Aller au contenu

Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Lettres/1789

La bibliothèque libre.
Imprimerie nationale (p. 38-76).

ANNÉE 1789.


AVERTISSEMENT.

Pour l’année 1789, nous n’avons que 39 lettres, dont 17 à Bosc, 4 à Brissot et 1 à Varenne de Fenille. Pas une seule à Roland. Il est vrai que l’inspecteur a été malade la plus grande partie de cette année-là et que sa femme l’a peu quitté. Mais il est impossible que, durant leurs courtes séparations, que nous essayerons de noter plus loin, elle ne lui ait pas écrit quelquefois. Il semble donc bien que leur correspondance de 1789, comme d’ailleurs presque toute celle de 1788, n’ait pas été retrouvée ou conservée par la famille.

Sur les 17 lettres à Bosc, 4 seulement ont été données par lui dans son édition de 1795, et avec un singulier désordre (voir lettre du 4 septembre, note) ; une seule provient des Papiers Roland ; les 12 autres nous ont été fournies par la collection Alfred Morrison, appoint inestimable, sans lequel nous n’aurions pu vraiment reconstituer la vie des Roland en 1789.

Essayons maintenant — en nous aidant des lettres inédites de Roland que nous avons pu consulter dans cette collection — de vérifier comment l’inspecteur de Lyon et sa femme ont passé cette année-là.

Au début de l’année (février, mars), ils sont à Lyon, travaillant ensemble au Dictionnaire des manufactures, dont une nouvelle partie (t. II, 2e partie) devait paraître le 21 décembre suivant. On va à la Comédie ; Eudora, qu’on ne pouvait garder dans l’étroit appartement de la maison Chamburcy, au milieu du travail du Dictionnaire, est en pension chez le ministre Frossard. C’est de Lyon que Madame Roland écrit à Varenne de Fenille sa lettre si intéressante du 21 mars sur la littérature anglaise.

Nul doute que la correspondance avec les amis de Paris, Bosc et Lanthenas, n’ait continué activement. La lettre du 3 avril semble bien être un renseignement pour le journal que commençait Brissot, revenu d’Amérique. Toutefois il y a, là aussi, une lacune évidente. Du 18 mars au 9 juin, nous n’avons que la lettre du 21 mars à Varenne de Fenille et cette lettre à Bosc du 3 avril.

Au commencement de juin, Roland tombe gravement malade ; jusqu’à la fin de juin, sa vie est en danger. Vient ensuite une longue et pénible convalescence, qui se prolonge jusqu’à la fin de l’année, mais qui, dès la fin de juillet, ne l’empêchera pas d’écrire, et qui lui permettra, vers le milieu de septembre, de se transporter à Villefranche.

Auprès de son mari malade. Madame Roland suit, avec une fièvre extraordinaire, les événements de Paris. Dès le commencement, elle n’a aucune illusion, elle ne croit pas à la Révolution avec le Roi. Elle pousse ses amis aux solutions extrêmes et décisives. Elle ne s’en remet même pas à l’Assemblée nationale, qui, selon elle, ne doit que proclamer le Droit nouveau, puis revenir devant les électeurs qui choisiront d’autres mandataires pour faire la Constitution.

Quand la grande peur arrive, quand on apprend à Lyon (26 juillet) cette mystérieuse Jacquerie qui épouvante les campagnes, elle court au Clos (29 juillet). Mais, bien vite rassurée pour son « ermitage », elle est de retour à Lyon dès le 15 août, auprès de son malade.

Il semble qu’elle ait pu, en septembre, emmener Roland en Beaujolais, tantôt à Villefranche, tantôt au Clos (il fallait faire les vendanges), et que le mois d’octobre, au contraire, se soit passé à Lyon. C’est de là qu’elle écrit, dans les premiers jours d’octobre, cette lettre si curieuse (lettre 332) où elle trace à ses amis un plan détaillé pour aller enlever l’Assemblée à Versailles, au moment même où les Parisiens exécutaient spontanément ce coup de main qui mettait désormais la Révolution à l’abri de tout complot militaire.

Les lettres que nous avons sont d’ailleurs trop peu nombreuses pour que ces allées et venues des Roland entre Lyon, Villefranche et le Clos puissent êlre indiquées avec une précision absolue ; il y en a eu probablement quelques autres, très rapides d’ailleurs, et sans intérêt pour suivre la correspondance.

316

[À BOSC, À PARIS[1].]
23 février 1789, — [de Lyon ?].

Il faut bien que je vous dise quel plaisir vous m’avez fait en me donnant de bonnes et précises nouvelles du chanoine[2] ; je suis enchantée que vous l’ayez vu, que vous puissiez m’assurer de son meilleur état. J’avoue pourtant que la crainte des retours d’un mal aussi traître ne me permet pas d’être aussi tranquille sur son compte qu’avant cette première attaque ; mais enfin ces retours peuvent n’être pas prochains.

Mlle Navier[3] est la fille de ma contemporaine d’âge, et je n’ai qu’une morveuse de sept ans ; voilà ce que c’est de s’y prendre de bonne heure.

Ne négligez point ce qu’il vous sera possible pour les fouets[4], et cela incessamment, car on est après ; Lyon n’a rien pu fournir, il n’y a pas eu moyen de tirer quoi que ce fût des gens qui se mêlent de leur fabrication.

Quant au « relieur », s’il est aussi quelque chose, pressez toujours ; on accroche comme on peut, et les vérités se trouvent. Je n’ai pas le temps de vous en dire long ; nous vous embrassons cordialement ; adieu.

317

[À BOSC, À PARIS[5].]
7 mars 1789, — de Lyon.

Or donc, notre ami docteur, on me charge de vous demander des choux, c’est-à-dire des renseignements sur les graines de choux-fleurs, le lieu d’où on les tire et la manière dont on les obtient.

Les uns prétendent ici que la graine de choux-fleurs, dite d’Angleterre, parce que les Anglais nous la fournissent, est tirée par eux de Malte même, et qu’ils n’en sont que les commerçants. D’autres assurent qu’indépendamment des graines de choux-fleurs de Malte, il en est qu’on recueille en Angleterre même, à force d’industrie, et que c’est bien de cette sorte que les Anglais nous vendent.

Éclaircissez-nous cette question et répondez encore à la suivante :

Recueille-t-on de cette graine à Paris, dans ses environs, et comment s’y prend-on pour l’avoir bonne ? Emploie-t-on les serres et fait-on passer l’hiver à la plante ?

Veuillez vous enquérir de ces objets et nous en rendre bonne raison.

J’aimerais à causer avec vous, mais je ne puis en ce moment.

Nous avons ici de grands opéras qui ne sont pas mal rendus pour la province, et j’ai pleuré comme une novice à Œdipe à Colonne[6], avec l’intéressante Antigone.

Adieu ; ma pauvre Eudora m’écrit presque tous les jours où je ne la vois pas[7] ; c’est avec elle que j’ai été au spectacle ; mais son petit cœur, tout à la nature, n’entend rien à ce qui n’est que son imitation.

Nous vous embrassons franchement et cordialement.

Ma pauvre Agathe ?…

318

À BOSC, [À PABIS[8].]
18 mars 1789, — de Lyon.

Vous êtes affligé, ce m’est une raison de vous écrire. À vous, qui m’avez rafraîchi le sang, en m’apprenant que mon Agathe respirait encore, que ne puis-je faire passer quelque nouvelle aussi consolante ! Mais au moins je mettrai mon âme à l’unisson de la vôtre en vous apprenant que je suis encore dans le chagrin. Celui de mes beaux-frères avec lequel mon mari a le plus vécu et auquel nous sommes singulièrement attachés, notre compagnon de voyage, le bon curé de Longpont, est dans un état inquiétant : il parait menacé de la pierre[9].

On vient de m’interrompre ; un brave homme lit ici tout haut un manuscrit sur les droits féodaux, et sa voix est tonnante au point de tourmenter mon oreille et de harceler mon attention. L’heure du courrier me presse. Adieu ; recevez les embrassements de la bonne et franche amitié qui voudrait adoucir les affections pénibles dont vous êtes préoccupé.


319

M. DE FENILLE, À BOURG[10].
21 mars 1789, — de Lyon.

Je sais fort bien, Monsieur, que le silence est l’ornement des femmes ; les Grecs l’ont dit ; Mme Dacier l’a reconnu, et, quelle que soit l’opposition générale du siècle à cette espèce de morale, les trois quarts des hommes sensés et surtout des maris la professent encore. D’ailleurs, je n’ai pas l’honneur de vous connaître assez particulièrement pour devoir donner un libre cours à mon babillage et me promettre l’indulgence qu’on ne peut espérer que de ses amis. Aussi je me garderais de me mêler dans votre discussion littéraire avec M. de La Platière, s’il n’était question de romans, de théâtre, de frivolités, et que vous n’eussiez cité les femmes à leur occasion. Ma place m’est donc assignée par vous-même ; je puis parler de mes bons amis les Anglais, et vous ne pouvez en conscience vous dispenser de me lire, quitte à me jeter au feu après.

D’abord vous avez peur : donc j’ai beau jeu ; il y aurait là de quoi donner courage à tous les héros en cornette. Cependant, comme il ne serait pas glorieux de se prévaloir d’un tel avantage, je passe à vos raisons.

Vous demandez si la langue anglaise a de l’harmonie et vous appuyez fort adroitement sur la difficulté de sa prononciation pour les étrangers, comme une sorte de preuve de la négative. Pour réponse à la question, je voudrais que vous entendissiez un Anglais instruit débiter les beaux vers des grands poètes de sa nation ; la noblesse de ses accents, la facilité de son expression, la justesse de la cadence ou la mesure du rythme, des sons pleins, des terminaisons sonores vous persuaderaient en dépit de vous-même, et votre oreille subjuguée porterait à votre esprit une idée des belles choses que le défaut de connaissance ne vous eût pas permis de saisir.

Quant au fait de la difficulté, que je ne nie pas, permettez-moi d’observer qu’elle est, en partie, relative. Nous trouvons l’italien très facile ; l’espagnol et le portugais ne le seraient pas moins pour nous, et nous les apprendrions également, s’ils avaient autant d’auteurs aimables. Mais toutes ces langues sont sœurs de la nôtre ; ce sont des dérivés d’un même principe ; il n’est pas étonnant que des enfants d’une même famille s’entendent plus aisément entre eux qu’avec des hommes d’un autre climat.

La preuve, c’est que les Allemands et les Anglais s’entendent aussi facilement que les Français et les Italiens, et, si l’on parle plus notre langue dans les États du Nord que celle de nos voisins du Midi, nous le devons à des causes qui ne tiennent pas à la nature même de notre langue. J’ajouterai que s’il reste encore quelque chose à dire contre la difficulté intrinsèque de l’anglais, difficulté qu’un peu d’habitude a bientôt surmontée, et que le besoin ou le plaisir ne calcule jamais, elle est rachetée au centuple par la liberté des élisions, très fréquentes en anglais, par cette étonnante faculté de contracter ou d’étendre les mots d’une manière qui laisse à l’imagination toute sa vivacité, au sentiment tout son feu, au génie toute sa grandeur ; qui présente tous les tons, et ouvre au poète, comme à l’orateur, la plus vaste carrière.

Les relations des États-Unis, les avantages de leur constitution, de leur commerce, etc., répandront, dans toutes les parties du monde, le besoin d’apprendre leur langue. Quant au plaisir de la cultiver…, ah ! Monsieur, « si les ouvrages de pure imagination font encore plus de prosélytes que ceux de philosophie, de physique, de haute morale, etc… », quelle langue doit être cultivée autant que l’anglais, qui les réunit tous !

C’est le peuple de l’Europe qui a l’imagination la plus forte, la plus sensible, les romans les plus intéressants et les plus variés, et le théâtre sinon le plus châtié, peut-être le plus attachant.

Vous avez appris l’italien pour l’Arioste, le Tasse, Métastase, Goldoni, etc. Vous êtes à la fois un sage et un homme de goût, et vous n’avez point appris l’anglais, je ne dis pas pour Locke, Newton et tant d’autres, mais pour son Milton, sublime dans ses beautés, étonnant dans ses écarts mêmes, frais et touchant comme Homère dans ses détails et ses descriptions ; vrai poète épique à qui nous n’avons rien à comparer ; moins fécond peut-être que l’inépuisable Arioste, moins régulier que le Tasse, et peut-être aussi plus grand qu’eux deux. Vous ne l’avez point appris pour son Thompson[11], ce chantre aimable des « Saisons » ; majestueux et riche comme la nature qu’il peint en maître, digne de s’asseoir au pied du trône de son Créateur, dont le souffle divin semble l’avoir inspiré. Heureux agriculteur, vous foulez avec complaisance les champs cultivés par vos soins[12] ; Virgile à la main, vous vous appliquez à vous-même le fortunatos nimium, et vous n’avez jamais fixé vos yeux attendris sur les vers de Thompson !… Et Pope, si sage et si brillant, n’a pas porté dans votre âme, avec la douceur de son chant, celle de sa doctrine, dans ces moments où l’âme la plus paisible soupire secrètement sur les peines de la vie ! Et l’ingénieux Dryden, le piquant Congreve, le voluptueux Rochester, n’ont-ils jamais rappelé le sourire sur vos lèvres ? Mais comment n’avez-vous pas cherché à connaître Shakespeare, dont, après des siècles, et malgré toutes nos perfections tant vantées, les Anglais sont toujours enthousiastes ? Comment n’avez-vous pas été curieux de savoir sur quoi étaient fondés l’admiration, l’enchantement, les transports d’une nation éclairée pour un auteur qui s’avise de négliger les trois unités, de faire mourir bien des gens sur la scène, de rapprocher les tableaux de la vie commune et des actions les plus relevées, précisément comme elles le sont dans la nature, et de n’avoir en rien d’autre maître, d’autre loi, quelle et son génie !

Voyez donc, je vous prie, dans Othello, ce qui manque à Orosmane, pour nous faire passer, avec plus de terreur, dans toutes les gradations de la jalousie. Comparez, si vous avez le courage, l’ombre de Ninus à celle de Hamlet. Examinez comme notre Ducis a refroidi Lear, en l’ajustant à la française, et le redressant suivant les règles d’Aristote, précisément comme nos grand’mères nous mettaient les pieds sur des planchettes entre des liteaux pour nous les faire tourner en dehors, ou des colliers de fer pour nous obliger de nous tenir droits. Contemplez ces charmants caractères de femmes, si délicatement tracés par le pinceau de Shakespeare, sa tendre Cordelia, l’ingénue Desdemona, l’infortunée Ophélia ; concevez, si vous le pouvez, comment le même homme a pu réunir tant de grâces à tant de force ; comment il a su faire pâlir d’effroi, tressaillir des émotions les plus douces, porter au comble l’attendrissement et la terreur, les faire suivre ou précéder de philosophie ou de gaieté. Appelez, si vous voulez, ses compositions monstrueuses…, mais vous les relirez vingt fois, et loin de faire, comme beaucoup de nos littérateurs, un crime à toute une nation d’avoir du plaisir, vous en prendrez avec elle, quoi qu’en puissent dire tous nos Le Bossu[13], depuis Aristote qu’ils citent, jusqu’au dernier cuistre de collège, qui l’entend nommer sans le connaître.

Mais non, laissez les folies du théâtre ; recueillez-vous dans les romans, douces fictions dont les âmes sensibles s’alimentent ; monde chimérique où elles se jettent pour y trouver, fussent-elles malheureuses, d’autres belles âmes à chérir et à plaindre. Oh, pour le coup, Monsieur, il faut bien que vous quittiez l’Italie ; car je n’imagine pas que l’insipide Chiari#1, avec ses sottes aventures et ses personnages plus sots encore, puisse vous y arrêter deux minutes ! Eh bien, où irez-vous ? Courir les grands hasards avec nos preux chevaliers ou sillonner le fleuve de Tendre parmi nos langoureux Céladons ; car je n’imagine pas que la métaphysique de nos modernes romanciers vous plaise davantage que la mauvaise compagnie que plusieurs d’eux nous donnent ? Vous me nommerez Julie, et je vous répondrai que je la relis tous les ans ; mais j’oserai dire, malgré tout mon respect et mon amour pour celui de nos écrivains à qui je donne la préférence, parce qu’il me rend contente de moi et m’apprend à me tolérer en me donnant toujours l’envie d’être meilleure et l’espérance de le devenir, j’oserai dire que ce n’est pas comme roman que sa Julie est admirable. Ce délicieux ouvrage n’est tel que par des beautés étrangères, pour ainsi dire, à sa nature, et que leur excellence seule a pu ne pas faire trouver déplacées. Aussi Rousseau, tout le premier, a-t-il avoué Richardson comme son maître. Aucun peuple ne présente un roman capable de soutenir la comparaison avec Clarisse ; c’est le chef-d’œuvre du genre, le modèle et le désespoir de tout imitateur. Nos Pygmées, avec leur compas, viendront disserter sur ses proportions et lui reprocher des longueurs ; mais eux-mêmes tombent à ses genoux et avouent ne rien connaître d’aussi beau. Cependant la foule de nos romans est infiniment plus inférieure aux romans anglais du second ordre que Julie ne diffère de perfection avec Clarisse. Si les Anglais n’étaient pas aussi braves, aussi sages, aussi bons politiques, aussi profonds philosophes, je dirais que ce sont les romanciers de l’Europe. Ils abondent en ce genre, et leurs romans portent l’empreinte d’une sensibilité exquise, d’une grande connaissance du cœur[14] humain, d’une mélancolie touchante. Fieldings et plusieurs autres, même des femmes, se sont montrés dans la carrière avec honneur et avec succès.

Au reste, n’imaginez pas qu’une teinte de consomption me fasse pencher pour les Anglais, à qui nos agréables reprochent des couleurs trop sombres ; si je m’attendris avec délices, je m’égaie avec transport ; et quiconque aura été témoin de la joie franche, des ris bruyants et de l’espèce de délire auquel les Anglais s’abandonnent à leur théâtre, conviendra que la même dose de sensibilité rend également susceptible des passions les plus graves et des affections les plus douces, des tableaux les plus fiers et des images les plus riantes.

Cependant je ne fais qu’entrevoir les beautés de la langue anglaise, et si je n’avais été aidée par les traductions, je ne pourrais parler de beaucoup des auteurs qui l’ont employée. J’ai appris l’anglais sans maître ; je l’ai entendu parler à Londres durant un mois seulement ; je lis sa prose ; il me faudrait maintenant étudier sa poésie ; car, malgré mon goût pour les langues, ma passion pour la littérature, j’aime encore mieux mon mari que tout cela, et comme il fait des Arts par-dessus toute chose, je ne sais, ne vois et n’entends plus que des Arts depuis quelques années ; si ce n’est que par récréation, et toujours de compagnie, nous faisons, à la dérobée, de petites échappées dans ce beau domaine de la littérature, où j’espère retourner un jour oublier tous les Arts du monde.

M. de La Platière va mettre en l’air la librairie de cette ville pour vous procurer l’Économie de Xénophon et le Voyage de M. Poivre. Quant à la citation de Columelle, vous vous passerez, s’il vous plaît, de renseignements pour aujourd’hui, attendu que notre bibliothèque est à Villefranche, et que moi, sans avoir les goûts de Ninon, je partage un peu son aversion pour les citations. Mais je devrais craindre de vous en inspirer pour notre correspondance, et je n’ose prendre une autre feuille pour les compliments. Salut et honneur.


P. D. L. P.[15].

320

[À BOSC. À PARIS[16]]
3 avril 1789, — [de Lyon].

En deux mots de questions, vous me donnez des pages à vous répondre.

Vous désirez savoir ce que l’on pense dans notre grande ville du S[ieur] R[ey] et de Sa femme[17]. Primo, il n’est pas procureur du roi, mais lieutenant de police, et assesseur criminel à la sénéchaussée. Ces qualités jettent plus de jour que vous ne pensez sur le caractère de celui qui en est revêtu.

Il est de notoriété publique que, comme assesseur criminel, c’était, de tout le siège, celui des magistrats qui soutenait le mieux le spectacle des malheureux mis à la question ; lorsque les juges étaient fatigués ou émus, on les livrait à R[ey] qui, froidement, prolongeait l’interrogatoire, et s’en allait paisiblement au spectacle après avoir condamné à mort.

Devenu lieutenant de police, et particulièrement dévoué aux soins de cette place, il s’est masqué d’une si bonne âme que, deux fois cet hiver, il s’est évanoui sur les quais à la face du peuple, en voyant les glaces emporter un pont et des bateaux. Cette farce, et bien d’autres, ont fait quelques dupes, et de ce nombre sont même des enthousiastes. Le héros est un homme médiocre pour les facultés, mais excessivement impudent, de cette impudence ferme et tranquille que des yeux vulgaires prendraient pour la confiance du mérite. Il est également ambitieux, intrigant et hardi. Il a voulu faire sensation comme lieutenant de police ; il a affecté un zèle extraordinaire, en se tenant sur pied jour et nuit ; en faisant, par lui-même, une infinité de petites choses, qu’un homme d’administration eût ordonnées et fait exécuter de son cabinet ; en rendant une foule d’ordonnances pour capter la bienveillance du peuple qu’elles paraissaient favoriser, mais à l’avantage duquel elles étaient pourtant contraires, en éloignant approvisionnement et les denrées par des fixations ridicules qui dégoûtaient les gens de la campagne de rien apporter ; enfin en se vantant de choses auxquelles il n’avait jamais pensé et en s’attribuant les effets de la vigilance de l’intendant.

Perdu de dettes et abimé dans ses propres affaires, il a fait un mariage d’intérêt et presque déshonorant, en épousant, pour avoir du pain, une veuve plus que galante, et d’une réputation telle, que les femmes honnêtes ne veulent pas, même aujourd’hui, entrer dans sa société.

Voilà sur quoi vous pouvez, comme citoyen, prendre idée des mœurs du personnage en question. Cet homme a fait l’impossible pour être nommé député, il est parvenu à se trouver dans le nombre des rédacteurs de cahiers ; mais il n’a pas été plus loin, heureusement.

À moins que la démission de deux nommés qui se retirent n’ouvre une nouvelle porte à son audace et à ses intrigues. Il est en butte au Corps de ville, dont il n’est pourtant que le préposé ; il a réussi à se faire nommer lieutenant de police par le consulat, et c’est contre le consulat qu’il cherche à agir dans l’occasion ; il n’est pas plus considéré à la sénéchaussée ; enfin il n’y a que deux sortes de personnes à son égard : des admirateurs qui ne savent pas sur quoi fonder leurs éloges, et des personnes qui le méprisent, en attestant en preuve sa conduite et son peu de talent.

Faites passer le billet ci-joint à l’ami Lanthenas.

Adieu. Demandez-moi donc des renseignements de gens dont j’aie du bien à vous dire ; vous me donnez envie de relire Juvénal et me faites craindre de prendre son esprit.

Avez-vous reçu et fait passer les sommaires ? Cela nous tient au cœur, dites-mois-en un mot.


321

[À BOSC, À PARIS[18].]
Mercredi, 9 juin 1789, — [du Lyon].

Ma situation est affreuse ; nous avons ensemble fluxion de poitrine et fièvre bilieuse putride[19].

Je savoure à longs traits la perte de ce que j’ai de plus cher au monde ; et le sourire sur les lèvres, la mort dans mon cœur, je donne tout le jour des espérances que je n’ai plus. Plaignez-moi ; pleurez pour moi, car bientôt ma douleur ne connaîtra plus les larmes.

J’écris à Lanthenas comme à vous, partagez cette lettre avec lui.

J’ai reçu les souscriptions[20].

322

[À BOSC, À PARIS[21].]
Le 26 juillet [1789, — de Lyon]

Non, vous n’êtes pas libre ; personne ne l’est encore. La confiance publique est trahie ; les lettres sont interceptées. Vous vous plaignez de mon silence, je vous écris tous les courriers. Il est vrai que je ne vous entretiens plus guère de nos affaires personnelles : quel est le traître qui en a d’autres aujourd’hui que celles de la nation ? Il est vrai que je vous ai écrit des choses plus vigoureuses que vous n’en avez faites ; et cependant, si vous n’y prenez garde, vous n’aurez fait qu’une levée de boucliers. Je n’ai pas reçu non plus la lettre de vous que notre ami Lanthenas m’annonce. Vous ne me dites point de nouvelles, et elles doivent fourmiller. Vous vous occupez d’une municipalité, et vous laissez échapper des têtes qui vont conjurer de nouvelles horreurs.

Vous n’êtes que des enfants ; votre enthousiasme est un feu de paille, et si l’Assemblée nationale ne fait pas en règle le procès de deux têtes illustres, ou que de généreux Décius ne les abattent, vous êtes tous f…

Si cette lettre ne vous parvient pas, que les lâches qui la liront rougissent en apprenant que c’est d’une femme, et tremblent en songeant qu’elle peut faire cent enthousiastes qui en feront des millions d’autres[22].

323

[À BRISSOT, À PARIS#1.]
3 août 1789#2, — du Clos.

Tout le monde m’engage à venir habiter la ville, je n’en ferai rien ; je n’ai chagriné personne à la campagne : je n’ai ni terriers, ni titres ; je n’ai fait que[23] du bien à mes voisins. S’ils devenaient ingrats, tant pis ; je payerais l’intérêt des avantages que ma situation m’a donnés sur eux. Mais je ne leur ferai pas l’injure d’y croire avant l’événement, et quand je serais victime de quelques brigands, je ne désespérerais pas de la chose publique, comme ces lâches qui crient au renversement pour quelques maisons brûlées. · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·


Au nom de Dieu, gardez-vous bien de déclarer que l’Assemblée nationale peut fixer irrévocablement la Constitution ; il faut, si elle en trace le projet, qu’il soit ensuite envoyé dans toutes les provinces, pour être adopté, modifié, approuvé par les constituants.

L’Assemblée n’est formée que de constitués, qui n’ont pas le droit de fixer notre sort. Ce droit est au peuple, et il ne peut ni le céder, ni le déléguer.


324

[À BRISSOT, À PARIS[24].]
7 août 1789, — de Villefranche.

Trois ou quatre petits seigneurs de ces cantons se sont retranchés dans leurs châteaux avec canons, fusils et munitions. Ils sont secondés par un tas de brigands échappés de Lyon. On en a arrêté une douzaine à Villefranche sans passeports. Deux jours après, l’un de ces petits seigneurs est venu avec dix hommes à cheval, tous le sabre à la main, redemander leurs camarades. Ils ont entouré le palais, où étaient les magistrats et où sont les prisons. Le peuple s’est assemblé, et ces braves se sont hâtés de disparaître[25].


325

À BOSC, [À PARIS[26].]
Le 15 août [1789, — de Lyon].

Ce n’est pas seulement au citoyen que je m’adresse aujourd’hui, mais encore au naturaliste. Nous n’abandonnons pas la politique ; elle est trop intéressante dans ce moment, et nous ne mériterions pas d’avoir une patrie si nous devenions indifférents à la chose publique. Mais les journées sont longues ; les gens dont l’imagination est vive et le cœur ardent ont bientôt déduit leurs raisons ; lettres et conversations ne prennent qu’une partie du temps quand on n’a pas la main à l’œuvre, et il faut plus d’une pâture. La pelleterie va donc revenir sur les rangs[27] ; elle est intéressante par ses rapports immédiats avec une partie de l’histoire naturelle, et enfin il n’est point d’ouvrage où l’on ne puisse, de quelque façon, répandre et faire valoir les droits de la justice, les bons principes de l’administration.

Nous étudions avec intérêt ie Mammalia d’Erxleben[28] et je crois que nous pourrons le citer avec confiance ; cependant nous avons remarqué qu’il ne cite lui-même, des différents ouvrages de Linné, Buffon, Bomare même et mille autres, que des éditions qui ont plus de vingt ans de date.

Depuis vingt ans, l’histoire naturelle a été bien généralement cultivée ; elle a fait beaucoup de progrès, et l’on risquerait peut-être de se trouver en arrière sur plusieurs articles, si l’on faisait son principal appui d’une autorité de vingt ans.

Nous voudrions donc savoir s’il exigerait, dans quelque endroit de l’Europe, un naturaliste habile qui eût publié quelque chose depuis cette époque ; si l’on connaîtrait quelque ouvrage, postérieur à cette époque, qui méritât d’être consulté et auquel on pût ajouter foi. Faites-nous part de ce que vous savez à cet égard, et tâchez de nous procurer d’ailleurs des renseignements propres à nous éclairer. Erxleben n’a-t-il rien publié autre que soit Mammalia, et surtout depuis cet ouvrage ? Et ne connait-on aucun savant d’Allemagne ou d’Angleterre qui ait travaillé depuis lui avec un égal succès ?

En attendant que vous puissiez nous répondre la-dessus d’une manière satisfaisante, veuillez nous expliquer, un de ses passages ; nous en comprenons les expressions, mais nous n’entendons pas la signification des chiffres et il devient nul pour nous.

C’est à la page xlii.

« Naturales hic subesse ordines generum 1-7 ; 9-11 ; 13-20 ; 21-24 ; 25-31 ;32-40 ; 41-46 ; 47-51 ; apparet ; neque male conjungi crediderim 7 et 8 ; 11 et 12 ; 20 et 21 ; 24 et 25 ; 31 et 32 ; 40 et 41 ; 46 et 47. »

Fiat lux ! C’est votre affaire.

Nous vous embrassons de bon cœur.

326

[À BOSC, À PARIS[29].]
25 août [1789, de Lyon].

Vous méritez bien un petit mot de bonne amitié pour votre dernière lettre, qui nous a fait le plus grand plaisir. Je sens à merveille combien vous devez être occupé ; mais aussi je ne me plains pas de votre silence momentané comme d’un tort que vous ayez, mais comme d’une privation que j’éprouve. Courage donc, assemblez-vous toujours. À force de se réunir pour l’intérêt commun, la bienveillance s’étend, les idées se propagent et l’esprit public s’assied.

Nos sottes villes de province sont à cent lieues de vous de toute manière ; la vanité y est si grande, que chaque individu s’en trouve rapetissé de moitié ; chacun ne veut considèrer que soi, et tous ne voient ainsi que des imbéciles. Je crois que le bon Anglais[30] a raison, et qu’il nous faut un peu de guerre civile pour valoir quelque chose. Toutes ces petites querelles et insurrections du peuple me semblent inévitables ; je n’imagine pas qu’il soit jamais possible de sortir du sein de la corruption pour s’élever à la liberté sans des convulsions un peu vives. Ce sont les crises salutaires d’une maladie grave, et il faut une terrible fièvre politique pour épurer nos mauvaises humeurs. Allez donc votre train ; que nos droits se déclarent, qu’ils soient soumis à notre aveu, et que la constitution vienne ensuite[31].

On se chamaillera, je m’y attends : qu’y faire ? s’armer de courage. Je camperais bien là la science et le reste pour ne faire et rêver que politique ; peut-il y avoir en ce moment comparaison d’intérêt ? Mais il faut se tenir à sa place et n’être pas rebelle aux influences de ses entours.

Adieu ; salut et amitié, en unité de cœur, de citoyens et de frères.

327

[À BOSC, À PARIS[32].
1er septembre [1789, — de Lyon].

Je ne vous adresse qu’un mot, mon cher, pour vous prier de faire passer les ci-jointes ; vous verrez, dans ma jaserie à Lanthenas, ce que nous pensons des affaires. Un bon citoyen comme vous n’a pas besoin d’être exhorté, mais je ne puis pourtant m’empêcher de vous dire que vos districts doivent être poussés à se montrer vigoureusement.

J’attends les nouvelles que vous avez promis de nous donner à votre retour de Versailles. Assurément nous voudrions avoir le Systema naturæ de l’édition de Gmelin, de Göttingue[33] dont vous nous parlez. Ce n’est point là une pâture des Lyonnais, pour que cet ouvrage se trouve dans leur ville ; veuillez-nous le procurer : vous nous ferez grand plaisir. Croyez-vous qu’avec lui nous puissions nous dispenser du Zoologiæ spicilegia de Pallas[34], dont nous avons quelques extraits ? Dites-nous ce qui vous en semble ; mais travaillez toujours à nous faire avoir l’édition du Systema par Gmelin.

Quand vos plantes et insectes seront arrivés, vous en aurez avis.

Adieu, mille fois.


328

[À BRISSOT], À PARIS[35].
1er septembre 1789, — de Lyon.

Nos provinces retentissent bien autrement que la capitale des clameurs des aristocrates, non qu’il y ait plus de nobles, mais l’inégalité des conditions y est plus marquée, plus durement ressentie, plus fanatiquement défendue. On a remarqué que le plus cruel bourreau des noirs était un inspecteur noir. Les aristocrates, les despotes les plus intraitables, sont précisément les hommes échappés d’hier de la classe du peuple. Vous ne voyez partout que petits conseillers, petits financiers, que fils de boulanger, de cabaretier, qui sont furieux aujourd’hui de se voir rapprocher de leurs parents, et qui crient anathème à la Révolution. La religion est perdue, l’État est dissous, on est dans l’anarchie, il n’y a plus de subordination : ce sont là leurs expressions favorites, et c’est avec ces expressions incendiaires qu’ils cherchent à faire repentir le peuple d’une Révolution qui met tous les hommes de niveau.

Dans les petites villes, l’amour propre plus exalté et la comparaison d’objets plus rapprochés mettent plus de distance entre les diverses professions qu’il n’y en eût jamais à Paris entre un bourgeois et un gentilhomme titré. Les officiers d’une petite sénéchaussée, les chanoines d’une collégiale[36], ignorés partout ailleurs que là où elle existe, s’élèvent au-dessus des autres particuliers bien plus que vos conseillers au Parlement ou vos gros abbés sur un marchand de la rue Saint-Denis.

Cette marque ridicule se gradue suivant les états ; elle nourrit tous les préjugés du despotisme, toute la sottise de l’ignorance, tout l’exclusif de la vanité, et l’on entend parler un homme de rien, décrassé d’hier par une petite charge, comme feraient nos princes ou nos roués de cour, de cette foule qu’ils appellent populace. Aussi l’esprit public concentré dans un petit nombre de citoyens désintéressés seconde en vain le seul droit du peuple qui le réclame ; il s’étouffe, il est nul parmi les dissensions que font naître tant de prétentions, tant de considérations personnelles et d’intérêts privés.

329

[À BOSC, À PARIS[37].]
4 septembre [1789, — du Clos].

Votre bonne lettre nous donne de bien mauvaises nouvelles ; nous avons rugi en les apprenant et en lisant les papiers publics : on va nous plâtrer une mauvaise constitution comme on a gâché notre Déclaration incomplète et fautive. Ne verrai-je donc point une adresse de réclamation pour la révision du tout ? Tous les jours on en voit d’adhésion et autres de ce genre qui annoncent notre enfance et marquent nos flétrissures ; c’est à vous, Parisiens, à donner en tout l’exemple ; qu’une adresse sage et vigoureuse montre à l’Assemblée que vous connaissez vos droits, que vous voulez les conserver, que vous êtes prêts à les défendre, et que vous exigez qu’elle les avoue ! Sans cette démarche d’éclat, tout est pis que jamais. Ce n’est pas le Palais-Royal qui la doit faire, ce sont vos districts réunis ; cependant, s’ils ne s’y portent pas, qu’elle se fasse toujours, par qui que ce soit, pourvu que ce soit en nombre capable d’en imposer et d’entraîner par son exemple.

Je prêche tout ce que je puis. Un chirurgien et un curé de village se sont abonnés pour le journal de Brissot, que nous leur avons fait goûter ; mais nos petites cités sont trop corrompues, et nos campagnards sont trop ignorants. Villefranche regorge d’aristocrates, gens sortis de la poussière qu’ils s’imaginent secouer en affectant les préjugés d’un autre ordre.

Jugez de mes beaux jours en vous représentant mon beau-frère plus prêtre, plus despote, plus fanatique et plus entêté qu’aucun des prêtres que vous ayez entendus ; aussi nous voyons-nous peu, nous tracasse-t-il beaucoup, et suis-je bien persuadée qu’en haine de nos principes il nous fera peut-être le plus de mal qu’il pourra.

Je ne sais si vous êtes amoureux : mais je sais bien que, dans les circonstances où nous sommes, si un honnête homme peut suivre le flambeau de l’amour, ce n’est qu’après l’avoir allumé au feu sacré de celui de la Patrie. Votre rencontre était assez intéressante pour mériter d’en faire mention ; je vous sais bon gré de nous en avoir fait part ; je ne vous pardonne guère d’ignorer le nom d’un être si estimable.

J’apprends, dans l’instant, la démarche du Roi, de ses frères et de la Reine auprès de l’Assemblée. Ils ont eu diablement peur ! Voilà tout ce que prouve cette démarche ; mais pour qu’on pût croire à la sincérité de la promesse de s’en rapporter à ce que ferait l’Assemblée, il faudrait n’avoir pas l’expérience de tout ce qui a précédé. Il faudrait que le Roi eût commencé par renvoyer toutes les troupes étrangères.

Nous sommes plus près que jamais du plus affreux esclavage si l’on se laisse aveugler par une fausse confiance.

Les Français sont aisés à gagner par les belles apparences de leurs maîtres, et je suis persuadée que la moitié de l’Assemblée a été assez bête pour s’attendrir à la vue d’Antoinette lui recommandant son fils. Morbleu ! c’est bien d’un enfant dont il s’agit ! C’est du salut de vingt millions d’hommes. Tout est perdu si l’on n’y prend garde.

N’a-t-on pas à craindre de geler, même dans le souvenir de ses amis, par un temps si rigoureux ? Recevez donc ce billet comme un petit fagot pour l’entretien du feu sacré, et veillez fidèlement pour qu’il ne s’éteigne pas.

Quant à nous, bons campagnards, qui n’avons que la douce et chère amitié pour nous distraire des rigoureux frimas dont la nature est affligée autour de nous, il n’y a pas à craindre que nous négligions son culte. Joignez-vous d’intention à nos saintes prières et honorons ensemble cette aimable divinité au renouvellement d’une année qui recule la date de notre liaison. Est-ce que vous ne causerez plus avec nous, comme vous fîtes quelquefois naguère ? Et le latin de Linné ne laisse-t-il plus d’intervalle aux communications de la bonhomie et de l’amitié ? Adieu, si cet oremus vous fait répondre amen, nous pourrons recommencer ; en attendant, recevez les embrassements du petit ménage.

Eudora est grande, avec de beaux chevaux blonds qui tombent en boucles naturelles sur ses épaules, des cils bien bruns entourent ses yeux gris, et son petit nez, un peu relevé, sent déjà l’agacerie.


330

[À BOSC, À PARIS[38].]
[Premiers jours de septembre 1789, — du Clos.]

Sachez un peu ce que sont ce Roland et son ouvrage[39]. Quant au nôtre, croyez-vous qu’il soit temps d’offrir ce qui ne regarde que les manufactures et le commerce ? Que vous en semble ? Et puis, voulez-vous dire le travail encyclopédique, ou seulement un mémoire (dont nous parlions à lanthenas) sur l’administration des manufactures et du commercé[40] ?

Notre pauvre ami est bien à plaindre ; ses jambes empirent ; la qualité des humeurs parait rendre très difficile la cicatrice des plaies : il est toujours au lit ou sur la chaise longue ; l estomac, déjà si faible, en est encore fatigué et, dans cette situation, comment la mélancolie ne surviendrait-elle pas quelquefois ?

Cependant toutes nos affaires sont en souffrance ; ouvriers, travaux, réparations, soins journaliers, etc. ; ceux qui concernent la personne du patient m’absorbent presque tout entière, compagnie, consolation, etc. Joignez à cet ensemble une affreuse saison des orages chaque jour ; chaque jour le tonnerre gronde, menace ; le vent abat les fruits, la pluie dégrade de toutes parts, et la grêle ravage quelque canton.

Adieu ; soyons citoyens ; que le bonheur public s’opère, et le sentiment de nos maux particuliers s’éteindra.

Il a dû arriver de nos paquets à votre adresse durant votre absence.

Il faut bien que je vous dise, pour votre édification, que le pasteur protestant auquel j’ai confié ma file est ami de M. Rabaud de Saint-Étienne[41].

331

[À BOSC, À PARIS[42].]
[6 ou 7 octobre 1789, — de Lyon]

Tout chagrin cesse, toute douleur est suspendue, toute affaire particulière s’éteint[43].

Le despotisme a levé le masque ; la nation a pris son élan : que les gens de bien se rallient et que leur intime union soit l’effroi des méchants !

Du courage et des armes : voilà ce qu’on aperçoit déjà ; mais ce n’est point assez. Il faut une administration réglée, des moyens sûrs, une marche sage et une vigilance éclairée.

La première chose à faire est de s’emparer de toutes les caisses de Paris, de former une caisse publique à l’administration de laquelle on nomme des citoyens capables, afin de remplir le double objet d’ôter à la cour tout argent et de pourvoir aux besoins du peuple.

Le second article important est d’établir un comité pour les subsistances.

Le troisième, de former des liaisons avec les provinces pour s’assurer les vivres et les secours de toute espèce.

Il est probable que la cour restera tranquille en apparence, jusqu’à ce qu’elle se soit appuyée de troupes étrangères ; il faut donc veiller à leur interdire l’entrée du royaume.

La Flandre semble être la province par laquelle on cherchera d’abord à les introduire ; l’attention, les moyens et la confédération indispensables doivent donc se diriger de ce côté avant tout autre, mais sans négliger aucune frontière.

Tous les courriers, toutes les dépêches de la cour à ses divers subordonnés dans la capitale doivent être arrêtés et soumis à l’examen d’un comité formé à cet effet.

Dans le détail des moyens à prendre pour assurer les subsistances, il serait avantageux de permettre l’entrée des comestibles à Paris en exemption de droits et de dispenser les bouchers des marchés de Sceaux et de Poissy en leur donnant la liberté d’amener directement le bétail.

Il serait instant, après la confédération régulière avec les provinces, de déterminer que chacune d’elles rappelât dans son sein ses enfants, officiers et soldats, sous peine d’infamie et d’exhérédence, de façon que chacune eût la faculté de se former un corps de troupes pour sa propre défense et pour en diriger la marche en faveur du bien commun.

Il faudrait, après ces bases solidement établies, tracer un plan pour se rendre à Versailles, de Paris d’une part, et avec un secours des provinces d’autre part, pour y enlever les députés et les transférer à Paris sous la garde de la nation, à la constitution de laquelle ils doivent travailler sans relâche. Je dis les enlever : car il est de leur sagesse de rester, comme jadis les sénateurs romains, à la place qui leur fut assignée et où ils sont réunis ; mais il est du devoir de la nation de veiller à leur sureté, de les couvrir de son égide, de les environner de sa protection.

Cette grande expédition demande une extrême prudence : il y aurait à combattre les troupes royales et cependant à garder Paris ; il faut donc une armée provinciale qui vienne d’un ou plusieurs côtés à Versailles, tandis qu’une partie des troupes parisiennes s’y rendrait du sien, et qu’un nombre suffisant veillerait dans la capitale.

Par-dessus tout, il faut veiller aux subsistances.

Le plan de la cour doit être de laisser au temps à miner les forces et les ressources, à amener l’épuisement et d’en profiter ensuite pour tout accabler. La caisse publique une fois établie (et il n’y a pas un moment à perdre), il faut faire afficher que non seulement les grains entreront en liberté, seront payés comptant sur cette caisse, mais qu’on accordera une prime d’encouragement.

Il faut faciliter la circulation de toute manière, bien ordonner la caisse et avoir une telle conduite, qu’elle serve d’exemple et de modèle à toutes les provinces.

Jusqu’à présent, on ne voit pas de chef qui fasse sensation ; ce peut être un bien, mais il faut une administration, des conseils, des comités aux diverses parties, et que tout ressortisse au tribunal suprême des Électeurs. Il faut un plan raisonné, une prévision rapide, une extrême activité, une union indissoluble et une sagesse constante.

Que la France s’éveille et s’anime ! Que l’homme reprenne ses droits, que la justice commence son règne, et que d’un bout à l’autre du royaume on n’entende plus qu’un cri universel : Vive le peuple et meurent les tyrans !

Ceux qui ne peuvent que réfléchir doivent répandre leurs idées : faites passer une copie des présentes au Comité des Électeurs, etc.

P.-S. — Si les spectacles de la capitale continuent, comme il est à présumer, la vigilance des citoyens doit s’étendre sur eux ; on doit ne leur laisser représenter que des pièces propres à nourrir les sentiments convenables aux circonstances : quelques pièces du grand Corneille, mais non Cinna ; les Brutus de Voltaire, son Catilina, sa Mort de César, etc. Ces petits soins préparent les grandes choses, et rien n’est à négliger dans la régénération de tout un peuple. Ces soins doivent s’étendre sur les petits spectacles dont il faut faire retirer ce qui maintient ou inspire la mollesse, les mauvaises mœurs et l’esclavage.


332

[À BOSC, À PARIS[44].]
20 octobre 1789, — de Lyon.

Je vous prie de faire parvenir la ci-jointe à sa destination ; je ne sais plus les adresses particulières ni où prendre un député.

Vous nous avez donné d’excellentes nouvelles, mais sont-elles confirmées ? Aucun papier ne donne encore comme décidé l’abandon des biens du clergé ; ils traitent tous des questions élevées à ce sujet et non de la détermination prise en conséquence[45]. Que doit-on penser aujourd’hui ? Le départ du duc d’Orléans[46] fait répandre ici des bruits fort étranges ; on prétend qu’il était d’accord avec la Reine, en apparence, pour lui conseiller des sottises, comme éloignement du Roi, etc., afin de profiter des troubles et se faire nommer lieutenant général, ou régent, ou roi ; que, dans cette disposition, craignant les hommes exacts et fidèles dans leur patriotisme, il tramait sourdement contre le marquis de La Fayette et avait fait mettre sa tête à prix. Je ne crois pas à la vertu, aux principes du duc d’Orléans : j’ai toujours eu quelque méfiance de l’étalage qu’il en faisait dans les précédentes circonstances ; mais j’ai peine à me prêter à la croyance du projet et de la scélératesse qu’on lui attribue aujourd’hui. Qu’en pense-t-on et que s’en dit-il dans votre capitale ?

M. Videau de la Tour[47], parent de plusieurs de nos connaissances, et actuellement dans cette ville, répète, comme tous les fugitifs, que tout est renversé et Paris dans le trouble. De quoi donc a été soupçonné ce personnage ? On dit qu’il avait été arrêté à Paris durant quelques jours et on ne dit pas comment il s’est échappé.

Je vous ai fait part des clabauderies indécentes de Monnier[48] dînant ici chez les Bergasse[49] ; on ne doute pas qu’il ne souffle le feu dans sa province, et c’est ce que font tous vos déserteurs.

Un député écrivait dernièrement dans cette ville qu’il ne pouvait pour le moment rien mander d’intéressant, parce qu’on décachetait les lettres des membres de l’Assemblée. Est-ce une chimère, est-ce une précaution pour découvrir les traces des coupables de lèse-nation ?

On ne voit point paraître cette tragédie tant attendue de Charles IX[50]. Durant quelque temps, on a annoncé les pièces courantes avec cette phrase : en attendant la première représentation de « Charles XI » Maintenant cette phrase même est supprimée.

Que pense-t-on de votre Comité de recherches[51] ? Est-il composé d’hommes honnêtes et vigoureux, et fera-t-il mieux que les précédents qui n’ont été que des figures sans action ? Voilà la pierre d’achoppement, et nous aurons encore une révolution si ces recherches restent sans effet. Les fautes de nos ennemis les instruisent, ils finiront par se mieux concerter et la guerre civile aura lieu.

On se dit tout bas, dans les provinces, qu’il y avait un grand complot des nobles, une réunion projetée en corps d’armée, à des points convenus de ralliement ; les aristocrates ne paraissent point battus, comme après le 14 juillet ; on croit qu’il se trame encore quelque infamie.

Je n’aime point la loi martiale proposée par Mirabeau[52] ; elle serait digne de Dracon, et elle me semble prématurée dans les circonstances. Punir de mort, dans tel cas d’attroupements, est inutile pour prévenir des complots d’hommes puissants, dont la cabale n’agirait qu’à force ouverte et se mettrait au-dessus de la loi ; et c’est cruel dans un temps d’orage où le peuple n’a souvent que ce moyen pour faire échouer une trahison.

Ce Mirabeau est un génie que j’admire et que je crains ; il a soutenu dans deux circonstances de si mauvais principes, par de si mauvaises raisons, que depuis cette époque il m’inspire de la méfiance : voyez son avis pour le veto, principalement[53].

On dit qu’on imprime et qu’on va publier la suite des Confessions de Jean-Jacques. Est-ce vrai ? En avez-vous entendu parler[54] ?

Réponse, si vous le pouvez, à mes divers articles, et toujours bonne amitié. Adieu.


333

[À BOSC, À PARIS[55].]
27 octobre 1789, — de Lyon.

On vous fait certainement des contes sur les provinces, comme on nous en fait sur la capitale. Je ne vous ai pas parlé du mouvement de Vienne, parce que je n’en ai pas tenu grand compte. Les bourgeois et le peuple étaient contents d’un régiment qu’on leur ôtait et ne voulaient pas d’un autre qui venait le remplacer ; des mutins se sont assemblés, il y a eu un coup de fusil de tiré ; il menaçait le colonel, M. de Damas, et l’aurait atteint sans le dévouement d’un soldat qui a paré le coup et qui l’a reçu à l’épaule. Cette circonstance intéressante a seule mérité de faire bruit ; l’ensemble est une bagatelle et tout est pacifié aujourd’hui. Nos Suisses d’ici ont enfin quelques postes dans la ville, mais la bourgeoisie a gardé les principaux. On est assez tranquille, à l’exception des justes mécontentements que l’on a d’un échevin, commandant en l’absence du prévôt des marchands[56]. Non peut-être qu’on ait de grands torts apparents à lui reprocher, mais parce que c’est un mince homme, fort impérieux, très dur et très vain, opiniâtre et sachant mieux vendre du satin que commander une ville. D’ailleurs, le consulat, dont il est le chef, est comme toutes les vieilles municipalités, despote et contraire à tout le bien que veulent faire les autres et qu’il ne peut pas opérer.

Nous en avons l’exemple dans notre Société philanthropique[57] dont j’aurai bientôt des choses intéressantes et faites pour être publiées. Elle a les plus grandes vues, elle peut faire révolution en bien, et elle est croisée avec rage et astuce par la vieille municipalité.

Je ne vous parle plus guère maintenant de ce qui se passe à l’Assemblée, dont pourtant nous avons bien à dire ; mais nous avons replié nos regards autour de nous, et, en y découvrant beaucoup de bien à faire, notre attention s’y est concentrée.

Dieu veuille que votre Comité de recherches ne soit pas lâche et traître comme tous les précédents ! On dit ici des horreurs et des absurdités sur le duc d’Orléans. On ne voit que gens qui, avec une tournure de voyageurs, débitent, comme s’ils en avaient été témoins, des histoires tragiques et des contes absurdes.

J’ai à écrire ; adieu, mes amis.

J’ai[58] bien reçu de Gmelin ce que vous m’en mandez ; mais ce qui m’importe de savoir et de savoir incessamment, et ce que vous ne dites point malgré mes demandes instantes et réitérées, c’est si, dans ce que j’ai, il n’y a qu’un volume ; et s’il est complet, ou s’il doit être mis en deux volumes, et s’ils seront complets ; puis s’il y a ou s’il n’y a pas de table à cet ouvrage ; s’il y en a, doivent-elles être jointes à ce premier volume, qui a déjà plus de mille pages, ou au second, s’il en faut faire deux ? Et avez-vous ces tables ? Me les enverrez-vous tout de suite ? Faut-il que je les attende pour faire relier ? car, sans elles, il me semble presque impossible de faire usage du livre.


334

[À BOSC, À PARIS[59].]
15 novembre 1789, — [de Villefranche].

Je n’ai que le temps de vous ajouter un mot, il sera du cœur. Aimez-nous toujours.

Donnez-moi des nouvelles du brave Gibert, et demandez-lui s’il en sait de ma cousine[60], dont le silence m’inquiète.

Peut-être faut-il encore faire une perte de ce côté-là. Pauvre petite femme ! Si bonne et si peu heureuse ! Mon ancienne amie ! Qu’est-elle devenue ?

Adieu ; je suis indignée des abominations autrichiennes. Toute mon espérance, c’est qu’elles achèveront de compléter le nombre des combattants pour la Liberté.

335

[À BOSC, À PARIS[61].]
[Novembre 1789, — de Lyon.]

Lisez et faites passer à Lths. [Lanthenas].

La lettre aux commettants de Mirabeau est assez généralement attribuée à Tollendal, qui est maintenant à Grenoble[62].

À l’occasion de cette lettre et de tout ce qu’elle attribue au duc d’Orléans et à Mirabeau, Mounier disait dernièrement à quelqu’un de notre connaissance, que la chose n’était pas douteuse et que Mirabeau la lui avait formellement proposée. Il dit encore que M. de La Fayette lui avait écrit que c’était lui qui avait fait partir le duc d’Orléans.

Que dites-vous des prétentions de ce personnage et de son assurance à débiter de telles choses qu’il n’a pas eu le courage d’écrire ?

Le mémoire de Lally ne paraîtra, dit-on, que lorsque l’auteur aura quitté Grenoble.

Les aristocrates sont furieux de ce que l’on ne dénonce pas le duc d’Orléans, et ils vomissent des horreurs contre les Comités de recherches.

De bonnes gens croient et confessent que rien ne finira bien, s’il ne s’établit près de Paris un camp de 40,000 hommes de milice nationale confédérée. Je doute de la sagesse de cette idée et je craindrais qu’elle ne servit de voile ou de prétexte à des desseins des ennemis publics[63].

Que fait-on dans votre capitale et que pense-t-on de la grande machine ?


336

[À BRISSOT, À PARIS[64].]
22 novembre 1789, — de Lyon.

On fait ici des contes sur Madame de Staal (sic) qu’on dit être fort exacte à l’Assemblée, qu’on prétend y avoir des chevaliers auxquels de la tribune elle envoie des billets pour les encourager à soutenir les motions patriotiques ; on ajoute que l’ambassadeur d’Espagne lui en a fait de graves reproches à la table de son père. Vous ne pouvez vous représenter l’importance que nos aristocrates mettent à ces bêtises nées peut-être dans leur cerveau ; mais ils voudraient montrer l’Assemblée comme conduite par quelques étourdis excités, échauffés par une dizaine de femmes.


337

À BOSC, [À PARIS[65].]
[Derniers mois de 1789, — de Lyon ?]

Je vous adresse, mon ami, comme à Lanthenas, je ne dirai point mes reproches, mais mes complaintes ; mon cœur est enveloppé de mélancolie. L’affreuse douleur m’a laissé des impressions[66], comme l’esclavage laisse des flétrissures ; les unes et les autres sont presque ineffaçables. Je ne vois que l’amitié de bonne sur la terre, et son silence en vous me parait insupportable.

Je vous prie de vouloir bien expédier ma petite lettre au brave Flesselles. J’ai jugé par celle que j’ai reçue de lui que le paquet dont j’avais craint la perte vous était parvenu dans son temps. Je n’aurais jamais de telles incertitudes, si vous me marquiez simplement : j’ai reçu la vôtre de telle date et ce qui l’accompagnait. Notre ami est toujours au lit à cause de ses jambes ; tout le reste va mieux que je n’aurais osé l’espérer.

Ajoutez à Lanthenas que je voudrais bien avoir des nouvelles de mes bons parents de l’île Saint-Louis[67].

Adieu, nous vous embrassons affectueusement.

  1. Collection Alfred Morrison, 2 folios.
  2. Son oncle Bimont, le chanoine de Vincennes, qui mourut en septembre suivant. — Voir lettre 332.
  3. Probablement une fille de Claude-Bernard Navier (1756-1793), avocat à Dijon, plus tard membre de l’Assemblée législative. (On sait que Bosc, élevé à Dijon, y avait gardé des relations.)
  4. « Les fouets », sur lesquels Roland interroge sans cesse Bosc, forment un chapitre du tome III (p. 133-144) du Dictionnaire des manufactures, où l’on trouve aussi l’article du « relieur » (p. 222-273).
  5. Collection Alfred Morrison, 2 folios. — La date est de l’écriture de Roland. Sur le verso du 2e folio, Bosc a écrit huit ou dix lignes sur les choux-fleurs. De même, aux deux questions du 4e paragraphe, il a répondu oui au-dessus de la ligne.
  6. Œdipe à Colonne, opéra de Sacchini, paroles de Gaillard. Joué pour la première fois à Paris le 30 janvier 1787.
  7. On verra plus loin, lettre 330, qu’elle avait confié, c’est-à-dire mis en pension sa fille chez un « pasteur protestant, ami de Rabaut-Saint-Étienne ». C’est bien certainement Frossard.
  8. Collection Alfred Morrison, 1 folio. — Dans un coin, à gauche, il y a : M. d’Antic. Ce n’est qu’à partir du décret du 19 juin 1790, abolissant tous les titres de noblesse et ordonnant que chacun ne portât désormais que son vrai nom de famille, que Bosc et Roland se réduisirent à leur nom patronymique.
  9. Pierre Roland mourut le 23 novembre 1789. — Voir Appendice C.
  10. Ms. 6241, fol. 241-244. — Écriture de Roland ; mais la lettre est écrite au nom de Madame Roland et est certainement d’elle. Roland aura voulu en garder copie.

    Philibert-Charles-Marie Varenne de Fenille, né à Dijon en 1730, receveur des tailles en l’élection de Bresse depuis 1757, agronome et sylviculteur, guillotiné à Lyon le 14 février 1794. (Voir sur lui : Œuvres agronomiques et forestières de Varenne de Fenille ; Études, précédées d’une notice biographique par Philibert Le Duc, Paris, Rothschild, 1869, 1 vol. in-8o)

    Varenne de Fenille était un des membres les plus actifs de la Société d’Émulation, de Bourg-en-Bresse, et Roland avait envoyé à cette société un mémoire intitulé : « Aperçu des causes qui peuvent rendre une langue universelle et observations sur celle des langues vivantes qui tend le plus à le devenir, par M. Roland de la Platière, inspecteur des Manufactures, de diverses Académies. » Ce mémoire fut lu à la Société d’Émulation le 20 avril 1789. Il se trouve en manuscrit : 1° au Recueil manuscrit de cette société (laquelle existe toujours à Bourg), t. I, p. 27 ; 2° aux Papiers Roland, ms. 6243, fol. 70-80, de l’écriture de Madame Roland ; 3° aux manuscrits de l’Académie de Lyon (Dumas, Histoire de l’Académie de Lyon, t. I, p. 339 et suiv.). — Certaines indications des Papiers nous portent à croire que Roland l’avait fait dès 1785, l’avait lu à l’Académie de Villefranche et l’avait en outre envoyé le 15 octobre 1785 à l’Académie de Rouen. C’était évidemment un Essai provoqué par le célèbre Discours de Rivarol sur l’universalité de la langue française, de 1784. — Roland conclut que l’anglais « sera un jour la langue universelle ». Le morceau n’est pas sans intérêt. Il porte bien la marque de Roland, avec des retouches de sa femme.

    L’envoi de son discours à Bourg avait provoqué, de la part de Varenne de Fenille, des objections auxquelles Madame Roland répond ici : « Deux illustre personnages de la Révolution avaient jugé M. de Fenille digne de leur amitié : Madame Roland et M. de Malesherbes. Il était en correspondance avec tous deux » (Philibert Le Dux, op. cit., p. 40). La lettre de Madame Roland est une contribution intéressante à l’histoire de « La guerre à propos de Shakspeare », raconté par M. Jusserand dans son Shakspeare en France sous l’ancien régime, Paris, 1898.

  11. Nous avons déjà remarqué (lettre 267) que Madame Roland écrit Thompson pour Thomson.
  12. Varenne de Fenille était grand propriétaire en Bresse. Il avait travaillé activement au développement de pépinières du pays (voir Ph. Le Duc, passim). À Bourg, il habitait l’hôtel de champdor (ancien hôtel de Choin, d’où était sortie au siècle précédent la maîtresse du Grand-Dauphin), où vécut depuis Edgar Quinet enfant. Il avait accensé les fossés de la ville de Bourg, contigus à son hôtel et à son jardin, et en avait fait un « jardin anglais », célèbre alors dans la région, mais dont il ne reste aujourd’hui que quelques vestiges.
  13. Le chanoine Le Bossu (1631-1680), dont le Traité du poème épique avait eu au XVIIIe siècle quelque crédit.
  14. Chiari (1720-1788) est connu surtout par ses innombrables et insipides comédies, mais il avait aussi fait des romans.
  15. Phlipon de La Platière.
  16. Collection Alfred Morrison, 2 folios.
  17. Antoine-Claude Rey, lieutenant général de police ; conseiller en la sénéchaussée et assesseur de la maréchaussée (Almanach de Lyon, 1789, p. 173, et Supplément, p. 4). Les auteurs du Catal. des Lyonnais dignes de mémoire disent « qu’il se distingua par sa vigilance et son zèle, pendant l’hiver rigoureux de 1789 ». Ils ajoutent qu’il émigra « en même temps que les princes » (?) et mourut en Sicile en 1810. Il avait été, en 1789, un des sept commissaires-rédacteurs des cahiers du Tiers-État de Lyon.

    Pourquoi Bosc s’enquérait-il de ce personnage ? Il s’était évidemment formé à Paris, au moment des élections pour les États généraux, des agences recommandant les candidatures aux provinces, et on peut présumer que Rey avait sollicité l’appui de l’une d’elles, à laquelle Bosc aurait tenu de près ou de loin.

    Peut-être aussi s’agit-il tout simplement de l’appui du Patriote français, de Brissot, dont le prospectus avait paru le 16 mars, mais dont diverses entraves retardèrent l’apparition jusqu’au 28 juillet.

  18. Collection Alfred Morrison, 1 folio. Au-dessous de la date, il y a ajouté : « ce 14 juin »
  19. Roland écrit, dans son Dictionnaire des manufactures (t. II, 2e partie, Supplément, p. 144) : « J’échappe d’une maladie qui m’a tenu 75 jours au lit, sans pouvoir en sortir une heure. Durant les 21 premiers jours, je n’ai guère passé d’instant où le danger ne fût imminent et ne fût jugé tel par les médecins… » Cette 2e partie du tome II, formant la 36e livraison de l’Encyclopédie méthodique, parut le 21 décembre 1789 (Avertissement de l’éditeur Panckoucke à la fin du tome III). On peut donc calculer que la maladie de Roland, si elle se déclara dans les premiers jours de juin 1789, ainsi qu’on le voit par cette lettre, prit fin dans la seconde quinzaine d’août. Mais, dès la fin de juin, le danger était passé, et il semble que, durant les mois de juillet et août, Roland n’ait plus eu affaire qu’à un état de maladie qui, tout en l’obligeant à garder la chambre ou le lit, ne l’empêchait pas de travailler, d’écrire, etc.

    Cet état se prolongea d’ailleurs. Le 7 octobre, Roland écrit à Bosc (coll. Morrison) : « huit jours à ce dernier point… et je reste toujours sur le grabat ». Et le 11 octobre (ibid) : « Grabataire depuis quatre mois et demi… », ce qui fixe bien le début de la maladie aux premiers jours de juin, au moment de cette lettre.

  20. Probablement pour le Patriote français.
  21. Bosc, IV, 130 ; Dauban, II, 573.
  22. Pour se rendre compte du ton exaspéré de cette lettre, il faut en considérer la date. On venait d’apprendre presque coup sur coup le renvoi de Necker, la prise de la Bastille, la capitulation du roi ; on osait à peine croire au triomphe, on annonçait de partout de nouveaux complots de la Cour. Les plus modérés, parmi les partisans de la Révolution, réclamait le châtiment des auteurs du coup d’État manqué. À quelques lieues de Lyon, à Bourg-en-Bresse, la municipalité demandait au roi (20 juillet) « de poursuivre ceux qui l’ont trompé… ; que leur procès soit fait par l’Assemblé… qu’un exemple terrible garantisse à jamais les rois et les peuples du plus grand crime dont les hommes puissent se rendre coupables… ». Comme l’a très bien fait remarquer l’historien de la Bresse (Ch. Jarrin, Bourg et Belley pendant la Révolution, p. 313), « ceux qui sont désignés là, ceux qui ont trompé Louis XVI, c’est la reine, ce sont les frères du roi ». Et les signataires de la pièce sont tous de la haute bourgeoisie du pays ! La-dessus, commence la terreur des campagnes, la grande peur ; c’est le 25 qu’on apprend à Bourg, le 26 à Mâcon, l’incendie des châteaux, l’arrivée des mystérieux brigands ; le même jour, ces nouvelles arrivent à Lyon, en même temps que circulent, sur les complots des aristocrates à Paris, les bruits les plus étranges, les plus effrayants, dont on jugera par la lettre inédite de Roland qu’on va lire. C’est sous l’impression de ces colères que Madame Roland écrit cette lettre du 26, puis, en pleine panique, elle part (le 29) pour aller veiller sur le Clos, tandis que Roland écrit à Bosc (coll. Morrison) :

    Le 29 juillet 89.

    Ma femme, retardée par le mauvais temps et prête à partir, ce qu’elle vient de faire, a reçu votre expédition du 24 : je venais de vous écrire la missive ci-jointe. Nous avons beaucoup de grâces à vous rendre des petits imprimés que vous nous adressez ; nous les lisons, relisons et faisons lire ; copier même avec transport ; mais vous n’y joignez aucun détail sur l’état actuel des choses, sur les circonstances présentes. Vous ne nous parlez point de cette lettre du comte d’Artois à Flesselles, lettre affreuse, qui fait tant de rumeur dans ce pays ; est-ce qu’elle n’est pas imprimée ? est-ce qu’elle ne serait pas vraie ? Vous ne dites rien de l’intendant Berthier, qu’on nous a dit aussi pris et décapité ; de la rumeur du peuple, qui, dit-on, demandait à grands cris la tête de la reine et celle du comte d’Artois ; des pirates, leurs émissaires, envoyés sur la Méditérranée pour attaquer les bâtiments qui nous apportaient des blés : on dit que ce sont des brigands anglais, sortis des prisons et achetés, à prix d’argent, pour nous affamer.

    Vous ne nous dites rien de ces cinquante millions enlevés au trésor royal pendant l’absence de M. Necker, dont vingt-cinq ont été arrêtés sur la frontière, prenant le chemin de l’Autriche. Enfin ne parlez non plus de ce ministre que s’il ne fût pas de retour. Où est la reine ? Que fait-elle ? Qu’en dit-on ? Est-ce que les princes se sont exilés ? Où sont-ils ? Que font tous ces fameux brigands, ces malheureux scélérats ? Qu’en pense-t-on ? Qu’en dit-on ?

    Nous ne savons rien de tout ce monde : vous ne nous en dites rien, ni en quelle disposition de choses sont les affaires à la Cour et à Paris. Il y a encore de terribles dessous de cartes. Des brigands, soutenus et soldés, sont répandus dans les campagnes et les dévastent : on nous mande qu’il en est une troupe répandue dans le Bugey, qui viennent d’incendier les blés dans les champs des environs de Meximieux : les dragons de Lyon y ont été, ils en ont tué 20 et fait prisonniers 27 ; les autres se sont cachés dans les bois. Mais la chaîne est partout rompue, et, quoique la trame soit très visible, il semble qu’on affecte de n’y rien voir.

    Je persiste dans mon idée : la fougue, l’impétuosité, avec la légèreté, l’inconstance, le peu de tenue en tout, finiront par tout perdre. Il y a beaucoup d’ennemis secrets, qui continuent de miner en dessous, tant qu’on n’abattra pas des têtes, sans réserve du rang ni du nombre. Qu’on juge par contumace et que l’on exécute en effigie celles qui, convaincues du crime, se sont soustraites au châtiment. Plus elles sont élevées, plus elles sont dangereuses, plus il faut mettre haut le prix pour les abattre. Je ne finirais pas de vous dire tout ce que je pense à ce sujet, ni même tout ce que je ferais, si j’en avais le pouvoir.

    Donnez-nous, donnez-nous donc des détails un peu circonstanciés sur les évènements, l’état présent des choses, les craintes, les espérances, et notamment sur celui des objets et des personnages dont je vous ai parlé précédemment.

    Adieu, au courrier prochain.

  23. Cette lettre se trouve au Patriote du 12 août 1789 (n° XIV, sous la rubrique de « Villefranche-en-Beaujolais, 3 août 1789 », précédée de ces lignes assez significatives : « La lettre suivante, écrite par une femme très éclairée, et d’un caractère vraiment énergique… ». D’après les relations de Brissot avec les Roland (voir Appendice P), on est déjà en droit de l’attribuer à Madame Roland. Inquiète de la grande peur, elle avait couru au Clos le 29 juillet ; bien vite rassurée, elle écrit à ses amis de Paris cette lettre confiante que ceux-ci s’empressent d’insérer dans le journal qu’ils viennent de fonder (le 28 juillet). Nous avons d’ailleurs, pour confirmer cette attribution, le témoignage d’une tradition. Sur les gardes de l’exemplaire de l’édition de Bosc (Appel à l’Impartiale Postérité, 1795), que nous possédons, une main inconnue, d’une écriture ancienne, et par conséquent d’un contemporain, a transcrit cette lettre et deux autres (7 août, 1er septembre) avec le titre suivant : « Fragments de lettres de Madame Roland, datées de la campagne près Villefranche en 1789, insérées dans le journal de Brissot, le Patriote français. » Dans cette copie, la lettre est datée « 3 août 1789, Thézée ».
  24. Cette lettre se trouve au Patriote français (n° XIV, du 12 août 1789), sous la rubrique « de Beaujolais, 7 août 1789 », immédiatement à la suite de la précédente. Elle est aussi transcrite sur les gardes de notre exemplaire de Bosc (voir la note de la lettre 323) et, pour ces deux raisons, nous paraît être de Madame Roland.
  25. Voir, sur la grande peur à Villefranche, l’article de M. Léon Missol, dans la Révolution française de mars 1897 : « Les derniers jours de la milice bourgeoise de Villfranche… » ; cj., sur cette panique en Bresse, Ch. Jarrin, Bourg et Belley pendant la Révolution, Bourg, 1881, in-8o, p. 313-316 ; voir aussi au Patriote français, nos des 15 et 25 août, des lettres de Lyon du 6 et du 14. Dans le numéro du 19 septembre parut une réponse à la lettre du 14 août, réponse datée de Cluny, 2 septembre, et signée « Desoteux, chevalier des Ordres de Saint-Louis et Cincinnatus, seigneur de Cormatin ». Ce Desoteux n’est autre que Comartin, le futur lieutenant de Puisaye dans la chouannerie de 1795.
  26. Bosc, IV, 130 ; Dauban, II, 573.
  27. Pendant qu’on imprimait la deuxième partié de son second volume (qui parut le 21 décembre 1789), Roland, toujours retenu à la chambre, commençait à préparer le troisième volume, qu’il acheva en octobre 1790, mais qui ne parut qu’en janvier 1792 (voir Dict. des manuf., III, P. 493). C’est dans ce volume qu’il traite des pelleteries.
  28. Erxleben (1744-1777), professeur à Gœttingue.

    Son livre sur les mammifères est intitulé : Systèma regni animalis… Classis I, Mammalia. Leipzig, 1778, in-8o. — Roland le cite souvent dans son tome III.

  29. Bosc, IV, 131 ; Dauban, II, 574.
  30. Ce « bon Anglais » doit être Pigott, dont on trouvera la notice plus loin (lettre du 13 août 1790).
  31. L’Assemblée nationale avait commencée le 20 août, à voter les articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La thèse de Madame Roland était qu’on les soumit ensuite à la sanction du peuple, avant de passer au vote de la Constitution.
  32. Collection Alfred Morrison, 2 folios. — Dans un coin de la lettre, à gauche, il y a : M.d’Antic.
  33. Jean-Frédéric Gmelin (1748-1804), professeur à Gœttingue. Il avait commencé à donner, en 1788, la treizième édition du Systema naturæ de Linné.
  34. Pallas (1741-1811), le célèbre naturaliste et voyageur allemand au service de la Russie. Ses Spicilegia zoologica avaient paru de 1767 à 1780. — Roland l’a mis souvent à contribution dans le tome III de son Dictionnaire.
  35. Cette lettre se trouve au Patriote français du 10 septembre 178 (n° XXXIX). Il suffit de la comparer à celle qui précède (1er septembre, à Bosc) et à une de celles qui suivent (4 septembre) pour reconnaître Madame Roland. Elle se trouve aussi en copie sur les gardes de notre exemplaire de Bosc (voir la note de la lettre du 3 août). Elle fut remarquée, car elle se trouve citée in extenso dans l’Histoire de la Révolution de 1789, par deux Amis de la liberté, parue en 1790 (t. II, p. 373).
  36. L’allusion à Villefranche est fort nette et révèle assez l’auteur. — Cf. la lettre du 4 septembre.
  37. Bosc, IV, 132 ; Dauban, II, 575. — Nous plaçons cette lettre à la date que Bosc lui a donnée ; mais il est évident qu’elle se compose de trois morceaux différents, que Bosc a étourdiment réunis :

    1° Les quatre premiers paragraphes, jusqu’à « le nom d’un être si estimable », sont bien du 4 septembre. L’Assemblée avait en effet, dans la séance du 27 août, décidé d’attendre pour ajouter de nouveaux articles à la Déclaration des droits et de passer à l’examen de la Constitution. Le Patriote du 29 août en avait apporté la nouvelle.

    2° Mais les trois paragraphes suivants, depuis : « j’apprends dans l’instant » jusqu’à « si l’on n’y prend garde », appartiennent à une autre lettre, et doivent avoir été écrits entre le 18 et le 20 juillet, lorsqu’on apprit à Lyon les incidents de la matinée du 15 juillet à Versailles (le Roi et ses deux frères à l’assemblée, Marie-Antoinette avec son fils au balcon du château, etc.).

    3° Toute la fin, depuis : « n’a-t-on pas à craindre de geler… », est bien certainement des derniers jours de janvier 1790. Ce n’est pas au 4 septembre qu’on aurait pu écrire « au renouvellement d’une année qui recule la date de notre liaison ». Ce dernier morceau a été écrit au Clos, où les Roland passèrent l’hiver de 1789 à 1790, tandis qu’en janvier 1789 ils étaient à Lyon.

  38. Collection Alfred Morrison, 1 folio. — La lettre qui semble bien écrite du Clos, porte le timbre de Villefranche, et a pour suscription : « À Monsieur d’Antic, secrétaire de l’Intendance des postes, à Paris. »
  39. Cette ligne nous donne la date approximative de la lettre. Le Patriote du 31 août, rendant compte de sa séance (du soir) de l’Assemblé du 27, disait : « Sur la réclamation d’un membre des Communes, le Président a annoncé que les exemplaires d’un ouvrage, ayant pour titre Le Financier patriote, seraient incessamment distribués à l’Assemblée. Cet ouvrage avait été précédemment adressé de Londres à chacun des trois ordres par M. Roland, qui en est l’auteur. Il a été présenté comme contenant des observations curieuse sur les finances du royaume et l’administration des contrôleurs généraux précédents. » — C’est à propos de cette information que Madame Roland demande à Bosc des renseignements plus complets.

    On voit d’ailleurs par là que Jean-Marie Roland n’est pas l’auteur du Financier patriote, que la plupart des biographes et bibliographes (voir en particulier Quérard, France littéraire, VIII, 122) lui ont attribué. Cet ouvrage est de Charles-Nicolas Roland « ci-devant receveur des tailles de l’élection de Chartres, employé au contrôle général des finances. » (Hatin, Bibliogr., p. 1789), qui fut plus tard, en 1792 et 1793, commissaire à la surveillance de la Commune (Tuetey, IV, 274-276).

  40. Roland, dans sa lettre à Bosc du 2 octobre, déjà citée, se montre fort préoccupé des changements que préparait ce comité du commerce nommé par l’Assemblée nationale. Il s’agissait de ne pas se laisser oublier, d’être appelé plutôt à concourir à la réorganisation du service. Il avait rapidement rédigé pour cela un mémoire résumant ses vues sur la matière : « Je vous envoie, écrit-il à Bosc, quatre exemplaires de mon Mémoire sur l’administration des manufactures et du commerce. Faites-en passer deux à Lanthenas et remettez les deux autres à qui vous croirez en faire le meilleur usage. Je vous en ferai passer d’autres, successivement, suivant ce que vous me manderez. Recommandez fortement l’ouvrage, si vous le trouvez bon : mais ne me faites point connaître de quelque temps encore : j’ai de bonnes raisons pour cela. Parlez-en ainsi à Lanthenas, et qu’il en parle ainsi à Brissot de Warville, à qui il en fera passer ou remettre un exemplaire. » — Il y a aux Papiers Roland, ms. 9532, fol. 363-366, une copie de ce mémoire, de la main de Madame Roland, faire pour Albert Gosse.
  41. Sic. — Nous avons dit (lettre du 7 mai 1789) que c’était probablement Frossard.
  42. Collection Alfred Morrison, 2 folios. Madame Roland, du fond de sa province traçant a ses amis un plan identique.

    Nous nous sommes demandé toutefois en la voyant parler un peu plus loin du « Comité des Électeurs », si sa lettre n’aurait pas été écrite le 15 ou le 16 juillet, à l’heure où l’on apprenait en province le renvoi de Necker, et avant de connaître la prise de la Bastille, alors que c’étaient vraiment les Électeurs nommés en avril qui gouvernaient la capitale. Mais il semble bien que les pouvoirs municipaux successivement constitués, Comité provisoire de 60 membres (20 juillet), Assemblée des 120 (25 juillet). Assemblée des 180 (25 août), Assemblée de 300 (18 septembre), pouvaient être considérés, en attendant l’installation de la Commune provisoire (qui n’est que du 8 octobre), comme étant toujours « le Comité des Électeurs ». C‘est ainsi du moins, croyons-nous, que l’entend Madame Roland.


    De même, le passage de la lettre relatif aux « subsistances » aurait pu faire songer au mois de juillet, où la crise fut très aiguë à Paris. Mais elle ne le fut pas moins en septembre et octobre (voir Catal. Charavay de 1862, no 294, art. 8-11, etc.), la bonne récolte sur le marché de la grande ville. Il suffit d’ailleurs de rappeler que, le 5, la foule marchait sur Versailles en demandant du pain, et, le 6, rentrait en se réjouissant de ramener le « boulanger, etc. »

    D’ailleurs, l’allusion du début de la lettre indique nettement les premiers jours d’octobre.

  43. Cette lettre, si curieuse, n’est pas datée. Mais ce début permet déjà de se placer aux premiers jours d’octobre 1789. En effet, le chanoine Bimont, le « cher oncle » de Madame Roland, était mort à Vincennes dans les tout derniers jours de septembre (Tuetey, III, 3177), et c’est Bosc qui en avait informé ses amis, car Roland lui écrit de Lyon le 2 octobre (coll. Morrison) : « Notre âme est triste, mon ami, comme la nouvelle que vous nous donnez. Nous nourrissions le projet de réunir à nous cet oncle qui avait toujours bien aimé sa nièce, et à qui elle le rendait de cœur et d’âme… » — C’est évidemment à cette perte si récente que Madame Roland fait allusion.

    Quant à la ligne suivante, « le despotique a levé le masque… », elle vise, non moins évidemment, les préparatifs de la Cour appelées à Versailles, le banquet donné au régiment de Flandre par les gardes du corps le 1er octobre. Mais Roland, dans une lettre du 2, cependant assez longue, ne dit mot de l’’inquiétude des patriotes ; c’est qu’il ne sait rien encore. « La nouvelle de ce qui s’était passé à Versailles ne parvint à Paris que deux jours après [c’est-à-dire le 3] » (Hist. de la Révol. de 1789 par deux Amis de la Liberté, III, 278), et par conséquent ne put guère parvenir que le 6 à Lyon (où les lettres et les journaux de Paris mettaient alors trois jours pour arriver). — La lettre de Madame Roland, toute vibrante d’angoisse et de colère, et nécessairement postérieure à celle de son mari, est donc au plus tôt du 6 octobre.


    D’autre part, il faut nécessairement la placer avant le 9, jour où les journaux de Paris du 6, annonçant l’expédition du 5, durent lui arriver à Lyon et lui apprendre que les Parisiens avaient exécuté le coup de force qu’elle conseillait. Écrite le 9 ou après le 9, sa lettre n’aurait aucun sens.

    C’est donc entre le 6 et le 8 octobre, au moment même où le peuple venait de ramener à Paris le roi et l’Assemblée, que

  44. Collection Alfred Morrison, 2 folios.
  45. C’est le 10 octobre que l’Assemblée avait repris la discussion sur les biens du clergé, et c’est le 2 novembre seulement qu’elle rendit le décret qui les nationalisait.
  46. Du 14 octobre.
  47. M. Videau de La Tour, maître des requêtes, directeur de la librairie en 1785, était seigneur de Monceaux-en-Dombes, village à trois lieues de Villefranche, sur la rive gauche de la Saône. Il avait été, en mai 1789, un des cinq commissaires envoyés par le roi pour amener l’entente entre les trois ordres (Beaulieu, I, 154). Arrêté à Paris au commencement d’octobre, puis relâché, il paraît avoir été incarcéré de nouveau en novembre (Tuetey, II, 960, 1006). Nous le voyons plus tard transféré de l’Abbaye à la Conciergerie, le 27 juin 1791 (ibid, 3166). Cf. Lescure, Correspondance secrète, II, 398.
  48. Mounier, après les évènements des 5-6 octobre, avait donné, le 8, sa démission de député et se rendait en Dauphiné pour essayer d’agiter sa province.
  49. Nicolas Bergasse, né à Lyon en 1750, mort en 1832, si connu comme adversaire de Beaumarchais, avait été un des plus actifs promoteurs de la Révolution. « C’est de la société qui se réunissait chez lui que partirent presque tous les écrits publiés en 1787 et 1788 contre le ministère » (Mém. de Brissot, II, 419-420). Il avait été nommé député du tiers état de la sénéchaussée de Lyon aux États généraux. Mais il venait de suivre l’exemple de Mounier et de se retirer à Lyon chez ses frères, Dominique et Alexandre, dont le plus connu est ce dernier, mort en 1820. Toutefois il ne donna sa démission qu’en mai 1790. — Cf. La lettre de Madame Roland à Brissot du 11 février 1790, et le Patriote français, années 1789 et 1790, passim. — Voir aussi Catalogue des Lyonnais dignes de Mémoire, p. 33.
  50. La tragédie de M.-J. Chénier fut enfin jouée le 4 novembre 1789.
  51. Ce n’est que les 21 et 22 octobre 1789 (Robiquet, 170) que fut définitivement constitué le « Comité de recherches » de la commune de Paris, composé de six membres, dont deux, Brissot et Garran de Coulou était des amis de Bosc. L’Assemblée nationale avait aussi son Comité de recherches. Mais il semble bien que Madame Roland veuille parler ici de celui de la Commune.
  52. La loi martiale fut votée le lendemain, 31 octobre.
  53. Les soupçons de Madame Roland devancent le moment (mai 1790) où Mirabeau traita avec la cour.
  54. La dernière partie des Confessions venait en effet de paraître en 2 volumes in-8o (voir Correspondance littéraire, novembre 1789, t. XV, p. 542. de l’édition Maurice Tourneux), et Roland écrivait à Bosc de Villefranche, le 26 novembre 1789 (coll. Morrison) :

    « Plein des Confessions de J.-J. que je viens de dévorer, je ne veux vous parler de rien autre aujourd’hui…

  55. Collection Alfred Morrison, 2 folio
  56. L’échevin Jacques Imbert-Colonès, chef du consulat de Lyon en l’absence du prévôt des marchands, Tolozan de Monfort. (Voir sur lui Wahl, passim). — Il fut plus tard député aux Cinq-Cents, proscrit au 18 fructidor, et mourut à Bath en 1809.
  57. Le duc d’Orléans, dès qu’il eut succédé à son père (1785), s’était occupé, avec son chancelier Ducrest (frère de Mme de Genlis), de créer, d’abord dans toutes les villes de ses apanages, puis dans un certain nombre de grandes villes, des bureaux de charité laïques, sous le nom de Sociétés philanthropiques. C’était un moyen de grouper sous le patronage de l’ambitieux prince du sang les partisans des idées nouvelles. — Voir à ce sujet les Mémoires de Brissot, t. II, p. 432. — À Villefranche, capitale du Beaujolais, apanage du prince, la Maison philanthropique s’était ouverte le 1er janvier 1788, et avait pour secrétaire Chasset, le futur membre de la Constituante et de la Convention ; à Lyon, la société avait pour secrétaire général Blot, l’ami de Brissot, et le Patriote français de 1789 en entretient souvent ses lecteurs. (Voir Appendice P.)
  58. Ici Roland prend la plume.
  59. Ms. 6241, fol. 3. C’est le post-scriptum d’une lettre de Roland à Bosc, écrite de Villefranche, et que nous avons cru inutile de reproduire.
  60. Mme Trude. — Cf. Mémoires, II, 235.
  61. Collection Alfred Morrison, 1 folio.
  62. Lally-Tollendal, à l’exemple de Mounier, avait donné sa démission de député (10 octobre). Il semblerait, d’après cette lettre, qu’il avait d’abord rejoint Mounier à Grenoble. En tout cas, il ne tarda pas à passer en Suisse comme lui, car il date de Lausanne, 10 novembre, ses « Observations sur la lettre écrite par M. le comte de Mirabeau au Comité des recherches contre M. le comte de Saint-Priest ». — C’est peut-être de cette pièce que Madame Roland veut parler, car il s’agit évidement non pas d’une des « Lettres du comte de Mirabeau à ses commettants » (Tourneux, 10203, 10207, 10208 ; Tuetey, II, 2905, 2906), publication périodique du grand orateur, mais d’une réplique.

    S’il en était ainsi, la présente lettre serait du milieu de novembre, mais l’information de Madame Roland serait erronée sur deux points accessoires : le titre exact de la brochure, et le lieu de la retraite de Lally à ce moment-là.

  63. Ici apparaît la première idée du projet de camp sous Paris que Servan fera prévaloir le 8 juin 1792.
  64. Fragment de lettre cité par Saint-Beuve, Introduction aux Lettres à Bancal des Issarts, p. l.
  65. Collection Alfred Morrison, 2 folios — La lettre porte, dans un coin, à gauche : M. d’Antic.
  66. Allusion à la mort du chanoine Bimont (fin septembre 1789), ou plutôt à celle du curé de Longpont (29 novembre). — Nous avons ainsi la date approximative de cette lettre.
  67. M. et Mme Besnard, ses grand-oncle et grand'tante.