi. — [d’Amiens.]

Tu jugeras, mon bon ami, par l’incluse de M. Flesselles, que j’aurais dû t’expédier aujourd’hui le présent paquet ; mais j’ai gardé le lit jusqu’à deux heures et je n’ai dû faire autre chose qu’allaiter notre enfant. Je ne sais si c’est à la bière que je dois attribuer la petite révolution que je viens d’éprouver ; cette boisson m’a désaltérée dès le premier jour, elle m’a sensiblement rafraîchie le second, je l’ai quittée le troisième parce que je sentais des coliques ; cependant celles-ci ont augmenté le lendemain, j’ai eu un peu de courbature et de cours de ventre ; ça a été l’affaire d’une mauvaise nuit : les soins et le repos que j’ai pris ce matin ont tout raccommodé. J’imagine qu’en te disant tout, tu n’auras d’inquiétude au présent ni à l’avenir ; il n’y a pas de sujet en ce moment. Avant de passer à autre chose, parlons de ta santé qui me préoccupe ; ces emplâtres appliqués doivent attirer une humeur qui exigerait peut-être que tu te fatiguasses moins ; cette purgation toutes les semaines doit demander aussi des ménagements que je crains que tu négliges ; rassure-moi sur toutes ces choses et dis-moi aussi ce que tu sens.

J’ai envoyé chez Mme  de Chuignes m’informer de ses nouvelles, et mon motif très étranger à sa personne m’a donné le mérite d’une politesse que je lui devais à quelques égards. J’ai beaucoup causé d’elle avec d’autres, et, somme toute, il résulte qu’elle n’est point guérie dans l’étendue du terme, puisqu’elle continue emplâtres et drogues et qu’elle ne court point les rues ; personne ni elle-même n’en est étonné, parce que l’Empirique a toujours jugé la cure très difficile et qu’il n’a promis de l’opérer dans sa perfection qu’au bout d’un temps qui n’est pas près d’être expiré. D’ailleurs il y a un mieux sensible, et Mme  de Chuignes, quoique changée, se sert de ses membres, souffre moins et va librement dans sa maison. Il est constant que dans le cas ou ces remèdes n’opèrent pas tout l’effet qu’on en attend, du moins ils ne sont jamais nuisibles ; d’où je conclus qu’on a raison d’en essayer, et que tu peux en espérer davantage que bien d’autres, parce que le mal chez toi ne fait que de naître.

Lhomond est venu dimanche avec le dessin sans explication ; il avait un petit modèle du métier sur lequel j’ai taché de travailler moi-même, afin de comprendre assez bien pour décrire ; mais le défaut des termes propres est un grand inconvénient et nuit à la clarté. Lhomond m’a offert de me donner cette description, sa femme promettant de [l’écrire], car il n’a pas le courage de tenir jamais la plume, même pour signer son nom. Ils se sont engagés à faire tranquillement cet ouvrage le même soir et de me le rapporter le lendemain. Il me paraissait que le sr Lhomond ne se souciait pas de faire voir son impéritie ou sa paresse à dicter. Je ne les ai point vus hier, je les croyais déjà partis : ils sont venus aujourd’hui ; les circonstances n’étaient pas heureuses, j’étais au lit. Toujours point d’explication, disant qu’ils n’avaient pu la faire ; ils s’y sont mis et, après avoir longuement fait celle du métier, la paresse de Lhomond lui a fait songer que tu pourrais voir le reste à Paris, chez un fabricant dont il m’a donné l’adresse. Tu trouveras tout cela ici joint.

J’ai vu dernièrement Mlle  Sophie C[annet] que j’avais invitée pour avoir occasion de lui parler du père de Rosette, qui désirait être recommandé à M. Delahaye, père de charité de sa paroisse[124]. L’intime liaison de Sophie m’offrait des facilités, je les ai employées ; ces bonnes gens seront recommandés sans que j’y paraisse ; ils désireraient aussi faire ressource du côté de M. d’Eu ; je verrai.

Tu n’en auras pas davantage aujourd’hui ; adieu, mon cher et bon ami, je t’aime et t’embrasse de toute mon âme. Mille choses au compagnon fidèle.

Je reçois, mon ami, ta lettre du 26[125] ; tu sais présentement que j’ai reçu aussi la précédente. J’ai hâte d’en avoir une autre de toi où tu m’entretiennes de ta santé et de ce qui s’est passé. Adieu, cher ami, songe que j’ai besoin de tes nouvelles.


24

À ROLAND, À PARIS[126].
29 [novembre 1781]. — [timbre d’Amiens.]

Je reçois ta lettre, mon bon ami, et j’y réponds directement, car j’ai quelque chagrin à te communiquer, et mon cœur est pressé de s’ouvrir avec toi. Ne vas pas t’émouvoir et t’affliger : tu dis toi-même qu’il ne faut jamais perdre la tête ; si tu t’affectais, ce serait le pis de nos maux. Je ne me porte pas bien ; le dévoiement que je croyais passé est revenu avec un petit accès de fièvre, ce n’est rien que cela ; avec des soins, des ménagements, j’en serai quitte aisément. Mais ma douleur, c’est que mon lait se perd et qu’on me défend de donner le peu qui m’en reste, et qu’il faut cependant tirer. J’ai l’alternative de nourrir mon enfant à l’eau d’orge coupée avec du lait ou de faire venir une nourrice, ce que les docteurs disent être mieux.

Tu devines assez ce que je sens. Guide-moi, conseille-moi, dans cette perplexité. Réponds-moi, ne te tourmente pas, je te donnerai souvent de mes nouvelles ; suis tes affaires et n’altère pas mon courage par ton trouble.

Adieu, cher et bon ami, je ne t’en dis pas plus long aujourd’hui. Mes filles sont d’un zèle et d’une affection à faire tout oublier.

Mille amitiés au fidèle Achate.

25

[À ROLAND, À PARIS[127].]
30 novembre 1781. — [d’Amiens.]

Je t’ai écrit hier, mon bon ami, dans un moment d’agitation et de douleur ; je me hâte de recommencer aujourd’hui pour calmer les inquiétudes que je t’ai données.

Je suis mieux ; j’ai trouvé une femme qui me tète deux ou trois fois le jour pour empêcher que le lait ne se perde. Je nourris ma petite au lait coupé d’eau d’orge ; je souffrirais de lui voir prendre le sein d’une autre ; j’espère lui rendre bientôt le mien. Il n’y aurait que la persuasion d’une nécessité pour son bien-être qui me ferait résoudre à lui prêter pour quelques jours une mère étrangère. Sois donc plus ; tranquille, mon ami ; donne-moi de tes nouvelles ; tu auras souvent des miennes, et tout ira bien.

Je n’ai encore vu personne pour le billet ; on a apporté les ordonnances pour tes appointements.

Nos amis sont très empressés ; MM. d’Eu et de Vin sont sans cesse autour de moi ; ils voulaient, comme veulent les amis du monde toujours empressés de faire preuve de zèle à tout propos, que je visse M. Legrand[128] ; ils me l’ont amené, j’ai causé avec lui ; mais, comme je n’ai guère de confiance en personne d’ici, autant m’en tenir à Ancelin pour ce bibus.

Je fais un suçon en toile qu’on imbibe continuellement en versant dessus goutte à goutte, et l’enfant prend ainsi ; la première nuit de ce régime a été triste ; la pauvre petite me voulait, et ses cris m’ont déchirée. Si tu m’apportes un couvert pour elle, aie soin de le prendre très petit. J’ai vu notre bon frère de Crespy, il est arrivé d’hier et part aujourd’hui.

Adieu, tendre ami, je suis toute à toi.


26

À ROLAND, À PARIS[129].
Dimanche, 23 décembre 1781, — [timbre d’Amiens. ]

Eh bien ! cher ami, après cette retraite de trois semaines[130] où tu m’as fait si bonne et si douce compagnie, te voilà rejeté dans le tourbillon des affaires ; puissent les nôtres te donner moins de contrariété ! Je compte au moins, bien sûrement, ne plus te faire revenir avec tant de tristesse et de précipitation ; mais, sur toute chose, vois ton Esculape et aie soin de ta santé. Je ménage la mienne comme pour toi ; n’est-ce pas tout dire ? J’ai passé hier une seconde journée sans colique ; j’ai mangé du poisson avec appétit, j’ai bien digéré sans pesanteur ni malaise, et j’ai très bien dormi ; toujours grâce à l’opium, mais en moindre dose. De trois grains on m’a fait quatre pilules pour autant de jours, après lesquels on diminuera dans la même proportion jusqu’à néant. Le tout, par l’avis de mon docteur qui m’est venu voir hier matin, et dont, par parenthèse, la pauvre femme en souffrance depuis dix-sept jours n’est point encore accouchée[131]. Ma fille vit, mais c’est tout ; plus d’embonpoint, pas d’accroissement sensible ; mon cœur en saigne quelquefois, puis je songe à toi et je prends courage. Marie-Jeanne[132], toujours zélée, attentive, a trouvé un moyen qui nous a réussi jusqu’à présent pour tenir le corps libre à l’enfant, sans lavement ni sirop ; c’est de lui faire manger chaque soir une petite pomme cuite, c’est-à-dire le douillet de la pomme, sans pelure ni rien de semblable ; le faible acide de ce fruit parait plaire à l’enfant, qui mange cela avec avidité.

Mon impertinente cuisinière[133] est venue hier matin : je lui ai donné son argent ; ne s’est-elle pas avisée de me dire qu’il était bien ingrat de la mettre ainsi sur le pavé, tandis que c’est elle qui n’a pas voulu entrer dans la maison où elle m’avait dît être arrêtée, parce qu’elle en espére trouver une plus douce, ce que j’ai su d’ailleurs ; je l’ai relevée comme il convenait, et je l’ai fait sortir de ma chambre. Il y a encore des effets à elle ; on lui a ouvert ce matin comme je dormais ; je ne sais ce qu’elle a fait dans la maison ; on ne l’a pas vue disparaître. Il m’est venu, hier au soir, une grande fille de 25 ans qui a l’air assez propre et dégourdi ; elle sert depuis huit ans dans cette ville et elle s’est trouvée en même maison avec Marguerite, qui en dit du bien ; Marie-Jeanne connaît sa dernière maîtresse, chez qui j’enverrai aujourd’hui ; suivant les apparences, je l’arrêterai ; j’ai causé longtemps avec cette fille qui paraît avoir un peu de sens, je lui ai bien expliqué tous ses devoirs et toutes mes conditions, elle a envie d’entrer ; nous verrons.

M. de Bray a envoyé hier au soir pour s’informer comment j’avais passé la journée et si tu étais parti ; je n’ai vu personne autre. J’imagine que Mme  d’Eu, sortant aujourd’hui pour aller s’ennuyer chez les grands-parents, viendra auparavant s’ennuyer et m’ennuyer quelques instants ; grand bien lui fasse, et plût au ciel que cela ne fût pas long ! Le fidèle Achate aura été bien surpris ; et ces bonnes gens, Mme  Bussière[134], dis-leur bien des choses pour moi ; mille amitiés au compagnon.

On est venu chercher l’argent du billet hier matin ; ainsi, voilà encore une affaire terminée. Je suis bien en peine de celle où M. Houard[135] met son nez : donne-m’en des nouvelles. Mais, avant tout, de celles de ta personne. À mon Agathe[136], à Mlle  Desportes, si tu les vois, compliments, amitiés. .

Adieu, bon ami, je t’embrasse, toto corde.

P.-S. (sur l’adresse) : Due lettere vengono ; io le faccio recare subito alla posta.


27

[À ROLAND, À PARIS[137].]
Mercredi, 26 décembre 1781, après-midi. — [d’Amiens.]

J’aime à commencer mon babillage la veille ; les petits tracas du matin me laissent trop peu de temps avant l’heure du courrier. C’est ma consolation que de t’écrire : c’est mon travail, mon amusement, ce m’est tout enfin ; je ne fais rien d’ailleurs, ou bien peu de chose. Je ne donne pas même souvent à manger à ma fille, quoique je la fasse venir dans ma chambre sitôt qu’elle est propre et aérée ; je n’ai pas acquis une once de force depuis trois jours. Hier, que j’étais baissée au feu pour le plaisir de faire la soupe de ma petite, j’oubliai de m’étayer des deux mains pour me relever et je tombai fort proprement le derrière à terre ; comme je ne me suis pas fait grand mal, l’aventure m’a paru comique.

Nous allons aujourd’hui couci, couci ; après quatre jours passés sans coliques, celles-ci sont revenues hier sur le soir ; j’avais dîné avec une petite limande grillée et trois cuillerées de purée de lentilles ; mon manger passa si bien, sans pesanteur, qu’à six heures je me mourais de besoin ; je soupai avant sept, avec deux œufs brouillés au jus de mouton. J’étais horriblement fatiguée, je me couchai aussitôt. Trois quarts d’heure après, je m’endormis ; on ne me réveilla point pour mon bol et j’eus un fort bon sommeil jusqu’à deux heures. Le reste de la nuit se passa en douleurs ; Marie-Jeanne se leva avant cinq heures ; la faim me prit, elle me donna un biscuit de Savoie avec deux doigts de vin ; cela ne suffit pas. On me fit promptement mon cacao dont je déjeune actuellement ; il me réussit bien ; mais il me nourrit beaucoup moins que le chocolat, et je suis toujours obligée de recommencer avec autre chose, trois heures après l’avoir pris. C’est ainsi qu’il a fallu répéter ce matin, et à deux fois, jusqu’au dîner. Je ne puis attribuer qu’à l’âcreté de quelque humeur ces tiraillements et ces défaillances d’estomac ; c’est aussi l’avis de mon docteur, qu’on a été chercher et qui me donne demain du catholicon double avec du sirop de chicorée. Je me sens bien à ce moment, mais je m’aperçois que le dîner s’en va déjà grand train et qu’il faudra manger avant le soir ; je prends peu à la fois, j’ai toujours peur de trop charger ; peu s’en faut que le médecin ne soit fâché de ce que je n’ai pas encore essayé de viande : je n’ose m’y hasarder. Je suis savante en dysenterie depuis deux jours que j’ai lu sur ce sujet un long mémoire dans le Journal économique[138]. Les avis cités de tant et de célèbres auteurs ne détruisent pas mon idée que la médecine est un art purement conjectural. Les traitements de cette maladie varient suivant les circonstances qui l’accompagnent et le tempérament du malade. À celui-ci, saignée, vomitif et diète ; à celui-là, les bains, la nourriture, l’exercice ; à d’autres, le vin ou les opiates, etc. ; on paraît, en général, devoir éviter les purgatifs irritants pour les intestins et finir par les cordiaux, entre lesquels on préfère le vin. Prends garde que je n’y prenne goût ; ne serait-ce pas un joli, résultat de cette triste maladie ?

J’ai été interrompue et je viens d’avoir une bouffée de chagrin qu’il faut que j’adoucisse avec toi. J’avais à occuper mes deux filles pour un quart d’heure, je me suis chargée de l’enfant ; à peine a-t-il été dans mes bras, qu’il s’est mis à crier en me fixant ; il m’a semblé qu’il cherchait après sa bonne[139] ; j’en ai conclu qu’il se déplaisait avec moi, et ce soupçon m’a désespérée. Hélas ! la pauvre petite a bu de mes larmes, elles coulaient malgré moi, tombaient sur ses joues et allaient se mêler à la boisson que je tâchais de lui faire prendre. Tout a été inutile : je voulais la promener, je ne pouvais me lever de mon siège en la portant ; le sentiment de cette impuissance n’était pas consolateur. La bonne est revenue ; soit que mon idée fût fondée, soit que le mal fût apaisé, l’enfant se tut et s’endormit sur les bras de cette fille. Il ne faut pas se le dissimuler, elle aura l’enfant plus que moi dans ces premiers temps ; surtout durant cette malheureuse convalescence où je suis privée de mes forces ; elle aura aussi ses souris ; et moi, qui aurai plus de douleurs, je ne serai pas dédommagée par ses premières caresses qui m’auraient fait tout oublier. J’en pleure encore, je suis d’une faiblesse impardonnable. Mais mon enfant ne connaîtra pas mon sein ; il ne s’y jettera plus avec cet empressement si touchant pour les mères : pourquoi n’ai-je plus de lait[140] ! Voilà ce que tant de gens ne sentent pas, quand ils croient me consoler entièrement en m’assurant que mon enfant vivra. Parlons d’autre chose ; ceci me tiendra lieu de collation.

Tu ne te doutes sûrement pas que la pauvre Marguerite a eu aussi la dyssenterie, assez fort durant cinq jours, la semaine d’auparavant la dernière ; Marie-Jeanne l’a soignée en secret ; elles se sont entendues pour nous le cacher, afin de ne pas augmenter nos embarras et nos inquiétudes. Autre histoire : M. d’Hervillez, dont la femme est une d’Antin, m’a dit qu’il avait rencontré Joséphine, qu’il lui avait demandé de mes nouvelles et avait appris qu’elle ne me servait plus, chose dont il ne s’étonnait nullement et qu’il avait prévue en la voyant chez moi ; il ajouta (ce dont je m’étais, comme tu sais, aperçu) qu’elle était sujette à de terribles vapeurs hystériques et, qui pis est, qu’elle était visionnaire ; qu’il l’avait traitée pour la première cause chez Mme  Robert[141], sa belle-sœur, d’où elle avait été renvoyée pour la seconde.

J’ai été ennuyée tantôt par M. Duperron, hier par Mme  d’Eu qui m’a l’air assez désœuvrée, car elle est demeurée plus d’une heure et elle avait amené sa petite fille. Heureusement l’ami de Vin était de compagnie. Le bon M. de Bray n’a pas manqué sa petite visite du soir : il m’a témoigné que sa femme désirait me voir ; j’ai répondu avec politesse et sensibilité, mais comme quelqu’un qui n’est pas pressé de recevoir. Mme  Cannet est venue ce matin, tout clopant ; Mlle  Decourt[142] sort d’ici ; elle m’a épanché son cœur sur le sort qui l’attend quand elle perdra sa sœur ; elle, a causé avec confiance, je lui ai répondu avec intérêt, et je pense qu’elle s’en est allée contente de moi. Pauvre fille ! habituée à des jouissances qui sont devenues des besoins, elle souffre déjà par la crainte de les perdre. Au reste, la bonne mère va mieux. M. d’Eu m’est venu faire son petit doigt de cour, après l’avoir été faire en grand à l’Intendant, qui est ici depuis deux jours, et qui tient ses audiences chez Mme  Maugendre[143], où il est censé descendre. Nous avons beaucoup causé du nouveau pasteur de la capitale ; c’est M. de Joignez[144], évêque de Châlons, parent de M. de Vergennes et d’un M. de Joignez qui a été ambassadeur en Russie ; bon gentilhomme, mais rien de plus, si ce n’est théologien et fanatique.


28
À ROLAND ; À PARIS[145].
18 [décembre 1781], a 11 heures [matin], — d’Amiens.

Je suis désespérée de tes inquiétudes et je n’y conçois rien, ou du moins à ce qui les cause ; je t’ai écrit directement dimanche vingt-quatre ; ma lettre, sur petit papier, était à la poste à onze heures. J’ai récrit mardi 25 par les bureaux, et hier jeudi 27, par la même voie. Tu dois avoir de mes nouvelles tous les deux jours et, par un arrangement, j’ai le plaisir de t’entretenir chaque jour ; car je commence mes épîtres l’après-midi pour les faire plus longues, parce que les tracas du matin me forceraient à trop de brièveté.

Je vais doucement aujourd’hui ; je te dis tout, sans réserve ni ménagement et avec la plus grande franchise. Tu auras plus de détails par ma lettre de demain ; je suis trop impatiente en ce moment pour en dire plus long. Ménage-toi, sois tranquille et recommande à l’hôte qu’on ait soin de tes lettres.

Adieu, mon ami, je suis bien empressée d’avoir de toi d’autre nouvelles et de te savoir plus content.


29

[À ROLAND, À PARIS][146].
Vendredi au soir, 18 décembre 1781. [D’Amiens.]

Bon Dieu ! que l’expression de tes inquiétudes m’a tourmentée ce matin ! Je me suis d’abord figurée que tu n’avais reçu aucune nouvelle, et que ma première lettre du dimanche 23 était égarée perdue, par je ne sais quel accident. Mais, en y réfléchissant, je juge qu’elle t’est parvenue, et que ton impatience t’a empêché de songer que, prenant ensuite la voie des bureaux, tu devais, pour cette foi seulement, subir un jour de retard. Si je m’étais sentie moins bien le lundi, je n’aurais pas manqué de t’écrire indépendamment ; mais j’étais merveilleusement ce jour-là : ce n’est que depuis, que j’ai ressenti quelques coliques. Je ne sais si je dois être fort contente de ma médecine d’hier ; il est vrai qu’elle m’a bien purgée, mais, en agitant les intestins, elle a renouvelé mes douleurs. J’ai eu une journée laborieuse ; je me suis mise au lit à sept heures, très fatiguée ; j’ai pris deux œufs, et le sommeil est venu tout seul avant neuf heures. J’ai reposé tranquillement jusqu’à deux, que les coliques sont revenues ; rien de ce que je rends n’annonce le retour de la maladie, c’est de la bile pure. Un lavement à l’huile m’a calmée ce matin. J’ai dîné avec une douzaine d’huîtres qui m’ont paru fort bonnes, mais fort petites, fort maigres, et faisant véritablement un petit dîner. Je suis très bien cette après-midi. Je me flatte que l’émotion du purgatif est la cause de mes derniers maux et que je vais enfin reprendre des forces.

J’avais hier les seins un peu gonflés : mon médecin dit qu’il serait possible que le lait revint en reprenant des aliments et de la santé ; je s’ose me livrer à cet espoir dont la seule lueur me fait tressaillir. Il est si vrai pourtant que les femmes ont longtemps et presque toujours du lait, dès qu’une fois elles ont été mères ! je pourrais peut-être !… attendons ; malheureusement je suis condamnée aux lavements pour quelque temps encore, et ma faiblesse ne permet pas de me faire tirer. — J’ai eu hier après-midi le même chagrin que la veille ; l’enfant se refusait à mes soins, sans doute par quelque douleur ; mais je n’ai pu le voir froidement. La pauvre Marie-Jeanne et Marguerite, tout émues, se sont mises à me conjurer de ne pas pleurer, parce que, disaient-elles, cela leur faisait mal. Je me suis consolée une heure après que la petite, de meilleure humeur, a pris la soupe de ma main et s’est reposée sur mes genoux. Elle a grand appétit, le corps libre et se porte assez bien ; une colique de vents la tourmentant au soir, je lui ai donné une cuillerée à café de vin de rota ; pour cette fois, la cuiller ne l’a pas fait crier, elle a sucé la liqueur et ses petites lèvres, en vraie friande.

Je te conte toutes mes misères et jusqu’à mes sottises ; c’est un soulagement que de se confesser ainsi.

J’ai reçu mes pardons et indulgences en bonne forme du chanoine[147] ; il est clair qu’en les écrivant, il ne savait pas encore ma maladie sais-tu bien que j’ai trouvé drôle que tu n’eusses pas décacheté la lettre de ton frère ? Tu aurais vu en premier lieu qu’il me sait très bon gré de l’avoir fait oncle ; que notre maman grille de voir sa petite-fille et me fait recommander de la lui mener dès qu’elle sera transportable ; plus, une légende des parents et amis qui nous en disent tant et tant ; enfin, l’agrégation de mon favori, l’abbé Pein, parmi les membres académiques de ta petite Chéronée[148]. Je répondrai à tout cela au commencement de l’année ; car, malgré ma tendresse pour ces cher parents dont les amitiés me touchent aux larmes, je n’ai de force que pour toi et j’ai besoin du far niente durant quelques jours. Je continuerai la marche que j’ai prise pour te donner de mes nouvelles ; ne la préfères-tu pas à avoir chaque matin un billet qui ne pourrait étre qu’un bulletin ? Que veux-tu que fasse avant midi une femme qui sort du lit a neuf heures, quelquefois plus tard, quand les choses ne vont pas très bien ; qui a besoin à sa toilette pour chasser les petites bêtes restes opiniâtres de la maladie ; de là à la chambre de l’enfant, faire sa soupe et roder autour de lui, pendant qu’on range mon appartement où je ne viens guère m’établir avec le berceau, ma table et mon ecritoire, qu’à onze heures. Joins à cela les survenants, etc. et juge si je pourrais causer à mon aise avant le départ du courrier ? Il m’est bien plus doux d’employer à cette charmante occupation une partie de l’après-dîner, cela me console et m’amuse ; j’ajoute un mot le matin du départ, et tu es aussi bien informé qu’il soit possible.

Ma cuisinière nouvelle[149] est entrée ce matin ; tout ce que j’en sais, c’est qu’elle fait proprement de bonne soupe ; nous verrons le reste avec le temps, car je ne me flatte plus sur cette engeance. Je conserve encore ma garde quelques jours, peut-être prendrai-je une autre médecine ; d’ailleurs la nouvelle venue prendra le train de la maison dans cet intervalle.

Je t’envoie une lettre arrivée aujourd’hui de l’intendance. J’ai reçut ce matin un billet des frères Laurent et Joiront[150], qui me demandaient ton adresse à Paris pour t’envoyer quelque chose. J’ai répondu que, t’écrivant tous les jours, je me chargerais volontiers de te faire passer ce qu’ils désiraient te communiquer ; que cependant, s’ils préféraient te l’adresser directement, ils voudraient bien s’y prendre ainsi ; et je leur ai donné le couvert de M. Tolozan, avec la sous-envelopppe à ton nom, à Paris, sans autre explication. Il m’a semblé fort inutile de les laisser te faire coûter des ports pour ces sottises de règlements ou autres. Je n’ai rien revu. L’un d’eux était venu ces jours passés pour te parler et avait appris ton absence. J’ai pensé depuis que, ne leur ayant pas exprimé de ne faire qu’attacher la première enveloppe sans cachet, et de mettre dessus par précaution affaires de manufactures, ils fabriqueraient peut-être leur paquet assez mal pour qu’il soit défait et mis au rebut, ou taxé à la poste, c’est un malheur ; on ne n’avise jamais de tout.

J’ai payé Ancelin le jour de Noël ; il a été fort content du louis que je lui ai donné ; je ne l’ai pas vu depuis, et probablement je ne le reverrai guère ; il me parait que c’est sa marche, assez peu honnête cependant. Je congédierai mon médecin plus tard ; j’ai peur d’avoir encore besoin de lui. Sa petite femme compte vingt jours de souffrance au delà de son terme, et ne peut point accoucher ; c’est bien la peine d’être la femme d’un docteur pour se tirer d’affaire aussi mal !

30

[À ROLAND, À PARIS[151].]
[ 29 décembre 1781, — d’Amiens.]

…les intestins. Je n’y vais qu’en tremblant. J’ai pris hier de la soupe à l’oseille qui m’a fait beaucoup de bien.

Voilà bien des histoires de drogues et de mangeaille ; aurais-tu pensé lire jamais pareilles choses sans dégoût ? Comme l’amitié transforme et sait jeter de l’intérêt sur les objets les plus communs ! Je te vois d’ici, écoutant tous mes petits détails avec une attention qui m’émeut et me pénètre.

Il fait un temps affreux, pluie à verse, vent terrible ; rien n’est si triste que notre ciel, à moins que ce ne soit la terre qu’il couvre. Tout cela ne favorise pas extrêmement un prompt rétablissement ; patience et discrétion l’amèneront malgré tout. Je vais m’occuper d’une petite lessive pour l’enfant, pendant que j’ai ma garde dont les soins surveillants me dispenseront d’en donner quelques-uns.

Ma petite se porte bien ; elle dort des cinq à six heures de suite et fait d’excellentes digestions. C’est une douce consolation. Elle n’est pas grandie d’une ligne depuis un mois ; je l’ai mesurée hier ; elle n’a qu’environ 23 pouces ; c’est très petit pour tantôt trois mois. Toujours elle tient ses petits genoux relevés comme ils étaient dans mon sein. Elle commence à vouloir jargonner ; elle regarde sa bonne, rit, et fait un petit bruit avec son gosier et sa langue quelle agite, comme cherchant à nous imiter. Elle est demeurée hier trois heures de suite sur nos genoux, fort éveillée, s’amusant à nous regarder tour à tour avec beaucoup de gaieté ; je m’en suis portée une fois mieux.

Enfin le Hd [Houard] te laisse tranquille, au moins en apparence ; car je n’ose me fier a ce lutin incarné. J’ai grand’envie que M. de Név[ille][152] revienne à Paris et te laisse enfin les mains libres.

Quel travail que de produire au jour ses enfants ! Adieu, mon bon et tendre ami, je vois que l’affaire des Lettres ne prend pas une tournure aisée ; c’est un malheur qui ne nous empêchera pas d’être heureux. Je t’embrasse et suis toute à toi !


31

[À ROLAND, À PARIS[153].]
30 décembre 1781, — [d’Amiens.]

Je fais à toi cette confidence, bien persuadée que tu ne viendras pas nous causer de nouvelles frayeurs. Quoi qu’il en soit de l’aventure et du bruit fort distinct, très singulier, je fais accommoder demain mes serrures. Celle de la porte cochère dont on a raccommodé la clef, il n’y a pas six semaines, est dérangée depuis quelques jours à ne pouvoir se fermer que très difficilement. Je ferai aussi arranger celle de la porte de la petite salle, au bas de l’escalier. Je dois t’ajouter qu’au jour, ayant visité le jardin, je l’ai trouvé très remué, mais sans traces nouvelles remarquables ; j’avais regardé à travers les vitres, lorsque nous étions descendues pour notre expédition ; il faisait encore trop sombre pour que l’on pût rien distinguer. Ce qu’il y a de bon, c’est que mes filles ont pris tant de confiance dans mon air décidé, qu’elles n’auront plus peur avec moi ; le pistolet seul les effraye un peu : pour rien au monde, on ne ferait approcher Marie-Jeanne du bureau où elle m’a vu le placer.

Tandis que je te fais mes contes, tu galopes dans Paris et tu ne m’écris guère ; sais-tu bien que voilà dix jours d’absence et que je n’ai reçu que deux lettres, car je confonds la contre-signée avec celle arrivée le même jour. Encore m’as-tu grondée sans me dire grand’chose d’ailleurs. Comment te portes-tu ? Que te fait l’Esculape ? Fais donc avec moi une petite causerie qui nous rapproche et me fasse oublier un instant que tu es à vingt-huit lieues de moi.

Sais-tu que M. de Sélis[154] est nouvellement admis au nombre des associés étrangers de l’Académie de Berlin, par Sa Majesté Prussienne, à laquelle il avait envoyé ses ouvrages ?

J’ai expédié ce matin les dépêches aux intendants du commerce ; il était impossible de faire le paquet en ouvrant le petit livret à l’article du mémoire qui se trouve au commencement ; il est ouvert au milieu. Le mémoire est indiqué d’ailleurs à ne pas s’y méprendre, et je crois mon arrangement bon : au moins, n’ai-je pas su en faire d’autre.

La signora d’Eu vient souvent avec son fidèle, disant qu’elle viendrait davantage et pour plus longtemps (Dieu m’en préserve !), si elle ne me savait pas occupée ; je réponds poliment, sans trop insister, et surtout sans démentir son opinion. Mme de Chuignes est venue la chercher aujourd’hui dans l’équipage des grands-parents ; elle m’a fait dire, par Saint-Pierre[155], mille choses obligeantes et combien elle regrettait que ses jambes l’empêchassent de monter ; je lui ai fait répondre que j’étais tout aussi fâchée que les miennes m’empêchassent de descendre. Je pense qu’elle aura senti le littéral du compliment, si toutefois le domestique l’a bien rendu. Sa charmante fille doit toujours se marier ; toute la ville n’a qu’une voix sur cet événement, tout le monde en parle, excepté la mère qui s’en cache très gauchement. Mme de Rumigny[156] est ici, à l’auberge, avec son fils, disant librement qu’elle n’a pas d’autre affaire, à Amiens, que ce mariage. On lui en parlait dernièrement, dans ces environs, chez M. de Mailly[157] où elle mangeait ; « Il est vrai, répondit-elle, que je m’occupe de cette affaire : les intérêts ne sont point encore discutés : l’alliance aura lieu si nous trouvons un million ; un gentilhomme ne peut faire à moins quand il prend une fille de cette espèce. » Si ce n’est pas ce qu’elle a dit, c’est ce qu’on lui prête et ce que chacun répète. Ce que je trouve plaisant, c’est que cette femme reconnue processive et haute à l’excès, étant chez Mme de Chuignes et parlant des grands avec un ton d’importance, se rencontra avec la vieille tante, Mlle Decourt, qui veut toujours et tout au moins parler à son tour : ce qu’elle fit ce jour-là en entretenant l’assemblée de la manière dont elle avait amassé du bien en travaillant dans sa boutique et se donnant toute à son commerce. Mme de Chuignes, rouge comme un coq, enrageait dans sa peau ; la petite personne baissait les yeux et cherchait à rassurer sa contenance. Tu vois de là-bas l’air de Mme de Rumigny : c’était une scène admirable.

M. d’Eu a causé longuement aujourd’hui d’Italie, de ton voyage au second volume duquel il est parvenu ; nous avons passé plus d’une heure fort rapidement ; tu sais qu’il ne vient jamais avec sa femme et il a grand’raison, car devant elle il ne sait plus causer. M. de Bray est demeuré tout autant ce soir ; il doit m’envoyer demain une missive pour joindre à mon paquet. Le fils Price est venu ce matin savoir de nos nouvelles. À propos de M. de Bray, ne veut-il pas absolument m’envoyer du vin d’Espagne ? Je m’en suis défendue honnêtement et fort mais il m’a l’air fort décidé à n’avoir pas d’égard à mes remerciements.

Je ne veux pas oublier de te dire que je désirerais que tu fisses à Agathe un petit présent qui lui fût utile : soit d’un pain de sucre ou d’une couple de livres de tabac ; elle consomme beaucoup de l’un et de l’autre.

Tu ne m’as encore rien dit du pâté pour Mme  Miot[158]. Les prétendus ou vrais pâtés qui chargeaient ta diligence[159] n’ont pas été seule cause des accidents qu’elle a soufferts ; elle était chargée ce jour-là de 36 mille livres, que M. de Vin y avait mis ; tu pourras lui en faire tes reproches ; il doit t’écrire tous les jours : mais tu n’ignores pas qu’il est longtemps à devoir faire ce qu’il veut exécuter.

En faisant ce matin la revue de ma maison, j’ai vu avec effroi que mon bois s’en allait grand train ; il faudra renouveller la provision sous quinzaine. Et les bouteilles ? et l’apothicaire ? et le médecin ? etc… c’est le diable !

Lapostole[160] va ouvrir chez lui un cours de chimie, par souscription, bien entendu ; M. de Bray veut y envoyer son fils[161].

Adieu, bonsoir ; il se fait tard : Marie-Jeanne se gendarme ; voilà neuf heures et demie. Demain lessive, matelassier, autre affaire au commencement de l’année. Mon bon et cher ami, je t’embrasse tendrement et vais dormir là-dessus doux comme miel. Bonsoir au compagnon.

  1. Lettre autographe de Madame Roland, mais signée par son mari, au libraire Panckoucke, Paris, 19 janvier 1781, Papiers Roland, ms. 9530 ; fol. 138-139.
  2. Sic. Si l’on considère que l’enfant de Roland naquit le 4 octobre 1781, on voit qu’il se pressait d’espérer. D’autres passages de ces lettres montrent même qu’il avait fait ses confidences à un de ses frères de Villefranche et à Lanthenas.
  3. L’église Saint-Michel n’existe plus ; elle se trouvait derrière le chevet de la cathédrale, à l’endroit (place Saint-Michel) où l’on a érigé la statue de Pierre l’Ermite. — Madame Taillet, petite-fille d’Eudora Roland, a bien voulu nous donner copie de l’acte de baptême, qu’elle possède, — Madame Roland s’exprimait donc avec exactitude, lorsqu’elle écrivait, le 4 octobre 1793 : « Anniversaire de la naissance de ma fille… » (Mém., II, 220). C’est M. Faugère qui s’est trompé en disant ailleurs 7 octobre (Mém., I. 218, note).
  4. Voir Almanach de Picardie, 1782, p. 93 ; — cf. lettre de Roland, du mercredi 14 novembre 1781 (ms. 6240, fol. 51).
  5. Ms. 6239, fol. 231-232. La date de cette lettre est déterminée : 1° parce que Roland nous apprend (ms. 6243, fol. 42 v°) qu’il fut envoyé à Sens pour une inspection temporaire en décembre 1780 et janvier 1781 ; 2° parce que l’initiale J… ne peut désigner, en italien, que jennaio (janvier) ou junio (juin), que Madame Roland aurait dû d’ailleurs écrire gennaio ou gennio; mais son italien est très incorrect. Or, on ne peut songer à juin, et d’autre part l’année 1781 est la seule, des années auxquelles cette lettre pourrait se rapporter où le 3 janvier tombe un mercredi. Roland avait dû quitter Paris le lundi 1er janvier à 11 h 1/2 du soir et arriver à Sens dans la soirée du 2 janvier (État général du service des diligences, 1789, in-8o, Orléans, p. 163). Nous avons (Papiers Roland, ms. 9532, fol. 132-133) une lettre de lui à son éditeur Panckoucke, datée de Sens, 3 janvier 1781.
  6. Le chanoine Bimont
  7. Le chanoine Dominique Roland.
  8. Libraire de l’Académie des sciences. Il éditait les Arts de Roland (ms. 6243 fol. 96), mais il y avait des difficultés avec lui (ibid, fol. 126). — Il demeurait rue des Mathurins (Alm. de Paris, 1785, p. 122).
  9. Libraire, éditeur des Lettres d’Italie, de Roland, dont mille difficultés retardaient la publication. Il demeurait rue de la Harpe.
  10. Lanthenas. — Voir note de la lettre 5 et Appendice L.
  11. Charles-Joseph Devillers ou de Villers, né à Rennes le 24 juillet 1724, mort à Lyon le 3 janvier 1810, membre de l’Académie de Lyon (1764), et professeur de physique dans cette ville, où Lanthenas avait suivi ses cours entre 1777 et 1780, et où Madame Roland elle-même avait dû le connaître lorsqu’elle y séjourna en septembre 1780. Il faisait alors imprimer à Paris un ouvrage sur la Théorie de l’acide phosphorique (Dumas, Hist. de l’Académie de Lyon, I, 308). — V. sur lui le Catalogue des Lyonnais dignes de mémoire et Biogr. universelle. On le retrouvera dans la suite de la Correspondance.
  12. Ms. 6238, fol. 132-134. Il y a 1780 au manuscrit, mais c’est un lapsus. Madame Roland n’est pas mariée en en janvier 1780 et on va voir que son voyage à Rouen est bien de 1781.
  13. Sur M. Baillière de Laisemont, chimiste rouennais (1729-1800), voir Appendice D. « les amis de Rouen, de Dieppe, et les Lettres d’Italie ».
  14. Sur M. Justamont, voir Appendice D.
  15. L’impression des Lettres d’Italie se faisait à Dieppe, chez l’imprimeur Dubuc, par les soins des frères Cousin, mais à travers mille traverses. – Voir Appendice D.
  16. Il ressort de cette lettre que « l’Anglais » est M. Justamont.
  17. Ms. 9533, fol. 69-71. – La date du 28 ne peut être qu’une distraction de plume de Madame Roland, car il suffit de comparer avec la précédente pour voir qu’elle est postérieure d’un ou de deux jours.
  18. Roland, pendant ces années de jeunesse à Rouen (1754-1764), avait formé, avec quelques amis, une sorte de cénacle où chacun avait un surnom grec ; le sien était Thalès, Cousin-Despréaux s’appelait Platon, etc. Ces désignations reviennent souvent dans la Correspondance. Un écrit de Roland (« Aux sœurs de Cléobuline »), qui se trouve aux papiers Roland, ms, 9532, fol. 340-345, en donne la clef, d’après laquelle Aristote aurait désigné M. d’Orsay et Pythagore Michel Cousin. Mais cet écrit date de 1773, et il semble qu’en 1781 le nom d’Aristote aurait passé à Michel Cousin, le frère de Platon. Quant « aux voyageurs Grecs », il semble, en rapprochant ce passage d’un autre de la lettre suivante, que ce soient des personnes de la famille de M. d’Orsay, du nom de « Grou », ou plutôt de « Guéroult » (Madame Roland estropiant à chaque instant les noms propres). Dans le document de 1773 que nous venons de citer, un « M. Guéroult, de Rouen », est inscrit avec le surnom de Zénon. Il y avait beaucoup de Guéroult à Rouen ; on en compte douze à quinze, la plupart commerçants ou manufacturiers, dans le Tableau de Rouen de 1777.
  19. Ms. 9533, fol. 71-73.
  20. C’est-à-dire de la famille Cousin. L’aîné des deux frères, Michel Cousin, était avocat du roi au bailliage de Caux ; l’autre frère, Louis Cousin-Despréaux, aidait sa mère, qui s’occupait à la fois d’un commerce de dentelles et d’armements pour la pêche côtière. Il écrivait en même temps son Histoire générale et particulière de la Grèce, qui commençait à paraître.
  21. Nous ne savons rien sur cet ami des Cousin, que Roland, dans une lettre à sa femme du 3 juin 1786 (ms. 6240, fol. 256-261), appellera « l’abbé Burgos ».
  22. Et Roland de répondre, le 11 février (ms. 6240, fol. 86-87) : « Il n’y a pas de difficulté, mon amie, que tu doives faire la dépense entière en allant à Dieppe. »
  23. Le peintre Anicet-Charles-Gabriel Lemonnier (1743-1824), qui resta un des plus fidèles amis de Roland. — Voir sur lui l’appendice D.
  24. L’abbé Deshoussayes. — Voir les lettres suivantes et l’Appendice D.
  25. Le nom est difficile à lire au ms. C’est probablement « Guéroult ». Voir la lettre II
  26. Georges-Louis-Stanislas Hoffmann, d’une famille considérable de Haguenau, né en 1736, stattmeister de cette ville de 1763 à 1785, lancé dans de grandes entreprises industrielles et commerciales qui l’obligèrent finalement à déposer son bilan en février 1782 (renseignements fournis par M. l’abbé Hanauer, bibliothécaire de Haguenau), se livrait à la culture en grand de la garance et s’occupait de l’introduire dans le reste de la France (v. Inventaire des Arch. de la Seine-Inférieure, Arch. civiles, C, p. 317, et Table du Moniteur (an ii, 1794, no 191). Il était un des nombreux correspondants avec lesquels Roland échangeait des renseignements industriels. C’est lui qui avait fait connaître à l’inspecteur d’Amiens le métier anglais pour « le tricot à mailles nouées » (Dict. des Manuf., I, 42), et Roland venait d’écrire à sa femme d’Amiens, le 6 février 1781 (ms. 6240, fol. 84-85) : « M. Hoffmann est ici ; il ne peut pas s’y arrêter longtemps, mais il veut voir et agir conformément à son plan ; je ne le quitte pas. J’ai fait apporter une mécanique à filer, ce qui me remplit ma maison de monde… »
  27. Ms. g533, fol. 74-76
  28. Il semble que Mlle  Maleuvre fût une parente pauvre des demoiselles Malortie, et probablement une couturière ; Madame Roland, dans la lettre précédente, s’excusait de ne pas l’avoir encore vue, et Roland lui écrit, le 11 février : « Je suis fâché que tu aies tant attendu pour aller chez Mlle  Maleuvre… ; je la connais depuis longtemps ; elle est malheureuse : j’ai toujours eu pour elle des égards, qu’elle mérite, et que tu m’obligeras de partager… » (ms. 6240, fol. 86-87).
  29. Probablement J.-B. Descamps (1706-1791), fondateur (1740) et directeur de l’école gratuite de peinture et de dessin de Rouen.
  30. Sur M. de Couronne et son ami l’abbé Deshoussayes, « le docteur », ainsi que sur M. Dambourney, avec lesquels Roland était en difficultés au sujet de certaines découvertes de chimie industrielle, voir App. D.
  31. Sic.Il s’agit évidemment de ce « docteur Graham, si fameux par son lit électrique, par ses bains de terre, par son pythagoréisme, etc., » dont parle longuement Brissot dans ses Mémoires(II, p. 233 et suiv.).
  32. Ms. 6238, fol. 139-140. — L’année n’est pas indiquée, mais c’est bien en 1781 que le 15 février tombe un jeudi.
  33. L’imprimeur de Dieppe chez qui s’imprimaient en même temps les Lettres d’Italie, de Roland – avant que la permission eût été accordée – et l’Histoire de la Grèce, de Cousin-Despréaux.
  34. Le censeur royal.
  35. Michel Cousin
  36. Ms. 9533. – Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798), le célèbre imprimeur, éditeur, libraire, journaliste, etc…, avec lequel Roland venait de s’engager (traité du 31 décembre 1780) pour son dictionnaire des Manufactures. – Voir Appendice G.
  37. Ms. 6238, fol. 137-138.
  38. Voir, sur les libertés que prenait Michel Cousin avec le texte de l’ouvrage dont il dirigeait l’impression, l’Appendice D.
  39. Cousin-Despréaux
  40. Les bureaux des Intendants du commerce. – Voir l’Appendice F.
  41. M. Deu de Perthes (Madame Roland écrit presque toujours d’Eu). « directeur général des Fermes à Amiens, pour les gabelles, les traites, le tabac et les brigades » (Alm. de Picardie, 1781, p.42). Nous avons dit qu’il était le voisin des Roland, et fort lié avec eux. – M. et Mme  d’Eu sont fréquemment désignés dans la Correspondance par « le voisin », – « la voisine », – « les voisins ».
  42. M. Devins des Ervilles (Madame Roland écrit habituellement de Vin) était « receveur général des Fermes à Amiens pour les gabelles et les traites ». De même que M. d’Eu, il revient souvent dans la Correspondance, et Madame : Roland, en souriant des soins qu’il rendait à Mme  d’Eu, l’appelle fréquemment, comme ici, « Il cicisbeo », — « fi cavalière servante..
  43. L’intendant d’Amiens était alors François-Marie Bruno, comte d’Agay (1771-1790). Il avait épousé la fille du marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, massacré le 14 juillet 1789. – Voir, sur ses rapports, assez difficiles, avec Roland, l’Appendice E.
  44. Nous rencontrerons à chaque instant, dans la correspondance de 1781 à 1784, « les grands-parents » ou bien « les bonnes mères ». Ces expressions désignent Mme  de Bray, la mère de l’avocat du Roi, née Marie-Antoinette Decourt, et sa sœur, Mlle  Madeleine Decourt, toutes deux fort âgées. Il y avait entre elles et Roland un lien de parenté que nous n’avons pu déterminer exactement.
  45. Probablement la fille et le gendre de M. de Bray, l’avocat du Roi. – Voir Inventaire des Archives de la Somme,, B, 165 « 1781. Extrait du contrat de mariage de Jean-Baptiste-Fidèle-Auguste-Marie Durieux, écuyer, et Alexandrine-Louise-Antoinette-Madeleine de Bray de Flesselles. » On les retrouvera dans la suite. "
  46. Ms. 6238. fol. 143-145
  47. Marie-Louise Decourt, femme de l’avocat du roi. M. de Bray de Flesselles, — Voir Appendice E.
  48. M. Tillet (1720-1791), membre et trésorier adjoint de l’Académie des sciences. Il était associé de la Société d’agriculture de Rouen (Tableau de Rouen, p. 433), d’où peut-être l’origine de sa bienveillance pour Roland. — Il s’agit ici de l’« Introduction » à l’Art du fabricant du velours de coton, dont l’Académie demandait la suppression. Voir Appendice G. — M. Tillet fut aussi un des commissaires nommés par l’Académie pour examiner un autre ouvrage de Roland, l’Art du tourbier, qu’il venait d’entreprendre. — Voir à ce sujet les lettres très vives des 5 août 1781, 29 juin et 10 juillet 1782, adressées par lui à M. Tillet (ms. 6243, fol. 122-123).
  49. Cf. la lettre suivante
  50. Lapostole, « apothicaire du Roi pour les maladies épidémiques, démonstrateur de chimie et membre de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts d’Amiens, Basse-Rue-St -Martin » (Alm. de Picardie, 1781, p. 50). — Lapostole fut, avec le médecin d’Hervilles et l’abbé Reynard, professeur de physique au collège, un des plus actifs promoteurs du mouvement scientifique à Amiens dans les années qui précédèrent la Révolution. — Voir Inventaire des Archives d’Amiens et Inventaire des Archives de la Somme, passim ; — cf. Biographie des hommes célèbres de la Somme, Amiens, 1835-1837, 2 vol., article Reynard.
  51. Voir, sur cette parente dévouée des Roland, l’Appendice C.
  52. Couard du Perron, élève inspecteur des manufactures à Amiens (Almanach royal de 1783, p. 271.) ; il faut ensuite sous-inspecteur à Moulins (ibid, 1784, p.274), puis inspecteur à Soissons (Ibid, 1786, p. 279).
  53. Voir Inventaire des Archives d’Amiens, AA, 29. fol. 193, lettre des officiers municipaux à l’intendant, du 27 juillet 1782 : « … Il [Roland] ne voit rien par lui-même ; au lieu de venir chaque jour à la halle et d’y veiller en personne au maintien des règlements, il reste enfermé chez lui ; il se contente d’envoyer de temps en temps l’élève de manufacture, jeune et sans connaissance… »
  54. M. Blondel, un des quatre Intendants du commerce. Il avait la Picardie dans son département, et c’est de lui, par suite, que Roland relevait plus particulièrement.
  55. L’abbé Justiien Reynard (1740-1818), professeur de philosophie au collège d’Amiens (puis de physique à partir de 1784), membre de l’Académie d’Amiens. — Voir, sur ce laborieux physicien, très attentif aux progrès des sciences, deux articles fort intéressants, l’un, de la Biographie Robbe, Supplément ; l’autre, de la Biographie des hommes célèbres de la Somme. Cf. Almanach de Picardie, de 1781 à 1784. — Le principal du collège d’Amiens le regardait comme un « novateur dangereux » (Biogr. de la Somme). Il enseignait la physique en français !
  56. Houzé, receveur des tailles de l’Élection et commis à la Recette générale des finances, membre de l’Académie d’Amiens (Alm. de Picardie, 1781).
  57. Romé de l’Isle (1736-1790). Les Roland avaient déjà entendu parler de ce savant minéralogiste par leur ami Bosc, son élève. En 1784, Bosc conduira chez lui Madame Roland (voir lettre du 14 mai 1784). — Au n° ccxx du Patriote français (16 mars 1790) on trouve, sur Romé de l’Isle, mort le 7 mars, un article très ému, qui pourrait bien être de Bosc.
  58. Cette allusion à la trop célèbre Julie, fille d’Auguste et femme d’Agrippa, prouve que Madame Roland lisait ou se faisait citer Brantôme. « Lui estant demandé une fois si elle n’avoit point de crainte d’engroisser de ses amys, et que son mary s’en apreceust et ne s’affolast, elle répondit : « J’y mets ordre, car je ne reçois jamais personne ny passager dans mon navire, si-non quand il est chargé et plein. » (Vie des Dames galantes, discours I.)
  59. C’est probablement déjà Marie-Marguerite Fleury, qui était encore au service des Roland en 1793. — Voir sur elle Appendice T.
  60. Louis Flesselles ou de Flesselles, le plus entreprenant des manufacturiers d’Amiens, ami dévoué des Roland, va tenir tant de place dans la Correspondance, que nous croyons nécessaire de lui consacrer une notice. — Voir Appendice I.
  61. Rollot, gros bourg de Picardie à 9 kilomètres de Montdidier. On y fabrique encore « des cendres vitrioliques. » (Joanne Dict. de la France.)
  62. La cadette des demoiselles Malortie que Roland avait aimée et qui était morte. Il l’a pleurée, en prose poétique, sous le nom de Cléobuline. ‑ Voir Appendice D.
  63. H. désigne Holker père, « inspecteur général pour les manufactures étrangères, en résidence à Rouen » (Alm. Royal de 1783, p. 270), personnage très considérable, dont Rolan s’était attiré l’animosité. — La « réponse » dont il est question ici est une réplique que Roland venait de faire paraître à un libelle lancé par Holker contre lui. — Voir Appendice G.
  64. D’après le document de 1773 que nous avons cité (lettre 11). Zénon serait « M. Guéroult, de Rouen. »
  65. Fougeroux de Bondaroy (1732-1789), membre de l’Académie des sciences depuis 1758. Il était un des commissaires de l’Académie chargés de régler le différend survenu entre Roland et Holker (voir Appendice G.). Mais il s’agissait encore ici d’une autre affaire, à savoir de sa collaboration à l’Encyclopédie méthodique, dont Panckoucke tentait l’entreprise, et à laquelle Roland, ainsi qu’on l’a vu, donnait son concours. — Voir l’éloge de Fougeroux, par Condorcet (t. III des Œuvres de Condorcet). Fougeroux et Roland avaient déjà collaboré dans la Collection de Arts, où Fougeroux avait publié quatre monographies, l’Art du coutelier, l’Art du tonnelier, etc.
  66. Voir aux Papiers Roland, ms. 9532, fol. 144, une lettre du 7 juillet 1781, par laquelle Fougeroux prie Panckoucke, non sans mauvaise grâce, de faire savoir à Roland qu’il renonce à décrire « plusieurs Arts tenant à la rubanerie. »
  67. Ms. 6238, fol. 148-149. Il y avait 15 novembre au manuscrit. Une correction ancienne a substitué 16, mais à tort, car le 15 novembre 1781 était bien un jeudi.
  68. Roland était à Paris, à l’hôtel de Lyon où il avait retrouvé Lanthenas, depuis le 13 novembre (voir ms. 6240, fol. 90, lettre de Roland du 14 novembre).
  69. D’Antin, ou probablement Dantin. Nous ne savons qui il est. — Voir lettre du 26 novembre 1781 : « M. d’Hervilles, dont la femme est une d’Antin… »
  70. « Le poussin », Eudora Roland, née le 4 octobre 1781. L’expression reviendra à chaque page des lettres de Madame Roland et de son mari.
  71. Nous ne savons de quel Cannet il est question. Peut-être de Cannet, auditeur à la Chambre des comptes (voir Appendice A), qui habitait Paris et qui se serait trouvé, pour quelques jours, l’hôte de M. d’Eu, à Amiens.
  72. Il nous paraît superflu de faire une note sur Winckelmmann. Quant à Corneille de Paw, qui fut oncle d’anacharsis Cloots, nous nous contenterons de remarquer que ses livres avaient été une des lectures qui avaient le plus occupé Marie Phlipon. Elle les analyse longuement dans ses lettres aux demoiselles Cannet (25 août, 27 octobre, 30 novembre, 10 décembre 1776) ; on trouve en outre, au Papiers Roland, ms. 6244, fol. 128-146, parmi les manuscrits de jeune fille de Marie Phlipon, un long extrait de Recherches sur les Égyptiens et les Chinois. Par contre, le Dictionnaire des manufactures, où l’on retrouve plus d’une fois la main de Madame Roland (dans les dissertations d’ordre général), renferme, t. III, p. 629, des « Observations sur quelques points des recherches philosophiques de M. de Paw », d’un ton très acerbe.
  73. La lettre de Roland du 16 novembre 1781 (ms. 6240, fol. 91).
  74. Joséphine, la cuisinière. — Voir Appendice E.
  75. Louis-Eustache Anselin, doyen des chirurgiens d’Amiens, demeurant rue Basse-Notre-Dame (Alm. de Picardie, 1781, p. 77 ; Inventaire de la Somme, série C, 1625). — Reçu membre de l’Académie d’Amiens en 1783 ( voir lettre du 25 août 1783).
  76. Sa bonne, Marie-Marguerite Fleury.
  77. Price était l’associé de Flesselles pour les « apprêts anglais » qui faisaient concurrence à ceux de Holker. — Voir Appendice I.
  78. L’affaire des Lettres de reconnaissance de noblesse ou d’anoblissement, que Roland, poussé par sa famille de Villefranche, avait entrepris de solliciter. — Voir là-dessus Appendice J. Il écrivait à sa femme, le 16 novembre (ms. 6240, fol. 91) : « Il n’y a rien à faire pour le cas de la reconnaissance ; il faut des titres plus clairs que le jour. Je vais voir pour l’autre cas [anoblissement], pour lequel faut-il encore de très grandes protections, et au bout du tout une dépense de deux mille écus au moins, pour marc d’or, frais de sceau, rédaction, vérification, enregistrement, etc. C’est un peu refroidissant, nous verrons cependant. »
  79. Ms. 6238, fol. 146-147.
  80. Il s’agit d’un « Mémoire d’extraction », destiné à établir les titres qu’avait la famille Roland à des Lettres de reconnaissance de noblesse. Madame Roland l’avait rédigé dans l’hiver de 1780 à 1781, et le chanoine, de mars à juillet 1781, l’avait fait certifier par la noblesse du Beaujolais, ainsi que par les officiers de la sénéchaussée et de la municipalité de Villefranche (voir Appendice J). Tout cela, en prévision d’un garçon, et « ce n’était qu’une fille ! »
  81. Ms. 6238, fol. 141-142. — La lettre est du dimanche 18 novembre 1781, puiqu’en parlant de sa fille, née le 4 octobre 1781, Madame Roland dit « cet enfant de six semaines. »
  82. Roland avait écrit à sa femme, le 16 novembre 1781 (Papiers Roland, ms. 6240, fol. 91) : « Le hasard me poussa hier [c’est-à-dire jeudi 15 novembre] à la première assemblée du Musée, avec billet ; j’y entendis dire que les anciens ne savaient rien ; qu’on s’y enthousiasmait (dans l’antiquité) de la moindre connaissance ; qu’il n’appartient qu’aux modernes de se dire savants ; que ce sont les Académies qui rendent tels, et que le Musée est l’Académie des Académies par excellence ; c’est le chef-d’œuvre de la meilleure administration, du meilleur prince, du plus éclairé gouvernement, etc. M. de La Lande était assis au rang des sages et fait corps de cet illustre aréopage, qu’un petit abbé, qui se frétille fort, me paraît diriger. J’y appris, entre autres choses, qu’on venait à bout de créer des êtres animés sans jonction du mâle avec la femelle, mais par une injection purement artificielle, faite de main d’homme, sur les animaux. On a fait ainsi de petits chiens ; on ne désespère pas de faire des créatures humaines ; et c’est un abbé qui est l’auteur de l’invention et qui a fait les expériences… »

    Voir sur le Musée, ou plutôt les deux Musées existant à la fin de 1781, l’étude de M. Louis Amiable : « Origines maçonniques du Musée de Paris et du Lycée », Révolution française du 14 décembre 1896. — Le petit abbé « qui se frétille fort » doit être l’abbé Cordier de Saint-Firmin.

  83. Probablement une demande pour être nommé associé de l’Académie de Lyon. Roland échoua alors (voir au ms. 6243, fol. 99, une lettre adressée par lui, le 10 janvier 1782, à M. de la Tourrette, secrétaire perpétuel de l’Académie de Lyon, où il fait allusion à un ajournement qu’il a dû essuyer.) Il ne fut nommé associé que le 30 novembre 1784.
  84. Une lettre au roi de Prusse, pour lui demander d’être admis dans l’Académie de Berlin. Il y a au ms. 6243, fol. 59-60, un brouillon de cette lettre, datée d’Amiens, 25 décembre 1781, de l’écriture de Madame Roland, avec des corrections marginales de Roland. C’est donc bien elle qui l’a faite.
  85. Roland avait en effet écrit à sa femme une première lettre, le 14, le lendemain de son arrivée. On voit ici que, pour lui écrire en franchise, il inscrivait son propre nom sur l’enveloppe, mais avec un signe indiquant qu’elle eût à l’ouvrir, au lieu de la lui renvoyer comme une lettre de service administratif.
  86. D’Ollier. — Nous n’avons pu identifier ce nom.
  87. Goffaux. — Même observation.
  88. Madame d’Eu.
  89. probablement le docteur d’Hervillez, dont il sera souvent parlé dans la suite. M. d’Hervillez, docteur en médecine à Amiens, médecin de l’hôpital militaire, professait depuis 1778, au laboratoire du Jardin du Roi, sous le patronage de l’Académie d’Amiens, dont il était membre, un cours de chimie expérimentale de concert avec Lapostole (voir Almanach de Picardie, Inventaire des Archives d’Amiens, Inventaire des Archives de la Somme, passim). Nous avons déjà dit qu’il était, avec Lapostole et l’abbé Reynard, un des chefs du mouvement scientifique à Amiens. — Nous le verrons plus loin, en 1784, organiser chez lui des séances de magnétisme.
  90. Madame Dumaugin. — On trouve, à l’Inventaire des Archives de la Somme, C, 657, de longs détails sur une contestation, en 1767, entre les officiers municipaux d’Amiens et M. Dumaugin, « fermier du gros octroi sur les vins, eaux-de-vie et tabacs ». Cf. Inventaire des Archives d’Amiens, AA, 32 : « Ordonnance de l’Intendant, qui autorise Jeanne-Eugénie Delahaye, veuve de Jean Dumaugin, vivant Directeur des aides d’Amiens, à remettre, etc., 24 mars 1769? »
  91. « Ses bouteilles. » — Voir plus loin, lettre du 23 novembre 1781.
  92. Voir sur Madame de Chuignes, sœur de M. de Bray et parente de Roland, l’Appendice E.
  93. Sans doute afin d’avoir, pour le Dictionnaire des Manufactures, des renseignements sur les procédés de blanchissage des rabats de dentelle. (Voir Dictionnaire des Manufactures, t. I, p. 81.) Cf. lettre du 23 novembre 1781.
  94. C’est-à-dire à son beau-frère, le bénédictin Jacques-Marie Roland, prieur de Crespy-en-Valois, souvent appelé familièrement, dans la Correspondance, « le Crespysois », de même que le prieur de Longpont, dont nous allons parler, y est appelé « le longponien ».
  95. Un des autres frères de son mari, « le plus chéri », Pierre Roland, d’abord prieur du collège de Cluny, à Paris, et depuis 1778, curé de Longpont, près Longjumeau. — Voir Appendice C, et Mémoires, t. II, p. 238, 241 et 252.
  96. Toujours en vue de renseignements pour le grand « Travail encyclopédique » de Roland. — Voir Dictionnaire des Manufactures, t. II, p. 62. — Cf. Almanach de Paris, 1785, p. 54. — Voir Procès-Verbal de la conv., t. XVIII, 1er août 1793 : « Pétition de Troussier, pour la fourniture des chapeaux de l’armée… »
  97. Ms. 6238, fol. 150-152. — La page 152 est retournée.
  98. Jean-François Tolozan, un des quatre intendants du Commerce. La Picardie n’était pas dans son département, mais Roland relevait de lui pour « les manufactures de bas et autre ouvrages de bonneterie » (Almanach royal de 1783, p. 224). — Voir sur lui Appendice F.

    Roland avait écrit à sa femme, le 18 novembre (ms. 6240, fol. 98-99) : « M. Tolozan, le seul que j’aie vu des Intendants du commerce, m’a fait une vespérie du diable de l’affaire de H. (Holker) et du ton de ma correspondance, etc… il m’a dit que H. avait eut tort d’écrire ; que, s’il ne l’avait pas fait, il aurait bien trouvé le doyen de lui faire rendre justice ; mais qu’ayant voulu se la faire, il avait perdu le droit de le demander ; mais que j’avais tort, etc. ; à quoi je ne suis pas toujours resté muet… Puis il a beaucoup tiraillé sur les inspecteurs qui étaient des académiciens, qui écrivaient, etc. ; que cela ne convenait point à l’administration, et qu’elle trouverait bien le moyen de les en empêcher, etc. Il a cité, comme ainsi malavisés, Desmarets, Brisson et moi ; je crois en effet qu’il n’en accusera guère d’autres d’être de quelque Académie, ni d’écrire. Tu juges que, dans ces circonstances, je ne répandrai point l’écrit » (un pamphlet de son ami Baillière contre Holker, Lettres imprimés à Rouen en octobre 1781. Voir Appendice G.).

  99. Il s’agit de la lettre au roi de Prusse. — Voir ci-dessus, lettre du 18 novembre 1781.
  100. M. de Montaran, un des quatre Intendants du commerce, dont Roland relevait pour « les Manufactures de toiles et les toileries » (Almanach royal de 1783, p. 214)
  101. « Mlle  de la Belouze ne voit plus et ne peut rien », avait écrit Roland le 18 novembre.
  102. La permission de M. de Néville, directeur de la librairie, de mettre en vente les Lettres d’Italie, imprimées depuis plus d’un an. « J’ai la permission de M. de Néville et j’ai agi en conséquence » (lettre de Roland du 18 novembre).
  103. Voir lettre du 25 juillet 1781. — L’inspecteur des Manufactures de Caen s’appelait Brown (Almanach royal de 1783, p. 271), et était un de ennemis de Roland, ayant pris parti pour Holker contre lui. — Voir Appendice G.
  104. Nom peu lisible au manuscrit.
  105. Gillet « commis de la Halle foraine (communauté des Marchands réunis) », Almanach de Picardie de 1781, p. 49.
  106. Probablement des personnes de la famille de M. de M. « de Caze de Méry, contrôleur général ad honores des fermes générales à Amiens » (Almanach de Picardie, 1783, p. 67). — Cf. lettre du 16 août 1782.
  107. Ms. 6238, fol. p. 161-164.
  108. L’abbé Deshoussayes, en 1781, avait quitté Rouen pour devenir bibliothécaire de la Sorbonne. « Je ne l’ai pas vu et il paraît ignorer que je suis à Paris ; mais nous nous verrons immanquablement dans une vente où il est exact et où je dois aller. » (Lettre de Roland, du 22 novembre.) On va voir d’ailleurs qu’il allait retourner à Rouen.
  109. Voir Inventaire de la Somme, C, 380 : « Mémoire sur le troupeau anglais établi en Boulonnois et sur l’amélioration des laines dans cette contrée et ailleurs », par L. villard [successeur de Roland], 1785 — Lettre de M. Villard à l’intendant, lui envoyant ledit mémoire sur le troupeau anglais des sieurs Delporte, de Boulogne,… » — Ibid, lettre de M. d’Agay, du 29 novembre 1789, à M. Lambert (président du comité d’administration des Finances, Alm. roy. de 1789, p. 236) : « Les sieurs de la Platière et Villard, inspecteurs des manufactures, qui ont visité cet établissement à différentes époques, en ont toujours parlé avec éloges… Loin que la race anglaise eût dégénéré, elle s’était au contraire perfectionnée, du moins quant à la beauté de la laine, etc. » Cf. Dict. des Manufactures, t. I, p. 20, 160, 197, 198, où l’on voit combien Roland s’était intéressé à l’entreprise de MM. Delporte (il avait été chargé officiellement, en juin 1778, de visiter leur troupeau), et quelles relations de confiante estime il avait conservées avec eux, même après avoir quitté Amiens.
  110. Il semble que M. Justamont eût entrepris une traduction en anglais des Lettres d’Italie.
  111. L’abbé Dubos, Réflexion critiques sur la poésie et la peinture, 1719.
  112. Quiry-le-Sec, village à 14 kilomètre de Montdidier.
  113. Tricot, gros village de Picardie, aujourd’hui dans le département de l’Oise, arrondissement de Clermont
  114. Laumont, et ailleurs Lhomond ; nous n’avons rien pu trouver sur cet industriel d’Amiens.
  115. Voir lettre du 18 novembre 1781.
  116. Maurepas venait de mourir, 21 novembre 1781.
  117. Jacques-François Demachy (1728-1803), pharmacien et chimiste, censeur royal, rue du Bac (Alm. royal de 1783, p. 494). Roland, dans ses Lettres d’Italie, t. IV, 24° lettre, p. 47, s’adressant à Marie Phlipon, lui parle « des cours de chimie que j’ai suivis dans votre capitale et dont je vous ai laissé les cahiers en partant ; cahiers faits sous les leçons d’un homme qui me les a rendus chers par l’amitié qui les dicta, de M. Demachy enfin… » Voir sur ce chimiste-littérateur, qui rejeta constamment la doctrine de Lavoisier, mais qui en revanche collabora assidûment à l’Almanach des Muses, l‘article de la Biographie Rabbe. Il publia, dans la collection des Arts et Métiers : L’Art du distillateur d’eaux fortes ; L’Art du distillateur liquoriste.
  118. Pierre Pasquier (1731-1806), né à Villefranche-en-Beaujolais, compatriote de Roland, était un peintre en émail alors célèbre ; agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1768, reçu académicien en 1769, sur les portraits en émail de Louis XV et du roi de Danemark, il exposa, sans interruption, de 1769 à 1783. Il avait fait à Ferney, en 1771, la miniature de Voltaire (Bellier de la Chavignerie, Dict. général des artistes de l’École française, 1885, 2 vol. in-8o). Il avait son logement aux Galeries du Louvres (Alm. roy. de 1783, p. 519). Comme Roland, il était membre associé de l’Académie de Villefranche depuis 1782, avec le titre de « peintre du Roi » (Almanach de Lyon, année 1785). C’est à lui que Madame Roland, dans ses angoisses de la soirée du 31 mai 1793, alla demander secours pour son mari (Mém., I, 14-15).

    Ami de la Révolution, il avait, dès la fin de 1789, fait campagne avec David pour « la régénération de l’Académie royale de peinture et de sculpture » ; dans le « comité de protestation » contre l’organisation aristocratique de cette compagnie, David était président et lui secrétaire, et il parlait de porter ces protestations à la tribune des Jacobins. Roland, après le 10 août, le nomma membre de la commission du Muséum. Mais David, qui en octobre 1792 caressait encore Roland, passa bientôt à l’ennemi. Dénonçant à la convention, le 28 frimaire an ii (18 décembre 1793), la commission du Muséum, il s’écriait : « Quels sont les six membres ? C’est Jollain, ancien garde des tableaux du roi ; … Pasquier, ami intime de Roland ; … etc… » (Guillaume, III, 187 ; — Le peintre Louis David, par M. Jules David, 1880, p. 66 et suiv. — E. et J. de Goncourt, Histoire de la Société française pendant la Révolution, p. 350). Il dut être inquiété par la Révolution, car nous voyons qu’en février 1794 (Guillaume, III, 394) les scelllés étaient apposé chez lui. — Quand Bosc publia en 1795 la première édition des Mémoires de Madame Roland, il devait mettre en tête un portrait d’elle, par Pasquier (Avertissement de la 1re partie, p. viii, et note au commencement de la 4e partie). Mais nous croyons que ce portrait n’a jamais paru.

    Il y a quatre pièces de Pasquier au cabinet des Estampes. — Voir notre Appendice V, « les portraits de Madame Roland »

  119. C’est la lettre de Roland du 22 novembre 1781 (ms. 6240 fol. 113-116).
  120. Il venait de donner sa démission de bibliothécaire de la Sorbonne pour retourner à Rouen.
  121. Roland avait écrit à sa femme, en lui rendant compte de ses courses à travers Paris : « … de là, chez M. de la Blancherie (aux assemblées littéraires qui se tenaient chez cet ancien amoureux de Marie Phlipon)… j’y ai trouvé M. et Mme  Mentel ; excessifs compliments ; de tes nouvelles ; invitations, etc. » — Nous consacrerons une notice spéciale (Appendice S) à cet ami de Brissot, qui fut, aux mauvais jours de septembre et octobre 1793, le confident et le consolateur de Madame Roland. Bornons-nous à mentionner ici qu’il était alors professeur de géographie à l’École militaire et qu’il allait devenir un des collaborateurs de Roland, en se chargeant du Dictionnaire de géographie ancienne pour l’Encyclopédie méthodique, 3 vol. in-4o.
  122. Roland écrivait : « Mon camarade va à ses cours ; nous nous voyons matin et soir, ordinairement à dîner ; il est toujours rêvant, sans trop dire ni trop savoir à quoi ; il faut souvent le provoquer, le heurter ; puis il va. Mais il avait grandement raison de dire qu’il avait besoin d’être poussé… »
  123. Ms. 62338, fol. 153-154.
  124. Voir Almanach de Picardie, 1781, p. 6, sur les bureaux de charité institués à Amiens depuis 1778. Les Delahaye étaient une famille de riches négociants d’Amiens, bien apparentés. L’un d’eux était alors « lieutenant de maire ».
  125. La lettre de Roland du 26 novembre 1781 (ms. 6240, fol. 103-104).
  126. Ms. 6238, fol. 156-157).
  127. Ms. 6238, fol. 158.
  128. « Ch.-Fr.-M. Legrand, docteur de Montpellier, et professeur des accouchements, près l’Évêché » (Alm. de Picardie, 1781, p. 49). Voir sur lui Inventaire des Archives de la Somme, pasimm. — On voit que ce n’était pas lui qui avait accouché Madame Roland. Elle s’en était tenu à Anselin, chirurgien, dont les prix étaient sans doute moins élevés (un louis, voir lettre du 28 décembre 1781). Mais, dans la maladie qui va suivre, ce n’est pas Legrand, c’est d’Hervillez que nous allons trouver auprès d’elle, sans qu’elle paraisse avoir eu plus de foi dans sa science.
  129. Ms. 6238, fol. 159-160.
  130. En recevant les lettres précédentes, Roland avait écrit aussitôt, 1er décembre (ms. 6240, fol. 111-112) : « Tu me caches ton état, mon amie ; ta lettre d’hier semblerait annoncer du mieux ; mais tu as mandé à Agathe [la vieille amie, sœur Saint-Agathe, des Dames Augustines de la Congrégation] que tu avais été saignée, que tu avais une dysenterie affreuse, et je ne viens que d’en être informé à cinq heure du soir. J’ai cherché partout une voiture pour partir sur-le-champ en poste ; je n’ai pu en trouver. J’avais déjà écrit à deux ou trois personnes pour leur mander mon départ. Si ma santé me le permettait, je partirais à pied ; mais le mystère que tu me fais, à moi, mon amie, avec un air de confiance, me déchire l’âme et m’accable. Sur quoi et sur qui veux-tu que je compte désormais ? Je n’ai de confiance en ton état que sur ce que tu me dis du départ de mon frère, car je le crois trop vrai pour penser qu’il se fût concerté avec toi et ceux qui t’entourent pour me tromper et être reparti si tu étais en danger. Suivant les lettres de demain, de quelque manière que ce soit, je partirai, je ne me consolerai jamais d’être le dernier instruit de ce que tu sens. Je t’embrasse avec un cœur navré. » Roland arriva en effet presque aussitôt et resta auprès de sa femme jusqu’au vendredi 21 décembre, où, la convalescence paraissant assuré, il repartit pour paris (voir ms. 6240, fol. 147-148, lettre de Roland du 23 décembre 1781).
  131. On verra plus loin que d’Hervillez.
  132. La garde-malade que Roland, dès son retour (voir plus loin lettre du 6 janvier 1782), avait mise auprès de sa femme.
  133. Joséphine.
  134. Probablement l’hôtesse de l’Hôtel de Lyon.
  135. Le censeur des Lettres d’Italie. Voir lettre 14. Malgré la permission accordée par M. de Néville, le directeur de la librairie, en novembre 1781, de nouvelles difficultés avaient surgi. Roland, arrivant ce même jour à Paris, écrivait à sa femme : « Demain matin, je débute par mon bourru de censeur » (lettre du 23 décembre 1781, ms. 6240, fol. 147-148).
  136. Voir sur Agathe, ou plus exactement sœur Sainte-Agathe, l’Appendice U.
  137. M. 6238, fol. 165-166.
  138. Le Journal économique, publié par Baudeau, etc. avait paru de 1751 à 1772. « Il s’occupait surtout d’agriculture et d’économie domestique. » (Hatin, p. 62). Roland en faisait grand usage et le cite à chaque page de son Dict. des Manufactures.
  139. La bonne, c’est toujours Marie-Marguerite Fleury.
  140. Madame Roland a raconté elle-même (Avis à ma fille en âge et dans le cas de devenir mère, p. 300-344 du tome I de l’édition Champagneux), avec une singulière précision de détails, ses misères de nourrice et la vaillante obstination avec laquelle elle les surmonta. — Cf. Discours préliminaire de Champagneux, p. lxxxv du même volume.
  141. Nous n’avons rien trouvé sur cette Mme  Robert.
  142. Mlle  Madeleine Decourt, sœur de Mme  de Bray la mère, et par conséquent tante d’Alex.-Nic. de Bray, l’avocat du Roi, avait été marchande, avant de se retirer auprès de sa sœur. — Voir Appendice E.
  143. M. Maugendre était premier secrétaire de l’Intendance de Picardie, et subdélégué général (Alm. de Picardie, 1781, p. 35). On rencontrera plus loin, lettres 34, 37, 44, 49 et suiv., nombre d’allusions fort malveillantes tant à Maugendre qu’à sa femme et à l’intendant d’Agay.
  144. Sic. — Antoine-Éléonor-Léon Leclerc de Juigné, archevêque de Paris, 23 décembre 1781 ; depuis, député du Clergé aux États généraux.
  145. Ms. 9533, fol. 77, copie. — L’original est signalé dans le catalogue de vente du 7 décembre 1854 et jours suivants ; Laverdet, expert, n° 784. En rapprochant cette lettre de la suivante, on voit que l’une et l’autre sont du 28 décembre 1781.
  146. Ms. 6238, fol. 167-168.
  147. Du chanoine Dominique Roland ; sans doute, la réponse à la lettre 19.
  148. La « petite Chéronnée », c’est dans le langage pédantesque de Roland, sa ville natale, Villefranche-en-Beaujolais. — de même qu’Amiens était « la Béotie ». — la Normandie « la Grèce », etc. — L’abbé Jean-Baptiste-Claude Pein, dont on voit que Madame Roland avait fait la connaissance dans son séjour à Villefranche, de septembre à octobre 1780, était chanoine de la collégiale ; il venait d’être ou allait être reçu membre de l’Académie de Villefranche (voir Alm. de Lyon, 1785). En 1787, nous le trouvons directeur de l’Académie et aumônier des « Chevalier de l’Arc » et des « Chevaliers de l’Arquebuse », les deux sociétés de tir bourgeoises de la petite ville. Ses rapports avec les Roland lorsque ceux-ci allèrent habiter Villefranche, se refroidirent beaucoup. — Son frère, Jean-Baptiste Pein, avocat, capitaine-enseigne de la milice bourgeoise en 1787, se jeta très avant dans la Révolution, et fut à Villefranche, le chef du parti opposé à celui de Roland. Voir la-dessus une lettre adressée à Madame Roland, du 13 avril 1791, que nous avons publié dans la Révolution française (août 1896), et une lettre de Roland à Champagneux, du 6 juillet 1791, cité par M. Faugère (I. 355). Il n’en fut pas moins guillotiné à Lyon, le 5 décembre 1793. — Un autre membre de la famille, Louis Pein, probablement frère des précédents, était procureur de la sénéchaussé et notaire, major en survivance de la milice bourgeoise ; en 1788, à l’assemblée provinciale du Beaujolais, le secrétaire-greffier est « M. Pein notaire royal et procureur à Villefranche » (Alm. de Lyon, de 1785 à 1788, passim). Nous le voyons reparaître, en sa qualité de notaire, en 1795, lors de la levée des scellés apposés sur les biens des Roland pendant la Terreur (voir Appendice K).
  149. Elle se nommait Marianne. — Voir lettre du 8 janvier 1782.
  150. Les frères Laurent et Joiron, manufacturiers d’Amiens ; le Dict. des manufactures mentionne (t. I, p. 360, 371) les maisons Laurent frères et Joiron-Maret ; à l’Inventaire des Archives de la Somme, t. II, Introd. et passim, nous rencontrons les Laurent frères, les Joiron, etc. Déjà, alors comme aujourd’hui, toutes ces familles de fabricants et de commerçants s’alliaient et entrecroisaient leurs noms.
  151. Ms. 6238, fol. 169. La place de cette lettre au manuscrit, entre la lettre du 28 décembre et la lettre du 30 qu’on va lire, ainsi que l’indication « tantôt trois mois » semblent nous donner sa date. — Le début de la lettre manque.
  152. Directeur de la librairie.
  153. Ms. 6238, fol. 170-171. — Le commencement manque. La date a été ajoutée par une main inconnue.
  154. Est-ce par ironie que Madame Roland écrit de Sélis ? Nicolas-Joseph Sélis (1737-1802) avait été nommé en 1762, lorsqu’on renvoya les Jésuites, professeur de troisième au collège d’Amiens, en même temps que Delille était nommé professeur de seconde (Inventaire de la Somme, B. 382 et 383). C’est l’avocat Jean-Baptiste-François Morgan, échevin, qui avait été chargé par la ville, pour parer à l’embarras où le renvoi des Jésuites mettait le collège, d’aller faire à Paris cette levée de professeurs (ibid, C. 1546). Sélis ayant eu à essuyer, « pour plusieurs irrégularités de conduite », des réprimandes de la part d’un des administrateurs du collège, Houzé, le receveur des tailles de l’Élection, il le tourna en ridicule dans une pièce de vers de l’Almanach des Muses de 1775, p. 97. Les officiers municipaux prirent fait et cause pour Houzé, et portèrent plainte contre Sélis au Garde des Sceaux (Inventaire d’Amiens, AA, 27. fol. 173, lettre du 13 janvier 1775). Le professeur, pour conjurer l’orage, écrivit aux officiers municipaux, le 18 janvier, une lettre de désaveu : « … Je n’ai point eu intention d’offenser M. Houzé … mon unique dessein a été de faire un portrait en l’air » (ibid, AA, 33, fol. 140).

    Sélis, après un petit roman sentimental avec une fille de l’avocat Morgan (voir plus loin, lettre du 26 août 1783), épousa une nièce de Gresset (Biog. Rabbe), puis fut appelé, sur la recommandation de son ancien collègue Delille, à la chaire d’éloquence du collège Louis-le-Grand (ibid). En 1785, il était directeur du Musée de Paris (Mém. secrets, 18 décembre). Il mourut suppléant de Delille dans la chaire de poésie latine du Collège de France.

    Nous le retrouverons dans la suite de la Correspondance (lettre des 25 et 26 août 1783).

    Sa nomination d’associé à l’Académie de Berlin dut faire envie à Roland.

  155. Saint-Pierre est le laquais de Mme de Chuignes.
  156. Noèle-Adélaïde-Gabrielle d’Ainval veuve de Louis-Marc de Gueully de Rumigny, et son fils Louis-Gabriel-Philippe-Augustin de Gueully, marquis de Rumigny (Inv. de la Somme, B, 46, 279, 455). C’est à cette famille qu’appartient Marie-Hippolyte Gueully, comte de Rumigny, ambassadeur sous la Monarchie de Juillet (Fr. Masson. Le département des Aff. étrang. pendant la Révol., p. 473).
  157. La maison de Mailly, si connue, était de Picardie.
  158. Et Roland de répondre (2 janvier 1782, ms. 6240, fol. 122-123) : « Point de pâté pour personne ; c’est un parti pris. Je donnerai un exemplaire… »
  159. Allusion aux incidents du voyage de Roland, lorsqu’il était reparti pour Paris le 21 décembre 1781. Il écrivait, le 23 décembre, en arrivant à Paris : « Arrivé à la messagerie à dix heures et demie [du soir], on chargeait tant et l’on a tant chargé la voiture, entre autre choses de 180 pâtés, pesant ensemble environ 2700 livres, que nous ne sommes partis qu’après minuit… » Dès le faubourg de Beauvais, la voiture ayant failli verser, « il a fallu descendre dans la boue… décharger 60 desdits pâtés, pesant 900 livres, d’un plus grand nombre qui étaient sur l’impériale, qui à elle seule était chargée de 1200 livres… » On voit par cette lettre de Roland que la diligence, qui aurait dû partir d’Amiens le 21, à 10 heures et demie du soir, n’arriva à Paris que le 23 à 11 heures du matin, soit 36 heures pour faire 28 lieues.
  160. Le cours annoncé ici par Madame Roland, et que Lapostole doit faire chez lui, en janvier, est nécessairement différent du cours public, non payant, qu’il donnait avec d’Hervillez, depuis 1778, au laboratoire du jardin du Roi. « Le cinquième cours de chimie expérimentale, raisonnée et appliquée aux arts qui en dépendent, s’ouvrira immédiatement après Pâques dans le laboratoire du jardin du Roi, par MM. d’Hervillez et Lapostole, académiciens » (Alm. de Picardie, 1782, p. 90)
  161. Alexandre-François de Bray, fils de l’avocat du Roi, né en 1763, mort non marié après 1789. Voir sur lui une lettre du prieur de Cluny à Roland, du 1er octobre 1777 : « Le petit de Bray est toujours étourdi et peu appliqué : il a été passer une quinzaine à Amiens. J’avais obtenu du père qu’il n’y irait pas ; mais M. Ballin, qui avait des affaires dans la Picardie a paru approuver le voyage. Je souhaite qu’ils soient tous contents les uns des autres. » (Ms. 6242, fol. 226-227) — Voir Appendice E.