Lettres de voyages/Seizième lettre
SEIZIÈME LETTRE
Comme j’ai déjà eu occasion de l’écrire, je n’ai ni l’intention, ni la prétention de faire une longue description de Rome et de ses merveilles artistiques. D’abord, les huit jours que je vais passer dans la Ville Éternelle me permettront à peine d’en voir les choses les plus intéressantes et il faudrait ensuite faire des études spéciales très sérieuses pour en parler avec connaissance de cause. Je vais donc me contenter d’écrire deux lettres sur Rome : la première qui sera une description abrégée de ce qu’on peut et doit voir, pour connaître Rome même superficiellement, et la seconde qui traitera des personnes que j’y ai rencontrées et de certaines choses particulières que j’y ai observées.
Je commence la première qui pourra avoir de l’intérêt, comme réminiscences, pour ceux qui ont déjà visité la Ville Éternelle.
Capitale du royaume d’Italie et métropole de l’univers catholique, Rome, avec une population de 300,000 habitants, est la ville du monde dont le nom éveille les plus nombreux et les plus grandioses souvenirs. Nulle cité n’est plus riche en monuments du passé ni en chefs-d’œuvre de l’art.
La ville est entourée de murailles percées de douze portes. Le Tibre la traverse du nord au sud et la divise en deux parties inégales, différentes d’aspect, mais l’une et l’autre intéressantes à divers titres. Sur la rive gauche, se trouvent la Rome des Césars, avec ses sept collines, aujourd’hui presque inhabitée, et la ville relativement moderne, qui est le centre du commerce.
La partie la moins ancienne et la moins considérable est située sur la rive droite du Tibre. Elle comprend : au nord, le Borgo ceint de murs, avec le palais du Vatican, résidence du St. Père, la basilique de St. Pierre, le château St. Ange, qui forme la « cité Léonine » ; au sud, le faubourg populeux du Transtevère. Six ponts, dont le plus remarquable est le pont St. Ange, font communiquer les deux rives du fleuve.
Rive gauche — À l’entrée de Rome, au nord, se trouve la place du Peuple, que décore un obélisque rapporté d’Heliopolis par Auguste et où s’élève l’église populaire de Rome, Sainte-Marie-du-Peuple (1009). À l’est, la belle promenade du Pincio. De la place du Peuple, partent les trois principales rues de Rome : à droite, la rue Ripetta, longeant le fleuve ; la rue Bobbuino, à gauche, qui se termine à la place d’Espagne, le centre du quartier des étrangers ; entre ces deux rues, le Corso, l’ancienne voie Flaminienne, la plus grande artère de Rome, bordée de beaux magasins.
Faisons cependant remarquer, en passant, qu’en dehors des nouveaux quartiers, les rues de Rome sont très étroites et que le fameux Corso, avec toutes ses richesses artistiques et ses souvenirs historiques, n’est pas plus large que notre rue St. Laurent, dans son état actuel. Il en est de même des autres rues et places, qui sont relativement très restreintes. En longeant le Corso, on traverse la place Colonna, où se dresse la colonne de Marc-Aurèle ; puis la place de Venise, près de laquelle se trouve l’église du Gésu, l’une des plus magnifiques de Rome, et l’on arrive au Capitole, où sont situées l’église d’Ara Cœli et la place du Capitole.
La place du Capitole a été dessinée par Michel-Ange. Elle est ornée de la statue en bronze de Marc-Aurèle et bordée par trois palais ; le palais du Sénateur ; le palais des Conservateurs, qui renferme d’importantes collections d’antiques, tels que, la Louve du Capitole ; le Tireur d’épine, etc. ; et une galerie de peintures, parmi lesquelles Ste. Pétronille, l’œuvre capitale du Guerchin. Le troisième palais contient le musée du Capitole, avec le Gladiateur mourant, l’Antinous, le Faune, de Praxitèle : l’Amazone, la Venus du Capitole, de Praxitèle, la perle de la collection. La via del Campidoglio descend au Forum, dont l’emplacement est en contre-bas de huit mètres du sol actuel de la ville. C’est là que se trouvent le Tabularium où étaient placées les Tables de bronze contenant les sénatus-consultes et les décrets du peuple romain, les ruines du temple de la Concorde, du temple de Vespasien, du temple de Saturne, la tribune aux harangues, l’arc de Septime Sévère, voisin de la prison Mamertine ; la colonne de Phocas, la basilique Julia ; le temple de Castor et Pollux, celui de Jules César et celui de Faustine. Cette suite de magnifiques monuments constituait la Voie sacrée, qui partait du Capitole pour aboutir à l’amphithéâtre de Flavius (le Colisée). En dehors du Forum proprement dit, dont nous venons d’énumérer les principaux restes, et le long de la Voie sacrée, se trouvent l’arc de Titus ; la basilique de Constantin ; le temple de Vénus et de Diane, l’arc de Constantin, le colosse de Néron : enfin, à l’extrémité, le Colisée, superbe amphithéâtre qui pouvait contenir 100,000 spectateurs.
Sur le Mont Palatin, que longeait la Voie sacrée, s’élèvent les ruines du palais des Césars, des palais de Caligula et de Septime Sévère, du temps de Jupiter Stater ; les maisons d’Auguste, de Livie et de Tibère.
La rue San Giovanni, qui part du Colisée, aboutit à l’extrémité est de Rome, à la place Saint-Jean-de-Latran, où se trouvent un obélisque, le plus grand qui existe ; l’église de la Scala Santa, renfermant le « saint escalier » provenant, dit-on, du palais de Pilate à Jérusalem, et la magnifique basilique de St. Jean-de-Latran, où l’on remarque les chapelles Corsini, Torlonia et une fresque de Giotto.
À la basilique est annexé un admirable cloître du XIIIe siècle ; à un angle de la place, le Baptistère où Constantin reçut, dit-on, le baptême.
Le palais de Latran, ancienne résidence des Papes, s’élève à côté de la basilique. Il renferme un musée profane de sculptures antiques, parmi lesquelles il faut citer : Médée et les Filles de Pélée ; le Satyre dansant ; l’Enfant avec une grappe de raisin ; une admirable statue de Sophocle ; un musée chrétien avec sarcophages des IVe et Ve siècles ; une collection d’inscriptions chrétiennes d’une valeur inappréciable ; et une galerie de peintures et mosaïques antiques.
La via Merulana, qui se dirige vers le nord, conduit à la basilique de Ste. Marie-Majeure, la plus vaste des 80 églises de Rome consacrées à la Vierge, et peut-être la plus ancienne de la chrétienté. On y admire surtout le magnifique plafond de Giulio de San Gallo et la chapelle du Saint-Sacrement, par Fontana. Dans une chapelle souterraine on conserve la crèche de Notre Seigneur. En revenant sur le Tibre, par la rue Ste. Marie-Majeure, on arrive au Forum de Trajan où se trouve la colonne Trajane, l’un des plus beaux monuments antiques de Rome et dont les bas-reliefs, où l’on compte plus de 2,500 figures, représentent des sujets tirés des expéditions de Trajan contre les Daces.
De l’autre côté du Corso, dans la boucle du Tibre, sont situés le Panthéon, construit par Agrippa 27 ans avant J.-C., magnifique rotonde précédée d’une colonnade, consacrée, au VIIe siècle, au culte chrétien, et qui renferme les tombeaux de Raphaël, d’Annibal Carrache, etc. ; l’église de Santa Maria sopra Minerva ; la place Navone, ornée de trois fontaines et la plus grande de Rome.
Il ne faudrait pas non plus oublier les anciens Thermes ou établissements de bains qui étaient construits et aménagés avec une magnificence qu’on peut difficilement s’imaginer.
Les Thermes de Caracalla surtout, dont il restes des ruines superbes, sont des merveilles du genre. Afin de faire comprendre la grandeur qu’atteignaient souvent ces établissements, disons que l’église de Ste. Marie-des-Anges, une des plus grandes de Rome, a été faite complètement dans la grande salle des Thermes de Dioclétien, sur les plans de Michel-Ange.
Rive droite. — En quittant la place Navone, on arrive bientôt au pont St. Ange, orné de six statues colossales d’anges et construit en face du Mausolée d’Adrien (aujourd’hui le Château St. Ange) qui s’élève de l’autre côté du Tibre ; puis à la place du Plébiscite où commence la rue du Borgo Nuovo, qui aboutit à la basilique de St. Pierre du Vatican.
La place St. Pierre, qui précède l’église, est entourée d’une quadruple rangée de 284 colonnes, formant trois galeries dont les portiques sont surmontés de 162 statues de saints. Au milieu de la place s’élève, entre deux belles fontaines, l’obélisque de Caligula.
La basilique de St. Pierre est précédée d’un superbe portique d’où cinq portes donnent entrée dans le temple. On ne saurait énumérer ici toutes les magnificences que renferme cette grande merveille de Rome ; bornons-nous à citer la coupole, dans laquelle se trouve la « confession de St. Pierre, » tombeau renfermant une partie des reliques des saints Pierre et Paul, et le maître-autel que surmonte un magnifique baldaquin ; la statue en bronze de St. Pierre, qui renferme la chaire en bois de l’apôtre ; les chapelles de la Pietà (groupe de Michel-Ange) et du Saint-Sacrement ; des tombeaux de papes ; des mosaïques, reproduisant des peintures célèbres, qui décorent l’intérieur de ce splendide monument.
Le Vatican, le plus grand palais du monde, situé à droite de la basilique de St. Pierre, se compose de trois étages. Au premier étage, se trouve la Chapelle-Sixtine qui renferme les célèbres fresques de Michel-Ange : le Jugement dernier, les Prophètes et les Sibylles. Au troisième étage sont les 22 peintures connues sous le nom de « Loges de Raphaël, » représentant les principaux faits de l’Ancien et du Nouveau Testaments ; et les « quatre chambres de Raphaël » — l’École d’Athènes, la Dispute du Saint-Sacrement, etc.
La galerie des tableaux du Vatican en comprend une quarantaine, mais tous sont des œuvres de premier ordre : la Transfiguration, la Vierge au Donataire, de Raphaël ; la Communion de St. Jérôme, du Dominiquin, etc.
Le Musée des antiques est composé de 15 salles ou galeries. Au nombre des sculptures célèbres : l’Athlète, le Torse du Belvédère, le Tombeau de Scipion Barbatus, le Laocoon, Mercure, Méléagre, l’Apollon du Belvédère.
La bibliothèque renferme 24,000 manuscrits, dont plusieurs sont d’un prix inestimable, tels que le manuscrit de Virgile, du Ve siècle, le célèbre Palimpseste de la République de Cicéron ; 50,000 volumes imprimés ; une collection de papyrus ; des peintures antiques, notamment les Noces Aldobrantines, découvertes en 1606, l’une des fresques les plus précieuses que l’on possède de l’antiquité.
Rome compte encore plusieurs églises dignes d’attirer l’attention des visiteurs : la magnifique basilique de St. Paul hors des murs ; Saint-Pierre-ès-liens, qui renferme le célèbre Moïse de Michel-Ange ; la Trinité-du-Mont, bâtie par le roi de France Charles VIII ; Saint-Pierre in Montorio, élevée sur l’emplacement où St. Pierre subit le martyre ; Sainte Agnès hors des murs ; Saint-Louis-des-Français ; Santa-Maria-degli-Angeli ; San-Lorenzo in Lucina, où se trouve le tombeau du Poussin.
Outre le palais royal du Quirinal, ancienne résidence d’été des Papes, aujourd’hui demeure du roi d’Italie, on compte à Rome un grand nombre de palais particuliers qui possèdent, pour la plupart, des galeries de tableaux : le palais Barberini, où l’on voit le célèbre portrait de Béatrice Cenci, de Guido Reni ; le Borghèse, avec la Mise au Tombeau, de Raphaël, l’Amour sacré et profane, du Titien ; le Corsini ; le Doria-Panfili, le plus somptueux, avec une galerie de ses tableaux ; la Farnésine, où l’on admire splendides fresques de Raphaël, dont la plus célèbre est le Triomphe de Galatée, etc.
Les villas continuent sous une autre forme, la magnificence des palais. Nous citerons principalement la villa Médicis, où est installée l’Académie française de peinture et dont les ombrages servent de promenade au public ; la villa Borghese, dont le parc est une promenade très fréquentée ; la villa Albani, avec la fresque de Raphaël Mengs, le Parnasse ; la villa Ludovisi, dont un pavillon est célèbre par la fresque du Guerchin, l’Aurore, etc.
On doit terminer son séjour à Rome par une visite aux Catacombes.
Voilà une énumération bien succincte des merveilles de Rome ; et dans ma prochaine lettre je parlerai tout particulièrement du nouveau collège canadien que les P. P. Sulpiciens de Montréal, viennent d’y établir et que je dois visiter demain en compagnie du Rév. M. Colin et de plusieurs prêtres de Montréal.