Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Lettres/1792

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Imprimerie nationale (p. 394-458).

ANNÉE 1792.


AVERTISSEMENT.

Les cinquante et une lettres de l’année 1792 ne sont certainement qu’un faible reste de la Correspondance. Sans doute, Madame Roland a eu moins d’occasions d’écrire ; aucune absence ne la sépare de son mari ; ses amis et correspondants ordinaires, Bosc et Lanthenas, sont auprès d’elle à Paris ; Bancal y fait de longs séjours ; Champagneux y arrivera en août, appelé par Roland à une division du ministère. On peut dire aussi que la femme du ministre, prise par les événements, absorbée par les « devoirs » qu’elle s’est créés dans sa nouvelle situation, a manqué de loisirs pour se remettre aux longues causeries d’autrefois. Comment admettre cependant que sa plume si active se soit ralentie au point de ne nous laisser que ces cinquante et une lettres, dont beaucoup ne sont que de simples billets ? Il ne parait donc pas douteux que la plus grande partie de sa correspondance de 1792 nous manque et, sauf quelques trouvailles isolées, nous manquera toujours.

Par contre, ainsi que nous le disions dans notre Introduction, la plupart de ces lettres « sont des actes » et éclairent l’histoire des deux ministères de Roland. Il nous parait donc utile, au risque de donner à cet Avertissement une ampleur inaccoutumée, de préciser les événements auxquels se rapportent les plus importantes.


I

AVANT LE MINISTÈRE.

Rassemblons d’abord les circonstances qui ont précédé et amené l’élévation subite de Roland au Ministère de l’intérieur.

Nous avons vu qu’à l’automne de 1791 il se trouvait au Clos. Il écrivait à Bosc, le 30 septembre (collection Morrison, inéd.) : « Je vais me livrer à la réparation des maux d’une trop longue absence d’un bien négligé de longtemps » ; il parlait aussi de reprendre les travaux du cabinet, à commencer par « la pelleterie ». Le 4 octobre (ibid.), il priait Bosc d’envoyer Lanthenas à Marly, chez M. de Nervo, l’ancien seigneur de Theizé, pour le presser au sujet d’une vente de biens-fonds : « Qu’il dise nettement à M. de Nervo que, étant prêts à placer ailleurs, nous préférerions acquérir de lui, près de nous, et que nous lui en paierions autant ou plus que personne… »

Ainsi, faire valoir le Clos, achever son Dictionnaire, Roland ne voit pas alors au delà.

Mais sa femme ne se résigne pas à « retomber dans toute la nullité de la province » (voir lettres 460 à Roland et 462 à Bancal) ; il est vrai que, dans d’autres lettres (464 à Robespierre, 465 à Champagneux), elle annonce des projets de tout point semblables à ceux de Roland. Mais la suppression des inspecteurs des manufactures (décret du 27 septembre 1791) enlevait au ménage 5,000 livres de revenu[1] ; en retournant à Paris, on pouvait s’y créer des ressources ; en tout cas, on rentrait dans l’action. Aidée de Sophie Grandchamp[2], elle finit par décider son mari. La lettre du 30 novembre nous montre les Roland faisant résolument leurs préparatifs de départ.

À peine arrivé à Paris (15 décembre) et installé à l’Hôtel Britannique, mais cette fois au troisième étage, Roland dresse un mémoire de ses services[3], pour réclamer le bénéfice du décret du 22 août 1790 sur les pensions, c’est-à-dire une retraite.

Puis il se remet à l’impression, si longtemps ajournée, du tome III de son Dictionnaire des manufactures. « Cet ouvrage était achevé en octobre 1790. L’impression en a été retardée jusqu’à ce moment (janvier 1792), parce qu’il n’est point de travaux qui ne soient subordonnés aux devoirs du citoyen » (Dict. des manuf., t. III, p. 493).

En même temps, il songe à créer un Journal des Arts, « consacré à l’agriculture, aux arts [industriels] et au commerce » (lettre à, Albert Gosse, du 24 janvier 1792), dont Panckoucke devait être l’éditeur. Il se remet en relation avec le baron de Servières, qui s’occupait aussi des arts industriels (ms. 9532, fol. 194-197). Ces projets n’excluaient pas, d’ailleurs, l’idée de retourner passer tous les étés au Clos, pour veiller de près à l’exploitation du domaine[4].

Ne dût-on passer que l’hiver à Paris, il n’y avait pas lieu de rester en hôtel garni. Aussi Roland signa-t-il, le 10 mars 1792, un bail prenant à loyer, pour six années, à partir de Pâques (8 avril), au prix de 450 livres, un modeste appartement, rue de la Harpe, n° 51, au second étage, donnant sur la cour[5]. Le propriétaire, Jean-Alexandre Cauchois, bourgeois de Paris, était de la Société des Jacobins, et demeura un des amis les plus dévoués des Roland.

En essayant de renouer alors les relations de leur premier séjour, Roland et sa femme éprouvèrent plus d’une déception : « Les Constituants, disent les Mémoires (I, 67), étaient retournés chez eux [lire : Buzot était rentré à Évreux] ; Petion avait passé à la mairie, et les sollicitudes de cette place l’occupaient tout entier [voir, dans les souvenirs de Sophie Grandchamp, le récit curieux de l’accueil plus que froid fait à Madame Roland par Mme  Petion, devenue mairesse de Paris] ; il n’y avait plus de point de ralliement [c’est-à-dire que les réunions de l’Hôtel Britannique n’étaient plus possibles], et nous vîmes beaucoup moins Brissot lui-même… »

Néanmoins Roland ne s’isola pas de la lutte politique. Bosc, qui était un des membres les plus actifs des Jacobins (membre du comité de correspondance en août 1791), le fit admettre dans la Société, où ses autres amis, Lanthenas, Bancal, étaient alors aux premiers rangs. (En janvier 1792, Lanthenas était vice-président ; Bancal, secrétaire ; Bosc, de nouveau au comité de correspondance). Le 15 février, Bosc est secrétaire et Roland entre au comité ; le 20 février, le 27, le 2 mars, nous trouvons Bosc et Roland secrétaires ensemble (Aulard, III, passim), et Madame Roland partageait avec son mari le travail de la correspondance (Mémoires, I, 240-242 ; cf. Aulard, IV, 671-672, séance du 11 janvier 1793).

II

FORMATION DU PREMIER MINISTÈRE.

C’est alors que surviennent les événements qui portèrent soudainement Roland au ministère.

La crise s’ouvrit le 9 mars, jour où la cour renvoya Narbonne, ministre de la Guerre, et le remplaça par de Grave. Dès le lendemain, 10 mars, l’Assemblée législative riposte en mettant en accusation Delessart, ministre des Affaires étrangères. Là-dessus, Cahier, ministre de l’intérieur, donne sa démission (même jour, 10 mars) ; Bertrand de Molleville, ministre de la Marine, en fait autant le 11 ; le 15, le roi appelle Lacoste à la Marine et Dumouriez aux Affaires étrangères ; il marquait suffisamment, par ce dernier choix, son intention de se rapprocher de la majorité de l’Assemblée. Dumouriez l’affermit dans cette résolution et demanda aux chefs de cette majorité — puisque les décrets[6] leur interdisaient d’être eux-mêmes ministres — de lui désigner, pour remplacer Cahier à l’Intérieur et Tarbé aux Contributions publiques, des hommes à la fois dévoués à la Révolution et capables de diriger la machine administrative. C’est chez Vergniaud, demeurant alors place Vendôme, n° 5, dans la maison d’une riche bourgeoise, Mme  Dodun, qui lui prêtait son salon[7], et qui donnait presque tous les jours des déjeuners politiques, que le choix des nouveaux ministres se débattit.

Là siégeait une sorte de comité officieux appelé le Comité de la place Vendôme, comprenant des membres de l’Assemblée et un certain nombre d’autres « patriotes ». Roland, bien qu’invité à ces réunions, y allait peu ; mais ses amis y étaient plus assidus. L’un d’eux mit en avant, pour le Ministère de l’intérieur, le nom de l’ancien inspecteur des manufactures, et le fit agréer (Mém., I, 67).

Quel est cet ami ? Madame Roland ne le nomme pas ; ailleurs (I, 243) elle dit ne pas savoir qui fit le premier la proposition. Si l’on en croit Mme  Grandchamp, Lanthenas aurait été mêlé à l’affaire.

Clavière fut désigné de même pour les Finances.

Brissot vint, dans la soirée du 21 mars, apporter à l’Hôtel Britannique des propositions définitives, qui furent acceptées le lendemain, et enfin, le vendredi 23 mars, à 11 heures du soir, Dumouriez — qui, en allant aux Jacobins, le 19, coiffer le bonnet rouge et embrasser Robespierre, semblait s’être engagé définitivement avec les patriotes — venait à son tour annoncer officiellement à Roland sa nomination et l’inviter à prêter serment le lendemain[8].

Brissot applaudit vivement, dans le Patriote français, à un ministère qu’il avait fait et qu’il allait inspirer. Dans le n° du 22 mars, en un Bulletin de Paris daté de la veille (c’est-à-dire du jour où il avait porté des propositions à Roland), il disait : « Point encore de ministres nommés… On parle de M. Clavière, pour les Contributions publiques ; d MM. Dietrich, Roland de La Platière, Collot d’Herbois pour les Affaires intérieures ». Puis, le 24, en annonçant la nomination de « M. Clavière au ministère des Contributions publiques et de M. Roland (de La Platière) à celui de l’intérieur » et en louant hautement ces choix, il se croyait obligé d’ajouter (tant Roland était inconnu du grand public !) : « Il ne faut pas confondre M. Rolland-Laplatière avec un M. Laplatière, auteur d’une Galerie de grands hommes[9]. Le premier est un officier municipal de Lyon, écrivain connu par des ouvrages intéressants, ingénieux et utiles… »

Le choix de Roland inquiéta tout à la fois et les amis de la cour et les hommes qui commençaient à prendre position au delà de Brissot et de son groupe (Beaulieu, III, 247). Le Logographe, alors inspiré par les Feuillants, écrivit que Roland était le beau-frère de Brissot, et celui-ci répondit dans le Patriote du 28 mars : « Vous avez été induit en erreur, Monsieur ; je ne suis ni le beau-frère ni même l’allié de M. Roland (de La Platière) ; je suis seulement son ami et je m’en ferai gloire, car j’ai la profonde certitude qu’il cessera d’être ministre du moment où il ne lui sera plus possible d’être en tout patriote de l’observance la plus rigoureuse ; et c’est à ce prix seul que je puis être l’ami d’un ministre. »

Le ministère girondin (il serait plus exact, à cette époque, de dire brissotin) était donc constitué avec Dumouriez, de Grave, Lacoste, Clavière et Roland ; il ne manquait qu’un ministre de la Justice, car Garnier, appelé à remplacer Duport-Dutertre, venait de refuser. On songea un instant — très fortement, dit Madame Roland (lettre 470) — à Bancal des Issarts. Mais Bancal, qui manquait toujours l’occasion, avait quitté Paris depuis quelques jours. Le ministère de la Justice resta d’abord vacant et Roland en fit l’intérim jusqu’au 13 avril, jour où on y porta Duranthon, procureur général-syndic de la Gironde, proposé par Vergniaud.


III

LE PREMIER. MINISTÈRE (23 MARS-13 JUIN).

Un des premiers soucis du ministère fut l’attitude de l’extrême-gauche du parti patriote ; Collot d’Herbois, dont on avait parlé pour l’Intérieur, était déçu et hostile, et il avait de l’influence aux Jacobins ; mais surtout Robespierre, déjà séparé de Brissot et de ses amis sur la question de la guerre, défiant d’un ministère où il n’avait aucun des siens, était à conquérir ou à désarmer. Madame Roland s’y empresse ; dès le 27 mars, lendemain du jour où il s’était heurté contre Guadet à la tribune des Jacobins (Aulard, III, 452), elle lui écrit une lettre pleine d’avances flatteuses (lettre 472) ; elle a une entrevue avec lui (lettre 479), mais en pure perte, et, une fois la guerre déclarée (20 avril), au moment où la scission entre Brissot et Guadet d’une part, Robespierre de l’autre, est complète et irrémédiable (séance des Jacobins du 25 avril, Aulard, III, 524-536), elle adresse à ce dernier une lettre de rupture définitive (lettre 480, du 25 avril). En même temps, ses amis font feu : Lanthenas, dans une lettre du 27 avril (ms. 9534, fol. : 277-279), prend énergiquement parti pour Guadet contre Robespierre, qu’il accuse de « perdre la liberté » ; Brissot, dans le Patriote du 28, attaque Collot d’Herbois et Robespierre avec une amère violence. De ce côté-là, le ministère Roland n’aura plus rien à espérer.

Six semaines s’écoulent de même en tâtonnements du côté de la cour. Au début, Roland et surtout Clavière se sentaient à demi gagnés par la franchise apparente du Roi (voir Mémoires, I, 70, 949, et Ét. Dumont, Souvenirs sur Mirabeau, 405-406) ; mais Madame Roland affirme n’avoir pas eu un instant confiance. Au fond, les deux ministres du 23 mars étaient encore en minorité dans le Conseil ; de Grave (ministre du 10) restait acquis à la cour ; Lacoste (ministre du 15) semblait peu sûr ; Dumouriez se réservait. Le choix du ministre de la Justice, encore en suspens, aurait pu faire pencher la balance ; Roland aurait voulu Bancal des Issarts, et Madame Roland le lui avait écrit le 23 mars[10] ; mais Vergniaud fit choisir son compatriote Duranthon (13 avril) et les Roland se rabattirent sur le projet, de lui donner Bancal comme adjoint et surveillant ; Bosc écrivait à Bancal le 13 avril : « Madame Roland vous a parlé du projet qu’on avait eu sur vous pour le ministère de la Justice. Hier, Lanthenas me sondait pour savoir si vous accepteriez la place de secrétaire général de ce ministère qui va être rempli par M. Duranthon, de Bordeaux… » (lettre inédite, coll. Beljame, déjà citée en partie par M. A. Rey, p. 24). Bancal ne paraît pas s’être soucié de cette ouverture. Quoi qu’il en soit, la nomination de Duranthon ne fortifia pas Roland et Clavière ; leur nouveau collègue marcha avec Lacoste.

L’occasion d’une revanche s’offrit bientôt ; à la suite des premiers échecs de l’armée du Nord, de Grave, que ses liens avec la cour rendaient suspect, donna sa démission (8 mai). Aussitôt Roland exigea et obtint la nomination d’un ministre de la Guerre « patriote », de son ami Joseph Servan, qui fut nommé le lendemain. Les lettres de Madame Roland à Servan, des 9 et 10 mai, révèlent assez la part prépondérante qu’elle eut dans ce choix : « Oui, Monsieur, je l’ai souhaité, voulu… ».

Quatre jours après, autre succès, moins éclatant, mais encore considérable : Clavière renouvelle, le directoire des Postes (11 mai) et y introduit des amis particuliers de Roland, Bosc, Gibert, déjà employés dans cette administration, mais en un rang subalterne[11]. Le ministère avait désormais des hommes sûrs dans un service public essentiel, et Bosc écrivait à Bancal, le 14 mai, en lui annonçant sa nomination : « Il s’agit de désaristocratiser la Poste[12]… » (coll. Beljame, lettre inédite déjà citée par A. Rey, p. 23).

À mesure que les Roland se sentent mieux maîtres du terrain, on voit s’organiser les réceptions, les dîners auxquels on convie députés et journalistes[13]. Le 13 mai, Lanthenas, qui était auprès de Roland, sans titre officiel, une sorte de secrétaire particulier, écrit à Dulaure, qui dirigeait le Thermomètre du jour : « Madame Roland réunit demain lundi quelques patriotes à dîner avec son mari. Elle invite M. Dulaure à s’y trouver et à lui procurer, ainsi qu’a son mari, le plaisir de connaître un bon citoyen, dont M. Lanthenas leur a souvent parlé. — Ce dimanche, 13 mai an iv. — À l’Hôtel de l’Intérieur, à 4 heures. » (Ms. 9533, fol. 247-248.) Dulaure se rend à l’invitation, envoie ensuite un numéro de son journal à Madame Roland, et reçoit d’elle, cinq jours après, la lettre du 18 mai 1792 qui figure à la Correspondance (489). Il resta d’ailleurs, sous le second ministère, un des habitués de l’Hôtel de l’Intérieur, témoin une autre invitation du 7 septembre suivant, citée par M. Marcellin Boudet (loc. cit., p. 295), et dont copie se trouve au ms. 9533, fol. 249-250. Le cas de Dulaure, le plus topique, puisque nous avons ses billets d’invitation, est celui de vingt autres, et nous n’essayerons pas de dresser ici la liste des convives de Roland[14]. On peut dire que tout le parti patriote — moins l’extrême gauche — a passé là.

Cependant, dès la seconde quinzaine de mai, une crise ministérielle se prépare. Le Roi, sous l’influence de son entourage et de son conseil secret (Montmorin, Bertrand de Molleville, etc.), contrecarrait sourdement ses ministres et avait même un allié parmi eux, Duranthon. Roland, impatient de ce système d’obstruction, proposa loyalement d’aller droit au Roi et de lui écrire une lettre le mettant en demeure de gouverner sans ambages avec la majorité. Il rédigea cette lettre, datée du 19 mai[15], et la communiqua auparavant à ses collègues. Clavière répondit le 26 mai, en dissuadant Roland d’adresser cet ultimatum, mais en ajoutant qu’il se rallierait à la majorité des autres ministres[16]. Mais d’ailleurs, pendant ce temps, le combat s’engageait sur le terrain parlementaire : dès le 18, on dénonçait à l’Assemblée le « comité autrichien », c’est-à-dire Montmorin et Bertrand ; le 20, le 23, Guadet, Gensonné et Brissot demandaient la mise en accusation de Montmorin et l’enquête sur Bertrand et Duport-Dutertre ; le 27, l’Assemblée décrétait la déportation des prêtres insermentés ; le 28, le licenciement de la garde du Roi. Les coups se succédaient, rapides et menaçants. On pouvait donc prévoir une rupture éclatante, immédiate, et (si les ministres l’emportaient) le renvoi de Duranthon, qui, dans toute cette affaire, avait manœuvré pour couvrir Montmorin et Bertrand. Ceci explique la lettre suivante de Roland à Bancal[17] :


Paris, le 30 mai 1792, l’an 4e de la Liberté.

Il n’y a pas un moment à perdre, mon ami. Si vous voulez être utile à la chose publique, parlez au reçu de ma lettre ; venez nous joindre, nous avons besoin de nous entourer, de nous renforcer de patriotes zélés, actifs, intelligents et travailleurs. J’espère que vous ne mettrez à arriver ici que le temps nécessaire pour votre transport en poste de Clermont à Paris.

Je vous embrasse.

Roland.

La crise fut conjurée pour quelques jours, probablement par quelque manœuvre de Dumouriez. Ce conseil de six ministres était partagé en deux camps : d’un côté, Roland, Servan et Clavière ; de l’autre, Duranthon et Lacoste ; entre eux, Dumouriez, qui louvoyait.

Mais Roland et Servan voulaient en finir : celui-ci, le 8 juin, fait voter par l’Assemblée le décret établissant un camp de 20,000 fédérés sous Paris, et le 10, Roland, sans consulter cette fois ses collègues, envoie au Roi la fameuse lettre, rédigée tout entière par sa femme[18], qui eut tant de retentissement. Elle était conçue dans le même esprit que celle du 19 mai, mais bien plus développée.

Louis XVI la reçut dans la matinée du 11 juin, et répondit, le 13, par le billet autographe que voici (inédit, ms. 6241, fol. 305-306) :


À M. Roland de La Platière.

Paris, le 13 juin 1792.

Vous voudrez bien, Monsieur, remettre le portefeuille du département de l’intérieur que je vous avais confié à M. Mourgues, que je viens d’en charger.

Louis.

On sait comment Servan et Clavière furent congédiés en même temps, et comment Dumouriez, après avoir essayé de constituer un autre ministère, tout en obtenant de Louis XVI la sanction des deux décrets du 27 mai et du 8 juin, démissionna à son tour le 16 juin, laissant Louis XVI recourir à d’obscurs Feuillants, qui se succédèrent jusqu’au 10 août avec une rapidité inquiétante.

Les Roland, en quittant le ministère, se retirèrent dans le petit appartement de la rue de La Harpe, dont ils n’avaient pas encore pris possession. Quelle fut leur attitude durant ces deux mois ? Prirent-ils une part active à la lutte que la majorité de l’Assemblée (disons cette fois le parti girondin)[19] allait engager contre la cour, — ou bien restèrent-ils dans la réserve, laissant faire sans eux le 20 juin et le 10 août ? La réponse ne parait pas douteuse, quoi qu’en aient dit Madame Roland (Mém., I, 85) et Roland lui-même (Girardot, p. 90). Comment croire qu’elle se serait résignée à disparaître ? D’ailleurs, le peu de données qui nous restent nous la montrent irréconciliable. C’est à ce moment-là que Barbaroux va chez eux[20] ; Lanthenas est signalé parmi les agitateurs qui préparèrent le 10 août[21] ; en tout cas, c’est lui, de l’aveu de Madame Roland elle-même, que Pétion envoya deux fois, le 10 août, de la Mairie à l’Hôtel de Ville, pour demander à être gardé « par une force importante », afin de n’avoir pas à s’opposer à l’insurrection (Mémoire, I, 991.).

Mais le fait le plus significatif est la lettre du 7 juillet 1792, adressée par Madame Roland à Bancal (revenu à Paris depuis le commencement de juin) :

« Vergniaud sera-t-il chez Mme  Dodun ? Dans le cas de l’affirmative, ne craignez pas de lui dire qu’il a beaucoup à faire pour se rétablir dans l’opinion, si tant est qu’il y tienne encore en honnête homme, ce dont je doute. » À quel propos ce sanglant reproche ? Quel était le crime de Vergniaud ? Rien autre que son magnifique discours du 3 juillet, où, tout en adressant au Roi une sommation dernière, il laissait la porte ouverte pour un rapprochement entre la cour et son parti. Évidemment, Madame Roland connaît ou du moins soupçonne[22] les négociations secrètes engagées alors entre Louis XVI et la «  députation de Bordeaux », et elle n’y veut point entendre. Ce qu’il lui faut, c’est la déchéance du Roi[23].


V

SECOND MINISTÈRE.

Du second ministère, nous avons peu à dire ici. Il appartient trop à l’histoire générale. Si nous nous sommes étendus, trop longuement peut-être, sur le premier, — ce qui d’ailleurs simplifiera nos notes au bas des pages, — c’est qu’il nous a paru qu’on n’avait pas encore marqué d’assez près ses évolutions, dont la stratégie est d’autant plus intéressante que ce cabinet du 23 mars a été le seul ministère à peu près parlementaire (au sens anglais ou actuel du mot) de la période révolutionnaire. Le ministère issu du 10 août a un caractère tout différent : les ministres forment « le Conseil exécutif provisoire » ; ils sont les commis de l’Assemblée et peuvent disparaître sans que leur départ comporte la moindre crise. On le verra bien lorsque Roland se retirera à la fin de janvier 1793.

Mais Roland et sa femme ne se soumettront d’ailleurs à ce rôle qu’à contrecœur, et, jusqu’au bout, ils essayeront de gouverner.

Nous ne croyons utile, pour commenter la Correspondance, de ne nous arrêter qu’aux onze dernières lettres à Lanthenas (de 508 à 518), afin d’expliquer comment une brouille irrémédiable mit fin à une longue amitié. Roland, dans son premier ministère, n’avait fait aucun changement dans ses bureaux ; les employés tenant leurs commissions du Roi, il se fût heurté à des difficultés sans nombre ; mais, dès le 11 août, aussitôt après avoir prêté serment devant l’Assemblée, il fit décréter que les « ministres étaient autorisés à faire, chacun dans son département, tous les changements convenables » (Moniteur du 13 août). C’est alors qu’il fit venir de Lyon deux de ses amis, Champagneux pour le mettre à la première division, Lecamus à la deuxième ; il en confia une autre, celle des secrétariats, à Lanthenas, qui y porta son activité brouillonne, entremêlée de trop longs accès d’inertie[24]. Lanthenas n’en eut pas moins, par ses relations avec les patriotes les plus avancés, surtout lorsqu’il eut été nommé député de la Convention (9 septembre) et qu’il se fut arrangé pour rester en même temps au ministère, logé dans l’hôtel même, un rôle assez considérable et parfois embarrassant pour son chef.

Tandis que Roland, en guerre ouverte avec la Commune de Paris, attaqué par Robespierre, dénoncé par les Jacobins, et rompant bientôt avec Danton, inaugurait dès septembre une politique de résistance, Lanthenas, plus enchaîné par ses rations avec le parti avancé, se désolait, critiquait, se refroidissait visiblement. Il s’en prenait aux chefs du parti Girondin, et particulièrement à Buzot, dont il avait bien vite discerné l’influence sur Madame Roland. Nous établirons, dans l’Appendice consacré à Buzot, que sa liaison de cœur avec

Madame Roland et son ascendant sur elle datent non pas de leurs premières relations en 1791, comme l’ont cru beaucoup d’historiens, et particulièrement M. Hamel, mais seulement de septembre ou octobre 1792, lorsqu’il revint d’Évreux pour siéger à la Convention. Lanthenas, jaloux et blessé, usant du privilège d’une vieille amitié au delà de toute mesure, récrimina auprès de Madame Roland, auprès de Roland lui-même. De là, les lettres enflammées de colère et de dédain qui terminent la Correspondance de 1792. Il nous suffira d’avoir indiqué cette situation respective de Madame Roland et de Lanthenas, vivant sous le même toit, mais ne correspondant plus guère que par de courts billets, pour qu’on se rende compte de l’intérêt de ce drame domestique. Certains passages des Mémoires, et notamment une page sanglante qui n’a été publiée entièrement qu’en 1864, prennent sous cette clarté toute leur signification : « Lanthenas, apparemment comme le vulgaire, content de ce qu’il a lorsque d’autres n’obtiennent pas davantage, s’aperçut que je ne demeurerais point insensible, en devint malheureux et jaloux… Il ne voulait plus voir comme moi, et bien moins comme celui qu’il me voyait chérir ; il prétendit se mettre entre le côté droit, dont il blâmait les passions[25] et le côté gauche, dont il ne pouvait approuver les excès ; il fut moins que rien et se fit mépriser des deux parts… » (II, 247).

467

À ALBERT GOSSE, À GENÈVE[26].
29 janvier 1792, — de Paris.

Il y a des siècles que nous n’avons eu de nouvelles les uns des autres ; auriez-vous oublié vos vieux amis ? je ne puis le croire, et c’est dans la persuasion du contraire que je reprends une correspondance trop longtemps suspendue. Le tourbillon des affaires publiques entraîne tout en France, soit dans un sens, soit dans l’autre ; il y a peu d’individus qui puissent y échapper. Indépendamment de l’opinion si violemment excitée et prononcée, pour chacun, d’une façon si distincte, l’état ou la fortune, atteint ou menacé, fournit à tous des raisons d’intérêt aux mouvements généraux. Je ne sais si vous avez bien suivi les périodes de notre Révolution ; j’en doute, non seulement parce que votre situation et vos affaires vous y laissant étranger n’ont pu vous porter à l’étudier sérieusement, mais aussi parce qu’il est impossible de juger les événements et leurs effets à certaine distance du foyer. Cela est vrai même pour nos provinces éloignées, à plus forte raison pour un État voisin. Je n’entreprendrai donc pas de disserter avec vous sur cet objet, il faudrait des volumes, tandis qu’une conversation nous mettrait mieux au courant ; ainsi bornons nos communications à ce qui nous touche personnellement.

Je vous ai marqué, par mes précédentes, si elles vous sont parvenues, le long séjour que nous avions fait ici l’année dernière et notre retour dans nos foyers champêtres, avec l’idée de ne plus les quitter de longtemps. Les circonstances ont changé ces projets. La place de notre ami supprimée, la nécessité de solliciter une pension ou secours, bien méritée après environ quarante ans de travaux, mais rendue problématique à quelques égards, nous ont rappelés ici. Enfin, un nouvel ordre de choses s’ouvrant pour nous dans cette grande réduction de fortune, il s’agissait de voir si nous nous retirerions absolument à la campagne ou si nous chercherions un autre parti : La retraite est sage, elle est douce pour la philosophie ; mais notre manoir rustique est une véritable thébaïde, difficile dans son accès, sauvage par sa nature, sans voisinage ; c’est une solitude dans laquelle on ne peut plus faire société qu’avec sa basse-cour. Pour un homme habitué à la vie publique, à communiquer avec des esprits cultivés, ce genre de vie ne doit pas être embrassé sans réflexion ; d’ailleurs, nous n’avons qu’une fille, mais elle existe, et l’on ne viendrait pas la chercher dans un désert. Obligés de venir à Paris pour nos affaires, nous avons arrêté d’y passer sept à huit mois, durant lesquels nous chercherons à faire quelque chose d’utile, et si cela réussissait, ce serait un moyen de fixer notre séjour ici, où l’activité, le goût, les connaissances trouvent toujours à s’exercer malgré les rumeurs politiques. Nous songeons à un écrit périodique, absolument consacré à l’agriculture, aux arts et au commerce[27], intéressant pour les étrangers mêmes par la nature de ces objets, et indépendant de toutes les circonstances politiques. Nous avons pensé que vos goûts et vos connaissances, joints à l’ancienne amitié, nous procureraient soit par vous, soit par vos correspondants et vos liaisons, des facilités et des moyens. Vous aviez écrit à notre ami pour son association à votre Société des Arts ; qu’est-ce que cela est devenu ? Vous êtes sans doute en rapport avec des savants de la Suisse et de l’Allemagne, et vous pourriez nous y mettre ? Quels sont, à votre avis, les journaux de ces deux pays qu’il nous importerait de connaître ? et oû pensez-vous que nous pourrions, d’une part, nous procurer d’intéressants matériaux, de l’autre, nous assurer des débouchés ?

Donnez-nous des nouvelles de votre chère épouse[28] ; apprenez-nous de combien votre famille s’augmente et partagez avec elle les embrassements de vos amis. J’ai été malade, je ne suis pas encore bien portante ; mais, avec le courage et l’amitié, à quels maux ne peut-on faire face ? Mon mari va assez bien, ma fille est grande, forte et bon enfant ; ce sont là d’assez doux avantages pour consentir à les payer de quelques douleurs.

Adieu ; nous sommes ici Hôtel Britannique, rue Guénégaud ; mais vous pourrez nous adresser sous le couvert de Dantic[29].


468

Mme  GRANDCHAMP, À PARIS[30].]
23 mars 1792, — [de Paris].

Dumouriez sort d’ici ; il vient de nous annoncer que le Roi a nommé mon mari ministre de l’Intérieur et qu’il recevra demain le portefeuille des mains de Gabier[31]. Roland a demandé jusqu’à dix heures pour donner sa réponse. C’est toi qui la régleras. Viens le plus tôt possible.


469

À CHAMPAGNEUX, À LYON[32].
23 mars 1792, — de Paris.

Je ne veux pas que vous appreniez par les papiers publics que notre ami a été nommé hier ministre de l’Intérieur. Il avait sous presse un Journal des Arts, dont il allait s’occuper uniquement ; il est appelé à d’autres travaux, il va s’y livrer avec dévouement, avec autant de calme qu’il saurait abandonner cette place s’il ne pouvait y remplir ses devoirs.

Ces révolutions apprennent à l’homme sage que le tour de roue qui l’élève doit l’abaisser à son tour et qu’il n’y a d’assuré que sa conscience.

Je continue de préparer le petit appartement que j’avais arrêté rue de La Harpe[33] ; c’est une retraite que je dois avoir prête et que j’aime à conserver sous mes yeux. M. Roland vous aurait écrit s’il lui avait été possible de le faire ; il m’a chargée de le remplacer et de vous prier de faire part de l’événement au digne Vitet[34].

Aidez-nous, mes bons amis, écrivez-nous ; unissons-nous plus étroitement que jamais pour le bien de la patrie et ménageons-nous le bonheur d’avoir fait ou tenté pour elle tout ce qui était en notre pouvoir.

Mille choses tendres à votre aimable compagne ; nous vous embrassons fraternellement, dans l’affection du cœur et le dévouement du plus franc civisme.

470

[À BANCAL, À CLERMONT[35].]
23 mars 1792, — [de Paris].

Je vous donnerai de mes nouvelles avant d’avoir reçu des vôtres. Je voudrais être la première à vous faire connaître nos nouveaux ministres ; mais j’aurai peut-être été devancée, car l’heure du courrier est passée,

M. Dumouriez est aux Affaires étrangères ;

M. de Grave[36], à la Guerre ;

M. Lacoste, à la Marine ;

M. Clavière, aux Contributions publiques ;

M. Garnier, à la Justice (il a refusé) ;
(À la place de celui-ci, il est question de vous très fortement.)

M. Roland, à l’Intérieur.

Vous serez étonné autant que lui sans doute. Il se dévoue courageusement, prêt à quitter s’il ne peut faire le bien. Il parait que le patriotisme et la bonne intelligence régneront dans le ministère et l’uniront à la saine partie de l’Assemblée nationale ; mais les sous-ordres sont détestables, c’est à la fois un repaire et un labyrinthe ou des écuries comparables à celles d’Augias.

Le petit appartement de la rue de La Harpe continue de s’arranger ; c’est une retraite qu’on doit toujours avoir sous les yeux, comme certains philosophes y tiennent leur cercueil.

Écrivez-nous, instruisez-nous de tout ce qui peut intéresser la chose publique : il faut la faire prospérer ou périr. Recueillez le plus de détails qu’il vous sera possible sur l’état des choses en général dans votre département et celui de tous les fonctionnaires gagés, payés, etc., de manière à faire un tableau exact de ses dépenses et de ses forces, enfin de sa situation civile, morale et politique.

Vous sentez combien un patriote ardent, éclairé et étranger en apparence à ces détails, peut être utile par son exactitude à les fournir, et je somme votre zèle au nom de la patrie et de l’amitié. Adieu, union et civisme à la vie et à la mort.


471

À GOSSE, À GENÈVE[37].
27 mars 1792, — de Paris.

La scène change rapidement dans ce pays ; j’écrivais, il y a peu de jours, à votre digne moitié et je lui peignais une situation qui ne ressemble guère à celle où nous sommes appelés. Je ne me croyais pas voisine d’un changement de cette nature, et il était permis sans doute de ne pas le prévoir. C’est un de ces tours de roue de la fortune qui élève ce que bientôt la continuité du même mouvement doit reporter à la place d’où il avait été tiré.

Notre ami s’est dévoué par l’espoir de concourir au bien de son pays, espoir fondé sur la conformité de principes des personnes qui composent actuellement le ministère et de leur concert avec la partie de l’Assemblée sincèrement attachée à la Révolution. S’il ne peut réussir, il descendra comme il est monté, avec calme et courage, sans effroi alors comme il est aujourd’hui sans ivresse. Mais il faut bien vous croire au courant de nos nouvelles pour causer ainsi sans vous exprimer positivement que votre ami est nommé ministre de l’intérieur.

Les circonstances sont tellement orageuses, que je ne puis considérer sans une sorte d’effroi tout ce qu’il y a à faire et tous les obstacles à vaincre pour opérer le bien. S’il est possible, nous sommes heureux ; s’il ne l’est pas, nous reprendrons les goûts paisibles, les habitudes douces et studieuses qui remplissaient nos loisirs. Maintenant il faut s’élever à la hauteur de sa destinée, ne respirer que pour la remplir et ne pas avoir une pensée qui ne tende efficacement au but qu’il faut atteindre.

Ne nous oubliez point ; écrivez-nous quelquefois, surtout quand vous découvrirez des vérités à nous communiquer, et ne cessez pas d’aimer ceux qui vous chérissent affectueusement. Rien ne saurait altérer des sentiments qui tiennent aux principes invariables de la justice et de la liberté. Recevez nos embrassements fraternels et plaignez-moi de la rapidité qu’il me faut mettre dans ma correspondance.


472

[À ROBESPIERRE, À PARIS[38].]
27 mars 1792, — de Paris.

Vous me justifiez. Monsieur, et j’en reçois une joie que je vous laisse à juger, parce que vous êtes fait pour l’apprécier ; mais je suis aussi très aise d’avoir été prévenue, et j’aime à vous voir cet avantage. Je reste à l’Hôtel Britannique, du moins pour quelque temps ; vous m’y trouverez habituellement à dîner et j’y conserve, comme je porterai partout, la simplicité qui me rend digne de n’être point dédaignée malgré le malheur de me trouver la femme d’un ministre. Je n’espère de concourir au bien qu’à l’aide des lumières et des soins des sages patriotes ; vous êtes pour moi à la tête de cette classe. Venez promptement, j’ai hâte de vous voir et de vous réitérer l’expression de ces sentiments, que rien ne saurait altérer.


Roland, née Phlipon.

473

[À BOSC, À PARIS[39].]
27 mars 1792, — de Paris.]

Toujours prête à recevoir mes anciens amis quand ils reviennent[40], je vous réponds de moi et je chercherai le moment de vous voir comme vous le désirez. Quant à Mme  Grd. Ch. [Grandchamp], je doute de ses dispositions ; son caractère plus ferme ou plus énergique que le mien ne connaît pas mes modifications ; mais je ferai tout pour l’amener à vous voir, et ce sera demain matin, s’il y a lieu.

474

[À MONSIEUR BOSC,
secrétaire de l’intendance des postes[41], [à paris.]
[27 mars 1792, — de Paris.]

Ma bonne amie, en vous écrivant, m’a mal jugée ; je vous ai regretté, mais je n’ai pu me consoler des torts que vous me supposiez et qui me rendraient méprisable à mes yeux s’ils étaient fondés. J’aurais été chez vous dix fois si je n’eusse craint un moment d’humeur qui m’aurait navrée. Je suis prête à vous embrasser ; quand le désirez-vous ?…

Puisque cela est ainsi, ce sera demain matin ; ce serait tout à l’heure, si je n’étais tyrannisée par mes devoirs et les travaux dont ils me surchargent.

D’ailleurs, il faut que ce soit chez vous, et non à votre bureau[42].


475

[À BOSC, À PARIS[43].]
Mercredi, 28 mars (1792), — [de Paris].

J’avais rendez-vous chez Mme  Gch. [Grandchamp] ce matin à neuf heures pour la prendre et aller chez vous ; je l’ai trouvée mal portante, nullement disposée à sortir pour l’instant, et j’avais dessein d’aller seule vous voir, lorsque j’ai été frappée d’un malentendu de courrier extraordinaire qui m’avait parlé lorsque je montais en voiture et je me suis précipitée chez mon mari. J’ai bien fait.

Vous pourrez aller chez Mme  Gchp. [Grandchamp], elle vous recevra avec plaisir, et, si elle sort aujourd’hui, elle sera rentrée de bonne heure ; elle est absolument seule et ne peut envoyer chez vous. Dans tous les cas, elle ira chez vous demain. Je m’y rendrai, si je puis, aujourd’hui même, mais je n’ai pas voulu vous laisser dans l’incertitude. Je suis empressée de recevoir mon enfant prodigue.


476

[À BOSC, À PARIS[44].]
Jeudi, 29 mars (1792), — [de Paris].

J’ai été chez vous, j’y ai écrit chez le portier ; avec un peu plus de patience vous m’auriez vue.

Je suis tellement commandée aujourd’hui par mes devoirs que je ne sais ce que je pourrai faire. Votre délicatesse est à l’abri, puisque j’ai été vous chercher. Venez me voir et hâtez-vous ; je quitte incessamment cette demeure[45] ; il pourrait vous coûter davantage pour la première fois de venir me trouver ailleurs.

Mme  Gchp. [Grandchamp] est dans un état fâcheux ; vous lui devriez d’aller la voir. Elle a besoin d’être arrachée à elle-même et je sens la douleur de n’avoir plus cette liberté qui permet d’être presque toute à l’amitié.

Adieu, jusqu’au plaisir de vous voir ; moins d’exaltation, mon ami, et plus de justesse. : la raison et le bonheur le commandent également.

Que ne puis-je répandre autour de moi le calme où je me tiens, et que la prospérité ni les revers ne peuvent altérer !

Ma seule affliction est de ne pouvoir le communiquer à ceux que j’aime et qui en ont besoin.


477

[À BOSC, À PARIS[46].]
Samedi, 31 mars (1792), à 3h. 1/2, — [de Paris].

J’arrive, je n’ai que le temps de prendre un morceau et de repartir ; à peine ai-je encore ici un morceau de papier pour écrire. Vous ne pouvez plus me trouver ici, mais allez à la sortie du comité, chez mon mari, rue Neuve-des-Petits-Champs ; vous me demanderez, je serai dans mon particulier et je vous recevrai seul.

Jusqu’au revoir.


478

[À BOSC, À PARIS[47].]
[Avril 1792, — de Paris.]

Je suis chez moi avec R.b.p. [Robespierre], qui m’avait demandé un rendez-vous ; je serai seule, et je ferai tout pour l’être, ce soir à sept heures ; ne venez pas plus tard. Je vous attends et la douce amitié vous accueillera avec tendresse et sérénité ; elle est calme et sereine comme le ciel d’un beau jour, d’un jour où l’on retrouve un ami.

479

[À BOSC, À PARIS[48].]
15 avril 1792, — [de Paris].

J’ai rangé mes affaires de telle façon que je n’ai de personnes invitées chez moi que le lundi et le vendredi[49].

Vous me trouverez donc en famille tous les autres jours, et presque absolument seule les dimanche et mercredi. Faites votre compte là-dessus et prouvez-moi que vous m’êtes attaché en me faisant, à votre choix, le sacrifice de quelques instants.


480

[À ROBESPIERRE, À PARIS[50].]
25 avril 1792, 10 (heures du soir), – [de Paris].

J’ai désiré vous voir, Monsieur, parce que, vous croyant un ardent amour pour la liberté, un entier dévouement au bien public, je trouvais, à vous entretenir, le plaisir et l’utilité que goûtent les bons citoyens en exprimant leurs sentiments, en éclairant leurs opinions. Plus vous me paraissiez différer sur une question intéressante avec des hommes dont j’estime les lumières et l’intégrité, plus il me semblait important de rapprocher ceux qui n’ayant qu’un même but, devaient se concilier dans la manière de l’atteindre. Quand l’âme est fière, quand les intentions sont droites et que la passion dominante est celle de l’intérêt général, dépouillée de toute vue personnelle, de toute ambition cachée, on doit s’entendre sur les moyens de servir la chose publique.

Je vous ai vu, avec peine, persuadé que quiconque avec des connaissances pensait autrement que vous sur la guerre n’était pas un bon citoyen.

Je n’ai point commis la même injustice à votre égard ; je connais d’excellents citoyens qui ont une opinion contraire à la vôtre, et je ne vous ai pas trouvé moins estimable pour voir autrement queux. J’ai gémi de vos préventions, j’ai souhaité pour éviter d’en avoir aucune en moi-même de connaître à fond vos raisons. Vous m’aviez promis de me les communiquer, vous deviez venir chez moi… Vous m’avez évitée, vous ne m’aviez rien fait connaître, et, dans cet intervalle, vous soulevez l’opinion publique contre ceux qui ne voient pas comme vous ! Je suis trop franche pour ne pas vous avouer que cette marche ne m’a pas paru l’être.

J’ignore qui vous regardez comme vos ennemis mortels : je ne les connais pas ; et certainement je ne les reçois pas chez moi de confiance, car je ne vois à ce titre que des citoyens dont l’intégrité m’est démontrée et qui n’ont d’ennemis que ceux du salut de la France.

Rappelez-vous, Monsieur, ce que je vous exprimais la dernière fois que j’ai eu l’honneur de vous voir : soutenir la Constitution, la faire exécuter avec popularité, voilà ce qui me semblait devoir être actuellement la boussole du citoyen, dans quelque place qu’il se trouve. C’est la doctrine des hommes respectables que je connais, c’est le but de toutes leurs actions, et je regarde vainement autour de moi pour appliquer la dénomination d’intrigants dont vous vous servez[51].

Le temps fera tout connaître ; sa justice est lente, mais sûre ; elle fait l’espoir et la consolation des gens de bien. J’attendrai d’elle la confirmation ou la justification de mon estime pour ceux qui en sont l’objet. C’est à vous, Monsieur, de considérer que cette justice du temps doit à jamais éterniser votre gloire ou l’anéantir pour toujours.

Pardonnez-moi cette austérité d’impression ; elle tient à celle des principes que je professe, des sentiments qui m’animent, et je ne sais jamais paraître que ce que je suis.


481

[À BOSC, À PARIS[52].]
[Avril 1792, — de Paris.]

Je reçois le forte-piano[53] avec plaisir, et votre lettre avec satisfaction et reconnaissance. Je n’ai pas moins de désir que vous d’avoir quelques moments à me retrouver avec mes amis.

Je serai constamment en famille les dimanche et mercredi ; souvent même aussi le mardi et quelquefois le vendredi ; j’aurai du monde les lundi et jeudi.

Ainsi venez me voir et dîner avec moi les deux premiers jours ; mais il y aura le désagrément de n’avoir pas mon mari, tandis que le mardi je l’aurai constamment.

Lorsque les premiers embarras seront passés, je prendrai aussi quelques moments pour aller à Monceau[54] chez l’excellent Gibert, et nous retrouver enfin chez nos bons amis. Je suis pressée, j’étrangle mes idées, mais je vous aime de tout mon cœur et je vous embrasse de même.


482

[À BOSC, À PARIS[55].]
Jeudi matin (1792), — [de Paris].

Vous ne venez plus me voir ; mon amitié vous le pardonne et s’en afilige.


483

[À BOSC, À PARIS[56].]
[1792, — de Paris.]

Je n’ai vu l’objet envoyé et su de quelle part il venait qu’après que votre commissionnaire a été retiré. Il avait été remis aux mains de notre ami, qui le croyait d’abord de sa compétence et me l’a bientôt renvoyé comme de la mienne.

Je vous sais gré de la dénomination et du commentaire ; ils ajoutent à l’agrément de la chose, et ma conscience est tranquillisée sur son usage. Mais j’aimerais beaucoup mieux qu’il vous fût commun avec nous, cette preuve de sa légitimité serait bien plus forte que la citation, n’en déplaise à votre savoir.

Je vous embrasse, et ce sera de bien bon cœur lorsque vous viendrez partager ou votre envoi, ou votre miel, ou le repas de ménage de vos bons amis.


Rd Ph.

484

[À BOSC, À PARIS[57].]
3 mai 1792, — [de Paris].

Que vous ai-je donc fait, ou qu’avez-vous fait vous-même pour laisser ainsi vos amis ?

Je voudrais du moins savoir si vous avez reçu les billets que je vous ai écrits, afin d’en mieux juger votre manière d’agir.

Vous n’ignorez pas les jours et les heures où nous ne sommes point environnés, et je n’accorde pas votre éloignement volontaire avec l’empressement marqué de me revoir et un attachement dont je ne puis douter.

Ce que je puis vous dire, c’est que telles que puissent être les variations de vos procédés, vous me retrouverez toujours ce que vous m’avez connue : égale et vraie, parce que je n’ai de passion pour rien que pour mes devoirs ; tolérant beaucoup, parce que j’ai assez réfléchi pour m’attendre quelquefois à l’injustice et savoir l’excuser dès qu’elle n’est pas volontaire.

Il est telle position où il faut être pour ses amis comme pour le public, tout entière à mériter leur opinion, sans se tourmenter du malheur de ne pas l’obtenir.

Quoi qu’il en soit, voulez-vous venir dîner avec moi samedi ou dimanche ? J’espérais que vous viendriez de vous-même et je l’attendais de votre amitié.

Adieu ; comptez toujours sur la mienne. Je vous embrasse de tout mon cœur.

423

À SERVAN, [À PARIS[58].]
9 mai, l’an iv (1792), — [de Paris].

Oui, Monsieur, je l’ai souhaité, voulu ; je tiens à cette opinion, et vous la justifierez[59]. Plus de craintes ni de défiances, elles ne sont plus de saison ; il faut vouloir, et tout ira.

Peu importe maintenant ce que disent ou font les autres ; vous voilà sur la brèche, il ne s’agit que de vaincre : le premier gage de la victoire est dans l’espoir de la remporter, par la bonté de sa cause et la grandeur de son courage.

Jusqu’à présent, les hommes en place ont nui à la chose et à eux-mêmes pour n’avoir pas su se prononcer ; on disait vouloir la Révolution, et l’on avait des ménagements coupables pour tous ses ennemis. Il faut être plus ferme et plus franc, aller au but ouvertement, faire marcher la Constitution et montrer à l’Europe un ministère qui la veut sincèrement.

Entourez-vous de bons citoyens, pour être moins contrarié dans votre allure ; grondez vos collègues lorsque leurs conférences dégénéreront en pures causeries, et ne vous trouvez pas de fois ensemble que vous n’ayez arrêté quelque chose d’utile[60].

Mon cocher ne peut vous servir parce qu’il n’a que deux voitures, et qu’elles sont employées, l’une pour M. Clavière. Il n’est point anciennement établi, c’est un enfant du nouveau régime. J’envoie chercher le loueur de carrosse de M. Petion, afin de vous éviter l’ennui des détails, et je vous l’adresserai dès que je l’aurai vu. Disposez de moi pour tout ce que vous jugerez bon.

Lorsque vous pourrez vous arracher aux affaires et venir manger ma soupe, je vous recevrai avec reconnaissance ; j’en aurai infiniment lorsque vous me procurerez l’occasion de vous être utile. Ainsi ne m’épargnez point pour les détails qui pourraient vous être à charge. Nos amis vous embrassent ; vous voilà compagnons d’armes et de fortune : il faut sauver la chose publique ou périr avec elle.


486

À SERVAN, [À PARIS[61].]
Le matin du 10 mai, l’an iv (1792), — [de Paris].

Quelqu’un de nos amis prétendait, avant que vous fussiez au ministère, que vous aviez un peu trop de feu. J’ai prétendu que vous n’auriez peut-être pas encore assez de ce trop, parce qu’il en fallait beaucoup pour se trouver ce que l’on doit dans une situation où tout enchaîne, arrête et amortit.

Jusqu’à présent, on peut excuser le nouveau ministère de n’avoir pas fait tout ce qu’on attendait de lui : il était entravé par un ci-devant[62]. Maintenant que vous êtes tous plébéiens, ou à peu près, et vrais révolutionnaires, si d’ici à quinze jours vous n’avez pas déployé un grand caractère et des mesures imposantes, il sera démontré que vous ne valez pas plus que les autres et qu’il faut tourner la roue jusqu’à meilleure rencontre. Rappelez-vous de vos projets sévères pour contenir les officiers et rendre de la confiance aux soldats ; rappelez-vous de la lettre à faire faire par le Roi à Luckner : elle est instante et elle doit marquer ; il faut qu’elle éclaire l’opinion sur Rochambeau et la coalition qui le soutient. Rappelez-vous de vos considérations sur la nécessité de réunir une grande force, au lieu de petites armées, sur les frontières du Brabant

Rappelez-vous, mon digne ami, que la justice est la bonté des hommes en place et la fermeté la qualité la plus difficile à y conserver.

Je ne vous dirai pas de me pardonner ces expressions. Je ne puis guère vous voir : il faut bien que mon amitié se fasse entendre de quelque manière.

Je joins ici une note préparée depuis quelques jours et que le chaos du moment m’a empêchée de vous remettre jusqu’à présent.

Je vous honore et vous aime, et j’attends avec confiance d’avoir toujours davantage à vous honorer et vous applaudir.


487

À MONSIEUR, MONSIEUR BOSC, [À PARIS,]
rue des prouvaires, n° 33[63].
Jeudi, 10 mai, l’an iv de la Liberté, — [de Paris].

Quelle heure qu’il soit lorsque vous recevrez ce billet, venez me voir aujourd’hui jeudi, 10 mai, l’an iv de la Liberté[64].

488

À MONSIEUR PETION,
maire de paris[65].
17 mai 1792, — de Paris.

La personne, Monsieur, qui vous remettra la présente est celle pour laquelle je vous ai remis hier la lettre de M. Servan ; comme elle indique l’objet, je n’ai besoin que de vous le rappeler en vous adressant la personne.

Agréez le nouvel hommage de mes sentiments.


Roland, née Phlipon.

489
À MONSIEUR DULAURE,
rédacteur du Thermomètre du jour, [à paris[66]]
18 mai [1792], — de Paris.

J’ai reçu, Monsieur, avec reconnaissance le journal que vous avez bien voulu m’envoyer ; je l’ai lu avec intérêt, et je n’ai jamais besoin d’appliquer l’indulgence à l’égard du patriotisme dirigé par les lumières.

Agréez mes remerciements et veuillez vous ressouvenir que M. Roland dîne toujours chez lui le lundi, lorsqu’il entrera dans vos arrangements d’augmenter le nombre des bons citoyens dont il aime à s’environner.


Roland, née Phlipon.

490

[À BANCAL, À PARIS[67].]
[7 juillet 1792, — de Paris.]

Votre avis était nécessaire, car je vous attendais tous ; notre ami ira certainement vous joindre.

Les officiers de l’état-major de Paris s’étaient permis de se rendre aujourd’hui, en habit bourgeois, dans les tribunes pour y applaudir le Roi.

Tâchez de lire les Annales de Carra d’aujourd’hui sur les projets ; elles les développent assez bien[68].

Vergniaux sera-t-il chez Madame Dodun[69] ? Dans le cas de l’affirmative, ne craignez pas de lui dire qu’il a beaucoup à faire pour se rétablir dans l’opinion, si tant est qu’il y tienne encore en honnête homme, ce dont je doute.


491

À BRISSOT, À PARIS.
31 juillet 1792, — de Paris.

Cette lettre, perdue aujourd’hui, se trouvait en 1835 entre les mains de M. Montrol, qui la communiqua à Sainte-Beuve, lequel l’analysa longuement dans son Introduction aux Lettres à Bancal, p. xxxvi-xl. Bien que nous ne puissions la donner, nous avons cru util de la mentionner ici, avec son numéro d’ordre, en raison de sa date et de son importance, que nous révèle l’analyse de Saint-Beuve. Nous en avons déjà usé ainsi pour les lettres 342 et 358, et nous ferons de même pour la lettre 502 (à Pache, 11 novembre 1792), non pour la puérile satisfaction de grossir de quelques unités notre moisson, déjà assez riche, de lettres inédites, mais parce que des lettres comme les nos 491 et 502 sont véritablement des anneaux d’une chaîne. On en jugera ici par l’analyse de Sainte-Beuve :

« Dans une lettre inédite à Brissot (31 juillet 1792), très importante historiquement, elle [Madame Roland] devient, il faut le dire, injurieuse, insultante, et s’échappe à qualifier le vertueux général du même terme dont Voltaire irrité n’a pas craint de qualifier Rousseau… Aux approches de la crise imminente du 10 août, elle ne réclamait déjà plus, comme après Varennes, des mesures brusques, absolues ; elle désirait que les sections réunies demandassent non la déchéance, difficile à prononcer sans déchirer l’acte constitutionnel, mais la suspension provisoire, qu’il serait possible, quoique avec peine, écrivait-elle à

Brissot, d’accrocher pour ainsi dire à l’un des articles de la Constitution… Elle ss plaignait du silence à l’Assemblée et de l’attitude incertaine de Brissot en des circonstances si menaçantes… Sa lettre, ayant pour objet de prémunir Brissot contre les facilités de caractère et de jugement auxquelles il était enclin, présente des indications très particulières sur les principaux de ce groupe illustre et fraternel que de loin une seule auréole environne. Chacun y est touché et marqué en quelques lignes ; ils passent tous l’un après l’autre devant nous dans leurs physionomies différentes, et le bon Sers (depuis sénateur), aimable philosophe, habitué aux jouissances honnêtes, mais lent, timide et, par là même, insuffisant en révolution, et Gensonné, à la fois incertain de caractère et formaliste d’allures, et Guadet, au contraire trop prompt, trop vite prévenu ou dédaigneux… Quant à Vergniaud, qu’elle n’aime décidément pas, trop épicurien, on le sait, pur cette âme de Cornélie, elle était, avant l’épreuve dernière, souverainement injuste a son égard. Les temporisations de l’insouciant et sublime orateur ne s’expliquent pas pour elle aussi naturellement que pour nous, en simples caprices et négligences de génie. Elle va jusqu’à s’inquiéter de sa mise et en veut presque à ce regard voilé, qui pourtant s’éclairait si bien dans la magie de la parole… Elle cherche vainement un grand caractère propre à rassurer dans cette crise et à rallier le bon parti par ses conseils… Tout en excitant Brissot à être ce grand caractère, on voit assez qu’elle y compte peu et qu’elle connaît excessivement confiant, naturellement serein, même ingénu… »

492

[À BOSC, À PARIS[70].]
19 août an ive (1792), — [de Paris].

Il faut que vous vous arrangiez pour que votre administration donne a Le Maire[71] un congé d’un mois ; nous avons besoin de ce temps-là pour le faire endoctriner les soldats. Son style est bon, et voilà le moment de bien l’employer. J’allais le prendre pour m’en exprimer ; mais cela ne coule pas chez moi. Adieu, faites cela vite pour la patrie. Je vous embrasse de tout mon cœur.

493

À MONSIEUR BERNARDIN-SAINT-PIERRE,
intendant du jardin national des plantes, rue de la reine-blanche[72].
Jeudi 23 août an ive (1792), — [de Paris].

M. Roland, Monsieur, sera très empressé de vous entretenir samedi prochain entre trois et quatre. Chargée par lui de vous prier de choisir cette heure pour le rendez-vous, je dois ajouter que le désir de vous arrêter à dîner est le motif de cette prière.

J’aimerais à saisir l’occasion de manifester à l’ami de la nature et de Jean-Jacques les sentiments que lui ont voués tous les cœurs honnêtes.


Roland, née Phlipon.

494

[À BANCAL, À CLERMONT[73].]
30 août an ive (1792), — de Paris.

Le temps me dévore comme il fait de lui-même ; je veux tous tes jours vous écrire, je n’en trouve pas l’instant. Nos affaires vont mal.

Longwy a été livré, Thionville est bloqué, Verdun insulté ; tout cela doit être sous peu au pouvoir des Prussiens. Ils veulent arriver à Paris, et je ne sais pas ce qui pourra les en empêcher, à moins que les départements n’accourent sur la route. C’est pour les appeler que l’Assemblée a rendu un décret[74]. Prêchez les patriotes ardents et envoyez-nous-les si vous voulez nous conserver ; il n’y a pas un moment à perdre. Nous serions puissants, si nous avions des armes ; c’est parce quelles nous manquent qu’il nous faut des hommes tout équipés.

On annule Luckner en l’appelant à Châlons ; c’est encore un ménagement que je n’aurais pas eu, j’aurais voulu le renvoyer à l’Empereur. On vous avait nommé dans le Conseil pour l’Angleterre[75] ; les députés sont venus mettre leur nez à travers l’opération : on lanterne, et je ne sais ce que cela deviendra. Je ne crains point les ennemis, parce que j’ai fait mon calcul sur la vie et que je méprise la mort ; mais je suis en enfer quand on ne marche pas vite, ferme, et qu’on ne frappe point juste et fort.


495

[À BANCAL, À CLERMONT[76].]
2 septembre an ive (1792), — [de Paris].

Je vous ai écrit à Clermont avant de savoir que vous fussiez passé à Riom[77] ; je vous disais que plus de 80,000 Prussiens sont entrés en France et que Longwy leur avait été indignement livré. Ils s’avancent à grands pas, Verdun est investi et ne peut tenir longtemps ; leur projet est d’avancer sur Paris, et ils peuvent l’exécuter. Je ne vous parlerai pas de toutes les mesures que nous prenons ; mais nous avons beau ne pas dormir et déployer une activité plus qu’humaine, il est impossible de réparer en peu d’heures l’effet de quatre années de trahison. Les ennemis ont l’avance sur nous, et nous ne pouvons nous sauver que par une sorte de miracle qu’il faut espérer pour le favoriser. Envoyez-nous des hommes tout armés, comme il en sortit autrefois de la terre et faites-les courir à grands pas. Ce qui désespère, c’est la lâcheté des municipalités ; Clermont (en Argonne) vient encore d’en donner un exemple qui anéantit. Ce qui entrave tout, c’est notre folle Commune ; elle lutte avec le Corps législatif, elle dérange toutes les combinaisons du pouvoir exécutif ; si cela continue, nous ne pouvons manquer de finir bientôt, et ce sera peut-être par le peuple de Paris, plutôt encore que par les Prussiens.

Au moment où je vous parle, le canon d’alarme est tiré, la générale est battue, le tocsin a sonné, chacun a couru dans sa section. Quels sont les ordres ? Personne n’en a donné. Mais la Commune a dit qu’il fallait se rassembler ce soir au Champ de Mars, et que 50,000 hommes devaient sortir demain de Paris, sans réfléchir qu’on ne peut seulement en faire marcher deux cents sans leur avoir assuré le logement et des vivres. Cependant des détachements du peuple ému accourent ici, demandent des armes et se croient trahis parce que le ministre n’est pas chez lui au moment où ils imaginent d’y venir[78].

L’Assemblée rend des décrets qui sentent la peur ; la foule se porte à l’abbaye, elle y massacre quinze personnes et parle d’aller à toutes les prisons. Le pouvoir exécutif a convoqué tous les commissaires de sections pour les raisonner, les éclairer s’il est possible, et leur dévoiler tous les maux de l’anarchie à laquelle il faudra les abandonner en se retirant, s’ils traversent ainsi ceux qui doivent faire agir. On enlève tous les chevaux, et comme cette opération est populaire, ainsi que toutes les autres, c’est le moyen d’en perdre beaucoup par le défaut d’ordre ou de soins. On a refermé les barrières, qui avaient enfin été ouvertes hier et dont la clôture retarde toutes les opérations, car les courriers mêmes du pouvoir exécutif sont souvent retenus à la Commune, malgré les passeports des ministres. Adieu. Je sens mon âme inaccessible à la crainte, et je serais très capable de suivre jusqu’au dernier instant la marche et les mesures d’une défense régulière ; mon digne ami est aussi actif et plus ferme que jamais. Mais qui pourrait n’être pas contristé du chaos rembruni par des agitateurs ?

Adieu ; peu de jours encore jetteront de grandes lumières sur le sort de la capitale, d’où la sagesse voudrait peut-être qu’on sortît le Gouvernement ; mais il est déjà trop tard pour cela même. Washington fit bien déplacer le Congrès, et ce n’était point par peur[79].


496

[À BANCAL, À CLERMONT[80].]
5 septembre 1792, an ive, — [de Paris].

Nous sommes sous le couteau de Robespierre et de Marat ; ces gens-là s’efforcent d’agiter le peuple et de le tourner contre l’Assemblée nationale et le Conseil. Ils ont fait une Chambre ardente ; ils ont une petite armée qu’ils soudoient à l’aide de ce qu’ils ont trouvé ou volé dans le château et ailleurs, ou de ce que leur donne Danton qui, sous main, est le chef de cette horde. Croiriez-vous qu’ils avaient lancé un mandat d’arrêt contre Roland et Brissot, comme suspects d’intelligence avec Brunswick[81], et qu’ils n’ont été retenus que par une sorte de crainte ? Ils s’en sont tenus à vouloir mettre les scellés sur leurs papiers, mais, dans leur recherche inquisitoriale parmi ceux de Brissot, ils ont été honteux de ne rien trouver que de contraire à leurs prétentions. Ils n’ont osé apposer les scellés, ni se rendre chez Roland et Guadet[82] ; ils se sont contentés d’emporter les lettres en anglais qu’ils n’avaient pu entendre. S’ils eussent exécuté leur mandat d’arrêt, ces deux excellents citoyens auraient été conduits à l’Abbaye et massacrés avec les autres. Nous ne sommes point sauvés, et si les départements n’envoient une garde à l’Assemblée et au Conseil, vous perdrez l’une et l’autre[83].

Travaillez donc rapidement à nous l’envoyer, sous le prétexte des ennemis extérieurs, au-devant desquels on fait aller les Parisiens capables de défense, et pour que toute la France concoure à la conservation des deux pouvoirs qui lui appartiennent et qui lui sont chers.

Ne perdez pas un instant si vous voulez les retrouver : adieu.


497

[À… À PARIS[84].]
8 septembre an ive (1792), — [de Paris].

M. Roland, Monsieur, m’a exprimé qu’il croyait devoir faire comprendre, dans l’état des frais, les objets qui tiennent à l’Hôtel[85], fort indépendamment de la personne, et dont la dépense est indispensable pour le local. Je vous fais passer en conséquence l’état ci-joint, et je vous prie d’y ajouter cent livres par mois pour le portier du grand Hôtel.

Agréez, je vous prie, mes salutations.


Roland, née Phlipon.

N.B. C’est le concierge, M. Perrin, qui m’a fourni ces mémoires.

498

[À BANCAL, À CLERMONT[86].]
9 septembre au soir, 1792, — [de Paris].

Robespierre, Danton, Collot-d’Herbois, Billaut de Varennes et Marat, voilà les députés de Paris actuellement nommés.

On avait fait conduire à Versailles les prisonniers d’Orléans, pour éviter, leur massacre à Paris, n’ayant pu obtenir leur translation à Saumur ; des commissaires allés au-devant deux s’étaient efforcés de rappeler les lois de la justice. Ce matin, ils arrivent à Versailles ; leur escorte fait arrêter les chariots qui les portaient, dans une grande rue ; ils barrent les routes et massacrent tout, sur les voitures mêmes. « Ce n’est pas, ajoutent froidement les tueurs, le dernier coup que nous ayons à faire. »

Cependant Marat signe et affiche tous les jours les plus affreuses dénonciations contre l’Assemblée et le Conseil : vous verrez qu’on immolera l’une et l’autre. Vous ne croirez cela possible qu’après l’action, et vous en gémirez en vain.

Mon ami Dton [Danton] conduit tout ; Robp. [Robespierre] est son mannequin, Mat [Marat] tient sa torche et son poignard ; ce farouche tribun règne et nous ne sommes que des opprimés, en attendant que nous tombions ses victimes.

Si vous connaissiez les affreux détails des expéditions ! Les femmes brutalement violées avant d’être déchirées par ces tigres, les boyaux coupés, portés en rubans, des chairs humaines mangées sanglantes !… Vous connaissez mon enthousiasme pour la Révolution, en bien, j’en ai honte ! Elle est ternie par des scélérats, elle est devenue hideuse ! Dans huit jours… que sais-je ? Il est avilissant de rester en place, et il n’est pas permis de sortir de Paris ; on nous ferme pour nous égorger à l’instant le plus propice. Adieu, faîtes comme Louvet à la Convention, faites-y comme mon mari, si ce peut être encore un honorable moyen de salut ; s’il est trop tard pour nous, du moins sauvez le reste de l’Empire des crimes de ces furieux.

499

[À BANCAL, À CLERMONT[87].]
11 septembre au soir, an ive (1792), — de Paris.

Ce que je vous envoie ci-joint vous dira tout. Cependant les bons choix des départements nous raniment, et il est évident que si les scélérats commettent ici quelque excès, ils accéléreront leur perte. Ils en préméditent encore ; cependant leur trône s’ébranle ; le corps électoral s’avilit et Rbp. [Robespierre] se dévoile. Bssot [Brissot] m’a fort grondée des recherches de nomination[88] ; il prétend que la sortie de notre ami du ministère serait une calamité publique ; mais sa santé me fait craindre la continuité de ce terrible travail, en supposant qu’il sorte de la tempête qui gronde toujours sur nos têtes.

Paine est nommé encore dans un autre département[89]. Vos missives partent.

Adieu, je n’ai pas le temps de vivre, mais j’ai toujours celui d’aimer.

500

[À BANCAL, À PARIS[90].]
14 octobre l’an ier (1792), — [de Paris].

Voyez donc Couthon[91] et le raisonnez ; il est incroyable qu’un aussi bon esprit se soit laissé prévenir d’une manière étrange contre les meilleurs citoyens. Il parle absolument dans le sens de la faction, et la soutient aux Jacobins du poids de son intégrité.

Quelle étrange manie dans cette perpétuelle accusation d’intrigue et d’ambition contre des hommes qui n’ont jamais employé leur âme et leurs talents qu’avec le plus grand dévouement à la chose publique et pour la servir uniquement !

Je ne sais si vous remarquez assez que la faction travaille et s’agite, et que les hommes purs restent épars.


501

À MONSIEUR BERNARDIN-SAINT-PIERRE, [À PARIS[92].]
17 octobre [1792, — de Paris.]

Je viens de mettre à l’instant même sous les yeux de M. Roland ce que vous m’avez fait, Monsieur, passer pour lui. Il m’a chargée de vous assurer de son empressement à examiner l’affaire et à remplir tout ce que lui imposent la justice, l’infortune et votre recommandation.

Accueillez l’hommage de mes sentiments affectueux et de ma vénération.


Roland, née Phlipon.

502
À PACHE, À PARIS[93].
11 novembre 1792, — de Paris.

« Je lui écrivis, le 11 de novembre, avec le ton de l’amitié, pour lui faire part des murmures qui s’élevaient contre lui, des raisons qui les faisaient naître, et de ce que son intérêt semblait dicter. Je lui rappelais ce dont la confiance l’avait prévenu à son arrivée au ministère ; je disais un mot des sentiments non équivoques que nous lui avions témoignés, de l’ensemble qu’ils donnaient lieu d’espérer, de l’état de choses si contraire à ce qu’ils auraient fait présumer. Pache ne me fit pas la moindre réponse… »

503

À LAVATER, À ZURICH[94].
18 novembre [1792], l’an ier de la République, — de Paris.

Vous ne doutez pas, mon cher Lavater, du vif intérêt avec lequel nous avons reçu de vos nouvelles[95]. Au milieu du monde politique et des agitations qui nous environnent, un souvenir de l’amitié repose l’esprit et console le cœur. Son effet est comparable à celui de ces traits touchants, de ces images attendrissantes, dont le bon Homère sait entrecouper des actions terribles ou des descriptions effrayantes. Puissiez-vous plus souvent semer ainsi de quelques fleurs le poème de notre vie !

Vous aviez bien raison de croire n’avoir rien à nous cacher de ce que votre âme douce et humaine peut éprouver de pénible ; mais vous vous êtes trompé lorsque vous avez cru que notre ami aurait quelque pouvoir sur l’objet qui vous affecte. Exécuteur des lois, sur sa responsabilité, il ne concourt point à leur confection, à moins qu’elles ne regardent les détails intérieurs et administratifs sur lesquels il peut demander des décisions.

Celle dont il s’agit a été portée dans l’Assemblée avec beaucoup de réflexion ; elle est d’une grande rigueur, et il faut peut-être avoir connu tous les projets des émigrés en général, toutes leurs entreprises, et surtout les affreux excès de ceux qui avaient pris les armes et qui sont entrés en ennemis sur notre territoire, pour en apprécier la nécessité, la justice.

Les bons esprits cherchent à en tempérer l’effet pour les innocents, par des amendements qui ont échoué ces derniers jours[96] et qu’il faut peut-être abandonner jusqu’à un moment plus calme, mais qui seront faits certainement.

Je ne vous entretiendrai pas de notre situation politique ; nos communications ont été trop longtemps suspendues pour qu’il soit possible de se remettre au courant par une lettre. D’ailleurs, je ne puis me livrer au plaisir de vous entretenir longuement ; mes jours s’écoulent avec une rapidité qui me fait soupirer pour la paix de l’obscurité et les doux loisirs de la retraite.

Nous avons été dans des situations très diverses, mais nous sommes restés toujours les mêmes dans les plus grands changements. Aimant la liberté, parce qu’elle est nécessaire au bonheur et à la perfectibilité de l’espèce humaine ; sacrifiant au bien de tous les intérêts particuliers, parce que c’est le premier devoir de l’homme en société ; disant la vérité sans réserve et pratiquant la justice sans crainte ; indifférents à la vie, à la mort, employant l’une pour sa conscience et attendant l’autre pour son repos.

Je joins ici une petite collection des derniers écrits de notre ami ; ils vous intéresseront par leur rapport avec notre état intérieur et le nôtre propre.

Donnez-nous quelquefois de vos nouvelles, conservez-nous votre amitié et recevez avec affection les assurances de l’éternel attachement que nous vous avons voué.

Je ne vous dis pas combien votre portrait m’a fait plaisir ; c’est en vous envoyant celui de mon mari que je veux vous en remercier ; mais je n’en ai pas encore un de bien fait, et j’aurai recours aussi au physionotrace[97].

Rappelez-nous au souvenir de votre chère famille et admettez-nous aux commémorations que vous y faites de ceux qui vous chérissent et que vous aimez.


Roland, née Phlipon.

504

le conseil exécutif provisoire de la république française
au prince-évêque de rome[98].
23 novembre 1792.

Des Français libres, des enfants des arts, dont le séjour à Rome y soutient et développe des goûts et des talents dont elle s’honore, subissent par votre ordre une injuste persécution. Enlevés à leurs travaux d’une manière arbitraire, fermés dans une prison rigoureuse, indiqués au public et traités comme des coupables, sans qu’aucun tribunal ait annoncé leur crime, ou plutôt lorsqu’on ne peut leur en reprocher d’autre que d’avoir laissé connaître leur respect pour les droits de l’humanité, leur amour pour une patrie qui les reconnaît, ils sont désignés comme des victimes que doivent bientôt immoler le despotisme et la superstition réunis.

[Sans doute, s’il était permis d’acheter jamais aux dépens de l’innocence le triomphe d’une bonne cause, il faudrait laisser commettre cet excès. Le règne ébranlé de l’Inquisition finit du jour même où elle ose encore exercer sa furie, et le successeur de Saint-Pierre ne sera plus un prince le jour où il l’aura souffert. La raison a fait partout entendre sa voix puissante ; elle a ranimé dans le cœur de l’homme opprimé la conscience de ses devoirs avec le sentiment de sa force ; elle a brisé le sceptre de la tyrannie, le talisman de la royauté ; la liberté est devenue le point d’un ralliement universel, et les souverains chancelants sur leur trône n’ont plus qu’à la favoriser pour éviter une chute violente. Mais il ne suffit pas à la République française de prévoir le terme et l’anéantissement de la tyrannie dans l’Europe, elle doit en arrêter l’action sur tous ceux qui lui appartiennent.]

Déjà son ministre des Affaires étrangères a demandé l’élargissement des Français arbitrairement détenus à Rome. Aujourd’hui, son Conseil exécutif les réclame, au nom de la justice qu’ils n’ont point offensée, au nom des arts que vous avez intérêt d’accueillir et de protéger, au nom de la raison qui s’indigne de cette persécution étrange, au nom d’une nation libre, fière et généreuse, qui dédaigne les conquêtes, il est vrai, mais qui veut faire respecter ses droits, qui est prête à se venger de quiconque ose les méconnaître, et qui n’a pas su les conquérir sur ses prêtres et ses rois pour les laisser outrager par qui que ce soit sur la terre.

Pontife de l’Église romaine, prince encore d’un État prêt à vous échapper, vous ne pouvez plus conserver et l’État et l’Église que par la possession désintéressée de ces principes évangéliques, qui respirent la plus pure démocratie, la plus tendre humanité, l’égalité la plus parfaite, et dont les successeurs du Christ n’avaient su se couvrir que pour accroître une domination qui tombe aujourd’hui de vétusté. Les siècles de l’ignorance sont passés ; les hommes ne peuvent plus être soumis que par la conviction, conduits que par la vérité, attachés que par leur propre bonheur ; l’art de la politique et le secret du gouvernement sont réduits à la reconnaissance de leurs droits et au soin de leur en faciliter l’exercice pour le plus grand bien de tous, avec le moins de dommage possible pour chacun ; telles sont aujourd’hui les maximes de la République française, trop juste pour avoir rien à taire, même en diplomatie, trop puissante pour avoir recours aux menaces ; mais trop fière pour dissimuler son outrage, elle est prête à la punir si les réclamations pénibles demeuraient sans effet.

Fait au Conseil exécutif, le vingt-trois novembre mil sept cent quatre-vingt-douze, l’an i de la République française.

Signé : Roland, Monge, Clavière, Lebrun, Pache et Garat.
Par le Conseil,
Signé : Grouvelle, secrétaire.

505
À HASSENFRATZ, [À PARIS[99].]
1er décembre an ier (1792), — [ de Paris].

506

À SERVAN, [À…[100].]
25 décembre an 1er (1795), 8 heures du soir, — de Paris.

La date n’est pas indifférente, car j’ignore ce que doit être la journée de demain[101] ; il serait possible que beaucoup de gens de bien n’en vissent pas la fin. Il y a des projets désastreux contre Louis, pour avoir une occasion d’aller jusqu’aux députés et de comprendre le ministre de l’intérieur dans ce massacre. Les avis se multiplient, et les divers renseignements attestent que le complot existe. Les mesures de prudence le déjoueront-elles ? C’est la question. J’ai fait partir ma fille pour la campagne[102] et disposé mes petites affaires comme pour le grand voyage, et j’attends l’événement de pied ferme. Nos institutions sociales rendent la vie si laborieuse pour les cœurs honnêtes, que ce n’est pas une grande perte à faire, et je me suis tellement familiarisée avec l’idée de la mort, que je vais au-devant des assassins, s’ils arrivent, persuadée d’ailleurs que s’il est une chose au monde qui puisse les détourner, c’est le calme du courage et le mépris de leurs coups : M. R. [Roland] qu’un érésipèle a la jambe retient depuis dix jours au lit ou dans sa chambre, se traînant dès le matin au Conseil, qui siège aux Tuileries, et qui sera permanent tant que Louis sera hors de sa prison[103]. Les avis d’assassinat pleuvent sur ma table, car on me fait l’honneur de me haïr, et je vois d’où cela vient. Lorsque, dans les quinze premiers jours du ministère, le scélérat Danton avec l’hypocrite Fabre nous environnaient continuellement[104] en singeant l’amour du bien et de l’honnête, ils m’ont pénétrée ; et sans que j’aie jamais rien, dit ni fait pour confirmer leur opinion, ils ont jugé que je tiens quelquefois la plume[105]. Cependant les écrits de M. R. [Roland] ont produit quelque effet. Donc, etc…

L’aboyeur Marat, lâché dès lors après moi, ne m’a pas quittée d’un moment ; les pamphlets se sont multipliés et je doute qu’on ait publié plus d’horreurs contre Antoinette, à laquelle on me compare et dont on me donne les noms, qu’on ne m’en attribue chaque jour. J’ai gardé le silence qui me convenait, sans autre réponse que ma persévérance dans mes devoirs et mon caractère ; leur rage s’en est accrue ; je suis Galigaï, Brinvilliers, Voisin, tout ce qu’on peut imaginer de monstrueux, et les dames de la Halle veulent me traiter comme Madame Lamballe.

En conséquence, je vous envoie mon portrait, car encore faut-il laisser quelque chose de soi à ses amis. Je suis bien aise de vous dire qu’après mon mari, ma fille et une autre personne[106], vous êtes le seul à qui je le fasse connaître ; il n’existe point pour le monde ni même le courant des amis.

Je ne sais trop ce que deviendra tout ceci ; mais si Paris se perd, il faut que le Midi sauve le reste.

Pache[107] détraque la machine ; c’était un excellent second et conseil pour un homme en place et à caractère, c’est le ministre le plus Jean-fesse qu’il soit possible de trouver ; l’expression est un peu révolutionnaire, mais le moyen de ne pas le devenir soi-même au milieu de révolutions continuelles et toujours graduées au plus fort ! Je ne sais où trouver un sage écrivain. Croiriez-vous que depuis que Louvet ne peut plus faire la Sentinelle[108], nous avons vainement essayé de trois personnes, et quelle est tombée, faute de faiseurs ? Prenez un peu soin de notre mémoire, lorsqu’il ne restera plus quelle ; ils sont capables de la souiller, et tiennent peut-être prêtes les impostures qu’ils viendront insérer dans nos papiers.

Presque tous nos députés ne marchent plus qu’armés jusqu’aux dents ; mille gens nous conjurent de coucher ailleurs qu’à l’Hôtel[109]. La charmante liberté que celle de Paris !

Eh bien, si vous étiez resté, nous n’en serions pas là. Du moment où les fédérés auraient été mis sous vos ordres, vous auriez pu les organiser et en faire un appui respectable ; c’était le moyen suppléant à la garde qu’on n’a pas osé appeler. Pache n’a travaillé qu’à les dégoûter, les renvoyer et les annuler. S’ils vous sauvent demain, ce sera d’eux-mêmes et en bravant la discipline[110].

En vérité ! je m’ennuie de ce monde ; il n’est pas fait pour les honnêtes gens, et l’on a quelque raison de les en déloger. Adieu, brave citoyen, je vous honore et vous aime de tout mon cœur. Je vous écrirai dans quelques jours, si la tempête ne nous a pas engloutis. Dans le cas contraire souvenez-vous de ma fille et de nos deux projets ; elle a une excellente femme que j’ai fixé près d’elle et qui me supplée[111] ; elle se rendra près de son oncle à Villefranche, pour y suivre sa destinée, ayant de ses parents de bons exemples, quelque gloire, un excellent guide et une fortune honnête. Je vous embrasse bien affectueusement.


Roland, née Phlipon.

507

AU CHANOINE DOMINIQUE ROLAND, À VILLEFRANCHE[112].
25 décembre 1792, — [de Paris].

Dans l’incertitude des événements, mon cher frère, et l’impossibilité, au milieu de leur cours, de faire toutes les dispositions que nous pourrions désirer, je ne veux pas du moins manquer à vous adresser mes embrassements et mes adieux, à vous réitérer l’expression de ma confiance dans votre amitié pour Eudora, et vous témoigner mon estime pour sa gouvernante, Mlle  Mignot, qui peut me remplacer près d’elle, qui ne doit plus la quitter, et pour laquelle nous vous prions de faire des arrangements qui mettent sa vieillesse à l’abri du besoin[113].

La journée de demain, suivant les avis qui nous viennent de toutes parts, et les dispositions préparées depuis longtemps, peut être notre dernière ; dans tous les cas, elle ne sera pas inutile au salut de la République, et notre chute apprendra aux départements quels dangers ils doivent combattre.

Adieu, mon frère ; j’ai trop peu de temps pour dépenser beaucoup de paroles : mais je suis ce que vous m’avez toujours connue, dévouée à mes obligations que j’aime, appréciant la vie pour les biens de la nature, les jouissances de la vertu, mais la trouvant assez laborieuse pour la quitter sans regret, et m’étant trop habituée à mépriser la mort pour jamais la fuir ou la craindre. Je laisse à ma fille de bons exemples, une mémoire chérie ; son père y joint quelque gloire ; il lui reste en vous et Mlle  Mignot de sages guides. Elle aura de la fortune ce qui suffit au bonheur. Puisse-t-elle juger, sentir et profiter de tout avec une conscience toujours aussi pure et une âme aussi expansive qu’auront été celles de ses parents.

508

[À LANTHENAS, À PARIS[114].]
[Fin de 1792, — de Paris.]

Il est vrai, j’ai travaillé tard, et j’ai regretté qu’on m’ait laissée dormir ce matin, car je n’ai point fini ce que je voulais faire, de même que je regrette que vous ayez attendu jusqu’au dernier instant pour ce que vous dites. Mais veuillez me l’envoyer aussitôt, et l’amitié doublera les instants.

509

[À LANTHENAS, À PARIS[115].]
[Octobre ? 1792. — de Paris.]

Voici 2,616 livres dont vous m’aviez fait remettre le compte ; je vous le rends, pour que vous ayez la complaisance de me le faire quittancer.

Je vais à la campagne[116] pour y travailler dans le silence l’objet qui doit être beaucoup plus important qu’il n’avait paru d’abord et pour lequel j’emporte des matériaux. Venez-y dîner demain ; probablement mon ami, qui m’y accompagne en ce moment, y viendra aussi. Vous y trouverez toujours votre sœur qui voudrait, à ce titre, concourir à votre bonheur et qui, parmi mille défauts, n’aura jamais du moins celui d’en imposer sur l’état de son cœur. J’ai tort, peut-être, de vous dire cela ; mais l’idée de votre affliction me fait mal, et j’ai peur de parler comme de me taire.


510

[À LANTHENAS, À PARIS[117].]
[Octobre ? 1792, — de Paris.]

Garder quinze jours le désir de voir une personne, quand on croit intéressant de lui parler pour sauver la chose publique, c’est assurément une tranquillité bien grande ! M. Rome[118] (sic) veut me voir en présence de mes amis, et qu’aucun de ces MM. de la Gironde ni Brissot n’y soit ; il voudra donc bien indiquer quels des autres amis. Ce sera demain même, à dix ou onze heures du matin ; ce sera ce soir à six heures, s’il le veut ; ce serait tout de suite, si je ne craignais que M. Rome ne voulût point se rencontrer avec les personnes que je puis voir ce matin.

Sachez le moment qu’il choisit, les témoins qu’il veut, et dites-lui bien qu’il m’aurait trouvée tout aussi empressée il y a quinze jours qu’aujourd’hui.

Ci-joint la somme, le compte et le billet que vous désirez.

Mille bonjours.


511

À LANTHENAS, [À PARIS[119].]
[Novembre ? 1792, — de Paris.]

L’idée de votre situation me poursuit, et je vous trouve bien peu de bonne foi lorsque vous me supposez jouir du mal que je puis causer, tandis que c’est la seule infortune à laquelle je sois sensible et qui m’ait causé des chagrins.

Plus je relis, plus je me persuade que vous vous êtes trompé et que vous avez pris pour un raisonnement ou une ironie dont vous pouviez être blessé ce qui était de ma part un reproche assez touchant.

Venez me voir, ou ce soir, ou de midi à deux heures ; vous savez bien que je ne serais pas tranquille si mon frère était affligé.


512

[À LANTHENAS, À PARIS[120].]
[Fin novembre ? 1792, — de Paris.]

Vos observations d’hier ont été mises à profit. Mon mari est disposé à faire quelque chose pour l’Arabe Chervi[121]. Je vous dirai cela si vous venez déjeuner chez moi.


513

[À LANTHENAS, À PARIS[122].]
[Décembre ? 1792, — de Paris.]

Vous m’avez renvoyé ma carte. Je vous croyais sorti. Je voudrais penser que vous travaillez. Je travaille moi-même et je m’en tiens à l’opinion, au soin de faire servir toutes les affections volontaires et autres, douces ou amères, à développer l’activité de l’esprit, à la tourner vers un but d’utilité.

Vos expressions, vos suppositions de mépris me déchirent ; elles sont fausses. Ce n’est point cela. Vous le sentez bien.


514

À LANTHENAS, [À PARIS[123].]
[Décembre ? 1792, — de Paris.]

Vous me désolez, car je hais de causer du mal, car je vous estime et vous suis attachée, et je redoute ou m’afflige plus particulièrement d’en causer à vous-même. Mais, eussiez-vous mille fois raison, l’empire que j’ai reconnu est établi et je ne puis plus m’y soustraire. Il n’est pas vrai que vous vouliez en moi haine ni désespoir : la première est impossible ; l’autre vous ferait mourir de regret, et d’ailleurs on ne le connaît plus que pour l’objet dominant qui seul à droit d’y porter. Vous qui invoquez la raison et réclamez contre les travers du cœur, soyez assez généreux pour être mon ami. Cet effort peut prévenir bien des maux ; mais aucun de ceux-ci ne peut changer ma destinée qu’en l’abrégeant.


515

À LANTHENAS, [PARIS[124].]
[Décembre ? 1792. — de Paris.]

Oui, je vous ai parlé ce matin avec un accent que vous avez dû trouver nouveau ; mais, lorsque je vous ai si bien témoigné à quelle occasion se développait le sentiment qu’il exprimait, je ne puis m’étonner assez de vous en voir chercher si loin la cause. Cette histoire des comptes est ridicule, et je ne songe à rien de semblable. Quant à l’époque de votre association[125] elle fut celle d’une conduite à jamais blâmable en amitié, et, si j’y fus si sensible alors, c’est qu’elle me paraissait vraiment répréhensible et que je n’accordais point ce procédé avec la franchise d’une âme honnête.

Vous l’avez expliqué depuis d’une manière qui, si elle ne compromet pas vos intentions, prouve un caractère très particulier. Mais je ne vous en aurais jamais parlé, si vous ne le rappeliez. Quant à ces derniers temps, je ne vois pas de quelle injustice vous pouvez vous plaindre : je vous prouvais de l’estime, de l’amitié, de la confiance, et certainement, si vous vous êtes retiré parce que j’accordai ces sentiments à qui ne vous plaisait pas, vous avez été le maître, mais vous n’avez pas droit de le trouver mauvais. Lorsque votre aveuglement à cet égard va jusqu’à manifester votre mécontentement à des tiers, vous manquez à la confiance que je vous avais donnée, vous manquez à la délicatesse, à l’honnêteté ; je ne vois plus qu’une âme vulgaire en proie à des sentiments que je ne veux pas qualifier, mais que je méprise. Voilà ce que vous avez vu ce matin, lorsque j’ai été confirmée dans l’opinion de ce que vous aviez dit ; voilà ce que je confesse aussi hautement que tous mes sentiments, car il n’en est pas un que je ne puisse avouer, quoique je n’ignore pas combien les travers et les corruptions du monde peuvent mal les interpréter.

Assurément, je connais trop bien ce monde pour mettre beaucoup de prix à vivre au milieu de lui. Les assassins[126] ne me paraissent point plus redoutables qu’ils ne vous semblent.

J’aurais beaucoup à dire sur votre propre éloignement et les manifestations de vos opinions politiques, et ce blâme continuel des nôtres ; je ne sais ni pourquoi ni comment on peut[127]… établir des reproches d’abandon… quand on se montre ainsi soi-même,… mais tout se tient et rien ne m’étonne plus.


516

À M. LANTHENAS,
député à la convention, [à paris[128].]
[Décembre ? 1792, — de Paris]

Injuste comme la passion, irritée comme l’envie, votre lettre serait atroce si ce n’était l’ouvrage de l’égarement, et elle vous rendrait haïssable à quiconque vous connaîtrait moins que je ne fais. Vous voulez juger ce que vous ne connaissez pas, et vous n’avez tracé que des injures ; je vous plains et vous pardonne.

Mais soyez tranquille sur le soin que je puis prendre de ma vertu ; elle ne dépend ni de vous, ni de personne, pas plus que mon estime ne dépend de votre jugement, ni mes affections de votre-volonté.

Méritez de votre pays, comme je saurais toujours mériter de l’humanité, et ôtez la poutre de votre œil avant de vous employer à retirer la paille qui est dans celui de votre frère.

Je parlais ce matin de générosité à votre cœur, j’invoque actuellement la justice pour votre propre paix : croyez que l’une et l’autre vous serviront mieux pour le bonheur et l’amitié.

Quoi qu’il en puisse être, je ne me départirai point de cette dernière à votre égard, car l’usage de mon indépendance n’est pas pour moi la rupture des liens sacrés de l’estime et de la reconnaissance ; et, sans prétendre vous débiter jamais des préceptes ou vous faire des prédictions, je saurai, même dans mes erreurs, vous offrir des exemples.

Venez-vous dîner aujourd’hui, pour les autres du moins ?


517

[À LANTHENAS, À PARIS[129].]
[Décembre ? 1792, — de Paris.]

Justice et fierté s’indignent de vos excès, mais l’amitié les pardonne, parce qu’elle les attribue à un égarement qu’elle regrette et voudrait vous épargner.

Si vous vous sentez capable de venir chez moi et d’y être ce que vous devez, je vous recevrai avec l’affection que vous méritez. Mais je vous préviens que je ne souffrirai pas une troisième scène. Je sais tout ce que je dois à l’amitié, mais je suis incapable de rien accorder à aucune espèce de crainte, la mort dût-elle s’y trouver, car je sais aussi ce qui m’est dû et je ne souffre pas qu’on l’oublie.

Votre touchante douleur de ces jours passés vous méritait les consolations de l’amitié ; je veux vous taire, par égard, l’effet de votre disposition contraire, et si vous me connaissez bien, vous devez le juger assez.

518

[À LANTHENAS, À PARIS[130].]
[Décembre ? 1792, — de Paris.]

…J’ai trop de courage pour avoir besoin d’en montrer, j’estime trop peu la vie pour me soucier de la conserver ou de la perdre ; il y a même plus, je la trouve si laborieuse pour les gens de bien, que je ne serais pas fâchée d’en voir abréger le terme, et j’aurais peut-être une sorte de volupté à le voir approcher. Je connais assez les hommes pour ne rien attendre de leur justice ; je n’en ai que faire ; ma conscience me tient lieu de tout… Assurément, la fin de la Révolution n’est pas bien claire, et ce qu’on appelle des partis seront bien jugés par la postérité ; mais j’ai la persuasion que mon mari y trouvera sa gloire, et le pressentiment quelle sera payée de notre vie. Peut-être faut-il des victimes pures pour appeler le règne de la justice. Pourtant je ne m’éloignerai jamais de mon mari, je partagerai sa destinée et je mourrai comme j’ai vécu, ne pouvant trouver de bonheur que dans mes devoirs, quoiqu’ils me coûtent souvent à remplir[131], et retournant avec délices à la nature qui, dans nos tristes sociétés, semble n’avoir plus d’asile que le tombeau…

    d’où il tirait la pièce, cette lettre avait figuré sous le n° 991 à la vente Fossé-Darcosse (12 décembre 1861). J. Techener, expert (L. aut. à Lanthenas, 3 pages in-12, cachet aux initiales M.J.P. entrelacées et la devise : Sensible et fidèle, – avec extrait). C’est sans doute l’acquéreur qui la communiqua à M. Faugère en 1864. M. Dauban la publia à son tour en 1867 (II, 590-591), en mentionnant qu’il en devait la communication à M. Bixio, mais en laissant échapper diverses inexactitudes de transcription. — Il y a une copie de cette lettre aux Papiers Roland, ms. 9533, fol. 283. Nous donnons notre texte d’après la copie que M. Villard, gendre de M. Bixio, et possesseur actuel de l’autographe, nous a gracieusement envoyée. D’après sa description, elle n’est ni signée ni datée, mais elle porte pour suscription : « Monsieur Lanthenas ».

    départements voisins pour fournir trente mille hommes armés, destinés à renforcer l’armée de Luckner. Un autre décret réquisitionnait, pour les citoyens allant aux frontières, les fusils distribués aux départements de l’Intérieur.

    restituons à cette lettre. La question a son importance historique. C’est pour avoir cru que la lettre était du mois d’août que M. Hamel a reporté à cette date la rupture entre Robespierre et les Roland.

    puisque ce n’est que le 23, à 11 heures du soir, que Dumouriez et Brissot vinrent annoncer à Roland sa nomination définitive. À moins qu’elle n’ait écrit sa lettre dans la nuit.


    Dans les marges de l’autographe, on lit ces mots, de l’écriture de Champagneux, et qui sont comme la minute de sa réponse à ses amis :

    « Engager le Roi à diminuer ses dépenses… Me voilà réconcilié avec pouvoir exécutif… Madame, le choix éclairé qu’il vient de faire me le fait croire converti. Personne, hors vous-même qui connaissez l’homme, n’a aussi bien senti le présent qu’on nous fait… Vous donnerez l’exemple d’un ministre dont la dépense… »

  1. Nous avons déjà dit (p. 390) que le traitement de Roland était de 5,600 livres, dont 600 payées par la ville de Lyon à titre d’indemnité de logement. Mais il convient d’ajouter ici que Roland, en fait, n’avait jamais touché cette indemnité, et qu’en 1791 il fit l’abandon de sa créance à la commune (Wahl, p. 346).
  2. Voir la Révolution française de juillet 1899.
  3. Girardot, p. 7. — Ms. 6243, fol. 57-58, pièce datée de « Paris, décembre 1791. » — Une autre copie, commencée de la main de sa femme, continuée par lui, et datée du 20 février 1792, se trouve au ms. 9532, fol. 240-205.
  4. Mémoires, I, 67 et 240 ; — interrogatoire de Madame Roland, du 1er novembre 1793 (Arch. nat., W 294, dossier 227, cote 28, — et Mémoires', I, 407) ; — Correspondance, lettres 467 et 469 ; — Souvenirs de Sophie Grandchamp, loc. cit. — Le journal projeté est sans doute celui que Panckoucke fit annoncer dans le Moniteur des 28 février et 1er mars 1792.
  5. Ms. 6241, fol. 283.
  6. Des 19 mai 1790 et 7 avril 1791.
  7. Voir sur ce salon de Mme  Dodun la lettre 490. — Cf. Aulard, Les orateurs de la législative, I, 148. — Roland, ministre fréquentait encore la maison en septembre 1792 (Buchez, XXVIII, 75).
  8. Mém."", I, 67-68. — Cf. le récit de Mme  Grandchamp, non concordant sur quelques détails secondaires, mais si curieux et si vrai comme impression générale.
  9. Sulpice Imbert, comte de La Platière, compilateur du temps, qui avait en effet publié, vers 1786, une Galerie universelle des grands hommes (Quérard, Fr. litt.)
  10. Louvet affirme (Mémoires, éd. Aulard, I, 46-49) qu’on songea aussi à lui.
  11. Voir Patriote du 15 mai 1792.
  12. Voir au Moniteur du 23 mai, la harangue des nouveaux administrateurs des Postes à l’Assemblée nationale (séance du 31 mai).
  13. Voir lettres 478 et 481 ; — cf. Mémoires, I, 279 ; — Champagneux, Disc. prélim., p. xxxiii.
  14. Citons seulement Louvet, amené chez Roland par Lanthenas (Mém. de Louvet, I, 50), et qui fonda alors la Sentinelle, vers la fin d’avril 1792, pour soutenir la politique du ministère brissotin. (C’est par erreur qu’on fait remonter au 1er mars l’origine de cette feuille célèbre.)
  15. On en trouvera le texte dans les Lettres et pièces intéressantes pour servir à l’histoire du Ministère de Roland, Servan et Clavière, Paris, 1792, p. 1792, p. 43-49. Elle ne fut pas envoyée (ibid, p. 5). — Voir ce qu’en dit Madame Roland, Mémoires, I, 73.
  16. Lettres et pièces intéressantes, etc…, p. 48-53. — Le brouillon autographe est au ms. 9534, fol. 429-429.
  17. Lettres à Bancal, p. 341 ; — ms. 7534, fol. 178.
  18. « Je fis la fameuse lettre » (Mém., I, 253.)
  19. L’expression, on l’a bien remarqué, est toute moderne ; mais on disait déjà alors « la députation de la Gironde ». (Voir Patriote du 20 mai 1792 et passim)
  20. Mém. de Barbaroux, p. 331 et 336, et surtout 339, où l’on voit que Roland était au courant de la marche du bataillon Marseillais sur Paris.
  21. De Goncourt, Société française pendant la Révolution, p. 189 : « Avant le 10 août le caveau (au Palais-Royal) est le lieu de réunion des Fédérés, et Lanthenas les y régale de bière et de liqueurs (Journal à deux liards) »
  22. Elle déclare toutefois (Mém., I, 296) que Roland a ignoré la lettre de Gensouné à Louis XVI. Mais il résulte de l’inventaire des papiers de Roland, fait en avril 1793 (rapport de Brival, dans buchez et Roux, XXVIII, 75), qu’il avait conservé les originaux des lettres ou adresses envoyées à Louis XVI, en juin 1792, pour réclamer impérieusement son rappel.
  23. Ou tout au moins la suspension. (Voir, au n° 491, l’analyse faite par Sainte-Beuve de la lettre du 31 juillet à Brissot.)
  24. Voir, sur les bureaux de Roland, les Mémoires, t. I, p. 41-46 et 146. — Cff. L’extrait des Mémoires de Champagneux que nous avons publié dans la Revue historique de janvier 1877. — Voir aussi, dans la Correspondance, la lettre 554.
  25. Nous reproduisons tels quels les soulignements du manuscrit autographe.
  26. Ms. 9533, fol. 163-164.
  27. Ce journal, dont panckoucke devait être l’éditeur (Souvenir de Sophie Grandchamp, Révol. franc. du 14 juillet 1899), devait d’appeler le Journal des Arts utiles (Mém, t. I, 67). La nomination subite de Roland au ministère lui fit abandonner ce projet : « Il avait sous presse un Journal des Arts, dont il allait s’occuper uniquement », écrit Madame Roland à Champagneux, le 23 mars 1792. Nous présumons que c’est la publication annoncée par Panckoucke dans le Moniteur des 28 février et 1er mars 1792, et qui passe alors en d’autre mains (voir Moniteur du 4 avril).
  28. Madame Gosse, née Louise Agasse, était « la fourmi de la maison ». (Biogr. Michaud, art. Gosse.)
  29. Bosc.
  30. Ms. 9533, fol. 302 v°. (Souvenirs de Sophie Grandchamp.)
  31. Il y a Gohier dans le texte. C’est une erreur évidente de transcription.
  32. Ms. 9533, fol. 145-146 ; déjà publiée par M. Faugère. (Mém., introd., I, p. xv.).

    Madame Roland, bien qu’elle date sa lettre du 23, a dû ne l’écrire que le 24.

  33. Voir Avertissement.
  34. Champagneux était devenu de plus en plus le véritable chef de la municipalité de Lyon. En décembre 1791, il avait été élu substitut du procureur de la commune, puis procureur le 24 janvier 1792 (Wahl, 449). Il était alors engagé, avec Charlier (!), dans la lutte très vive contre les directoires du département et du district, dont les tendances étaient plus modérés (voir Wahl, 429-486 et ms. 6241, fol. 160-196).

    Vitet avait été réélu maire de Lyon le 21 décembre 1791.

  35. Lettres à Bancal, p. 339 ; — ms. 9534, fol. 176-177.

    Bancal, qui était encore à Paris le 11 mars (Aulard, III, 432), venait de retourner à Clermont (Mège, p. 50). — Sur la date de cette lettre, même observation que pour la précédente.

  36. Le marquis de Grave, maréchal de camp, avait succédé à Narbonne le 9 mars. (Il est surprenant que Madame Roland l’annonce à Bancal, qui était encore à Paris le 11.) Démissionnaire le 8 mai, il émigra à Londres et, de là, adressa au Roi, le 8 août, une lettre compromettante qui, arrivant à Paris après le 10, dut être saisie [Elle se trouve aujourd’hui aux Papiers Roland, ms. 9532, fol. 232-234). C’est pour cela sans doute que Cambon le fit décréter d’accusation le 27. Il mourut pair de France en 1823. — Voir sur lui les Mémoires, I, 70-71 et 267.

    Sue Jean de Lacoste (1730-1820), ministre de la Marine le 15 mars, démissionnaire le 10 juillet, voir les Mémoires, I, 71 et 269.

    Germain Garnier (1754-1821) avait été député suppléant du Tiers de Paris pour les États généraux, puis un des chefs du « Club des Impartiaux ». Il était alors membre du département de Paris.

  37. Lettre publiée par M. Faugère, Mémoires, t. II, p. 313-323. — La copie se trouve au ms. 9533, fol. 166, avec cette note : « Communiqué par M. Baudin ».
  38. Papiers Roland, ms. 9533, fol. 216-217, copie. — L’original a passé par les ventes d’autographes (n° 906 de la vente des 31 janvier 1854 et jours suivants, Laverdet, expert ; n°399 de la vente du 19 novembre 1863, Charavay, expert. — La copie porte l’indication suivante : « N° 18 de la collection de M. Clauss, à Leipzig ».

    Nous croyons que la lettre est adressée à Robespierre, parce que l’expression « à la tête de la classe des sages patriotes » ne peut guère, à cette date et sous la plume de Madame Roland, s’adresser qu’à lui ou à Brissot. Or, le tour et le ton de la lettre excluent Brissot, un vieil ami, et qui avait fait Roland ministre.

    On lit d’ailleurs en tête de la copie figurée, tirée de la collection Clauss : « Lettre de la femme Roland », et une note du copiste déclare que ces mots paraissent avoir été écrits presque en même temps que la lettre elle-même. On peut donc présumer qu’ils ont été écrits par le destinataire et que ce destinataire n’était pas un des amis des Roland.

    Notons, d’autre part, que cette lettre a fait partie un instant de la collection Coste, de Lyon, dont le catalogue (n° 16122) la cite tout entière, en ajoutant les indications suivantes : « Aut. sign., in-8o, 2 pages. On croit cette lettre adressée à Robespierre ; elle a été trouvée dans les papiers de Couthon. »


    On sait que la collection Coste a été réunie à la bibliothèque municipale de Lyon, où elle forme un fonds particulier. Mais entre la publication du catalogue et la réunion de la collection à la bibliothèque, un certain nombre d’autographes durent être vendus isolément et dispersés, car, des trois lettres autographes de Madame Roland que signale le catalogue, une seule (la lettre 366) se retrouve aujourd’hui à cette bibliothèque.

  39. Collection Alfred Morrison. — La date et la destination de la lettre résultent de son rapprochement avec celles qui suivent.
  40. Ce billet et ceux qui suivent nous montrent Bosc boudant à la foir Mme  GrandChamp et Madame Roland. Était-ce la brouille de septembre 1791 qui durait encore ? C’est peu probable, car Bosc écrivait à Bancal, le 21 novembre 1791 (coll. Beljame) : « Nos amis de Lyon seront ici au commencement de décembre. Je les attends avec impatience. » Il semble donc qu’il y aurait eu une première réconciliation, puis une brouille nouvelle.
  41. Collection Alfred Morrison. — L’adresse, inscrite sur le deuxième folio, est de la main de Madame Roland ; de même, le deuxième paragraphe. Quant au premier paragraphe, il est d’une autre écriture, évidement celle de Mme  Grandchamp.

    La date que nous assignons à ce billet ressort nécessairement de la date du suivant.

  42. C’est-à-dir rue des Prouvaires, et non à l’Hôtel des Postes.
  43. Collection Alfred Morrison, 1 folio.
  44. Collection Alfred Morrison, 1 folio.
  45. L’Hôtel Britannique. « Ailleurs », c’est au ministère de l’Intérieur, alors installé à l’ancien Hôtel du contrôle-Général, rue Neuve-des-Petits-Champs, que Calonne avait somptueusement restauré.
  46. Collection Alfred Morrison, 1 folio. — Comme on le voit, ce billet est encore écrit de l’Hôtel Britannique.
  47. Collection Alfred Morrison. – R.b.p. désigne évidemment Robespierre. La lettre n’est pas datée. Il semble qu’elle doive se placer entre la lettre adressée par Madame Roland à Robespierre, le 27 mars, pour lui demander un entretien, et la lettre qui suit (du 25 avril) où elle lui dit : « Rappelez-vous ce que je vous exprimais la dernière fois que j’ai eu l’honneur de vous voir : Soutenir la Constitution, la faire exécuter avec popularité… ».

    On voit que ce billet marque la fin de la brouille avec Bosc. Il convient donc de le placer au commencement d’avril, puisque nous savons par une lettre de Bosc à Bancal du 12 avril (citée dans l’Avertissement), qu’à cette date il avait revu les Roland.

  48. Collection Alfred Morrison.
  49. Voir, sur les réceptions de Madame Roland au ministère de l’Intérieur, Champagneux, Disc. prélimin., p. xxxiii-xxxvi ; Lemontey, cité par Dauban, Étude, p. cxxxv : Souvenirs sur Mirabeau, d’Étienne Dumont, p. 393-398 et 405. — Elle dira plus loin (lettre 481) qu’elle choisit définitivement les lundi et jeudi. Mais il semble bien, par les billets à Dulaure que nous avons cités dans l’Avertissement, qu’elle s’en soit tenue aux lundi et vendredi.
  50. Papiers indédits trouvés chez Robespierre, etc., 3 vol. in-8o, Paris, Baudouin frères, 1828, t. I, p. 305. Ce ouvrage donne la date suivante : « Paris, 25 août 1792, au soir ». M. Dauban, t. II, p. 592, a transcrit « 23 août » ; mais le fac-similé de la lettre autographe, que nous avons vu à la bibliothèque municipale de Lyon, fonds Coste, n° 14925 bis, donne très lisiblement « Paris, 25 avril 1792, 10 ». On ne s’expliquerait pas d’ailleurs cette lettre en août, époque où la rupture entre Robespierre et ses anciens amis de 1791 était consommée depuis plusieurs mois. On la conçoit, au contraire, fort bien en avril, après la constitution du ministère girondin, après la déclaration de guerre à l’Autriche (20 avril), et au moment même de cette orageuse séance du 25 avril (Aulard, t. III, p. 524-536), où l’on vit aux prises Brissot, Guadet et Robespierre. — Voir d’ailleurs l’Avertissement de 1792.
  51. « La Cour et les intrigants dont la Cour se sert », avait dit Robespierre aux Jacobins, le 20 avril (Aulard, t. III, p. 518), dans un discours plein d’insinuations perfides contre le ministère. Ce rapprochement seul suffirait à justifier la date que nous
  52. Collection Alfred Morrison. — Ce n’est que très approximativement que nous donnons, par hypothèse, la date d’avril 1792. Il n’en semble pas moins que cette lettre est des premières semaines du ministère de Roland.
  53. Sand doute le forte-piano que, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1793, un des commissaires qui arrêtèrent Madame Roland voulait mettre sous scellés (Mém., t. I, p. 21). alors célèbre par la belle résidence du duc d’Orléans et par les conciliabules qui s’y tinrent autour de ce prince, et qui est aujourd’hui un des plus beaux quartiers de la ville. Nous voyons aussi que Madame Roland allait là quelquefois respirer un peu chez cet ancien ami de sa jeunesse. – Cf. Rapport de Brivel sur les papiers trouvés chez Roland (Buchez, t. XXVIII, p. 75) : « lettre de Roland à sa femme, écrite par lui au milieu de septembre [1792], alors qu’elle était à Mousseau ». [On disait indifféremment Mousseaux ou Monceaux.]
  54. Su Gibert, voit note du 19 novembre 1785. — On sait qu’il était, comme Bosc, employé des Postes. Il en devint, comme lui, administrateur en mai 1792. Nous voyons par ce billet qu’il habitait à Monceaux, ce village de la banlieu de paris.
  55. Collection Alfred Morrison. — Il y a, sur le billet : « Monsieur Bosc ».
  56. Collection Alfred Morrison.
  57. Collection Alfred Morrison.
  58. Ms. 9533, fol. 209. — M. Faugère en a donné cinq lignes dans son édition des Mémoires (t. I, p. 73). — Une note de l’autographe dit : « Lettre de Madame Roland au général Servan ». Nous n’avons pas besoin de rappeler que l’an 4e de la Liberté, dans la manière de compter d’alors (en partant de la prise de la Bastille), correspond à 1792.
  59. De Grave, ministre de la Guerre, venait de donner sa démission (8 mai), et Servan le remplaçait. Nous avons ici la preuve que c’est Madame Roland qui l’a « voulu ». Elle le connaissait depuis 1790 (voir lettre 396) par Brissot (ms. 9534, fol. 54).

    Servan, envoyé avec Roland et Clavière le 13 juin, rappelé au Ministère le 10 août, démissionnaire le 3 octobre, et nommé alors au commandement de l’armée des Pyrénées-Orientales, fut destitué le 4 juillet 1793 et incarcéré à l’Abbaye. Il échappa cependant à la Terreur, reprit du service et mourut en 1808.

  60. Cf. Mémoires, t. I, p. 69 et 249-251. « Le Conseil n’était plus qu’un café où l’on s’amusait à des bavardises… »
  61. Ms. 9533, fol. 211. — M. Faugère en a donné quelques lignes dans son édition des Mémoires (I, 268). Il avait acquis l’autographe à la vente du 7 avril 1864, Charavay, expert. Une note de l’autographe dit : « Lettre de Madame Roland au général Servan ».
  62. De Grave, auquel Servan succédait.
  63. Collection Alfred Morrison.
  64. Pour lui annoncer sa nomination d’administrateur des Postes. Cuvier, dans sa notice sur Bosc, dit que Bosc fut nommé le 11 mars 1792 ; il est évident, qu’il faut lire 11 mai. Ce ne peut être le 11 mars, d’abord parce que Roland n’était pas encore ministre à cette date, ensuite que dans le billet n) 474, qui est indubitablement du 27 mars, l’adresse porte encore : « À Monsieur Bosc, secrétaire de l’Intendance des Postes ». D’autre part nous avons établi, dans l’Avertissement de 1792, que le renouvellement du directoire des Postes, et par suite l’élévation de Bosc à l’importante fonction d’administrateur, est bien du 11 mai. Bosc écrit à Bancal (collection Beljame, lettre déjà publiée par M. A. Rey), le 14 mai 1792 : « Vous avez appris, mon cher, l’aventure qui m’est arrivée. Il s’agit actuellement d’en profiter pour le plus grand bien de la nation et des patriotes qui la composent. Il s’agit de désaristocratiser la Poste et de lui rendre la confiance dont elle doit jouir… » Ainsi l’événement est tout récent, ce qui permet de le fixer au 11 mai et explique ce billet du 10.
  65. Lettre données par M. Dauban, La démagogie en 1793 à Paris (Plon. 1868, 1 vol, in-8o), p. 150.
  66. Lettre publiée en 1864 par M. Faugère, dans son édition des Mémoires (I, 353), et par M. Marcellin Boudet, dans son étude sur Dulaure (Mémoires de l’Académie de Clermont-Ferrand, t. XIV, 1872, p. 295). – M. Faugère la date du « 18 mai an ii ». Mais M. Marcellin Boudet, qui avait en main les papiers de Dulaure et qui avait communiqué la lettre à M. Faugère, la date du 18 mai 1792. Il est probable que l’autographe portait « an iv » (ce qui correspond bien à 1792 dans le style du temps), et que M. Faugère aura mal lu. S’il fallait accepter an ii et le traduire en style républicain, cela nous porterait au 18 mai 1794, plus de six mois après la mort de Roland !

    Jean-Antoine Dulaure (1755-1835), député du Puy-de-Dôme à la Convention, est bien connu par ses nombreuses et très diverses publications. Son journal, le Thermomètre du jour (11 août 1791-25 août 1793), fut soutenu par Roland. — Voir ms. 6243, fol. 156 et 158 ; cf. compte rendu par Roland des 100,000 livres mises à sa disposition, n° 23, 42, 47 (Barrière, II, 429-436) ; cf. Hatin, p. 217-218, et Tourneux, 10699.

    À l’Assemblée, Dulaure marche le plus souvent avec les Girondins, mais sans s’enchaîner à eux. Oublié sur la liste de proscrits du 3 octobre, mais décrété d’accusation le 20, il put gagner la Suisse et fut rappelé à la Convention le 8 décembre 1794.

    Sur l’appui courageux qu’il donna à Madame Roland en 1793, on trouvera des détails dans nos notes de la lettre 531.

  67. Lettres à Bancal, p. 350 ; – ms. 9534, fol. 187-188. – Ce billet n’est pas daté, mais il est postérieur au 30 mai 1792, puisque Bancal est à Paris, où Roland l’a rappelé par sa lettre de ce jour-là, et antérieur au 10 août, puisque Louis XVI est encore roi.

    On ne peut songer à le placer en 1791, car, dans le rapide séjour que Bancal fit alors à Paris (premiers jours de juin), Vergniaud n’y était pas encore.

    Dès lors, il est certain qu’il doit être du 7 juillet 1792, le dernier jour où Louis XVI ait paru en roi à l’Assemblée, à la suite de la célèbre séance où l’appel de Lamourette avait, pour quelques heures, réconcilié les partis. L’amère et injuste parole de la fin, à l’adresse de Vergniaud, vise l’éloquent discours prononcé par lui le 3 juillet et dont la modération satisfait mal les ressentiments de Madame Roland.

  68. Les Annales patriotiques et littéraires de Mercier et Carra, du 7 juillet, ne contiennent rien qui ressemble à des « projets ». Mais on trouve, au n° du 9 juillet, sous la signature de Carra, tout un plan d’insurrection légale en dix articles. C’est très probablement ce qu’annonce ici Madame Roland. Il faudrait en conclure qu’elle avait connaissance, dès le 6 au plus tard, de ce programme et qu’elle comptait le voir paraître dans le numéro du 7.
  69. Nous avons parlé, dans l’Avertissement, des réunions qui se tenaient chez Mme  Dodun, place Vendôme, n° 5. Nous avons peu de renseignements sur elle et sur son mari. Ce dernier était-il de la famille du Dodun qui fut contrôleur général de 1724 à 1726 ? Il semble que les Dodun fussent une famille de riches financiers. L’un d’eux étati directeur des fermes à Lorient et administrateur de la Compagnie des Indes (Alm. royal de 1789, p. 557-559 et 572). Nous trouvons aussi des Dodun en Languedoc au XVIIIe siècle. Celui qui habitait place Vendôme prenait la simple qualité de « bourgeois de Paris » (Tuetey, II, 2078), mais possédait en 1789 la charge de premier lieutenant des chasses royales (Alm. royal de 1789, p. 455), charge où il avait pour collègues des hommes riches, tels que Beaumarchais, de Vin de Galande, etc… – Étienne Dumont, dans ses Souvenirs sur Mirabeau, donne de précieux détails sur les déjeuners et les réunions de cette maison. Madame Roland, sans nommer Mme  Dodun, la désigne ainsi (Mém., I, 242) : « Une femme honnête, opulente, qui pouvait, sans se gêner, leur prêter [aux amis de Vergniaud] un appartement commode, dont ils étaient libres de se servir même en son absence. »

    Ducos demeurait aussi avec Vergniaud chez Mme  Dodun. Mais pourquoi Madame Roland demande-t-ell si Vergniaud « sera chez Mme  Dodun » ? L’indolent orateur manquait donc parfois à ces réunions ?

  70. Collection Alfred Morrison.
  71. « Antoine Lemaire, commis aux Postes, rue Guénégaud, n° 20 ; 32 ans, électeur de la section des Quatre-Nations (depuis de l’Unité) », Alm. nat. de 1793, p. 374. Membre du club des Jacobins dès décembre 1790. « Lemaire, rue Guénégaud, n° 20 » (Aulard, I, lx). Il resta l’ami de Bosc, qui écrivait à Champagneux, de Bordeaux, en 1796, au moment de s’embarquer pour les États-Unis : « Tout le monde m’abandonne. Je n’ai encore reçu que deux lettres de Lemaire » (ms. 6241, fol. 309-310).

    C’est lui qui inaugura dans le journalisme le type du « père Duchêne », dans des séries de pamphlets de 1789 à 1792, dont M. Tourneux (nos 11486 et suiv.) donne la liste : « Les vitres cassées par le véritable père Duchêne ». — « Lettres bougrement patriotiques du véritable père Duchêne. » — « L’ami des soldats, par l’auteur des Lettres bougrement patriotique », etc. Cf. Hatin, p. 192-192. — D’après Quérard (France littéraire), il serait né à Montargis, le 30 novembre 1758 (ce qui lui donnerait, en 1793, 34 ans et non 32), et aurait été, après la Terreur, archiviste du Directoire.


    C’est le 16 août 1792 que Lemaire avait commencé la publication d’un journal, Lettres du père Duchêne » (voir Tourneux, 10796), et, comme on le voit, c’est aussitôt alors que Madame Roland le met en réquisition. Il faut sans doute rapporter au même moment l’« Adresse à la jeunesse française, etc. », appel aux armes, signé : « Lemaire, commis aux Postes, auteur de la Trompette du vrai père Duchêne et rédacteur du Courrier de L’Égalité » (Tourneux, 8575).

    Lemaire, ami de Bosc et de Louvet, et qui, sous le Directoire, reparaît comme imprimeur et journaliste, mériterait une notice plus étendue. Il suffit ici de monter son rôle en 1792, ses rapports avec les Roland, et de constater l’intervention de Madame Roland pour mettre la presse populaire en mouvement.

  72. Ms. 9533, fol. 219-220. — Bernardin de Saint-Pierre était Intendant du Jardin des Plantes depuis le mois de juillet précédent. Rappelons que Bancal, dans son séjour à Paris avant la Révolution, avait eu avec lui des relations d’affaires et en même temps d’amitié (Mège, p. 7-8 ; collection Picot).
  73. Lettres à Bancal, p. 342 ; — ms. 9534, fol. 179. — Bancal, répondant à l’appel que lui avait adressé Roland le 30 mai, était arrivé à Paris le 6 juin (Mège, p. 54). Il en était reparti le 20 août (ibid, p. 57).
  74. Décret du 27 août mettant en réquisition les gardes nationales de Paris et des
  75. Le Conseil exécutif avait eu l’idée, surtout après le rappel de l’ambassadeur anglais (23 août), d’envoyer une mission en Angleterre pour « connaître l’impression produite sur les libéraux anglais par les derniers événements accomplis en France » et « influencer l’opinion de l’autre côté de la manche. » (Mège, p. 57). Bancal, « dont les relations à Londres étaient connues », fut choisi, avec l’abbé Noël, pour cette mission (voir, dans Mége, la lettre du ministre Lebrun à Bancal, datée du 26 août). Mais Bancal préparait son élection à la Convention, où il fut élu le 7 septembre ; Noël partit seul (voir Frédéric Masson, Le département des Affaires étrangères pendant la Révolution, Paris, Plon, 1877, in-8o ; Danton émigré, par le docteur Robinet, Paris, Lesoudier, 1887, in-8o.
  76. Lettres à Bancal, p. 343 ; — ms. 9534, fol. 180-181.
  77. Bancal s’était rendu à Riom pour l’assemblée électorale du Puy-de-Dôme (élection à la Convention). Il en fut nommé secrétaire, puis, le 7 septembre, élu député, le septième sur douze (Mége, p. 58).
  78. Voir dans les Mémoires, I, 102-102, le récit de cet incident.
  79. Voir, sur ce projet de transférer le gouvernement hors de Paris, tous les historiens de la Révolution, et en outre le discours de Fabre d’Églantine aux Jacobins, du 5 novembre 1792 (Aulard, t. IV, p. 402 ; cf. Buchez, XX, 238).
  80. Lettres à Bancal, p. 346 ; — ms 9535, fol. 181 bis-182.
  81. Sur ce mandat d’arrêt lancé contre Roland, le 4 septembre semble-t-il, par le Comité de surveillance de la Commune de Paris, les témoignages surabondent. C’est Danton qui le fit déchirer.

    Le mandat d’arrêt contre Brissot est fort vraisemblable, mais il y a moins de témoignages. Nous avons du moins celui de Brissot (Mém., t. IV, p. 299) : « Un mandat d’arrêt ce jour même du 21 [lire 2] septembre, mandat réduit ensuite à un simple examen de papiers… »

  82. C’est la première fois que nous rencontrons le nom de Guadet, député à la Législative, puis à la Convention, guillotiné à Bordeaux le 19 juin 1794. Dès son arrivé à Paris, il s’était fait recevoir à la Société des Jacobins (Aulard, t. III, séance du 9 octobre 1791 ; il y a Giradet, mais il faut évidemment lire Guadet) et n’avait par tardé à y prendre une grande influence. Mais nous avons vu que, dès le 25 avril 1792, il y avait eu rupture éclatante entre Robespierre et lui, et c’est Robespierre qui était demeuré le maître aux Jacobins.
  83. Nous voyons apparaître ici cette idée de la garde départementale, qui acheva de brouiller les Girondins avec Paris. Dès le 23 septembre, Roland terminera un rapport à la Convention en lui demandant de s’environner d’une force armée et imposante fournie par les 83 départements. Buzot, le lendemain fera voter le principe, et, le 8 octobre, lira son rapport sur cette question. Elle n’aboutit pas.
  84. Ms. 9533, fol. 242, copie. — Une note, de la main de M. Faugère, dit : « Copié sur l’original appartenant à M. Sensier ». — L’original, après avoir appartenu à la collection Lucas de Montigny (vente du 30 avril 1860 et jours suiv. no 2542), avait passé, en effet, à M.A. Sensier (catalogue de sa vente, no 336, 11-13 février 1875), et, de là, dans la collection Alfred Bovet (no 310).
  85. L’Hôtel du ministère.
  86. Lettres à Bancal, p. 347 ; — ms. 9534, fol. 183.
  87. Lettres à Bancal, p. 349 ; — ms. 9534, fol. 184. — Bancal venait d’être élu député à la Convention, le 7 septembre, par ses concitoyens du Puy-de-Dôme, et Thomas Paine avait été élu le 8. Un autre ami de Madame Roland, Buzot, avait été élu dans l’Eure le 2 septembre, et elle lui avait écrit, probablement dans le ton des lettres qu’on vient de lire. « L’incivisme marqué de Buzot date du 13 septembre, — dit Duroy à la Convention, le 13 juin 1793, — à cette époque, il reçut une lettre de la femme Roland (on rit) ; il m’en donna lecture ; la femme Roland se plaignait que la Commune révolutionnaire avait lancé un mandat d’arrêt contre le vertueux Roland. » (Moniteur du 15 juin 1793.)
  88. Roland allait être élu dans la Somme, à la suite d’incidents compliqués. Les électeurs, ayant à remplacer deux députés démissionnaires, en avaient en même temps révoqué deux autres à peine élus, et les avaient remplacés par Héraut-Séchelles et Roland. Héraut-Séchelles opta d’ailleurs pour un autre département, et Roland, après avoir écrit à la Convention, le 25 septembre, qu’il acceptait ce mandat et donnait sa démission de ministre, — ce qui provoqua l’orageuse séance du 29 septembre, où Danton mit en cause Madame Roland, – se ravisa et écrivit à l’Assemblée, le 30 : « Je reste au ministère… J’y reste, parce qu’il y a des dangers… » La Convention se décida alors à valider, le 1er octobre, les deux députés si singulièrement déposés par leurs électeurs.
  89. Par le Pas-de-Calais, pour lequel il opta.
  90. Lettres à Bancal, p. 350 ; — ms. 9534, fol. 185-186. – Depuis le 22 septembre, on datait de l’an ier.
  91. Georges-Auguste Couthon (1755-1794), compatriote de Bancal, ami de Dulaure, député du Puy-de-Dôme à la Législative, réélu membre de la Convention, le 6 septembre 1792, le premier sur onze pouvait jusqu’alors être classé plutôt parmi les Girondins avancés que parmi les Montagnards. (Voir Marcellin Boudet, Dulaure, p. 301-310, 322-326, etc.) Mais, le 12 octobre, à la séance des Jacobins, s’était élevé avec force contre le projet de Garde départementale, proposé le 8 par Buzot : « … Dans les premiers moments, je l’ai adopté moi-même, ce projet… mais la composition du Comité de constitution m’a ouvert les yeux ; je ne vois plus dans ce projet que le dessein de former un noyau de forces, etc… » (Aulard, t. IV, p. 380-381). C’est à cette occasion que Madame Roland prie Bancal de « le raisonner ».

    À partir de ce moment, Couthon suivit Robespierre jusqu’au bout.

  92. Ms. 6241, fol. 233-234.
  93. Nous n’avons pas le texte de cette lettre si importante, en ce qu’elle marque la rupture définitive avec Pache ; nous ne pouvons donc, comme nous avons fait pour la lettre du 31 juillet à Brissot, que l’inscrire ici, à son rang dans la série, à sa place historique, en nous contentant de l’analyse que donne Madame Roland elle-même. (Mémoires, t. I, p. 148-149.)

    Rappelons que Pache, après avoir servi de secrétaire officieux à Roland, puis à Servan, durant le premier ministère girondin, après avoir été proposé pour le ministère de l’intérieur par Roland lui-même à la fin de septembre, au moment où celui-ci songeait à opter pour un mandat de député, avait remplacé au ministère de la Guerre, le 3 octobre, Servan démissionnaire, et avait presque aussitôt livré ses bureaux aux Jacobins.

  94. Publié par M. G.Finder, op. cit. ; — ms. 9533, fol. 185-186, copie.
  95. Madame Roland répondait à la lettre suivante :

    Zurich, le 4 novembre 1792.

    Un mot, mon cher Roland de la Platière ! Je me mets à genoux, au nom de l’humanité ! – la première fois dans ma vie. — Je vous conjure — faites le possible et l’impossible – pour abolir la loi inouïe, barbare, sanguinaire, de bannir tan d’émigrés, de massacrer tous les revenants. Combien d’innocents ! — combien de fidèles à son devoir ! — Je n’ajoute pas mot que mon nom.

    Jean-Gaspard Lavater.

    Ma bonne femme me prie, au nom de Dieu, de ne pas envoyer ce mot à M. Roland. Moi je réponds : « Vous avez oublié la physiognomie droite et sage de cet homme, et la bonne, fidèle physiognomie de sa femme, si vous craignez quelque mal de ce mot simple d’humanité ! »

    Ce 10 xi 1792.

    Lavater.

    (Ms. 9533, fol. 189, copie : publié par G. Finsler, op. cit.)

    Lavater s’élevait ici contre le décret du 23 octobre 1792, qui, rendu sur la proposition de Buzot, bannissait à perpétuité les émigrés et punissait de mort ceux qui rentreraient.

  96. Dans la séance du 17 novembre, c’est-à-dire la veille du jour où cette lettre fut écrite, Manuel avait proposé un amendement en faveur des « revenans ». L’amendement fut ajourné, et la Patriote du 18 novembre le regretta.
  97. Procédé bien connu, alors très en vogue. — Voir note Appendice V.
  98. Madame Roland nous apprend (Mém., II, 180-181) que c’est elle qui rédigea cette lettre. — Champagneux, t. I, p. 213-215, en a le premier donné le texte, mais en la datant du 24 et en supprimant le passage que nous avons mis entre crochets. C’est M. Faugère (II, 297-299) qui a publié le texte intégral. — On le trouve déjà dans Girardot, p. 126-128.

    Cette lettre avait pour objet de réclamer la mise en liberté de deux artistes lyonnais, l’architecte Rater et le sculpteur chinard ; alors à Rome, que le gouverneur pontifical avait fait emprisonner comme suspects d’idées révolutionnaires. Le crime de chinard aurait été d’avoir fait un groupe représentant « Le Fanatisme terrifié par la Raison », que la ville de Lyon lui avait commandé. M. Faugère a donné en appendice (II, 289-301) : 1° Une lettre de Madame Chinard, du 25 octobre, sollicitant l’intervention de Madame Roland ; 2° Une lettre de Roland à Lebrun, ministre des Affaires étrangères, en date du 12 novembre, le pressant de faire les démarches nécessaires. Ces démarches eurent leur prompt effet, car M. Faugère nous apprend que Chinard et Rater venaient d’être mis en liberté quand la lettre du 23 novembre, rédigée par Madame Roland, arriva à Rome.

  99. L.a. signée en tête, 1 p. in-8o, n°235 du catalogue de la collection Jules Desnoyers, vente des 18 et 19 avril 1889. — Nous ignorons ce qu’est devenue cette lettre, que nous avons vue en 1895 dans la collection Étienne Charavay. Bien que nous ne puissions en donner ici le texte, nous nous permettons de l’inscrire ici à sa date, à titre d’indice. La lettre est peu importante en elle-même. Son unique intérêt, c’est d’établir les relations des Roland avec Hassenfratz, avec lequel ils semblent d’abord avoir été en bons termes, mais qui, devenu un des commis de Pache, s’éloignait d’eux (Voir, sur Hassenfratz et son rôle pendant la Révolution, son article dans la Biographie Rabbe.) Il est curieux, parce que, écrit évidemment par un de ses amis, il le représente comme ayant été un modérateur parmi les violents. Madame Roland a maltraité Hassenfratz dans ses Mémoires (t. I, p. 149).
  100. Cette lettre a été publiée pour première fois en 1842n par Mme  Louise Colet, en fac-similé dans les notes de son livre : Charlotte Corday et Madame Roland. Elle dit l’avoir tirée du cabinet de M. Feuillet de Conches. — M. Dauban l’a reproduite (II, 594), mais avec sa négligence habituelle, — en y introduisant cinq ou six variantes ! Notre texte est collationné sur le fact-similé de Mme  Colet. Nous n’avons corrigé que quelques fautes de ponctuations ou d’orthographe, qui sont des lapsus évidents d’une plume fièvreuse. — L’autographe (4 p. in-4o) a été figuré sous le n° 284 dans la vente des 7 et 8 mai 1875, Ét. Charavay, expert, — puis dans la vente de la collection Bovet, n° 311.
  101. C’est le 26 décembre que la Convention devait entendre — et entendit — la défense de Louis XVI présentée par de Sèze. On pouvait prévoir pour ce jour-là — on s’y attendait presque tous les jours – un mouvement populaire. Mais le mouvement n’eut pas lieu. Dès le 23 (Aulard, t. IV, p. 615), Robespierre avait recommandé le sang-froid aux Jacobins : « Soyons calmes et ne faisons aucun mouvement qui ferait la joie de nos ennemis ». — D’autre part, la Convention avait ordonné à la municipalité de Paris, le 24 décembre, de venir lui rendre compte de la situation de la ville et de la force publique (Schmidt, t. I, p. 103), et la Commune interdit, pour prévenir les rassemblements nocturnes, la célébration de la messe de minuit (Moniteur du 25 décembre).
  102. Voir la lettre suivante. Ce projet de renvoyer Eudora au Clos avec sa gouvernante n’eut pas de suite.
  103. Les procès-verbaux du « Conseil exécutif provisoire » constatent l’absence de Roland aux séances depuis le 15 jusqu’au 20 décembre. Il est présent le 21 et le 24 (Aulard, Salut public, t. I). — On remarquera que la phrase n’est pas construite.
  104. Cf. Mém., I, 88, 95, et ls. 4697, cahier Danton.
  105. Mém., t. I, p. 96 « …Peut-être aussi augurèrent-ils qu’elle pouvait quelquefois tenir la plume… » Cf. le passage de l’Histoire des Brissotins où Camille Desmoulins, l’ami de Fabre et de Danton, attribuant à Roland un des placards du temps, affirme « qu’on en a vu l’épreuve sur son bureau corrigée en entier de la main de sa femme ».
  106. Probablement Buzot. (Voir notre article de la Révolution française (février 1901) sur « Le portrait de Madame Roland aux Archives Nationales ».)
  107. Pache fut renvoyé par l’Assemblée le 2 février 1793.
  108. Sur la Sentinelle, voir Torneux 10775, et Hatin, p. 236-238. Elle avait commencé à paraître, non pas le 1er mars 1792, comme on l’a dit, mais seulement à la fin d’avril, après la déclaration de guerre. La publication s’interrompit le 21 novembre, nous ne savons pourquoi, et recommença pour quelque temps en janvier 1793. Quant à Louvet (1760-1797), l’héroïque et léger ami des Roland, il est trop connu pour que nous ayons besoin de lui consacrer une notice.
  109. Cf. Mém., t. I, p. 17 ; Champagneux. Disc. préliminaire, xxxvii-xxxix ; Vatel, p. 401-402. — Voir aussi l’Avertissement de l’année 1793.
  110. Sur ce projet d’organiser en garde de la Convention les fédérés des départements réunis à Paris, voir le Procès-verbal de la Convention de 13, 16 et 17 janvier 1793.
  111. Mlle  Mignot. — Voir la lettre suivante.
  112. Publié par Champagneux. Discours préliminaire, xli-xliii. — Reproduite par Dauban (Étude sur Madame Roland, p. cxlvii).
  113. Cette demoiselle Mignot semble être la même qui en 1791 (Tuetey, III, 5873-5874), s’intitulant « organiste du collège des Bernardins depuis trente-six ans aux appointements de 200 livres », sollicitait du Directoire du département de Paris une pension de même chiffre, par suite de la suppression du couvent. — Elle avait alors 53 ans. Or nous savons par la déposition faite le 7 novembre 1793 devant le tribunal révolutionnaire, par la demoiselle Mignot dont il est question dans cette lettre (Arch. nat., W. 294, dossier 227, cote 26), qu’elle était déjà âgée de 55 ans [en 1793], ce qui correspond bien aux 53 ans, en 1791, de l’ancienne organiste des Bernardins ; qu’elle était « maîtresse de clavecin » et qu’elle était entrée chez les Roland le 13 août 1792, « pour y enseigner la musique et le clavecin à la fille Roland qui était confiée à ses soins en qualité d’institutrice… », et les avait quittés vers le 20 mai 1793.

    Rien n’égale d’ailleurs la sottise féroce de cette déposition.

    Champagneux a publié (Disc. Prélim., xxxix-xli l’acte par lequel Roland et sa femme confiaient leur fille à cette indigne créature en lui assurant un sort. Voici ce document :

    Nous, soussignés, réunis dans les sentiments qui n’ont cessé de nous animer l’un et l’autre, considérant que l’incertitude ordinaire des événements est encore augmentée par la situation politique de l’empire, et celle de la capitale en particulier ; considérant que le premier devoir d’un homme public est de rester à son poste tant qu’il peut y être utile, et résolus de demeurer toujours là où nous veut la patrie ; mais jugeant que rien ne nous oblige à faire courir les mêmes hasards à notre enfant chéri, nous avons arrêté de le confier à Mlle  Mignot, qui s’est déjà chargée de son éducation, et de l’envoyer dans le domaine rustique de la famille, loin du théâtre de la guerre, attendre des jours plus heureux, en cultivant, dans cette retraite paisible, ses facultés morales, et se préparant aux revers sans les craindre, comme à la prospérité sans l’ambitionner, à l’exemple de ses parents, qui auront vécu dans reproche et sauront mourir sans terreur. Nous nous reposons avec confiance sur les soins affectueux et la bonté éclairée de Mlle  Mignot. Nous voulons qu’elle jouisse, sur notre chère Eudora, de tout l’ascendant que doit lui acquérir son caractère respectable, et qui est absolument nécessaire à la suite de l’éducation. Mlle  Mignot partagera l’existence et les moyens de son élève ; et après huit années révolues, il lui sera payé annuellement, sur nos biens, 1,000 francs de rente viagère, dont elle jouira avec la plus parfaite indépendance.

    Paris, le 25 décembre 1792.

    J.-M. Roland, Roland, née Phlipon
  114. Ms. 9583n fol. 270. — Une main inconnue a mis en marge « n° 4 ».

    Ici commence une série de lettres et de billets, adressés à Lanthenas, et qui nous font assister à sa rupture avec les Roland. Une de ces lettres (lettre 515) avait déjà été publiée par M. Faugère en 1864 (Mém., II, 310-311), puis en 1864 par M. Dauban (II, 590-591) ; une autre (lettre 518) nous est fournie par un catalogue de ventes d’autographes, mais les dix autres billets sont absolument inédits ; c’est évidemment la série qui a passé autrefois par les ventes d’autographes (vente du 6 février 1845 et jours suivants, Charon, expert, n° 416 ; vente Trémont, du 9 décembre 1852 et jours suivants, n° 1263), et qui a fini par arriver dans les dossiers de M. Faugère, devenus aujourd’hui les mss. 9532-9534 (n. A. fr.) de la Bibliothèque nationale.

    Un seul de ces billets est daté, 20 janvier [1793]. Pour deux ou trois autres, nous avons des indices. Nous avons essayé de les classer, en nous guidant sur la suite des idées. Nous ne sommes pas certain d’y avoir tout à fait réussi, tant il y a, dans une rupture de ce genre, de retours subits ! Neuf de ces billets portent un numéro d’ordre, d’une écriture ancienne, peut-être de Lanthenas, et cinq ont des dates d’année, d’une écriture ancienne aussi, mais différente. Nous ne nous sommes pas cru obligé de tenir compte de ces indications, car plusieurs de ces dates d’années sont manifestement erronées ; quant aux numéros d’ordre, eussent-ils été donnés par Lanthenas lui-même, ils ne nous paraissent pas devoir faire absolument autorité, chacun sachant à quelles erreurs il s’expose en classant rapidement, après coup, et sans les termes de comparaison dont peut disposer la critique, une correspondance sans dates et dont le laconisme ne fournit pas d’indices.

    En somme, tous ces billets, sauf celui du 20 janvier [1793] semblent être des derniers mois de 1792. Ne pouvant les dater avec plus de précision, nous avons cru préférable de les réunir tous à la fin de la Correspondance de cette année-là, au lieu d’essayer de les intercaler approximativement parmi les lettres authentiquement datées de cette période. Il vaut mieux d’ailleurs qu’on les lise à la suite les uns des autres, en se rappelant que Lanthenas était logé au ministère de l’Intérieur même.

  115. Ms. 9533, fol. 269.

    Une main inconnué a mis en marge : « no 3 » et d’une autre écriture « 1791 ». Cette date est une erreur manifeste.

  116. Probablement à Monceaux, chez Gibert, qui avait là une petite maison de campagne, où elle allait quelquefois se reposer. Nous avons déjà dit (lettre 451) que le « Rapport sur les papiers trouvés chez Roland » (avril 1793) cite, parmi les pièces inventoriées, « une lettre de Roland à sa femme, écrite par lui au milieu de septembre, alors qu’elle était à Mousseau… »

    Sainte-Beuve (Introduction aux Lettres à Bancal, p. xxxvii parle aussi d’une campagne à Champigny-sur-Marne, où Roland et sa femme auraient habité au sortir du premier ministère.

  117. Ms. 9533, fol. 266.

    Deux notes, d’une écriture inconnue, en marge du billet, disent « no 1 » et « 1790 ». Cette dernière date est absolument erronée.

  118. Charles-Gilbert Romme (1750-1795), député à la Convention, un des « derniers Montagnards », décapité le 17 juin 1795, était l’ami de Bosc, de Lanthenas, de Bancal, de Dulaure.

    Il est bien regrettable que ce billet ne soit pas daté. Il nous renseignerait mieux sur une des tentatives, encore maintenant si mal connues, qui furent faites, d’octobre 1792 à mars 1793, pour rapprocher les deux grands partis de la Convention. Remarquons toutefois qu’ici l’entreprise n’a qu’une portée restreinte, puisque Romme demande précisément que ni « ces MM. de la Gironde, ni Brissot ne soient à l’entrevue ». Il s’agit plutôt de ramener Roland et « ses autres amis ».

    L’événement se place forcément dans les trois derniers mois de 1792, car, à partir de janvier 1793. Lanthenas, on va le voir, était en trop mauvais termes avec Madame Roland pour pouvoir servir d’intermédiaire. Nous mettrions volontiers ce billet dans la seconde quinzaine d’octobre, alors que Romme et Lanthenas venaient d’être élus ensemble (le 13 octobre) au Comité de l’instruction publique (J. Guillaume, Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention, t. I, Introd., p. iv).

  119. Ms. 9533, fol. 267-268. — Sur l’adresse, de la main de Madame Roland : « Pour Monsieur Lanthenas ». En marge, de deux écritures différentes : « 1792 » et « n° 2 ».
  120. Ls. 9533, fol. 272. — En marge, écriture inconnue : « n° 6 ».
  121. Ce mot peut nous servir d’indice pour dater approximativement ce billet ; « L’Arabe Chervi » est évidemment le Syrien Charwich, un des deux interprètes des langues orientales à la Bibliothèque nationale, dont Roland, en réorganisant la Bibliothèque, avait supprimé les emplois, et qui assaillait de leurs réclamations et le Comité d’instruction publique de la Convention et la Convention elle-même. — Ce « quelque chose » que Roland se disait disposé à faire fut fait : le 25 novembre (voir Moniteur du 26), la Convention alloua à Chawich un secours provisoire, en renvoyant sa pétition aux comités compétents.

    Il semble donc que ce billet ait été écrit un peu avant le 25 novembre. — Voir, sur Chawich, J. Guillaume, Comité d’instruction publique de la Convention, t. I, Introd., p. lxi et p. 165-168, 399, etc.

  122. Ms. 9533, fol. 271. — En marge, écriture inconnue : « n° 5 ».
  123. Ms. 9533, fol. 274-275. On lit sur le folio extérieur, de la main de Madame Roland : « M. Lanthenas ». Et sur un pli de l’adresse, de la main de celui-ci : « Madame Roland ». Une écriture inconnue, en marge de la lettre, a inscrit : « n° 8 ».
  124. Publiée en 1864 par M. Faugère (Mém., II, 310-311), sans qu’il ait indiqué
  125. Nous ne sommes pas en mesure de dire à quelle association fait allusion ici Madame Roland. On a pu voir, par sa correspondance de 1790 et 1791, qu’il y avait eu beaucoup de projets entre Lanthenas et les Roland pour acheter quelque bien en commun ; mais nous ne savons pas qu’aucun ait abouti. Les lettres 509 et 510 montrent du moins qu’il y avait eu entre eux quelques comptes à liquider.
  126. M. Dauban a imprimé « Les associés » ! L’allusion aux « assassins », rapprochée des lettres du 25 décembre à Servan et au chanoine Roland, nous porte à placer cette lettre vers la fin de décembre.
  127. Déchirures du papier.
  128. Ms. 9533, fol. 280-281, copie. — Cette lettre semble se rattacher à la même crise que la précédente et pouvoir être placée au même moment. Peut-être, cependant, viendrait-elle plus naturellement à la suite de la lettre 514.
  129. Ms. 9533, fol. 276. — Il résulte des documents que M. Faugère a joints à l’automne qu’il avait été donné, en 1844, à Mme  la comtesse Duchâtel par M. Richond des Brus, député de la Haute-Loire (allié ou ami de la famille Lanthenas).
  130. L. aut. à Lanthenas, 3 pages 1/2 in-8o, n° 453 de la vente du 22 novembre 1852, J. Charavay, expert. — Le catalogue ne donne évidemment qu’un fragment de la lettre. Nous le reproduisons tel quel.
  131. Madame Roland exprime ici ce qu’elle redira avec plus de développement dans ses lettres à Buzot, de juin à juillet 1793, et dans ses Mémoires, notamment t. II, p. 244.