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Lettres de Mlle de Lespinasse/Lettre LXXXV

La bibliothèque libre.
Garnier Frères (p. 206-207).

LETTRE LXXXV

À midi, 1775.

Mais vraiment, je le crois bien, que vous ne prendrez ni les manières, ni le ton de personne : tout ce qui a une véritable grandeur, n’aurait qu’à perdre à changer ; Alexandre n’aurait peut-être point voulu n’avoir pas le torticolis ; gardez donc tout, mon ami, votre goût, votre légèreté, vos manières, et surtout votre oubli de tout ce qui touche et intéresse ce que vous dites aimer. Par exemple, vous avez un raffinement de délicatesse que je n’ai trouvé qu’en vous : vous ne me verrez pas, parce que cela vous contraint de ne pas me voir seule ! En vérité, cela est d’une tendresse touchante, surtout lorsqu’il vous serait libre de venir chez moi le matin et à quatre heures : c’est le temps où l’on est presque sûr de me trouver seule. Mais, mon ami, il est bien plus délicat de n’y pas venir, et j’y donne mon consentement : car je ne désire pas plus que vous me fassiez des sacrifices, que vous n’avez envie de m’en faire. L’excès de votre intérêt se contentera de ces deux mots, j’ai souffert. Bonjour, non, ne croyez point que le quartier y fasse rien, c’est le cœur qui fait tout, a dit La Fontaine. Adieu donc, à jeudi. Je vis avec mes autres amis ; pour vous, je ne fais que vous voir ; cela est dans l’ordre.