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Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/L5 XXI. À Rufus

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 413-415).
XXI.
Pline à Rufus.

Je m’étais rendu dans la basilique Julienne[1], pour entendre les avocats à qui je devais répondre dans l’audience suivante. Les juges avaient pris place, les décemvirs[2] étaient arrivés, les avocats étaient prêts, le silence régnait depuis long-temps[3] enfin, un envoyé du préteur se présente. On congédie les centumvirs ; l’affaire est ajournée, à ma grande satisfaction ; car je ne suis jamais si bien préparé, qu’un délai ne me fasse plaisir. La cause de cette remise est le préteur Nepos, qui fait revivre les lois du barreau. Il venait de publier un édit fort court, par lequel il avertissait et les accusateurs et les accusés, qu’il exécuterait à la lettre le décret du sénat, transcrit à la suite de son édit. Par ce décret, il était ordonné à tous ceux qui avaient un procès, de quelque nature qu’il fût[4], de prêter serment, avant de plaider, qu’ils n’avaient fait, pour le plaidoyer, ni don ni promesse, et qu’ils n’avaient exigé aucune garantie. Par ces termes, et par beaucoup d’autres, il était défendu aux avocats de vendre leur ministère, et aux parties de l’acheter. Toutefois on permettait, après le procès terminé, de donner jusqu’à la concurrence de dix milles sesterces. Le préteur, qui préside[5] aux centumvirs, embarrassé par cette action de Nepos, et voulant songer à loisir s’il devait suivre son exemple, nous a donné ce repos imprévu. Cependant l’édit de Nepos est devenu le sujet du blâme ou des éloges de toute la ville. Les uns s’écrient : Nous avons donc trouvé un réformateur ! eh quoi ! n’avions-nous point de préteurs avant lui ? Quel est cet homme, qui se mêle de corriger les mœurs publiques ? Les autres disent : Que pouvait-il faire de plus sage, en entrant en charge ? il a consulté la loi : il a lu les décrets du sénat ; il a aboli un trafic honteux, et ne peut souffrir que la chose du monde la plus glorieuse soit vénale. Voilà les opinions qui se discutent dans les deux partis, et dont l’événement décidera. Rien de moins raisonnable, mais rien de plus commun, que de voir les entreprises honorables ou honteuses obtenir, suivant le succès, le blâme ou l’approbation. Aussi la même action est-elle qualifiée tour à tour de zèle ou de vanité, de liberté ou de folie. Adieu.


  1. La basilique Julienne, etc. C’était sans doute celle que Jules César consacra la troisième année de son empire ; on désignait par le mot de basilique un portique vaste et élevé, tel qu’on en plaçait toujours devant les théâtres, les temples et les tribunaux.
  2. Les décemvirs, etc. Les décemvirs, dont cinq étaient sénateurs, et cinq chevaliers, avaient la fonction de convoquer le conseil des centumvirs, et de les présider en l’absence du préteur. (Suet., Aug. 36.)
  3. Les avocats étaient prêts, etc. De Sacy ne paraît pas avoir bien compris tout ce passage ; il traduit : Les centumvirs étaient arrivés ; tout le monde avait les yeux tournés sur les avocats ; un profond silence régnait, lorsqu’il arriva un ordre du préteur de lever la séance. Ceci ferait croire que l’on allait commencer les
  4. De quelque nature qu’il fût. L’éditeur de la traduction de De Sacy avait donné cette leçon, qui quid negotii haberent. J’ai préféré, avec Schæfer, quidquid negotii haberent, comme plus clair et plus latin.
  5. Qui préside. Nous avons rétabli præsidet qui avait été changé, dans le texte de la traduction, en præsidebat.