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Lettres de Mlle de Lespinasse/Lettre LXXXVII

La bibliothèque libre.
Garnier Frères (p. 208-209).

LETTRE LXXXVII

Dix heures du matin, 1775.

Oui, je vous ai impatiemment attendu toute la journée : c’était le désir et l’espoir de mon âme : mais un sentiment plus profond me disait que je ne vous verrais pas. Si j’écoutais toujours celui-là, mon âme s’éteindrait, ou ma vie finirait bientôt. Je vous connais si bien, je me sens si coupable, que jamais vous n’entendrez ni plainte, ni reproche. — Je crois que vous faites bien d’aller à Versailles : il faut parler une fois de cette affaire, pour n’en plus parler ensuite. — Madame Geoffrin m’a apporté une estampe pour vous : je vous l’envoie, pour que vous en jouissiez plus tôt. Cette femme est belle, mais, en effet, elle est froide comme une muse. Envoyez donc votre copie à madame Geoffrin : elle est pressée. Quand on est bien jeune et bien vieux, on veut jouir vite. J’ai été fort souffrante aujourd’hui : c’est l’habitude de ma vie ; on ne doit pas plaindre les maux qui durent toujours ; c’est bien assez d’être supportée. Bonsoir. À votre retour, il faudrait peut-être aller ou envoyer chez M. Turgot.